Vie démocratique : un rapport préconise de revoir la réforme du CESE et le référendum d’initiative populaire
Patrick Bernasconi a remis lundi 21 février au Premier ministre son rapport permettant “rétablir la confiance des Français dans la vie démocratique”. Parmi les propositions figure celle d’accroître la participation des salariés à la vie de l’entreprise en améliorant le droit d’expression et la consultation en amont des salariés sur les accords collectifs d’entreprise.
Le rapport demandé par Jean Castex à Patrick Bernasconi (entrepreneur en travaux publics, ancien président et actuel membre du Cese et ancien membre du bureau exécutif du Medef) a été publié hier (document en pièce jointe). Il consiste dans un état des lieux et des propositions permettant de “rétablir la confiance des Français dans la vie démocratique”. Une confiance qui s’est érodée depuis les années 80, à mesure que l’abstention a fait son nid dans chaque élection nationale et que la défiance envers les institutions de tous ordres (gouvernement, syndicats) continue d’augmenter.
Certaines de ses propositions concernent directement l’entreprise et les salariés.
Impliquer davantage les salariés dans la vie de l’entreprise
Le rapport propose d’élargir la démocratie sociale aux nouvelles formes de participation. Patrick Bernasconi rappelle dans son rapport que “ce sont les formes de la démocratie représentative qui sont retenues par les sociétés industrielles avancées, avec l’émergence du syndicalisme moderne et des institutions représentatives du personnel…”. Toutefois, poursuit-il, “le droit français connaît de dispositifs ayant pour objet d’impliquer directement les salariés à la négociation”. Il fait ainsi référence au référendum d’entreprise issu de la loi du 8 août 2016 et son extension aux TPE et aux entreprises d’au moins 11 salariés jusqu’à 20 salariés, dépourvues de délégué syndical par les ordonnances du 22 septembre 2017.
Le rapport cite également le droit d’expression créé par les lois Auroux de 1982 et ” modernisé par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 qui dispose d’une part, qu’il peut être réalisé par le recours aux outils numériques ; d’autre part, que les modalités d’exercice du droit d’expression sont définies dans le cadre de la négociation portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail, établissant ainsi un lien direct entre le droit d’expression et la qualité de vie au travail”.
Selon Patrick Bernasconi, ces dispositifs sont susceptibles, “sans remettre en cause les équilibres du dialogue social à la française, de renforcer la légitimité des accords conclus entre partenaires sociaux en y associant le plus grand nombre de salariés. La participation directe des salariés pourrait ainsi être intégrée, de façon encadrée, à la construction de compromis qui les concernent directement”.
La mission propose ainsi que des accords collectifs puissent définir les modalités d’association des salariés :
- d’une part à la définition de l’agenda social dans l’entreprise, à l’initiative des institutions représentatives du personnel ;
- d’autre part à la négociation collective, notamment via une consultation des salariés ou un exercice de délibération réalisés en amont. Suite à cette phase de participation, les partenaires sociaux pourraient s’appuyer sur ses résultats pour entamer leurs négociations.
La mission estime “qu’un tel dispositif, construit avec l’ensemble des partenaires sociaux, permettrait de renforcer leur rôle de représentants des salariés tout en permettant une expression directe de ces derniers susceptible d’enrichir la recherche du meilleur compromis”.
Le rapport propose également de mettre en place un plan d’action public auprès des employeurs et des représentants du personnel de promotion et d’accompagnement à la mise en œuvre du droit de participation des salariés, afin de généraliser dans les entreprises des espaces l’expression des salariés sur l’organisation collective travail, à l’aide notamment d’outils numériques favorisant cette expression.
“Il conviendrait d’accompagner concrètement les entreprises dans la mise en place d’un tel espace d’expression des salariés relatif aux modes de travail en entreprise, leur permettant notamment de s’exprimer sur les problèmes techniques de l’organisation du travail (organisation et modes opératoires, standards métiers, compétences et formation, sécurité et conditions de travail…), mais aussi de participer à l’identification et à la résolution des problèmes d’organisation collective du travail, en donnant leur avis sur les solutions retenues puis sur celles mises en œuvre”.
