Retraites : la réforme pourrait ne pas assurer l’équilibre du régime général ni modifier les inégalités entre les femmes et les hommes
26/05/2023
Quels effets aura sur le déficit de la Sécurité sociale et sur les pensions des femmes et des hommes la réforme des retraites ? Si l’on comprend bien le rapport de la Cour des comptes, la réforme, en dépit de ses mesures d’économies, ne permettra pas un retour à l’équilibre en 2030 du régime général, et ne modifiera pas les inégalités déjà observées sur les pensions entre les hommes et les femmes.
Dans son rapport sur les comptes de la Sécurité sociale, rendu public le 24 mai, la Cour des comptes évoque, bien sûr, la réforme des retraites contenue dans la loi des finances rectificative du 14 avril dernier et qui doit entrer en vigueur en septembre prochain. Elle se penche sur les effets de ce texte sur les comptes des régimes et du déficit de la Sécurité sociale mais aussi sur la situation des pensions des femmes et des hommes.
Les comptes : pas d’amélioration à court terme
Le gouvernement a présenté sa loi comme une nécessité pour équilibrer les comptes des régimes de retraites. Mais à court terme, la prévision du déficit de la Sécurité sociale pour 2023 n’est modifiée qu’à la marge par la réforme et les nouvelles dispositions se traduiront par un surcoût jusqu’à fin 2024 selon la Cour des comptes.
11,5 Md€ d’économies en 2030, mais avec 4,4 Md€ de dépenses d’accompagnement nouvelles
Explication : “La réforme n’aura d’effets financiers favorables que progressivement, la montée en charge des mesures d’accompagnement étant plus rapide que celle des mesures d’âge”. Ainsi, 400 millions de dépenses supplémentaires sont prévues de septembre à décembre 2023 pour financer la revalorisation des petites pensions tandis que le report de l’âge légal de départ ne “rapportera” que 200 millions sur la même période.
Les économies seront limitées à 1 Md€ en 2025 et à 2 Md€ en 2026, ce qui stabiliserait le déficit du régime vieillesse à 13 milliards en 2025 et 2026. A l’horizon 2030, la Cour des comptes évalue à 11,5 milliards les économies générées par le passage à 43 ans d’annuités, des économies auxquelles il faut cependant retrancher 4,4 milliards de dépenses d’accompagnement (départs anticipés pour invalidité, carrières longues, assurance vieillesse pour les aidants, etc.), comme on le voit sur le schéma ci-après, qui montre en bas les dépenses engendrées par la réforme et en haut les économies générées par celle-ci.
La Cour des comptes prévoit que le déficit de la branche vieillesse et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) sera ramenée à 5,7 Md€ en 2030. Et encore cette prévision, qui n’inclut pas les mesures adoptées par amendement lors de la discussion parlementaire, reprend les hypothèses optimistes du gouvernement sur la conjoncture pour 2030 : une productivité augmentant de 1% par an (soit plus que les 0,7 % constatés en moyenne ces dix dernières années, note la Cour), un taux de chômage ramené à 4,5% (au lieu de 7,1% actuellement).
Pour le régime général, le régime aligné des salariés agricoles et le FSV, le déficit augmenterait jusqu’à 6 Md€ en 2026 selon la Cour des comptes pour redescendre à 4 Md€ en 2030 en prenant en compte le transfert de la branche AT-MP : autrement dit, le régime général resterait déficitaire en 2030. Mais… “il serait plus que compensé par l’augmentation de l’excédent des autres régimes de base, hors CNRACL (la caisse de retraite des agents des collectivités territoriales, dont le déficit atteindrait 6,6 Md€ en 2030, Ndlr), qui augmenterait progressivement de près de 1 Md€ en 2022 à 4,9 Md€ en 2030”.
Les effets sur les pensions des femmes et des hommes
Les magistrats de la Cour consacrent également plusieurs pages de leur rapport annuel à la question des niveaux de pensions différents entre les femmes et les hommes. Tout en représentant 55% des retraités, les femmes perçoivent en effet moins de la moitié de la masse totale des pensions, du fait d’un montant plus faible de leurs retraites : 1 401€ pour les femmes, contre 1 955€ pour les hommes, en moyenne en 2020, pour les retraités résidant en France. Soit un écart de 28%, qui serait de 40% sans l’effet des pensions de réversion (voir le schéma ci-dessous), les droits liés aux enfants atténuant aussi cet écart. La part des dispositifs de solidarité ne représente pas moins de 29% de la part des pensions des femmes.
Cette différence de niveaux de pension est bien sûr liée à la vie professionnelle. Bien que le taux d’activité des femmes ait nettement progressé (+13 points de 1971 à 2021) pour atteindre 64,5% (70% pour les hommes), il reste nettement inférieur pour les femmes de 25 à 49 ans (plus de 8 points d’écarts entre femmes et hommes), ce qui témoigne sans doute d’une difficulté à concilier vie professionnelle et vie familiale.
Les temps partiels pénalisent les femmes au moment de la retraite
Et bien que davantage d’hommes que de femmes soient aujourd’hui au chômage (7,8% des femmes actives en 2021 contre 8% des hommes), la part du travail à temps partiel reste beaucoup plus forte chez les femmes : 28% en 2021, contre 8,3% pour les hommes. Or ces temps partiels pénalisent fortement les droits à la retraite : 10 années à temps partiel peuvent coûter entre 2% à 10% de perte d’une retraite selon qu’elles se situent en début ou en fin de carrière.
En outre, les femmes sont moins bien payées : l’écart de salaire entre les deux sexes s’élève à 25,7% dans le privé en 2019. La Cour des comptes avance comme raison les différences de diplôme, d’accès aux formation continues, de type d’emploi occupé (moins rémunérateurs) mais aussi le facteur enfant : “Les mères salariées du secteur privé subiraient, quel que soit leur niveau de salaire, une perte de salaire horaire de 5% par enfant, pendant au moins les 5 années suivant la naissance, alors qu’aucun écart n’est constaté pour les pères”.
Les femmes bénéficient moins des départs anticipés et du dispositif pénibilité
Tous ces éléments pénalisent les femmes au moment de leur retraite, mais le niveau de leur pension pâtit aussi des règles de calcul. Par exemple, la référence aux 25 meilleures années pénalise les femmes qui ont moins souvent que les hommes une longue carrière. En outre, les femmes, parce que leurs carrières sont plus courtes, bénéficient moins que les hommes des conditions avantageuses pour les départs anticipés et acquièrent moins de points au titre de la pénibilité, “car les critères de pénibilité retenus renvoient principalement à des métiers masculins”. Ainsi, plus de 40% des déclarations d’exposition à des facteurs de pénibilité concernent l’industrie manufacturière, bien que celle-ci ne représente que 15% de l’emploi salarié du secteur privé.
Une réforme sans grand effet sur les droits familiaux
Par rapport à ce constat, la réforme des retraites de 2023, constate la Cour, n’apporte pas de modifications substantielles aux droits familiaux de retraite. Certes, disent les magistrats, “le système de retraite n’a pas vocation à compenser tous les écarts en période d’emploi”, la solution passant d’abord par “des actions sur le marché du travail” et la lutte contre les discriminations frappant les femmes “mérite d’être amplifiée”, tout comme “les mesures visant à mieux concilier la vie familiale et la vie professionnelle” de façon à atténuer l’effet de l’éducation des jeunes enfants sur la carrière de leurs mères.
Il faudrait compenser davantage les interruptions de carrière
Mais il faudrait néanmoins, plaide la Cour des comptes, faire en sorte que les droits à retraite liés aux enfants et les dispositifs de réversion, très différents selon les régimes, compensent davantage les interruptions de carrière et les moindres salaires, “tout en préservant la soutenabilité du système, ce qui nécessite des réformes sans coûts supplémentaires”. Plus précisément, la Cour conseille de “compenser à coût constant et de manière plus ajustée (moins en attribution de trimestres, plus en majoration de pension) l’incidence sur les droits à retraite des pertes de trimestres et de salaire liées aux interruptions de carrière pour l’éducation des jeunes enfants, notamment pour les pensios les plus faibles, tout en préservant des droits spécifiques à partir de 3 enfants”.
Les ouvriers passent 2 ans de moins à la retraite que les cadres
Selon les chiffres que vient de publier l’Institut national des études démographiques (Ined) à partir des données de 2018, l’espérance de vie, à 35 ans, des cadres dépasse celle des ouvriers de 5 ans et 8 mois chez les hommes, et de 3 ans et 5 mois chez les femmes, ces écarts restant importants à 62 ans (voir le schéma ci-dessous). Et s’ils partent plus tôt à la retraite que les cadres, les ouvriers passent 2 ans de moins à la retraite que les cadres, tout en ayant connu 3,4 années de plus au chômage ou en inactivité. Autre enseignement de cette étude : entre 60 et 61 ans, juste avant l’âge légal de départ à 62 ans (pour la période étudiée), les hommes cadres passent près d’un an et demi en activité, soit trois fois plus que les ouvriers. Ceux-ci sont soit à la retraite du fait de dispositifs dérogatoires, soit au chômage ou en inactivité. Commentaire de l’Ined : “Les périodes hors emploi au seuil de la retraite témoignent de fins de carrière complexes et exposent à des niveaux de pension moindres. Avec les paramètres d’âge et de durée de cotisation, les dispositifs protégeant les personnes ayant des difficultés de maintien en emploi, au cours et à la fin de leur carrière, constituent des enjeux majeurs du système de retraite et plus généralement de protection sociale, pour les générations présentes et futures”.
