Loi santé au travail : les règles de l’essai encadré sont définies
Les modalités de mise en œuvre de l’essai encadré, qui a pour objectif de favoriser le retour à l’emploi d’un salarié en arrêt de travail en testant sa capacité à reprendre son poste ou un autre poste de travail, sont fixées par un décret publié le 17 mars 2022.
La loi Santé au travail du 2 août 2021 a autorisé la mise en place de l’essai encadré – ainsi que la convention de rééducation professionnelle – afin de lutter contre la désinsertion professionnelle et de favoriser le maintien dans l’emploi des salariés dont l’état de santé est dégradé.
Nous revenons en détail sur ce nouveau dispositif qui permet à un salarié d’évaluer, pendant son arrêt de travail, la compatibilité de son poste ou d’un autre poste de travail au sein de son entreprise ou d’une autre entreprise avec son état de santé en continuant à percevoir le versement des indemnités journalières et des indemnités complémentaires (article L.323-3-1 du code de la sécurité sociale).
L’article 1 du décret n° 2022-373 du 16 mars 2022 précise les règles de ce nouveau dispositif.
Salariés concernés
L’essai encadré est ouvert aux salariés relevant du régime général, y compris aux salariés temporaires, aux apprentis et aux stagiaires de la formation professionnelle qui sont en arrêt de travail (article D.323-6 nouveau du code de la sécurité sociale).
► L’arrêt de travail peut aussi bien être d’origine professionnelle que non professionnelle.
Mise en place
L’essai encadré est mis en œuvre à la demande du salarié après une évaluation globale de sa situation par la Carsat, avec l’accord du médecin traitant, du médecin-conseil de la CPAM et du médecin du travail (article D.323-6-3 du code de la sécurité sociale).
Il peut également lui être proposé par :
- le service de prévention et de santé au travail (SPST) ;
- le service social de la Carsat ;
- un organisme de placement spécialisé dans l’accompagnement ou le maintien en emploi des personnes handicapées (Cap emploi, Comète France,…).
Chaque période d’essai encadré doit faire l’objet d’une convention formalisant les engagements des partenaires précités et du tuteur chargé du suivi du salarié dans l’entreprise (article D.323-6-6 du code de la sécurité sociale).
La décision de refus de la CPAM ou de la caisse générale de sécurité sociale de la demande de l’assuré de réaliser un essai encadré est motivée et précise les voies et délais de recours (article D.323-6-4 du code de la sécurité sociale).
Indemnisation
Au cours de l’essai encadré, le salarié continue à percevoir les indemnités journalières versées par l’assurance maladie ainsi que, le cas échéant, l’indemnité complémentaire versée par l’employeur.
Il ne perçoit pas en revanche de rémunération au titre de son activité de son employeur ou de l’entreprise dans laquelle il effectue son essai (article D.323-6-1 nouveau du code de la sécurité sociale).
Durée
La durée de l’essai encadré est de 14 jours ouvrables maximum, renouvelable dans la limite d’une durée totale de 28 jours ouvrables (article D.323-6-5 du code de la sécurité sociale).
Suivi du salarié et bilan
Le salarié est suivi par un tuteur au sein de l’entreprise dans laquelle il effectue l’essai encadré. A l’issue de la période, un bilan de l’essai encadré est réalisé par le tuteur en lien avec le salarié concerné. Le bilan est communiqué au médecin du travail de l’employeur, ainsi qu’à celui de l’entreprise d’accueil le cas échéant, au service social de la Carsat et, le cas échéant, aux organismes de placement spécialisé dans l’accompagnement ou le maintien en emploi des personnes handicapées (article D.323-6-7 nouveau du code de la sécurité sociale).
En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle constatée au cours de l’essai encadré, la déclaration d’accident du travail est faite par l’entreprise auprès de laquelle le salarié réalise l’essai (article D.323-6-2 du code de la sécurité sociale).
Entrée en vigueur
Ces nouvelles dispositions s’appliquent aux arrêts de travail en cours au 31 mars 2022.
Ouriel Atlan
Accident du travail avec faute inexcusable : l’action récursoire de la caisse se limite au taux notifié à l’employeur
En cas d’accident du travail pour lequel la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, la victime a droit à une indemnisation majorée versée par la CPAM, qui la récupère ensuite auprès de l’employeur (articles L.452-1 et L.452-2 du code de la sécurité sociale).
Dans cette affaire, un salarié est pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail. Un taux d’incapacité permanente partielle de 15 % a été notifié à l’employeur, après la consolidation des lésions consécutives à l’accident. Ce taux a ensuite été réévalué et porté rétroactivement à 22 % par décision notifiée à la victime.
La caisse souhaite récupérer les sommes versées à la victime à hauteur du nouveau taux de 22 %.
La cour d’appel et la Cour de cassation le lui refusent. Elles réaffirment le droit de la caisse de récupérer, en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, auprès de l’employeur le montant de la majoration de la rente d’accident du travail attribuée à la victime en raison de la faute inexcusable de l’employeur.
Toutefois, conformément à l’article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, son action ne peut s’exercer que dans les limites tenant à l’application du taux notifié à l’employeur.
Ainsi, la caisse ne peut exercer son action récursoire à l’encontre de l’employeur que sur la base du taux d’incapacité permanente partielle de 15 % notifié à ce dernier, et non sur le taux de 22 % notifié à la victime.
actuEL CE
Alcool interdit en entreprise : quelle marge de manœuvre pour l’employeur ?
En cas de litige, les juges ne peuvent pas demander à l’employeur de justifier une interdiction de l’alcool dans l’entreprise en faisant état des risques déjà réalisés dans le passé.