Améliorer la participation des citoyens à la vie publique
En ce qui concerne la participation des citoyens aux décisions publiques, la mission conduite par Patrick Bernasconi formule trois catégories de propositions :
- optimiser et améliorer les dispositifs participatifs existants, tant à l’échelle locale que dans certaines politiques publiques, notamment en santé et environnement ;
- structurer juridiquement et opérationnellement un champ autonome de la démocratie participative ;
- créer un véritable “cycle délibératif national” sur des politiques publiques touchant aux grandes transitions afin d’associer participation citoyenne et délibération des corps intermédiaires.
Au sujet des dispositifs existants, le rapport prévoit notamment de donner plus de portée au droit de pétition local, d’instaurer un référendum d’initiative partagée local et de consacrer un principe général de participation du public aux décisions des collectivités les plus importantes. Une simplification des procédures est par ailleurs souhaitable selon le rapport qui propose une fusion des fonctions de garant et de commissaire enquêteur. Le texte suggère également une réflexion sur “la démocratie sanitaire”, les besoins d’information et de participation des citoyens étant renforcés depuis la Covid-19.
Il semble également indispensable au rapporteur de revoir le dispositif du référendum d’initiative partagée (RIP). Mieux encore, le texte se penche sur la question de prévoir des dispositions “miroir de l’article L.1 du code du travail” pour consacrer, aux côtés de la démocratie représentative et de la démocratie sociale, la participation des citoyens au processus de décision publique comme troisième champ de la démocratie”.
Notons également parmi les propositions une poursuite de la réforme du Cese et la transformation de la Commission nationale du débat public (CNDP) en Haute autorité de la participation citoyenne (HAPC). La mission préconise aussi de donner au Parlement et au gouvernement la possibilité de déclencher un grand exercice délibératif d’envergure nationale sur les sujets “relatifs aux questions de société ou à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation”. Un mandat serait ensuite donné au Cese rénové d’organiser deux exercices délibératifs en parallèle, avec les représentants des corps intermédiaires d’une part et une convention citoyenne d’autre part.
Enfin, le rapport préconise la création d’une délégation à la participation citoyenne à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Marie-Aude Grimont
Paritarisme : un premier texte ébauche une méthode de négociation interprofessionnelle
Rédigé par la délégation patronale, un premier texte visant à moderniser le “paritarisme de gestion et de négociation” a été transmis aux organisations syndicales en vue des discussions de ce mercredi 23 février. Le texte réaffirme l’autonomie des partenaires sociaux et demande à l’Etat de ne pas imposer de lettre de cadrage “préemptant le résultat” d’une négociation. Il esquisse aussi une méthode de travail pour négocier au plan national interprofessionnel.
Les organisations patronales ont transmis aux organisations syndicales un premier projet d’accord au sujet du “paritarisme de gestion et de négociation”, une négociation qui a débuté le 5 janvier (lire en pièce jointe). Ce texte devrait être discuté aujourd’hui au Medef par les partenaires sociaux, cette négociation devant se poursuivre jusqu’en mars. Il s’agit donc, comme le disent les négociateurs, d’un texte martyr” appelé vraisemblablement à beaucoup évoluer.
Ce document reprend certains des échanges entre organisations syndicales et patronales tenus lors des précédentes séances, au sujet de la gouvernance des organismes paritaires, des rapports entre démocratie sociale et démocratie politique, et des conditions de la négociation interprofessionnelle au plan national.
Les points traités dans le premier texte issu des discussions
Intitulé « Pour un paritarisme rénové et ambitieux dans une économie en profonde mutation », ce texte unique comprend plusieurs parties :
- une révision de l’accord interprofessionnel de 2012 sur le fonctionnement du paritarisme (mandats et formation des administrateurs, fonctionnement des instances, etc.).
Ici est par exemple envisagée une règle de séparation entre le rôle de négociateur et le rôle de président et vice-président d’un organisme géré paritairement. Le texte fixe par ailleurs un objectif de 50% de femmes dans les gouvernances paritaires mais avec une première étape de 40% pour le prochain renouvellement des instances. Sur le plan de la gestion des organismes paritaires, le document ne reprend pas la règle d’or souhaitée par la CPME mais il fait référence à “l’équilibre financier”, condition de la “pérennité des dispositifs paritaires”.