Le Medef favorable à une négociation sur l’emploi des seniors
23/05/2023
Après les syndicats la semaine dernière, les organisations patronales sont reçues hier et aujourd’hui par Elisabeth Borne à Matignon. C’est Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, qui a ouvert le bal, hier. Parmi les sujets jugés prioritaires, il est disposé “à discuter de l’emploi des seniors”. Une thématique qui pourrait englober, outre les mesures censurées par le Conseil constitutionnel (Index et CDI seniors), la retraite progressive, les exonérations de cotisations chômage voire la réduction de leur allocation chômage.
Par ailleurs, le patron des patrons se dit ouvert à des négociations sur la progression de carrière, les transitions professionnelles (le dispositif actuel ne “fonctionnant pas”) mais aussi sur les freins non financiers à l’emploi ou encore le compte épargne temps universel.
Pas question, en revanche, d’ouvrir les dossiers sur la conditionnalité des aides ou sur la révision des ordonnances travail de 2017, comme le réclament les syndicats.
Geoffroy Roux de Bézieux devrait rencontrer les organisations syndicales dans les prochains jours, de “manière informelle” pour trouver des “voies de passage” sur ces différents sujets. Il souhaite, toutefois, que le gouvernement s’engage à retranscrire fidèlement des éventuels accords entre partenaires sociaux, à l’instar de l’ANI sur le partage de la valeur. Lequel est transposé en projet de loi et présenté demain en Conseil des ministres.
Source : actuel CSE
Accord transition écologique et dialogue social : pour la CFE-CGC, c’est non !
23/05/2023
La CFE-CGC a annoncé, hier, qu’elle ne signera pas l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la transition écologique et le dialogue social, finalisé le 11 avril dernier. Pour la confédération, ce sujet “doit être pris à bras le corps et avec beaucoup de volontarisme par tous ceux dont l’action au quotidien est susceptible d’avoir un impact sur l’environnement, au premier rang desquels les représentants des entreprises : les partenaires sociaux”. Or, avec “ce texte qui ne contient strictement aucun droit nouveau, le patronat envoie-t-il le signal qu’il prend l’exacte mesure des enjeux colossaux de ce défi majeur que nous devons affronter, celui de la transition environnementale ?”, interroge la CFE-CGC.
Estimant que le rôle des partenaires sociaux est “de créer par la négociation des droits nouveaux en phase avec les enjeux sociaux et sociétaux du moment”, elle regrette que ce texte “se contente d’un rappel de la loi”.
La CFDT et la CFTC ont confirmé leur signature. FO réserve encore sa réponse. La CGT avait déclaré dès l’issue des discussions ne pas s’associer à un texte qu’elle estime “inopérant dans la quasi-totalité de son contenu”, car dénué de toute nouvelle obligation.
Source actuel CSE
La CGT ne signe pas l’accord national interprofessionnel sur l’environnement
24/05/2023
La CGT a annoncé hier le même choix que la CFE-CGC : elle ne signera pas le dernier accord national interprofessionnel sur l’environnement et le dialogue social. “Sur l’environnement, il n’est plus possible de faire du bla-bla”, indique le syndicat dans un communiqué. “L’accord n’est, en effet, ni normatif ni prescriptif, il ne crée aucun droit supplémentaire permettant aux salariés de se saisir réellement de la question environnementale, ni aucune obligation nouvelle pour les employeurs. Il se contente de rappeler la loi et d’énumérer de bonnes pratiques, alors que les effets du dérèglement climatique sont sous nos yeux et que les alertes des scientifiques sont alarmantes quant à l’urgence de la transition écologique”, analyse la CGT, qui revendiquait de nouveaux droits d’intervention pour les salariés dans les entreprises “afin de les associer à la recherche de modes de production plus sobres et vertueux”.
Source : actuel CSE
Le projet de loi sur le partage de la valeur confie à la négociation collective le soin de définir ce qu’est un résultat exceptionnel
25/05/2023
Le conseil des ministres a adopté hier le projet de loi transposant les dispositions négociées par les partenaires sociaux dans l’accord sur le partage de la valeur. Focus sur l’article prévoyant une redistribution aux salariés en cas de résultats exceptionnels pour les entreprises à partir de 50 salariés, une disposition pas assez encadrée selon le Conseil d’Etat…
Dans l’accord national interprofessionnel (ANI) trouvé le 10 février dernier par les partenaires sociaux sur le partage de la valeur, la question d’un dividende salarié, un temps évoquée par le Président de la République, avait été évacuée au profit d’un paragraphe prudent ouvrant la voie à une redistribution vers les salariés en cas de résultats exceptionnels, pour les seules entreprises de 50 salariés et plus (dont l’effectif est au moins égal à 50 durant 5 ans, Nldr), via une négociation à engager avant le 30 juin 2024 (article 9 de l’ANI).
Mais le mécanisme envisagé laissait au seul employeur le soin de dire si, oui ou non, les résultats de l’entreprise étaient exceptionnels : pas de négociation possible, et donc pas de partage supplémentaire de la valeur, si l’employeur considérait que ses résultats n’avaient rien d’exceptionnel.
Certains experts auprès des IRP s’étaient étonnés de cette formulation, et ce point a également fait l’objet de recommandations de la part du Conseil d’Etat.
Une négociation dans l’entreprise
Résultat : comme l’avait indiqué Olivier Dussopt mardi 23 mai lors d’une conférence de presse, cette partie de l’ANI a fait l’objet d’une réécriture de la part du gouvernement (voir notre tableau comparatif en fin d’article), et ce point devrait sans doute encore évoluer au cours du débat parlementaire. “Au regard des très forts risques juridiques d’incompétence négative portés par cette disposition, il a été privilégié une option plus sécurisée consistant à renvoyer à la négociation collective la caractérisation du bénéfice exceptionnel”, explique ainsi l’étude d’impact du projet de loi.
Dans l’article 5 du projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise (*), le texte indique désormais qu’il appartient aux délégués syndicaux et à l’employeur de négocier (toujours avant le 30 juin 2024) tout d’abord pour définir ce qu’est une “augmentation exceptionnelle du bénéfice de l’entreprise” et, ensuite, pour s’accorder sur les modalités de partage de la valeur auprès des salariés.
L’article fait également référence de façon explicite au “bénéfice net fiscal”, ce que ne précisait pas l’accord interprofessionnel, et, plus précisément au premier paragraphe de l’article L. 3324-1 du code du travail qui définit les sommes affectées à la réserve spéciale de participation des salariés.
L’exposé des motifs de cet article indique : “L’article 5 impose aux entreprises d’au moins 50 salariés pourvues d’un délégué syndical et soumises à l’obligation de mise en place de la participation de négocier obligatoirement sur les conséquences d’un bénéfice exceptionnel de l’entreprise s’agissant du partage de la valeur. Cette obligation se traduit au moment de la négociation d’un dispositif d’intéressement ou de participation. La négociation devra ainsi porter sur la définition d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice et sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle de ce bénéfice s’agissant du partage de la valeur dans l’entreprise. Ces derniers peuvent prendre la forme du versement d’un supplément d’intéressement ou de participation ou bien de l’engagement à négocier pour mettre en place un nouveau dispositif de partage de la valeur”.
Nous comprenons que cette négociation sur la définition du bénéfice et du partage supplémentaire de la valeur s’impose à l’employeur lorsqu’est discutée un dispositif d’intéressement ou de participation mais aussi à l’employeur disposant déjà de tels dispositifs : il devra ouvrir de nouvelles négociations sur ces éléments avant juin 2024, sans toutefois avoir l’obligation de conclure un accord.
Le Conseil d’Etat reste insatisfait
Cela étant, les modifications apportées par le Gouvernement à l’avant-projet de loi et à l’accord des partenaires sociaux sont jugées insuffisantes par le Conseil d’Etat (lire son avis en pièce jointe). Dans son avis, le Conseil estime “qu’en ne fixant pas de critères encadrant la négociation collective pour définir ce qu’est une augmentation exceptionnelle du bénéfice et en s’abstenant de prévoir, par exemple, que cette définition tient compte de critères tels que la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou les résultats des années antérieures, le projet de loi est entaché d’incompétence négative”. L’incompétence négative est le fait pour le législateur de renoncer à fixer les règles et les principes fondamentaux en permettant à une autre autorité d’intervenir à sa place.
Le Conseil d’Etat suggère donc au Gouvernement de ne pas maintenir ces dispositions, mais le Gouvernement a fait le choix contraire.
Quant aux conséquences possibles d’une telle disposition, l’exécutif demeure prudent dans son étude d’impact. Il estime toutefois qu’environ 20 000 entreprises emploient plus de 50 salariés en équivalent temps plein depuis cinq années consécutives en France en 2020 et, par ailleurs, qu’environ 40% des entreprises de plus de 50 salariés en 2020 sont couvertes par un délégué syndical et “sont donc susceptibles d’être concernées par l’obligation de négociation sur un partage renforcé de la valeur en cas de résultat exceptionnel”.
