ASC : les économies réalisées par l’employeur doivent être reversées au CSE
13/02/2025
En raison du monopole de gestion des activités sociales et culturelles (ASC), décide un arrêt de la cour d’appel de Versailles, l’employeur qui réalise des économies sur une activité qu’il a conservée en gestion doit reverser ces sommes au CSE, qui les affectera à d’autres ASC.
L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au CSE a modifié les règles de calcul du budget des activités sociales et culturelles, les ASC. C’est désormais l’accord d’entreprise qui est le mode principal de détermination de cette subvention. Il existe bien des dispositions supplétives à défaut d’accord (elles prévoient que la contribution de l’employeur mesurée en pourcentage de la masse salariale ne peut être inférieure à celle de l’année précédente), mais cet accord peut parfaitement y être moins favorable (C. trav., art. L. 2312-81).
Cependant, l’ordonnance n’a pas modifié la nature des ASC et leur régime. Ainsi, le CSE dispose du monopole sur leur gestion (C. trav., art. L. 2312-78), comme le CE auparavant. Et ce monopole signifie que le CSE a toute liberté (sous réserve de discrimination) pour gérer les ASC, mais aussi qu’il peut à tout moment revendiquer la gestion, et donc le budget, des œuvres sociales existantes et gérées par l’employeur.
La restauration collective est bien une activité sociale et culturelle : il s’agit d’une infrastructure destinée à améliorer le bien-être des salariés, et est directement visée par l’article R. 2312-35 définissant la nature des ASC. Le CSE dispose donc du monopole de sa gestion, laquelle est très souvent déléguée à l’employeur, compte tenu de sa lourdeur.
Qu’en est-il lorsque dans le cadre de cette gestion, l’employeur fait des économies sur ce budget ? C’est à cette question que répond la cour d’appel de Versailles, pour la première fois concernant un CSE.
► Remarque : Attention ! Il s’agit d’un arrêt d’une cour d’appel, non encore confirmé par la Cour de cassation.
Accord fixant le budget du CSE
Dans cette affaire, l’entreprise a signé en 2019 un accord de mise en place du CSE prévoyant des dispositions sur le budget des activités sociales culturelles :
- 1,22 % de la masse salariale brute de l’entreprise pour financer la subvention directement reversée au CSE ;
- services de restauration directement gérés par l’entreprise (prévu expressément).
Économies sur la restauration suite au Covid révélées par le rapport d’un expert du CSE
En 2021, le rapport réalisé par l’expert du CSE désigné dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière met en évidence une économie substantielle (334 000€) réalisée par la société sur les frais de restauration en 2020, en raison de la crise sanitaire et des fermetures de restaurants d’entreprise ainsi que du développement du télétravail qu’elle a entraîné.
Le CSE réclame alors à l’entreprise de lui reverser ces économies réalisées sur les ASC dont la gestion lui avait été déléguée.
Le tribunal judiciaire, saisi de cette affaire, rejette la demande du CSE.
Pour le juge, il y a un accord relatif au budget des ASC dans cette entreprise, lequel précise le taux de la contribution de l’employeur d’une part, et la prise en charge de la restauration et de ses frais par l’employeur d’autre part. Il faut donc s’en tenir à cet accord.
Mais le CSE fait appel et la réponse de la cour d’appel est différente.
Monopole de gestion des ASC par le CSE
La cour pose la problématique suivante : “Lorsqu’une partie des ASC est gérée par l’employeur, ce qui est le cas en l’espèce, le montant affecté à l’activité en cause doit correspondre aux sommes qui auraient été versées au CSE s’il avait géré l’activité lui-même, ainsi que le soutient le CSE, ou bien le montant de la subvention doit être calculé en écartant l’activité gérée par l’employeur, comme le soutient la société ABB France ?”.
La cour d’appel rappelle ensuite la jurisprudence, adoptée à l’époque du comité d’entreprise, précisant que “dès lors que le CSE a le monopole de la gestion des ASC établies dans l’entreprise, quand bien même le CSE a délégué à l’employeur la gestion d’une partie de celles-ci, le montant de la contribution de l’employeur au financement des activités doit être fixé en tenant compte de la totalité des dépenses sociales de la période de référence. L’employeur ne peut donc diminuer sa contribution au budget des ASC des sommes affectées à l’activité déléguée (► Cass. soc., 30 mars 2010, n° 09-12.074).