- une réaffirmation de principe du dialogue social interprofessionnel dans le monde du travail et “la capacité des partenaires sociaux à se saisir de tous les sujets”.
Cette affirmation s’accompagne d’une demande faite à l’État de consulter obligatoirement “les partenaires sociaux lors de l’élaboration de la feuille de route gouvernementale” ainsi que le refus “de lettre de cadrage préemptant le résultat de la négociation”.
Les partenaires sociaux réclament une transposition fidèle des stipulations d’un accord national interprofessionnel
Les partenaires sociaux demandent également une “motivation argumentée” lorsque la transposition d’un accord interprofessionnel sur le plan législatif entraîne “des écarts de transposition”, sachant que “les pouvoirs exécutif et législatif mettent en œuvre les conditions d’une transposition fidèle des stipulations de l’accord national interprofessionnel”;
- le principe d’un agenda économique et social paritaire autonome.
Cet agenda serait élaboré “à partir des propositions de chaque organisation, et ce avant le 31 janvier de chaque année”. Cet agenda passe par un “espace de dialogue social en continu” entre les partenaires sociaux au niveau national, “permettant de faire des points de situation sociale, de confronter les points de vue, voire d’anticiper des mutations en cours ayant des conséquences sur l’emploi, le travail et de définir des chantiers et négociations à ouvrir au niveau national interprofessionnel”;
- une première approche des conditions de la négociation interprofessionnelle nationale.
Celle-ci, dit le texte, doit respecter les principes de “loyauté (“égalité de rencontres bilatérales avec chacun des organisations”), transparence, confidentialité (“principe de non-diffusion des textes en cours de discussion à la presse”). Le document, qui ne dit rien sur le lieu de négociation alors que les organisations syndicales ont plaidé pour un lieu neutre ou pour une alternance des sites, affirme la nécessité de “cadrer en amont le champ et les questions clés et objectifs de la négociation”.
Un début de méthode pour les discussions interprofessionnelles
Le document évoque ensuite les conditions matérielles de la négociation avec :
– une systématisation des diagnostics préalables à la négociation;
– le recours à l’expertise lors des travaux paritaires;
– une organisation du déroulé de la négo autour des principes suivants : “la première séance est consacrée à l’organisation et aux conditions matérielles de la négociation”; “égalité d’information de toutes les organisations via la mise en place d’un espace partagé”, rédaction du texte soumis à la négociation “sur la base des contributions de chaque organisation”; envoi des textes 48 heures avant la séance “pour permettre à chaque délégation d’en prendre connaissance”.
Bernard Domergue
Christelle Previtali (Syndex) : “Avec l’inflation, il y a une fenêtre de tir à la négociation des salaires”
Experte au cabinet Syndex, Christelle Previtali est spécialisée en négociation d’accords, notamment sur les salaires. Comment les élus et délégués syndicaux peuvent-ils tirer parti de la situation actuelle ? Comment exploiter le contexte inflationniste ? Où trouver des éléments de négociation ? Sur quelles données s’appuyer ? Christelle Previtali a répondu à nos questions.
Comment provoquer une réunion de négociation quand la direction n’en prend pas l’initiative ?
Tout dépend de la périodicité des négociations en œuvre dans l’entreprise. En principe, la direction doit ouvrir la négociation salariale une fois par an, sauf si un accord prévoit un rythme différent. Je n’ai encore jamais vu de cas où les négociations salariales n’étaient pas ouvertes selon la périodicité requise. On rencontre plus souvent des directions qui ouvrent des discussions dans des conditions défavorables, donc la négociation est pipée.
Mettre en avant le principe de loyauté
Si cela devient problématique, les négociateurs peuvent mettre en avant le principe de loyauté qui vise à démontrer que la direction ne met pas tous les moyens d’une négociation correcte, notamment sur les informations remises ou le nombre de réunions. La loi n’en définit pas le nombre mais nous en conseillons au moins trois : la première notamment pour traiter des moyens de la négociation, et des informations à disposition. Cette réunion est donc l’occasion de demander les éléments nécessaires en particulier sur la situation économique et sociale. La première réunion permet aussi d’évoquer le calendrier. La deuxième réunion sera celle des propositions de la direction et des contre-propositions des négociateurs. Nous leur conseillons de les construire au regard de la situation de l’entreprise et du contexte macro-économique. Enfin, la troisième réunion comportera les discussions finales et la négociation des termes de l’accord. D’autres réunions de négociations peuvent être organisées d’un commun accord si trois s’avèrent insuffisantes.