Les voies possibles pour une redistribution négociée
Par ailleurs, notons que la redistribution éventuelle d’un résultat exceptionnel de l’entreprise, qui serait négociée après un accord sur son caractère exceptionnel, reste conforme, dans le projet de loi, à ce qu’indiquaient les partenaires sociaux dans leur texte. Elle peut prendre la forme :
Dans le cas où ces dispositifs n’existent pas dans l’entreprise, la négociation peut choisir, comme forme de redistribution :
un nouveau dispositif d’intéressement (art. L. 3312-1 du code du travail) qui rappelons-le est non obligatoire;
un abondement au plan d’épargne (il peut s’agir du plan d’épargne entreprise cf art. L. 3332-1, d’un plan d’épargne interentreprise cf art. L. 3333-2, d’un plan d’épargne pour la retraite collectif, cf art. L. 3334-2, d’un plan d’épargne interentreprise pour la retraite collectif cf. art. L. 3334-4);
une prime de partage de la valeur (PPV). Rappelons qu’il s’agit de l’ancienne prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (dite prime Macron) qui a été pérennisée par la loi du 16 août 2022 : elle est exonérée de cotisations sociales dans la limite d’un plafond de 3 000€ par bénéficiaire et par année civile, plafond qui peut être porté à 6 000€ sous certaines conditions. Le projet de loi, conformément à l’ANI, ouvrira la possibilité de distribuer deux PPV dans la même année, mais dans la limite globale des mêmes plafonds. L’Insee a montré que cette prime a pu se substituer à des augmentations de salaires.
Le texte exclut, comme l’ANI, les entreprises ayant déjà négocié une clause spécifique sur les résultats exceptionnels mais aussi celles dont la participation est calculée selon une formule plus favorable que la formule légale, telle que définie à l’art. L. 3324-1 du code du travail.
(*) Ce projet de loi contient 15 articles. Nous reviendrons dans une prochaine édition sur toutes ces dispositions, que nous avons déjà abordées pour la version de l’avant-projet. Voir aussi, dans cette même édition, notre article sur l’avis critique du Conseil d’Etat concernant la prolongation de la prime de partage de la valeur ajoutée, la PPV.
Les deux versions sur les résultats exceptionnels
Le texte de l’ANI du 10 février (art. 9)
Le texte du projet de loi (art. 5)
Article 9. Mieux prendre en compte les résultats exceptionnels Dans les entreprises de 50 salariés et plus pourvues d’au moins un délégué syndical et soumises à l’obligation de mettre en place la participation, les négociations engagées avec cette délégation syndicale conformément aux dispositions du code du travail relatives à la participation et/ou à l’intéressement portent également sur l’insertion d’une clause spécifique dont l’objet est de fixer les modalités de prise en compte des résultats, au sens des dispositions relatives à la participation, réalisés en France et présentant un caractère exceptionnel tel que défini par l’employeur. Ces modalités peuvent prendre deux formes : – soit le versement automatique d’un supplément de participation ou d’intéressement dont les modalités (formule de calcul, temporalité, bénéficiaires, etc.) sont définies par accord ; – soit le renvoi à une nouvelle discussion sur le versement d’un dispositif de partage de la valeur (participation, intéressement, PPV (ndlr : prime de partage de la valeur), abondement au PEE ou au PER, etc.). L’obligation visée au premier alinéa est réputée satisfaite dès lors que l’entreprise a mis en place un dispositif de participation prévoyant une formule dérogatoire conduisant à un résultat plus favorable que celui de la formule légale et/ou un accord de participation ou 15 d’intéressement intégrant déjà une clause spécifique de prise en compte des résultats exceptionnels. Dans les entreprises visées au premier alinéa et déjà couvertes par un accord de participation et/ou d’intéressement au moment de l’entrée en vigueur du présent accord, une négociation s’ouvre avant le 30 juin 2024 pour se conformer aux dispositions du présent article.
Après le chapitre V du titre IV du livre III de la troisième partie du code du travail, il est rétabli un chapitre VI ainsi rédigé : « Chapitre VI « Partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal » « Art. L. 3346-1. – I. – Lorsque qu’une entreprise qui est tenue de mettre en place un régime de participation en vertu des articles L. 3322-1 à L. 3322-5 et disposant d’un ou plusieurs délégués syndicaux a ouvert une négociation pour mettre en œuvre un dispositif d’intéressement ou de participation, cette négociation porte également sur la définition d’une augmentation exceptionnelle de son bénéfice tel que défini au 1° de l’article L. 3324-1 et les modalités de partage de la valeur avec les salariés qui en découle. Ce partage peut être mis en œuvre : « 1° Soit par le versement du supplément de participation à l’article L. 3324-9 ; « 2° Soit par le versement du supplément d’intéressement défini à l’article L. 3314-10, lorsqu’un dispositif d’intéressement s’applique dans l’entreprise ; « 3° Soit par l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet de mettre en place un dispositif d’intéressement défini à l’article L. 3312-1 lorsqu’il n’existe pas dans l’entreprise, abonder un plan d’épargne mentionné aux articles L. 3332-1, L. 3333-2, L. 3334-2, ou L. 3334-4 du code du travail, ou à l’article L. 224-13 du code monétaire et financier, ou verser la prime de partage de la valeur définie à l’article 1 er de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. « II. – Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux entreprises qui ont mis en place un accord de participation ou d’intéressement comprenant déjà une clause spécifique prenant en compte les bénéfices exceptionnels ou un régime de participation comportant une base de calcul conduisant à un résultat plus favorable que la formule prévue à l’article L. 3324-1. » II. – Les entreprises entrant dans le champ de l’obligation prévue à l’article L. 3346-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la présente loi dans lesquelles un accord d’intéressement ou de participation est applicable au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi engagent une négociation sur ce thème avant le 30 juin 2024.
Non-respect de la mixité dans les postes de direction : la procédure préalable à la sanction est fixée
23/05/2023
Un décret du 15 mai définit la procédure contradictoire préalable au prononcé de la pénalité de 1%, applicable lorsque les règles de répartition au sein des postes de direction des grandes entreprises ne sont pas respectées.
La loi égalité économique et professionnelle du 24 décembre 2021 a introduit de nouveaux quotas dans les postes de direction des entreprises qui emploient au moins 1 000 salariés, sur trois exercices consécutifs.
Rappel des règles mises en place
Ainsi, elle prévoit de porter la proportion de femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes :
auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps,
qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome,
et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Le code du commerce définit, à l’article L. 23-12-1, l’instance dirigeante comme toute instance mise en place au sein de la société, par tout acte ou toute pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l’exercice de leurs missions.
Les entreprises concernées sont celles qui emploient, pour le troisième exercice consécutif, au moins 1 000 salariés.
Depuis le 1er mars 2022, l’employeur doit publier chaque année les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes ;
sur le site internet de l’entreprise, au plus tard le 1er mars de l’année en cours ;
et sur celui du ministère du travail, au plus tard le 31 décembre.
L’employeur, qui ne respecte pas le taux minimum de femmes dans les postes de direction, dispose d’un délai de deux ans pour se mettre en conformité.
► Précision : au bout d’un an, l’entreprise doit publier des objectifs de progression et les mesures de correction retenues, sur le site internet de l’entreprise au plus tard le 1er mars suivant la publication des écarts de représentation et sur la même page qu’eux.
À l’expiration de ce délai, si les résultats obtenus sont toujours en deçà du taux fixé, l’employeur peut se voir appliquer une pénalité financière d’un montant de 1 % des rémunérations et gains versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai.
Procédure préalable au prononcé de la pénalité de 1 %
Le décret du 15 mai 2023 établit la procédure à respecter pour prononcer la pénalité et définit les critères devant être pris en compte pour en déterminer le montant (voir notre schéma ci-dessous, également en pièce jointe).
► La loi égalité économique et professionnelle prévoit que cette pénalité sera applicable à compter du 1er mars 2029.
À l’issue du délai de mise en conformité de deux ans, l’agent de contrôle de l’inspection du travail constate que l’entreprise n’a pas respecté son obligation (résultats obtenus en dessous du taux, qui sera de 40 % au moment de l’entrée en vigueur de la pénalité), il transmet au Directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) un rapport sur cette situation.
Le Dreets, qui ensuite envisage de prononcer la pénalité de 1 %, notifie son intention à l’employeur dans les deux mois qui suivent la réception du rapport. Il l’invite également à lui présenter ses observations et à justifier des motifs de sa défaillance dans un délai d’un mois, prorogé d’un mois à la demande de l’intéressé, si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient. L’employeur peut être entendu à sa demande.
Ensuite, le Dreets notifie à l’employeur la décision motivée fixant le taux de pénalité qui lui est appliqué, dans un délai de deux mois après expiration du délai de présentation des observations et justifications de l’employeur.
Ce taux tient compte de la situation initiale de l’entreprise, des mesures prises par l’entreprise en matière de représentation des femmes et des hommes, de la bonne foi de l’employeur, ainsi que des motifs de défaillance dont il a justifié.
Dans un délai de deux mois suivant cette notification, l’entreprise communique à l’administration les rémunérations et gains servant de base au calcul de la pénalité.
► Précision : la décision de notification du taux de la pénalité rappelle cette obligation.
Le Dreets établit un titre de perception fixant le montant de la pénalité sur la base du taux notifié et des données transmises par l’entreprise, qu’il transmet au directeur départemental ou régional des finances publiques. Celui-ci en assure le recouvrement et le versement au budget général de l’État.