► Remarque : cette jurisprudence a été confirmée en 2016, toujours concernant un CE. Les juges ont précisé à cette occasion que cette règle s’applique, peu important que le comité ait expressément délégué, ou ait ou n’ait pas revendiqué la gestion de ces ASC (Cass. soc., 21 juin 2016, n° 15-12.525). A noter également que compte tenu du monopole de gestion, l’employeur qui accepte tacitement de gérer une ASC telle que la restauration d’entreprise, demeure libre de cesser à tout moment d’assurer lui-même cette gestion (Cass. soc. QPC, 29 oct. 2015, n° 15-12.525).
Économies sur l’ASC gérée par l’employeur reversées au CSE
La cour en déduit une règle générale : “Il s’ensuit nécessairement que si l’employeur fait des économies sur l’activité qu’il a conservée en gestion, ces économies doivent être reversées au CSE, qui les affectera à d’autres ASC”.
Pour l’entreprise, la jurisprudence de 2010 est devenue obsolète depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance CSE.
“Même si l’ordonnance a modifié les modalités de détermination de la contribution de l’employeur aux ASC, lui répond la cour d’appel, cela n’est pas de nature à remettre en cause le monopole du CSE sur les ASC et donc l’obligation faite à l’employeur de rembourser les économies qu’il aurait réalisées”.
Peu importe, donc, que le montant de la contribution de l’employeur aux ASC ait été fixé par accord.
À cet égard, la cour précise cependant que “seul le montant de la contribution patronale a été fixé par accord mais il n’a pas été expressément prévu l’hypothèse des économies faites par l’employeur, laquelle relève dès lors des principes généraux retenus par la jurisprudence”.
► Remarque : la cour semble ainsi réserver l’application de cette règle à l’absence de dispositions conventionnelles à cet égard. Il ne s’agirait donc pas d’une règle d’ordre public, et l’accord fixant le budget pourrait également en préciser les modalités, et donc prévoir, par exemple, que les économies sur les ASC gérées par l’employeur, lui restent acquises. Cette réserve reste toutefois à confirmer, compte tenu de la règle du monopole de gestion, laquelle est d’ordre public. En effet, la Cour de cassation a confirmé que les modalités de gestion des ASC pouvaient faire l’objet d’un accord signé avec les délégués syndicaux, mais a également apporté des précisions sur la recevabilité et l’appréciation de l’action en nullité du CSE concernant un tel accord, en cas d’atteinte aux règles d’ordre public, notamment au monopole de gestion (Cass. soc., 10 juill. 2024, n° 22-19.675, voir notre article).
Enfin, la cour ajoute que la restitution au CSE “n’est pas conditionnée à un comportement fautif de l’employeur mais résulte uniquement du monopole de gestion du CSE impliquant qu’il conserve la maîtrise de son budget global”. L’employeur est donc condamné à rembourser les économies générées.
Calcul de l’économie à reverser au CSE
Enfin, l’arrêt apporte des précisions sur les modalités de calcul de la somme à reverser au CSE au titre de ces économies, lesquelles sont calquées sur le calcul à opérer pour déterminer le budget des ASC, conformément aux dispositions supplétives prévues à l’article L. 2312-81 du code du travail (notons toutefois qu’il semble qu’un accord puisse prévoir un autre mode de calcul).
Ainsi, “afin d’évaluer les économies réalisées, les CSE d’établissement proposent de faire le rapport entre la contribution patronale aux frais de restauration par rapport à la masse salariale, montrant ainsi que ce rapport a été réduit. Ils en déduisent le montant des économies réalisées”.
► Exemple :
pour l’établissement d’Aix-les-Bains :
- frais de restauration en 2019 : 19 795€ / masse salariale en 2019 = 5 867 611€, soit un rapport de 0,34 %
- frais de restauration en 2020 : 15 154€ / masse salariale en 2020 = 5 371 785€, soit un rapport de 0,28 %.
Il en résulte des économies réalisées en 2020 égales à 2 968,57€. C’est cette somme qui doit être reversée à ce comité d’établissement.
Séverine Baudouin