A l’appui de leurs arguments, où les négociateurs peuvent-ils piocher les éléments macro-économiques sur le pouvoir d’achat ou les prix ?
La source essentielle, ce sont les indices de l’Insee. Il en existe plusieurs. Notamment le taux d’inflation en glissement annuel qui compare l’indice des prix à la consommation (IPC) d’un mois donné par rapport au même mois de l’année précédente (décembre 2021 et décembre 2020 par exemple) et calcule la variation entre les deux. Chez Syndex, nous leur conseillons cette année de se caler sur cet indice car l’IPC a beaucoup évolué à partir du 2ème semestre. Cet indice est donc plus favorable aux salariés. Les négociateurs peuvent aussi prendre en considération l’évolution de l’IPC en moyenne annuelle sur toute l’année. Mais avec cet indice, l’évolution apparaît minimisée car l’inflation est apparue en milieu d’année.
Quels éléments de la BDES sont les plus pertinents pour appuyer une négociation salariale ?
En effet, la BDES (base de données économiques, sociales et environnementales) est un point de vigilance. Il faut commencer par regarder si des accords ont été conclus car ils peuvent modifier les informations qui y figurent. Mais je pense qu’il faut absolument faire aussi le lien avec les informations du CSE car les informations de la BDES sont nécessaires mais souvent insuffisantes et par ailleurs souvent incomplètes. Nous conseillons donc aux délégués syndicaux de profiter des informations remises aux élus dans cadre des informations consultations et de construire leurs revendications sur cette base.
S’appuyer sur le CSE est un vrai levier
Deuxième chose importante : s’appuyer sur l’avis du CSE : il est informé et consulté sur la politique sociale, la situation économique et financière, les orientations stratégiques. Toutes ces infos remises aux élus dans un cadre légal sont primordiales. C’est un vrai levier car le défaut de transmission des informations constitue un délit d’entrave. Le principe de loyauté encadrant la négociation doit aussi se traduire par la communication d’informations spécifiques aux négociateurs : évolution du chiffre d’affaires, taux de marge pour apprécier le contexte économique de l’entreprise mais aussi des éléments de répartition des richesses sur les deux années précédentes en comparant par exemple les augmentations accordées aux salariés et l’évolution de la rémunération des actionnaires.
Mais où trouver les dividendes dans les comptes de l’entreprise ?
En tant qu’experts, nous y avons accès à travers les liasses fiscales ou les rapports de gestion. Pour mémoire, c’est l’assemblée générale des actionnaires qui décide du montant des dividendes, et les procès-verbaux d’assemblées générales doivent être édités dans les six mois suivant la clôture des comptes. Sur le terrain, les élus y ont accès via la BDES, qui est le socle minimum d’information mis à leur disposition au démarrage des procédures d’information – consultation du CSE.
Comment s’appuyer sur le fait que l’entreprise a perçu des aides de l’Etat ?
Dans le cadre de l’information consultation, les élus peuvent demander un bilan des aides perçues afin d’en quantifier les montants. Attention à l’évolution des charges car les plans de relance et de soutien à l’économie se sont traduits par des allègements. Cela permet aux négociateurs d’appréhender leurs marges de manœuvre.Les allégements de cotisations et les réductions d’impôts peuvent se traduire par un redressement des marges et des résultats. Et cette manne est à partager avec les salariés. Il faut donc pouvoir les quantifier.
Et peut-on demander une information sur l’utilisation des aides publiques ?