Si l’employeur ne transmet pas les informations requises, dans le délai ou si celles-ci sont manifestement erronées, la pénalité est alors calculée sur la base de deux fois la valeur du plafond mensuel de la sécurité sociale, par salarié de l’entreprise et par mois compris dans l’année civile de calcul.
Les écarts de répartition intégrés à laBDESE
Le décret du 15 mai 2023 prévoit en outre que la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales) doit comporter, pour les entreprises d’au moins 1 000 salariés, les écarts de répartition entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes.
Cette disposition est entrée en vigueur le 17 mai 2023, soit le lendemain de sa publication au Journal officiel.
Virginie Guillemain
O. Dussopt lance le nouveau plan de lutte contre le travail illégal
23/05/2023
Prévu de 2023 à 2027, le nouveau national de lutte contre le travail illégal (PNLTI) lancé hier par le ministre du travail Olivier Dussopt prévoit 34 mesures regroupées dans deux axes prioritaires : “mieux contrôler par le ciblage, la priorisation et le renforcement des contrôles en matière de travail illégal”, et “mieux sanctionner, mieux recouvrer et réparer les préjudices liés au travail illégal” (lire le document de présentation de 19 pages).
Parmi ces mesures figurent notamment :
des actions de contrôles et d’accompagnement sur les grands événements sportifs notamment pour assurer l’exemplarité des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;
la lutte contre les faux statuts notamment par l’élaboration de stratégies communes vis-à-vis de certaines plateformes de mise en relation ;
la lutte contre les fraudes à la mobilité internationale des travailleurs avec une meilleure prévention des fraudes au travail détaché et information des employeurs et salariés détachés sur les droits et obligations ;
des actions de lutte contre la traite des êtres humains et sur la prévention des situations d’habitat indigne ;
une coordination renforcée des contrôles et des partages d’information, notamment avec la mise en œuvre du nouveau pouvoir de cyber-enquêtes pour la recherche et la constatation d’infractions de travail illégal sur internet, etc.
► En 2021, le ministère du travail fait état de 3 642 procès-verbaux enregistrés en 2021, année également marquée par une hausse du recours aux sanctions administratives, en particulier des fermetures administratives décidées par le préfet avec 633 arrêtés préfectoraux de fermeture temporaire d’établissement notifiés en 2021 (contre 504 en 2020).
Source : actuel CSE
SOS homophobie a recueilli 101 plaintes visant le contexte du travail en 2022
23/05/2023
En 2022, l’association SOS homophobie a reçu 101 plaintes concernant les actes de LGBTIphobies au travail, selon le rapport annuel publié le 16 mai, soit 8 % des signalements. Elles concernent surtout les manifestations de rejet (60 %), les insultes (52 %), le harcèlement (39 %), voire la diffamation (20 %).
Selon le rapport, “les personnes LGBTI doivent choisir entre leur évolution professionnelle et le fait d’être out”. En effet, une personne LGBTI sur deux cache son orientation sexuelle et/ou amoureuse ou bien son identité de genre au travail. Sept sur dix ont déjà omis volontairement de faire référence au sexe de leur conjoint au travail. “Ce dilemme conduit au silence, et donc à l’invisibilité et l’invisibilisation des personnes LGBTI”.
Les victimes indiquent que ces agressions restent majoritairement le fait de collègues (60 %) ou de supérieurs hiérarchiques (42 %). 26 % des victimes de LGBTIphobies au travail confient aussi ressentir un mal-être.
Source : actuel CSE
Le ministre du travail annonce une opération de testing pour lutter contre les discriminations visant les seniors
24/05/2023
A l’occasion d’une conférence de presse hier, Olivier Dussopt a annoncé l’organisation chaque année d’une opération de testing visant quelques entreprises tirées au sort, afin de mettre en évidence les discriminations dans l’emploi touchant les seniors. Le ministre est par ailleurs revenu sur l’actualité du moment (partage de la valeur, retraites) et sur le futur agenda social commun avec les partenaires sociaux. Il refuse tout “détricotage” des ordonnances de 2017.
Les dispositions sur les seniors censurées par le conseil constitutionnel dans la loi retraite ne seront pas réintroduites dans un prochain projet de loi : le ministre du travail l’a annoncé hier lors d’une conférence de presse qui coïncidait avec sa première année passée rue de Grenelle. Olivier Dussopt va en revanche prochainement envoyer un document d’orientation aux partenaires sociaux les invitant à négocier en vue d’aboutir à un accord national interprofessionnel sur le thème des seniors, une négociation pour laquelle le Medef s’est déjà déclaré favorable.
Le ministre se dit attaché à l’idée d’un index seniors mais se montre sceptique sur l’idée d’une exonération visant à favoriser l’emploi des seniors. Cette catégorie de salariés recouvre des situations d’ancienneté et de qualifications très différentes et il ne faudrait pas qu’une telle mesure, voulue par la droite parlementaire avec le projet d’un contrat seniors, engendre un effet d’aubaine, argumente-t-il.
Olivier Dussopt dit cependant vouloir laisser toute latitude aux organisations syndicales et patronales pour trouver un accord, si possible d’ici la fin de l’année, le gouvernement envisageant de rédiger un projet de loi début 2024 pour retranscrire les éventuels accords interprofessionnels nationaux qui résulteront des prochains mois, si l’exécutif et les partenaires sociaux s’entendent sur un agenda autonome.
En attendant, le ministre annonce déjà une initiative : il veut lancer, chaque année, une opération de testing auprès de quelques grandes entreprises tirées au sort, afin de constater d’éventuelles discriminations dans l’emploi visant les seniors. “Il ne s’agit faire de faire du name and shame (dénoncer publiquement des entreprises, Nldr) mais de montrer la réalité des stéréotypes afin de faire changer les pratiques, notamment de recrutement”, indique Olivier Dussopt. Le député Renaissance Pierre Ferracci va prochainement présenter une proposition de loi dans ce sens favorisant ces testings.
Un agenda social encore flou
Pour le reste, l’agenda social que le ministère souhaite élaborer avec les partenaires sociaux d’ici l’été reste encore flou. “Il me semble que le sujet des seniors fait consensus, mais on nous a aussi parlé des négociations salariales et des minima conventionnels. Il y a aussi la question des parcours syndicaux et de l’accompagnement des élus et délégués à l’issue des trois mandats successifs”, a-t-il évoqué en renvoyant d’autre part aux branches professionnelles la question de la pénibilité et de la mise en œuvre du future fonds de prévention de l’usure professionnelle.
Au sujet des retraites, qui restent toujours le gros sujet de blocage avec les organisations syndicales, le ministre annonce pour la première quinzaine de juin la parution des premiers décrets de la loi (*), tandis qu’un simulateur des droits retraite, en lien avec les caisses des régimes, devrait être actualisé courant juin (**).
Pas question en revanche, a-t-il averti, de procéder à un “détricotage” des ordonnances travail de 2017, qui ont instauré notamment l’instance unique de représentation du personnel, le CSE, même si des “ajustements” – il n’a pas précisé lesquels – restent possible. Une position qui ne satisfera donc pas les organisations syndicales, qui demandent qui une révision, qui une amélioration, qui une abrogation de ces dispositions.
Enfin, le ministère doit bientôt lancer aux partenaires sociaux une invitation à négocier la future convention de l’assurance chômage, le décret en vigueur arrivant à échéance fin 2023, ce qui suppose soit un nouvel accord des partenaires sociaux, soit un nouveau décret (lire en encadré la réaction de Michel Beaugas, de FO).
Partage de la valeur ajoutée : la question des résultats exceptionnels
Dans l’immédiat, le ministère du travail attend fin mai pour voir si le dernier accord des partenaires sociaux sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP), qui prévoit une réforme de la gouvernance, réunira les signataires suffisants pour envisager sa retranscription législative. Surtout, son cabinet a travaillé avec le Conseil d’Etat pour voir comment traduire dans un projet de loi, qui est présenté aujourd’hui en conseil des ministres, l’accord de février dernier des syndicats et du patronat portant sur le partage de la valeur ajoutée.
Les échanges ont notamment porté sur le passage de l’accord (article 9 de l’Ani et article 5 de l’avant-projet) prévoyant que les entreprises d’au moins 50 salariés doivent fixer les modalités de prise en compte de « résultats exceptionnels » pour le versement aux salariés d’un supplément d’intéressement ou de participation. Or le texte de l’accord réserve au seul employeur le soin de définir si ses résultats présentent ou non un caractère exceptionnel.
Après avoir été critiquée par les experts des IRP, cette disposition semble avoir fait tiquer les conseillers d’Etat : il faudra lire avec attention l’avis que rendra le Conseil sur ce projet de loi car il pourrait donner quelques précisions utiles sur la façon de sécuriser cette notion. Il semble que le ministère ait décidé de confier à la négociation d’entreprise le soin de définir les modalités de prise en compte des résultats exceptionnels.
Quant à l’article de l’accord rappelant que les primes ne peuvent pas se substituer aux salaires, le ministre le juge inutile car ce principe est déjà posée dans la loi, mais, avance-t-il prudemment, “toute modification des dispositions de l’accord ne sera défendue qu’avec l’aval des partenaires sociaux”.