En matière d’alcool au travail, le Conseil d’État admet depuis 2012, que, sauf situations particulières de risque ou de danger, l’employeur ne peut pas insérer dans le règlement intérieur une clause interdisant de façon générale et absolue l’introduction et la consommation de toute boisson alcoolisée dans l’entreprise (décision du Conseil d’Etat du 12 novembre 2012).
Il a jugé en 2019, qu’une clause “tolérance zéro alcool” pouvait être valable, pour des motifs de sécurité dès lors qu’elle était ciblée et que l’employeur pouvait la justifier (décision du Conseil d’Etat du 8 juillet 2019). Ainsi donc, un règlement intérieur de l’entreprise peut, sous certaines conditions, comporter des dispositions limitant ou interdisant la consommation d’alcool.
Dans sa décision du 14 mars 2022, le Conseil d’État apporte toutefois un nouvel éclairage sur l’appréciation du caractère justifié et proportionné d’une telle restriction.
Une interdiction totale en matière d’alcool dans l’entreprise
Alors que l’article 2.1.4 du règlement intérieur d’un établissement de la société Renault interdit d’introduire, de distribuer ou de consommer des boissons alcoolisées, l’administration (la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi [Direccte] à l’époque, devenue aujourd’hui la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités [Dreets]) lui demande de modifier cette disposition. L’entreprise refuse.
Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel, saisis successivement par l’employeur, refusent de donner gain de cause à l’entreprise qui se pourvoit alors en cassation. Pour la cour administrative d’appel, l’employeur n’a, en effet, pas apporté la preuve du caractère justifié et proportionné de l’interdiction imposée aux salariés dans la mesure où il n’a pas fait état d’une situation particulière de danger faute d’éléments chiffrés sur le nombre d’accidents du travail ou de sanctions préalables liées à l’alcool sur le site concerné.
Une décision dans la lignée de la jurisprudence antérieure
Le Conseil d’État censure le raisonnement de la cour administrative d’appel et s’inscrit dans la continuité des jurisprudences de 2012 et 2019 qui autorisent une interdiction de l’alcool en entreprise dans un cadre précis.
Le raisonnement de la Haute juridiction s’appuie sur l’articulation de deux dispositions du code du travail :
- l’article L 1321-3 du code du travail selon lequel l’employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ;
- l’article L 4121-1 du même code qui impose que l’employeur, qui a une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d’accident, prenne les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs
Il en conclut que l’employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant, voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail. En cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, il peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés.
► Ce faisant, le Conseil d’Etat reprend dans les mêmes termes l’articulation entre les deux dispositions précitées déjà mises en avant dans l’arrêt de 2019 (décision du Conseil d’Etat du 8 juillet 2019).
Relevons que le Conseil d’État évoque également l’article R.4228-20 du code du travail dans sa version applicable à l’époque qui prévoyait uniquement qu’”aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail”. Cet article a été, par la suite complété par le décret 2014-754 du 1er juillet 2014 et dispose désormais que, “lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur, en application de l’article L.4121-1 du Code du travail, prévoit dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d’une limitation voire d’une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché”. La solution retenue est en harmonie avec ces dispositions.
Une nouvelle illustration de l’appréciation du caractère proportionné ou non d’une interdiction
L’intérêt principal de cette décision est de fournir une nouvelle illustration de la façon dont l’employeur peut apporter la preuve du caractère justifié et proportionné de la restriction et surtout fixe une limite aux exigences pouvant lui être imposées. En effet, dans l’arrêt du 8 juillet 2019 précité, la clause “tolérance zéro alcool” d’un règlement intérieur avait été jugée valable pour des motifs de sécurité, car l’employeur avait identifié les postes concernés en se fondant sur le document unique d’évaluation des risques (DUER).
Ici, le Conseil d’État juge que pour établir le caractère justifié et proportionné de l’interdiction, il ne peut pas être exigé de l’employeur qu’il apporte des éléments chiffrés permettant de “faire état des risques qui se seraient déjà réalisés”, à savoir le nombre d’accidents du travail ou de sanctions préalables liées à l’alcool sur le site.
► Cette solution nous semble être de bon sens. Il serait absurde d’attendre qu’un accident survienne pour attester du caractère justifié et proportionné d’une interdiction totale de l’alcool dans l’entreprise. Par ailleurs, l’employeur se doit d’intervenir, dans le cadre de l’article L 4121-1 du Code du travail qui lui impose une obligation générale de prévention. Cette obligation s’oppose au fait d’attendre la survenance d’un incident.
Ce principe posé, le Conseil d’Etat décide de se prononcer sur le fond de l’affaire et considère que l’interdiction de l’alcool était légale au regard de la configuration de l’entreprise :
- 88 % des salariés utilisaient ou manipulaient des produits chimiques, maintenaient les équipements industriels, s’occupaient de logistique ou de l’assistance technique, tandis que le reste des salariés (autour de 10 %) avaient des fonctions tertiaires ;
- l’ensemble des salariés était appelé à se déplacer sur tout le site et à partager les mêmes locaux.
Il résulte de ce constat que l’ensemble des salariés étant exposé à des risques professionnels élevés, la disposition du règlement intérieur de l’établissement interdisant d’y introduire, de distribuer ou de consommer des boissons alcoolisées était justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. La cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en considérant le contraire.
► Le Conseil d’Etat montre ainsi la façon dont il apprécie ce caractère justifié et proportionné au regard de l’activité pratiquée sur le site en cause, en retenant la proportion prépondérante des salariés exposés aux risques. On peut penser que de nombreux sites industriels pourraient être concernés par cette approche.
Sophie André