Là c’est plus compliqué ! On retombe dans le travers du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi). Dans le cadre de nos missions, nous avons déjà essayé d’obtenir des éléments sur le fléchage des aides de l’Etat, on s’est vite aperçus qu’on n’avait pas les moyens de vérifier. Les aides sont mises dans le pot commun de la trésorerie. Donc leurs flux ne sont pas fléchables en tant que tels. En revanche on peut trouver des indices, en avoir une certaine lecture à travers l’analyse des comptes de l’entreprise : si le chiffre d’affaires a baissé de 10 % mais que les résultats sont restés stables, on peut en conclure que le versement des aides – ou du moins d’une partie – a permis de compenser la baisse d’activité et de maintenir un résultat équilibré.
Comment faire bouger une direction qui s’arcboute sur l’incertitude liée au Covid ?
Les négociateurs doivent créer un rapport de force favorable en appréciant la situation économique et financière, surtout quand elle est équilibrée. Ils peuvent donc dans ce cas mettre en avant le redressement des résultats et des marges pour contrecarrer les arguments de la direction.
Reconnaître le travail des salariés est un gage de réussite pour l’entreprise
Ils peuvent, par exemple, faire valoir que les marges sont revenues à leur niveau d’avant la crise. Puis étudier également la répartition des richesses : tous les salariés sont-ils logés à la même enseigne ? La direction pratique-t-elle une politique salariale sélective ? Sachant que si à la base l’employeur ne veut pas augmenter les salaires, cela restera compliqué. Mais les négociateurs peuvent avancer que reconnaître le travail des salariés est un gage de réussite pour l’entreprise. Certains employeurs ont aussi ça en tête dans un contexte de reprise qui nécessite que la mobilisation des équipes soit au rendez-vous.
En pratique, l’argument selon lequel les salariés ont consenti des efforts depuis le Covid est-il efficace ?
En effet depuis le Covid les salariés ont fait des efforts sur les conditions de travail et les rémunérations. Ils ont souvent perdu du pouvoir d’achat à cause du recours à l’activité partielle de longue durée ou de droit commun, et perdu en participation et intéressement. La crise sanitaire s’est plutôt traduite par une politique salariale de rigueur, c’est-à-dire une baisse du nombre de bénéficiaires d’augmentations, et des montants d’augmentation plus faibles. Sans compter la baisse des heures supplémentaires et la perte de primes de déplacement ou de transport à cause du télétravail.
Il faut reconnaître les efforts consentis
Ce contexte leur est favorable pour les négociations qui s’engagent, il faut reconnaître les efforts consentis. Par ailleurs, le contexte politique et social est assez favorable. Le gouvernement et le Medef ont eux-mêmes pris position en faveur des hausses de salaires. Il y a aussi des tensions sur le marché de l’emploi qui peuvent conduire à une augmentation du salaire à l’embauche. Ce phénomène crée des inégalités en pénalisant ceux qui ont de l’ancienneté, la résorption de ces inégalités devient donc source de revendications syndicales.
D’après Syndex, les cadres obtiennent de meilleures augmentations que les employés. Pourquoi cette situation et comment rééquilibrer avec les augmentations des employés ?
Oui on l’a constaté et en plus ça s’inscrit dans la durée. Au-delà de ce phénomène, il faut tenir compte des deux mesures de l’augmentation : le montant et le pourcentage. Un pourcentage d’augmentation sur des salaires plus élevés que ceux des employés signifie un double bénéfice pour les cadres.
Après, votre question est difficile, il faudrait regarder au cas par cas dans les entreprises pour comprendre les mécanismes de situation. Les politiques salariales de plus en plus individualisées sont un outil au service de la gestion des compétences. La plupart des entreprises ne veulent plus faire du saupoudrage mais récompenser les compétences clés. Le salaire est aussi un instrument de fidélisation de certains profils, et ce de manière déconnectée des performances ou du mérite à bien faire son travail.
Justement, comment réagir quand la direction veut individualiser la politique salariale ?