Priorité au plein emploi
Le plein emploi, qui fera l’objet d’un projet de loi instaurant la réforme de France travail pour le service public de l’emploi (une réforme d’un coût d’au moins 2 milliards sur 2 ans), fait plus que jamais partie des priorités du ministre du travail. “Avec un taux de chômage de 7,1%, nous n’avons jamais été aussi proches du plein emploi. C’est un objectif atteignable dès la fin du quinquennat, à condition de créer 800 000 emplois”, assure Olivier Dussopt, qui souligne que 52% des embauches se font en CDI et que le taux d’emploi des 54-64 ans arrive à un niveau de 66% (Ndlr : selon les chiffres de l’Unedic pour 2021, le taux d’emploi est de 75,1% pour les 55-59 ans et de 35,5% pour les 60-64 ans).
Pour réaliser cet objectif, le gouvernement veut muscler la partie réinsertion du RSA, renforcer le plan d’investissement dans les compétences (PIC) et davantage cibler “les jeunes en grande rupture” et “les personnes les plus éloignées de l’emploi” afin de les réinsérer sur le marché du travail.
Enfin, le gouvernement n’a toujours pas arbitré au sujet d’un éventuel “reste à charge” qui incomberait aux salariés pour l’utilisation de leur compte personnel de formation (CPF). A cet égard, le ministre, qui était auparavant en poste à Bercy, a semblé sous-entendre que ce projet n’était pas indispensable (sauf à être accompagné d’exceptions), d’autant que le ministère se montrait bon élève dans la maîtrise de ses dépenses : “L’équilibre et la qualité des comptes sont la condition pour agir. Le ministère du travail est le premier contributeur aux économies demandées par la Première ministre, grâce à la réforme du chômage et à l’amélioration de l’emploi. Par exemple, nous avons fait 415 millions d’euros d’économies d’ASS (allocation de solidarité spécifique) en 2022 du fait de la baisse du nombre des personnes concernées”.
(*) Rappelons que l’intersyndicale appelle à une nouvelle manifestation le 6 juin, dans l’objectif de soutenir la proposition de loi visant à abroger la réforme, un texte dont l’examen est prévu le 8 juin mais que la majorité présidentielle cherche à ne pas soumettre au vote.
(**) A propos des salariés ayant déjà quitté leur entreprise mais qui pourraient être amenés du fait de la réforme à travailler plusieurs mois supplémentaires avant d’être à la retraite, le ministre renvoie la question aux négociations dans chaque entreprise afin que leur départ anticipé soit prolongé.
Chômage : FO dénonce un marché de dupes et la CGT demande l’abandon du projet France travail
Michel Beaugas, pour FO, fustige la position du ministre du travail au sujet de l’assurance chômage : “Nous risquons d’avoir un document de cadrage nous empêchant toute marge de manœuvre, au risque de faire achopper la négociation, car le gouvernement ne souhaite pas que nous revenions sur les mesures défavorables pour les demandeurs prises depuis 2021”. Concernant le refus de toute évolution majeure des ordonnances de 2017, Michel Beaugas rapporte que la Première ministre, lorsqu’elle a reçu FO à Matignon, a suggéré aux organisations qui souhaitent modifier ces textes de lancer une négociation avec le patronat, “alors que nous savons très bien qu’ils ne veulent pas revenir dessus”. De son côté, la CGT demande l’abandon du projet de France travail dans lequel la confédération voit “la poursuite de la libéralisation du service public de l’emploi”. Pour la CGT, qui a publié un document d’analyse pourfendant ce projet, “la mise en place récente de « portefeuilles Métiers en Tension » au sein de Pôle emploi composés de travailleurs privés d’emploi inscrits (en formation ou en réorientation professionnelle) dans les secteurs de la Santé/Social, des Transports, de la Restauration/Hôtellerie étendue demain à l’ « Industrie dite verte » ou en Ile de France à la sécurité en prévision de la coupe du monde de rugby 2023 et des Jeux Olympiques 2024 entend contraindre les travailleurs privés d’emploi à accepter des offres aux conditions de travail dégradées, aux salaires minima, au temps partiel subi et remet en cause le Conseil en évolution professionnelle”. Et le syndicat d’ajouter : “Un autre service public de l’emploi est possible répondant aux besoins et attentes des usagers, permettant d’indemniser tous les travailleurs privés d’emploi (primo accédant compris) et les accompagnant vers un emploi choisi, pérenne et correctement rémunéré”, estime le syndicat.
Bernard Domergue
Travail forcé des Ouïghours : une nouvelle plainte déposée par les ONG
24/05/2023
Hier, les associations Sherpa, le Collectif Éthique sur l’étiquette et l’Institut Ouïghour d’Europe ont annoncé avoir déposé plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de plusieurs enseignes de l’industrie de la mode (Uniqlo, SMCP, Inditex et Skechers USA) accusées de bénéficier du travail forcé des Ouïghours en Chine. Cette annonce fait suite au classement sans suite, en avril dernier, de l’enquête ouverte en 2021 par le Parquet national antiterroriste qui s’était alors estimé incompétent dans cette affaire.
La plainte déposée hier s’appuie sur : « l’infraction de recel de 4 crimes :
crimes contre l’humanité,
génocide,
réduction en servitude aggravée,
et traite des êtres humains en bande organisée ».
L’objectif des associations : « faire la lumière sur les éventuelles responsabilités des multinationales de l’habillement qui profiteraient du travail forcé des Ouïghours pour la fabrication de leurs produits ».
Source : actuel CSE
Prime de partage de la valeur : l’avis critique du Conseil d’Etat
25/05/2023
Dans son avis sur le projet de loi sur le partage de la valeur ajoutée, le Conseil d’Etat s’inquiète de la pérennisation jusqu’à fin 2026 de la prime de pouvoir d’achat (PPV). Le Conseil pointe le fait que cette prime va exonérer certains salariés de tout prélèvement sur une partie importante de leur rémunération, et risque de créer des inégalités entre salariés selon l’effectif de leur entreprise.
Le Conseil d’Etat a rendu un avis comprenant plusieurs critiques importantes (mais non prises en compte par le Gouvernement) au sujet du projet de loi, adopté hier en conseil des ministres, transposant l’accord des partenaires sociaux sur le partage de la valeur. Outre la question du renvoi à la négociation collective de la définition d’un bénéfice exceptionnel, renvoi que le Conseil estime insuffisamment encadré (lire notre article dans cette même édition), le Conseil émet des réserves sur la prolongation du régime social très favorable de la prime de pouvoir d’achat (PPV).
L’article 6 du projet de loi prévoit en effet une prolongation de la PPV pour tous les salariés, sachant que les salariés des entreprises de moins de 50 salariés bénéficieront, du 1er janvier 2024 jusqu’à fin 2026, d’un régime exceptionnel d’exonérations sociales et fiscales (jusqu’à 3 000€ voire 6 000€ par bénéficiaire, jusqu’à 3 Smic), la PPV s’intégrant de plus aux dispositifs d’épargne salariale.
Une pérennisation problématique
Pour le Conseil, cette prolongation fait perdre au dispositif son caractère exceptionnel et pose problème au regard du principe d’égalité devant les charges publiques :
“Compte tenu des plafonds applicables aux exonérations, les salariés percevant les plus bas salaires sont susceptibles de bénéficier de primes de partage de la valeur importantes les conduisant à être exonérés de tout prélèvement sur des montants pouvant représenter une part substantielle de leur rémunération totale. En matière d’exonération fiscale, en particulier lorsqu’elle porte sur l’impôt sur le revenu et atteint des niveaux importants, le Conseil d’Etat souligne l’attention qui doit être portée tant à la structure des revenus du contribuable et des autres membres du foyer fiscal qu’à la structure du ménage. Or, en l’espèce, le dispositif temporaire d’exonérations fiscales prorogé ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci. Deux salariés percevant la même rémunération totale et se voyant attribuer la même prime pourraient alors connaître des différences caractérisées d’avantage fiscal selon la structure de leur ménage ou leurs autres sources de revenus, sans que cette différence puisse être justifiée par l’objectif poursuivi par la loi d’un meilleur accès aux dispositifs de partage de la valeur”.
Le Conseil estime en outre que la prolongation de la PPV pose un problème de seuil :
“Compte tenu des montants que peut atteindre l’exonération, cet effet de seuil peut se révéler important puisqu’à ces niveaux de rémunération, l’exonération sera de l’ordre de la moitié de la somme versée, soit jusqu’à 3 000 euros environ. Cet effet de seuil est dès lors susceptible de donner lieu à de sensibles inversions de la hiérarchie des rémunérations entre deux salariés qui, touchant la même prime, auraient des salaires de base placés de part et d’autre du seuil. De telles inversions peuvent être regardées comme présentant un caractère disproportionné au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel”.