Les négociateurs ont intérêt à demander le bilan des mesures individuelles. Dans le cadre de nos expertises, nos traitements peuvent remonter à trois ans et on peut ainsi identifier le nombre de salariés qui n’ont bénéficié d’aucune augmentation sur les deux ou trois dernières années. Les négociateurs peuvent demander à la direction de mettre en œuvre des mesures de rattrapage. Il peut s’agir par exemple d’aligner les salariés « oubliés des augmentations » sur l’augmentation moyenne de leur catégorie ou coefficient. Les délégués syndicaux peuvent aussi négocier des gardes fous comme la maîtrise des dispersions salariales sur telle ou telle catégorie de salariés en négociant par exemple une différence maximale de 1 à 1,5 au sein du même coefficient ou de la même catégorie. Avec l’inflation, il y a clairement une fenêtre de tir à la négociation collective des salaires. Remonter dans le temps permet aussi aux négociateurs de mieux de cibler leurs revendications syndicales.
Et si la direction se limite à proposer des primes ou des avantages ?
Attention aux employeurs qui se positionneraient uniquement pour mettre en œuvre ou améliorer l’intéressement ! Vu le contexte d’inflation durable, la priorité doit rester l’augmentation du salaire de base. Toutefois, si la négociation sur les salaires de base s’avère compliquée, les négociateurs peuvent élargir la base de négociation en ouvrant les discussions par exemple sur l’amélioration de dispositifs conventionnels, l’octroi de primes variables, la prévoyance etc…
Que peuvent faire les négociateurs s’ils constatent que les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes ?
L’égalité professionnelle fait partie intégrante des thèmes de la politique sociale et de la négociation sur les rémunérations qui prévoit le suivi des mesures visant à supprimer les écarts entre femmes et hommes. Les élus ont donc toute latitude pour aller sur ce terrain et demander les informations sur les différences de salaires. Il faut ensuite l’objectiver. Nous intervenons beaucoup sur ces sujets.
Les causes se trouvent souvent dans les process RH
Constater que les femmes sont moins payées pour un travail de valeur égale peut donner lieu à des enveloppes de rattrapage. Elles sont nécessaires mais hélas pas suffisantes. Si on ne traite pas les causes qui structurent ces inégalités, elles vont perdurer. Il faut analyser les causes structurantes de manière approfondie. Souvent, elles se trouvent dans les process RH. Si nous constatons que ces écarts naissent dès l’embauche, nous pouvons préconiser par exemple de mettre en place des grilles de salaires sur la base de critères objectifs comme l’âge et l’expérience.
Et au-delà des inégalités de salaires, les femmes se trouvent souvent sur des échelons de classification inférieurs à ceux des hommes. Dans ce cas, il faut en analyser les raisons et le cas échéant étudier un repositionnement avec la direction des ressources humaines.
Avez-vous tout autre conseil à donner à nos lecteurs ?
La définition des priorités par rapport au contexte macroéconomique et à la situation économique et sociale de l’entreprise est centrale. Dans certains cas, les délégués syndicaux communiquent trop peu pas avec le CSE. Or il est essentiel pour les organisations syndicales de s’appuyer sur le CSE pour définir leurs objectifs, afin de bien identifier ainsi leurs marges de négociation. A défaut, la direction va rester sur le point le plus bas, et les syndicats sur le point au plus haut, et les chances de trouver un accord s’amenuisent.
Par ailleurs, l’accès aux informations est vraiment indispensable à une négociation réussie. Il faut bien cadrer en amont le processus en définissant un calendrier raisonnable, le nombre de réunions, la liste les informations à obtenir…
Enfin, en tant qu’experts, on constate souvent que la définition du calendrier ou du nombre de réunions fait défaut. Par exemple, la direction fixe parfois qu’une seule réunion de négociation ou ne communique pas l’intégralité des informations.
Vous voulez parler d’une sorte d’accord de méthode ?
Exactement ! Sauf qu’un accord de méthode est formalisé en bonne et due forme, comme ça peut être le cas dans le cadre de plan de sauvegarde de l’emploi par exemple. Ici il n’est pas formalisé mais recouvre les mêmes principes.
Marie-Aude Grimont
Paritarisme : les partenaires sociaux cherchent la bonne place pour la démocratie sociale
Mercredi 23 février s’est tenu, au siège parisien du Medef, la sixième séance de négociation sur le paritarisme “de gestion et de négociation”. Plusieurs syndicats ont suggéré, sans grand succès, de faire intervenir des salariés d’entreprise aux négociations interprofessionnelles en leur donnant un crédit d’heures et un statut protégé. Mais le débat a surtout porté sur l’articulation entre démocratie sociale et démocratie politique.
Les partenaires sociaux ont commencé à décortiquer et à enrichir leur premier document de travail en vue d’un accord sur trois points : le renouvellement de la gestion paritaire, la définition d’une méthode de travail pour les négociations interprofessionnelles, une prise de position sur l’articulation entre la démocratie sociale et la démocratie politique.
Ce travail devrait se poursuivre le 7 mars, les partenaires sociaux ayant aussi prévu des séances les 11 mars et 12 avril. “Cela se passe dans un très bon climat”, se félicite Gilles Lecuelle (CFE-CGC). “C’est la sixième séance et enfin nous négocions !” ironise pour sa part Marylise Léon (CFDT). “Les échanges ont été ouverts”, commente Diane Deperrois (Medef)
Le texte est pour l’instant unique et non pas constitué d’un avenant modernisant l’accord de 2012 sur le paritarisme et d’une déclaration commune séparée à l’attention des pouvoirs politiques. Mais cela pourrait évoluer, prévient la cheffe de file patronale : “C’est un document de travail qui ne préjuge pas de la forme finale : un seul texte ou plusieurs, nous ne le savons pas encore. L’objectif est de montrer que les partenaires sociaux travaillent ensemble et qu’ils sont capables de se doter d’une méthode de travail”.
Quelle place pour les partenaires sociaux face au pouvoir politique
Reste que l’écriture actuelle du document, même si Pierre Jardon (CFTC) se félicite d’y retrouver quasiment tous les points en discussion, a essuyé de nombreuses critiques, notamment pour sa prétention à hisser les partenaires sociaux quasiment au-dessus de la loi, comme s’il s’agissait d’une lettre de cadrage à l’envers (1).
La loi n’est pas subsidiaire du conventionnel !
“Le conventionnel ne doit pas être mis au même niveau et a fortiori au-dessus de la loi ! La négociation interprofessionnelle nationale doit produire du normatif, certes, mais dans le cadre de la loi, la loi ne doit pas devenir subsidiaire du contrat”, recadre Angeline Barth, dont le syndicat (CGT) avait envoyé sa propre contribution, “car il faut arrêter de se plaindre que le patronat tienne le stylo si nous n’écrivons pas nous-mêmes nos propositions”.
Pour cette dernière, il faudrait d’ailleurs définir ce que recouvrent les mots comme “dialogue social, paritarisme, négociation, concertation”. Les partenaires sociaux doivent revenir aux “fondamentaux” de la Loi Larcher (2), avance de son côté Gilles Lecuelle (CFE-CGC) : “Si on admet que le législateur peut ne pas reprendre une partie d’un accord, il doit le motiver et nous permettre de dialoguer avec lui de façon commune avec les signataires de l’accord”.
Nous ne sommes pas co-législateurs !
Marylise Léon (CFDT) juge le texte globalement trop défensif, “comme si nous devions défendre notre domaine face à un Etat trop agressif”. Nous ne sommes pas co-législateurs, soutient-elle, “mais lorsque nous négocions un accord, soit parce qu’on nous le demande ou parce que nous en prenons l’initiative, il faut voir comment nous portons notre texte collectivement devant la représentation nationale”. Dit autrement par Pierre Jardon (CFTC), cela donne : “Pas question pour nous de prendre la place du législateur, mais quand nous sommes concertés, nous devons l’être réellement”.
Face à ces critiques, la cheffe de file de la délégation patronale, Diane Deperrois (Medef), se défend de vouloir empiéter sur le domaine de l’exécutif ou du législatif : “Nous cherchons à faire reconnaître le travail des partenaires sociaux, il faut faire en sorte que nos accords soient déployés, et nous demandons, lorsque nous sommes saisis dans le cadre de la loi Larcher (2), à être réellement associés”.
Un agenda social autonome
Sur les objectifs et les méthodes des discussions et négociations interprofessionnelles, la CFTC défend toujours son idée de “comité paritaire social permanent”, idée qu’elle estime reprise dans l’expression du texte pour un “dialogue social interprofessionnel continu”.