Un risque d’inégalité devant les prélèvements et impôts
Cerise sur le gâteau, le Conseil d’Etat pointe les possibles inégalités devant l’impôt du fait du ciblage des exonérations sociales et fiscales sur les personnels des sociétés de moins de 50 salariés à partir de 2024 :
“A supposer, comme cela a été envisagé, que le bénéfice de ce dispositif (prime de partage de la valeur, Ndlr) soit uniquement déterminé en fonction de la taille de l’entreprise, demeureraient des différences de traitement présentant un caractère manifestement disproportionné. En effet, dans cette hypothèse, un salarié percevant une prime de partage de la valeur dans une entreprise de 50 salariés et moins bénéficierait d’une exonération de l’impôt sur le revenu, de la CSG et de la CRDS dans la limite d’un plafond pouvant aller jusqu’à 6 000 euros, alors qu’un salarié percevant la même prime dans une entreprise de plus de 50 salariés ne pourrait bénéficier d’aucune exonération fiscale, sans que l’objectif de renforcement de l’accès des salariés des entreprises de moins de cinquante salariés aux dispositifs de partage de la valeur puisse justifier une telle différence de traitement”.
En revanche, le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection ni de réserve quant à la possibilité donnée aux petites entreprises d’adopter une formule de calcul de la participation moins favorable pour les salariés que la formule légale.
La PPV a représenté 4,4 milliards d’€ en 2022,soit 789€ en moyenne pour 5,5 millions de salariés
Selon les chiffres publiés dans l’étude d’impact réalisée par le gouvernement sur son projet de loi, la prime de partage de la valeur a bénéficié à 5,5 millions de salariés en 2022 pour un montant total de près de 4,4 milliards d’euros. Le montant moyen de prime versée était de 789€. Les petites entreprises sont celles qui ont versé la plus grande part de la prime de partage de la valeur en 2022 : les entreprises de moins de 9 salariés ont versé un montant total de 1,04 milliard d’euros à 989 000 salariés ; de 10 à 19 salariés : 379 millions d’euros à 429 000 salariés ; de 20 à 49 salariés : 485 millions d’euros à 611 0000 salariés ; de 50 à 249 salariés : 637 millions d’euros à 950 millions de salariés ; plus de 250 salariés : 1,5 milliard d’euros à 2,5 millions de salariés. Selon l’Insee, une partie de ces primes a pu constituer un effet d’aubaine pour les entreprises et donc s’être substituée à des augmentations de salaires.
Bernard Domergue
[Veille JO] Les textes parus cette semaine : dialogue social national, justice, prud’hommes
26/05/2023
Nous vous proposons un récapitulatif des textes parus au Journal officiel (JO) cette semaine, c’est-à-dire du jeudi 18 mai au jeudi 25 mai inclus, susceptibles de vous intéresser, avec le cas échéant les liens vers les articles traitant ces nouveautés. Nous ne parlons pas ici des très nombreux textes relatifs aux conventions collectives, ce domaine étant couvert par notre baromètre des branches que vous retrouvez une fois par mois dans nos colonnes.
Un décret du 17 mai 2023 précise les modalités d’une expérimentation du regroupement des bureaux d’aide juridictionnelle par cour d’appel
Un arrêté du 15 mai 2023 fixe le nombre de chambres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel
Un arrêté du 12 mai 2023 fixe le calendrier de dépôt des candidatures et la liste des sièges à pourvoir dans le cadre de désignations complémentaires de conseillers prud’hommes pour le mandat prud’homal 2023-2025
Nominations
Un arrêté du 22 mai 2023 porte nominations (pour la CFE-CGC) à la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle, et des sous-commissions
Un arrêté du 16 mai 2023 de la Première ministre nomme membres du Haut Conseil du dialogue social, en qualité de représentants des salariés et sur désignation de la CFE-CGC, en tant que membre titulaire : Christine Le, en remplacement de Gilles Lecuelle; en tant que membre suppléant : Franck Boissart, en remplacement de Laurence Matthys
Un arrêté du 10 mai 2023 porte nomination à la commission de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière (Xavier Billard, de Sud Santé sociaux)
Un arrêté du 10 mai 2023 porte nomination à la commission de la formation professionnelle du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière (Audrey Padelli, de Sud Santé sociaux)
Un arrêté du 10 mai 2023 porte plusieurs nominations à la commission des emplois et des métiers du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière
Un arrêté du 17 mai 2023 porte plusieurs nomination au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé
Un arrêté du 19 mai 2023 crée un comité d’évaluation au sein du ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, du ministère de la santé et de la prévention, du ministère des solidarités de l’autonomie et des personnes handicapées. Son rôle : “apprécier les parcours et les compétences professionnelles des cadres supérieurs” du ministère, et donner des recommandations” en vue d’assurer leur développement et leur professionnalisation en tenant compte de l’évolution des besoins des administrations publiques”.
Un arrêté du 5 mai 2023 porte nomination à la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières (employeurs)
La politique environnementale va créer des tensions sur le marché du travail
23/05/2023
Alors que le gouvernement a présenté hier son approche globale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, une contribution de la Dares pour France Stratégie tente d’évaluer les conséquences sur l’économie et l’emploi des politiques environnementales. Certains secteurs seront gagnants, d’autres perdants, et il va falloir sérieusement anticiper les reconversions professionnelles.
Lors d’un conseil national de la transition écologique hier, le gouvernement a présenté aux différentes parties prenantes de cette instance de dialogue et de concertation (parmi lesquels figurent les partenaires sociaux) son approche globale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030, une première étape dans l’objectif d’une neutralité carbone pour la France en 2050 (*).
L’objectif est d’arriver en 2030 à limiter ces émissions à 270 millions de tonnes de CO2, contre 408 millions en 2022, soit une baisse de 138 millions de tonnes. “Il va nous falloir faire en 7 ans plus que ce que nous avons fait ces 30 dernières années”, avertit Matignon, alors même que, selon le gouvernement, les objectifs de réduction pour 2022 ont été atteints.
Tous les secteurs concernés par l’effort de transition
Cet effort concernera tous les secteurs (agriculture, bâtiment, énergie, transports, etc.) mais pèsera particulièrement sur le secteur productif à l’origine de la moitié des quantités de GES à réduire. Ainsi, la “cible provisoire” pour les émissions du secteur de l’industrie est-elle fixée à 45 millions de tonnes de CO2 pour 2030, à rapporter aux 72 de 2022 et aux 143 enregistrés en 1990.
Cette action visant à tenter de freiner le réchauffement climatique, au demeurant trop modeste aux yeux de nombreux experts du climat, aura-t-elle des conséquences sur l’économie et sur l’emploi ? Pour y répondre, la Dares, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, a fourni une contribution importante, ciblée sur le marché du travail, au rapport de Jean Pisani-Ferry remis hier au gouvernement (**).
Un niveau de l’emploi global peu différent
Premier élément de réponse : le marché du travail sera modifié sous l’effet des stratégies politiques conduites mais aussi de “l’adoption progressive d’évolutions technologiques déjà présentes, ou à inventer, pour réduire les empreintes environnementales des modes de production et de consommation”. Le niveau global de l’emploi ne serait pas affecté, mais les projections, qui dépendent des différents types de scénarios envisagés (***), restent très variables.
Ce point, en revanche, ne fait pas débat : “La transition devrait s’accompagner d’une réallocation relativement importante de la main-d’œuvre à la fois entre secteurs et au sein des secteurs clés de la transition”. En clair, des emplois seront supprimés dans certains secteurs et d’autres créés ailleurs. Mais il faut bien avoir en tête que si ce changement et ces adaptations concerneront de plus en plus de secteurs et d’activités, pour l’heure, les secteurs potentiellement les plus touchés car les plus émetteurs de GES ne représentent qu’une part limitée de l’emploi : “En considérant le seul critère de CO2, sept secteurs concentrent plus de la moitié des émissions mais moins de 3 % de l’emploi : cokéfaction et raffinage, transport aérien et par eau, industries de la métallurgie, des minéraux non métalliques et de la chimie et énergie. Le constat est proche si l’on prend en compte l’ensemble des GES, avec une présence plus importante de l’agriculture, secteur pour lequel la majeure partie des émissions concerne des gaz hors CO2”.
Emploi : les secteurs gagnants et perdants
Parmi les secteurs qui vont gagner de l’emploi figure la construction : “Entre 100 000 et 200 000 emplois supplémentaires y seraient créés d’ici 2030 selon les modélisations de Métiers 2030, de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), de NégaWatt ou de l’Ademe”. Encore faut-il que le bâtiment accélère sa transition, car ce secteur est en retard selon le rapport : “Pour l’heure, seules 64 000 entreprises du bâtiment sont labellisées RGE (reconnu garant de l’environnement), soit moins de 5 %, alors qu’un objectif de 250 000 est fixé pour 2028 par le gouvernement. De plus, d’après l’enquête formation employeur (EFE, Cereq-Dares-France compétence), en 2020, seulement un quart des entreprises employeuses du BTP forment certains salariés, et parmi celles-ci, un quart déclarent que la transition écologique est parmi les domaines de formation les plus importants (en volume d’heures) dispensés dans leur entreprise”.
La transition écologique pourrait également générer 50 000 emplois supplémentaires dans la R&D et l’ingénierie, mais aussi dans la maintenance des équipements (entretien des infrastructures, mobilisation de R&D en faveur de la transition, etc.).
A l’inverse, des secteurs perdraient des emplois, comme les transports (près de 10 000 emplois perdus d’ici 2030), en raison d’une baisse des transports routiers (fret et voyageurs) non compensée par le train. “Ces pertes d’emploi pourraient être très supérieures si la mobilité des biens et des personnes se réduit fortement à la fois du fait d’une relocalisation de la production de biens et de la limitation de la consommation de transports”, note le rapport.