Il faut un agenda “ritualisé”, mais garder une démarche souple, pas institutionnalisée
Mais l’idée est jugée trop rigide par la CFDT et la CFE-CGC. “Il faut bien sûr une organisation plus collégiale et plus transparente. On veut ritualiser cet agenda, en définissant des thèmes à traiter et des dates. Mais nous ne voulons pas d’un fonctionnement institutionnel qui serait tourné vers lui-même au lieu d’être au service des salariés”, expose Marylise Léon (CFDT). Pour Gilles Lecuelle (CFE-CGC), il faut garder une démarche souple, “pas institutionnalisée, pour définir des priorités dans l’agenda que nous pouvons actualiser pour nous adapter, par exemple, à la crise sanitaire”.
Les multiples questions sur les conditions d’une bonne négociation
Il n’y a pas davantage de consensus, pour l’heure, sur la question d’un lieu “neutre” pour négocier sur le plan interprofessionnel. La CFDT juge ce point subalterne par rapport à la nécessité de clarifier les objectifs et les méthodes de négociation. “Nous ne pouvons plus négocier des accords dans des conditions qu’on a pu connaître, car cela nuit aussi à la qualité du résultat”, affirme Marylise Léon. Sur la question du lieu, la CFTC propose de négocier dans les organismes paritaires : “Ne pourrait-on pas se doter d’un secrétariat autonome pour l’écriture des textes, pour l’organisation d’expertises, mais aussi le suivi des accords ?” poursuit Pierre Jardon (CFTC).
Commençons par définir ce qu’est une négociation loyale et sérieuse
La méthode esquissée dans le document de travail reste pour l’heure trop imprécise pour les négociateurs syndicaux. Angeline Barth (CGT) aligne les questions non résolues à ses yeux : comment négocier ? Qui en prend l’initiative ? Qui préside ? Quid de la négociation et du respect de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ? Comment garantir l’égalité des moyens entre organisations ? “Pour avoir une négociation loyale et sérieuse, encore nous faut-il écrire ce que cela signifie”, insiste-t-elle. Quant à l’obligation de confidentialité des négociateurs évoquée dans le document de travail, elle fait réagir la négociatrice CGT : “La transparence, nous la devons au monde du travail que nous représentons. La confidentialité, cela voudrait dire secret ? Nous, cela ne nous dérangerait pas de négocier publiquement. Les débats parlementaires sont bien retranscrits !”
La participation des salariés
Cette négociation pourrait être aussi l’occasion de donner des droits aux salariés d’entreprise (représentants du personnel ou non) pour qu’ils puissent participer à des négociations interprofessionnelles, ce qui nécessite, selon Pierre Jardon (CFTC), un statut de salarié, une autorisation d’absence, un crédit d’heures. Il faut des gens venant du terrain et des entreprises pour négocier, abonde Angeline Barth.
Un crédit d’heures et une autorisation d’absence pour les salariés qui négocient seraient nécessaires
“La constitution d’un droit interprofessionnel est pour nous d’actualité, mais nous avons une fin de non-recevoir de la part du patronat”, se désole la négociatrice CGT. La CFDT n’en fait pas pour sa part une priorité, estimant que le fonds de financement du dialogue social (AGFPN) peut déjà donner des moyens aux organisations.
De nombreux points restent donc à creuser avant d’esquisser un possible compromis. “Le débat a déjà permis de remettre les choses dans l’ordre : c’est bien à la démocratie politique d’avoir le dernier mot”, constate Gilles Lecuelle (CFE-CGC) qui aimerait voir les partenaires sociaux non pas réclamer une réécriture des dispositions de la loi Larcher sur leur place et leur rôle, mais “se réapproprier” ces textes. “Il faut repenser la place de cette démocratie sociale dans le paysage global. Nous sommes à la croisée des chemins”, résume Diane Deperrois (Medef).
- Voir ce passage de la page 2 du document du travail : « Dans le respect des grands cadres posés par la Constitution mais aussi –s’agissant de la hiérarchie des normes en droit du travail – par les ordonnances du 22 septembre 2017, il apparaît nécessaire de repenser la place respective des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, afin que les premiers respectent davantage les accords conclus par les seconds, acteurs prioritaires dans le champ social ».
Bernard Domergue