Pour l’automobile, un des secteurs importants de l’économie française soumis aux mutations technologiques, les pertes d’emplois sont estimés très diversement. Sur la seule activité du bloc moteur, la fondation Hulot et la CFDT évoquent 23 000 emplois menacés en 2030 et à 34 000 en 2035, contre 10 000 emplois créés par le véhicule électrique en 2030 et 12 000 en 2035. McKinsey évalue à 60 000 et 100 000 le nombre d’emplois menacés à l’horizon 2030 et 2035, contre 35 600 emplois créés. Plus optimiste, l’European Climate Foundation prévoit la création nette de 66 000 emplois en France en 2030 “dans un scénario où les véhicules électriques, hybrides rechargeables et hydrogène représentent 37 % du marché”.
Ces mutations pourraient également entraîner des tensions de recrutement dans les métiers qui seront les plus recherchés, qui concerneraient d’abord la construction et le bâtiment ainsi que les services aux entreprises, comme le montre ce schéma traitant de 15 métiers (1 : risque de tension faible, 5 risque de tension élevé).
Des tensions géographiques
Des tensions pourraient également apparaître entre les territoires. “La transition écologique pourra conduire à un renforcement des fragilités territoriales existantes si les emplois détruits sont concentrés dans des zones peu denses et/ou déjà touchées par la désindustrialisation des années 2000”, estime le rapport.
La carte ci-dessous montre les zones (en rouge) particulièrement exposées, les auteurs du rapport insistant sur le fait que la réindustrialisation “doit aller de pair avec une adaptation des systèmes productifs intégrant les enjeux environnementaux pour offrir des opportunités d’emploi viables à moyen et long terme et participer au respect de nos engagements climatiques”. Le rapport pointe également les bénéfices d’un développement de l’économie circulaire et des circuits courts concernant “une répartition plus équilibrée territorialement des emplois”.
L’enjeu de formation
Par ailleurs, ces changements, qui nécessiteront de nouvelles compétences, devront être appréhendés sur le plan de la formation pour que ne se produise pas “un effet de polarisation” sur le marché de l’emploi entre personnes peu et très qualifiés. Le rapport évalue cette hypothèse comme peu probable au demeurant, dans la mesure où “les métiers bénéficiant de la transition se situeraient plutôt au milieu de la distribution des qualifications”. Mais le défi reste important : la Dares estime pour 2018 à seulement 140 000 le nombre d’emplois verts mais à 3,8 millions le nombre d’emplois dont les compétences vont évoluer du fait des enjeux environnementaux.
A cet égard, le rapport se montre critique sur certains outils de reconversion existants : “Le dispositif Transitions collectives (Transco) déployé depuis 2021 vise explicitement à accompagner la reconversion des travailleurs dont l’emploi est fragilisé vers un emploi porteur dans leur bassin de vie. Porté par les partenaires sociaux et intégré dans un écosystème territorial, le dispositif peine pourtant à trouver son public : il a concerné en 2022 moins de 400 salariés. Le même constat est fait sur les autres dispositifs de reconversion, le nombre de salariés concernés reste faible (moins de 20 000 PTP en 2021) et leur mobilisation très insuffisante au regard des enjeux emploi de la transition écologique. Un droit effectif à la reconversion professionnelle reste encore à construire pour accompagner ces réallocations sectorielles et concilier intérêts individuels et collectifs”.
Anticiper la dégradation des conditions de travail
Enfin, le rapport souligne la nécessaire adaptation des entreprises afin de faire face à la dégradation prévisible des conditions de travail du fait du réchauffement, avec les épisodes plus fréquents de canicule ou d’événements climatiques extrêmes. Au Québec, l’Institut national de la santé publique a observé par exemple que chaque degré au-dessus de 22 °C en Ontario entraînait une hausse de 75 % du nombre médian d’hospitalisations pour les malaises et les maladies au travail liés à la chaleur. Et le rapport de reprendre les préconisations émises dès 2018 par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) : il faut “renforcer rapidement la mobilisation du monde du travail sur les questions des effets directs et indirects du changement climatique sur les risques professionnels, afin notamment de sensibiliser employeurs et salariés sur les conséquences sur la santé, par le biais de documentations spécifiques et de formations”.
(*) Le gouvernement lance par ailleurs aujourd’hui une consultation afin de préparer la France à une augmentation de 4 degrés des températures moyennes d’ici la fin du siècle.
(**) Par une lettre du 12 septembre 2022, la Première ministre a confié à Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition climatique, afin que ces incidences soient mieux prises en compte par les décideurs dans l’ensemble des politiques publiques. Selma Mahfouz, inspectrice générale des finances, est la rapporteure générale de la mission. Le secrétariat est assuré par France Stratégie, l’organisme d’expertise et d’analyse prospective sur les grands sujets sociaux, économiques et environnementaux au service du gouvernement. Lire les 12 documents de ce rapport ici
(***) Ces différents scénarios combinent plus ou moins différents éléments : choc d’investissements nécessaires, changements de comportements, innovations technologiques, sobriété, etc.
Pour financer la transition écologique, le rapport Pisani-Ferry propose un impôt sur les ménages les plus riches
Nourri de nombreuses contributions, le rapport de Jean Pisany-Ferry remis hier à Elisabeth Borne annonce “une décennie de toutes les difficultés” car “malgré des progrès récents, nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de la neutralité climatique”. Il va falloir investir massivement pour le climat, alors même que cela n’accroîtra pas le potentiel de croissance et devrait même entraîner “temporairement un ralentissement de la productivité d’un quart de point par an”, prévient l’économiste. Ce dernier propose deux moyens pour financer le coût de la transition écologique en France : de façon prudente, un éventuel emprunt (mais en gardant l’objectif de limiter la dette publique) et, de façon plus assumé, un impôt exceptionnel. Cet impôt, qui ne serait que “transitoire”, serait “assis sur le patrimoine financier des 10% de ménages les plus aisés”. Ce prélèvement pourrait représenter “5 milliards d’euros par an”. Par ailleurs, afin de faire face à la concurrence internationale et notamment à la compétitivité de l’économie américaine soutenue par les fonds publics (avec l’IRA, “Inflation Reduction Act”), le rapport préconise que l’Union européenne “définisse et mette en place une nouvelle gouvernance climatique à la mesure de son ambition”.
Bernard Domergue
Les entreprises opaques en matière de durabilité vont-elles être interdites de marchés publics ?
23/05/2023
Le gouvernement veut donner aux acheteurs publics la possibilité d’exclure les entreprises qui ne satisferont pas aux exigences de publication du futur reporting de durabilité issu de la directive européenne CSRD. Idem pour celles qui ne respecteront pas leur obligation d’établir le bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces deux mesures, qui font partie du projet de loi sur l’industrie verte adopté la semaine dernière en conseil des ministres, seraient-elles dissuasives ?
Certaines entreprises vont devoir publier un reporting issu de la directive durabilité de 2022. Cela concerne les grandes entreprises — les premières devront produire ce reporting pour l’exercice 2024 (pour une publication en 2025) — et les PME cotées sur un marché réglementé.
Le gouvernement veut utiliser ce texte européen, dont la transposition est en cours, comme levier pour dissuader (davantage) les entreprises d’être opaques quand elles travaillent sur des marchés publics. Il souhaite donner la possibilité aux acheteurs publics (ou à l’autorité concédante) d’exclure de la procédure de passation du marché (ou du contrat de concession) celles qui ne respecteraient pas leur obligation de publier le reporting de durabilité issu de cette directive (cf article 12 du projet de loi industrie verte).
Létude d’impact de ce projet de loi insiste sur le fait que ce dispositif d’exclusion serait laissé à l’appréciation de l’acheteur public. Et quand cette faculté serait actionnée, elle ne serait pas automatiquement appliquée en cas de manquement de l’entreprise. “Conformément au mécanisme dit «d’auto-apurement», prévu aux articles L. 2141-11 et L. 3123-11 du CCP [code de la commande publique], l’opérateur économique [en défaut] sera en mesure de fournir des preuves qu’il a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité malgré la constatation de ce manquement, en dehors de l’hypothèse où une peine complémentaire d’exclusion a été prononcée à son encontre. Si ces éléments de preuve, appréciés en fonction de la gravité et des circonstances particulières attachées au manquement, sont jugés suffisants par l’acheteur ou l’autorité concédante, l’entreprise concernée ne sera pas exclue de la procédure d’attribution du marché public ou du contrat de concession”, prévoit l’étude d’impact.
Pas de bilan de gaz à effet de serre, pas de marchés publics ?
De façon analogue, le gouvernement veut dissuader les entreprises qui ne respectent pas leur obligation d’établir un bilan d’émission de gaz à effet de serre (article 13 du projet de loi). L’article L 229-25 du code de l’environnement prévoit que sont tenus d’établir et de publier un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre (BEGES) :
1° Les personnes morales de droit privé employant plus de cinq cents personnes ;
2° Dans les régions et départements d’outre-mer, les personnes morales de droit privé employant plus de deux cent cinquante personnes ;
3° L’Etat, les régions, les départements, les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de 50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux cent cinquante personnes.
Il est également prévu que les personnes mentionnées aux 1° à 3° joignent à ce bilan un plan de transition pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre présentant les objectifs, moyens et actions envisagés à cette fin et, le cas échéant, les actions mises en œuvre lors du précédent bilan. Cet article prévoit aussi l’obligation de mettre à jour périodiquement le BEGES et le plan de transition (tous les 4 ans ou tous les 3 ans selon les personnes).
Bilan de gaz à effet de serre : une majorité d’entreprises non conformes
Selon l’évaluation 2021 de la réglementation des bilans d’émission de gaz à effet de serre réalisée par l’Ademe (agence de la transition écologique), 3 106 personnes morales de droit privé étaient en 2021 soumises à cette réglementation. Mais seulement 43 % d’entre elles avaient publié le bilan dans le temps imparti pour cette étude — cette dernière précise que “Entité conforme = un bilan a été publié entre 2018 et 2021 (pour les entreprises et associations) ou entre 2019 et 2021 (pour les établissements publics et collectivités), avec une année de reporting n, n-1, n-2 ou n-3, et pour lequel le statut du bilan (contrôle de la DREAL) n’est pas «refusé»”.
Une mesure aux effets limités ?
Cette mesure serait-t-elle dissuasive ? Selon l’étude d’impact, l’effet sur les entreprises serait limité. Car d’une part, il ne s’agit que d’une faculté d’exclusion des marchés publics laissée à l’appréciation de l’acheteur public. D’autre part, l’étude d’impact du projet de loi anticipe là-aussi un mécanisme “d’auto-apurement” comme dans le cas de l’absence de publication du reporting de durabilité. En outre, on peut s’étonner que le projet de loi conditionne la faculté d’exclusion au défaut d’établissement du BEGES. Autrement dit, cette exclusion ne s’appliquerait pas aux entreprises qui établissent ce document mais qui ne le publient pas.
Ludovic Arbelet
Le point sur le projet de loi “Industrie verte”
24/05/2023
Le texte, présenté en conseil des ministres le 16 mai dernier, vise à accélérer les implantations industrielles, favoriser la réhabilitation des friches, promouvoir les enjeux environnementaux de la commande publique et financer l’industrie verte.
Depuis plusieurs années, une forte concurrence sur les technologies vertes s’est mise en place. Toutes les grandes puissances ont investi dans la recherche et se sont dotées d’outils d’attractivité et de soutien massifs pour tenter de dominer le secteur.
Fin 2021, la Chine présentait un plan quinquennal pour stimuler le développement vert des secteurs industriels. Plus récemment, en janvier 2023, les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act (IRA – loi américaine sur la réduction de l’inflation), prévoyant des soutiens importants à la production industrielle verte localisée aux États-Unis.
En mars 2023, c’est au tour de la Commission européenne de présenter deux propositions de règlements, afin d’adapter les procédures et le cadre d’aides pour une liste fixée de technologies.
Dans ce contexte économique tendu, et alors même que le dérèglement climatique se fait de plus en plus sentir, le projet de loi relatif à l’industrie verte a été présenté en conseil des ministres le 16 mai dernier.
Le texte propose une quinzaine de mesures visant à décarboner l’industrie et à ce que la France devienne “championne des technologies vertes“. Le point sur les mesures environnementales phares du projet.
Accélérer les implantations industrielles et réhabiliter les friches
Régulièrement pointée du doigt, la durée de la procédure de l’autorisation environnementale devrait encore faire l’objet de réglages. Ambitionnant d’en réduire la durée, l’article 2 du projet de loi prévoit la combinaison de deux mesures :
paralléliser plutôt que séquencer la phase d’examen et la phase de consultation du publique. La consultation du publique commencerait en même temps que l’instruction du projet par les services et par l’autorité environnementale. La consultation du publique pourrait démarrer dès que le dossier déposé par le porteur de projet serait jugé complet et régulier ;
la consultation du publique, d’un mois, serait prolongée de deux mois supplémentaires.
Pour encourager le développement de l’économie circulaire, le code de l’environnement serait modifié. En particulier, l’article 4 du projet prévoit qu’un résidu de production produit dans une plateforme industrielle n’a pas le statut déchet s’il est utilisé dans un processus de production au sein de cette même plateforme industrielle et n’aura pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine.
Également, de nouvelles sanctions seraient prévues, concernant le transfert illicite de déchets en dehors du territoire national.
Pour faciliter la réhabilitation des friches pour un usage industriel, l’article 5 du projet de loi vise à :
permettre le recours à une bureau d’études certifié pour attester de la mise en œuvre des mesures relatives à la mise en sécurité ainsi que de l’adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site en ce qui concerne les cessations d’activité notifiées à l’administration avant le 1er juin 2022 pour des installations A ou E ;
étendre et clarifier le dispositif du tiers demandeur, en permettant notamment au tiers demandeur de procéder, en plus de la réhabilitation du site, à la mise en sécurité qui incombe légalement au dernier explorant de l’installation classée ;
permettre au préfet de mettre en demeure l’exploitant d’une ICPE (installation classée) dont l’activité a cessé depuis trois ans de procéder à la mise à l’arrêt définitif sur une partie seulement du site.
Par ailleurs, l’article 6 du projet modifie le fondement légal des garanties financières afin de substituer à l’obligation de garanties de certaines installations classées d’autre types de mesures jugées plus efficaces :
la consignation de sommes en cas de non-respect des mesures conservatoires imposées par l’administration sans mise en demeure préalable;
l’introduction des dépenses visant à assurer la mise en sécurité des installations classées pour la protection de l’environnement dans la liste des créances à payer à leur échéance en cas de liquidation judiciaire;
la séniorisation de la créance environnementale en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise.
L’article 7 du projet de loi vise à élargir la base des sites naturels de compensation (SNC) et de les remplacer par des sites naturels de restauration et de renaturation (SNRR).
En complément, d’autres dispositions visent à accélérer l’installation des projets favorables au développement durable et des projets d’intérêt national majeur. S’agissant des projets industriels dans les secteurs des technologies favorables au développement durable, il est proposé, à l’article 8, de préciser le champ d’application de l’article L. 300-6 du code de l’urbanisme relatif à la déclaration de projet. L’article 9 du projet propose une procédure spécifique de mise en compatibilité des documents de planification et d’urbanisme destinée à permettre l’accueil des projets industriels d’intérêt majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique.
L’article 10 dispose quant à lui que la déclaration d’utilité publique (DUP) de certaines opérations peut reconnaitre, pour l’opération concernée, le caractère d’opération répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) au sens et pour l’application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.
Enjeux environnementaux de la commande publique
Parallèlement, le texte propose notamment la création de deux nouveaux motifs d’exclusion des procédures de passation des contrats de la commande publique :
ne pas satisfaire à son obligation de réaliser un bilan GES (gaz à effet de serre);
le non-respect des engagements de publication d’informations en matière de durabilité en application de la directive CSRD 2022/2464 du 14 décembre 2022.
Financement de l’industrie verte
Sur le volet “financement”, l’article 16 du projet porte sur la création d’un nouveau produit d’épargne destiné aux mineurs, le “plan d’épargne avenir climat”, dont la finalité serait de contribuer au financement de la transition du modèle économique français. L’épargne des mineurs serait investie par l’intermédiaire d’un établissement public (fixé par voie réglementaire) chargé de la gestion des encours, la détention de titres en direct étant exclue afin d’éviter les questions complexes d’arbitrage et de limiter les frais induits par toute opération.
Le projet prévoit également de permettre le financement de la décarbonation des PME/ETI par le développement du capital investissement de l’assurance-vie et l’épargne retraite.
Camille Vinit, Code permanent Environnement et nuisances
Le nombre de procédures collectives repart à la hausse au premier trimestre 2023
25/05/2023
Selon les données publiées hier matin par l’Urssaf, le nombre de déclarations d’embauche de plus d’un mois (hors intérim) se stabilise en avril 2023, après la légère baisse de 0,5 % au mois de mars, portant à + 0,9 % l’évolution sur 3 mois. Il diminue de 2,3 % sur un an.
Dans le détail, cette stabilisation résulte d’une légère hausse des embauches en CDD de plus d’un mois (+ 0,4 %) et de la baisse de celles en CDI (- 0,9 %). Sur 3 mois, les premières progressent de 3,3 % et les secondes diminuent de 1,2 %. Sur un an, les embauches en CDI sont en repli de 2,7 % et celles en CDD de plus d’un mois de 1,9 %.
Par ricochet, l’évolution de la masse salariale soumise à cotisations sociales croît de 2,6 % au premier trimestre 2023, après une hausse de 0,9 % le trimestre précédent. Elle progresse de 6,1 % sur un an et dépasse désormais de 15,1 % son niveau du quatrième trimestre 2019.
A noter enfin : au premier trimestre 2023, le nombre de procédures collectives repart à la hausse sur un rythme soutenu, après un trimestre de relative stagnation. Sur un an, les redressements et les liquidations judiciaires progressent respectivement de 53,5 % et de 32,7 %. Leur niveau reste toutefois inférieur à celui qui prévalait avant la crise.
Source : actuel CSE
L’expert-comptable du CSE peut accéder aux informations individuelles sur la rémunération des salariés
26/05/2023
Dans deux arrêts du 19 avril 2023, la Cour de cassation réaffirme que l’expert-comptable peut réclamer la communication d’informations qui n’ont pas à figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales, la BDESE.
Il n’y a pas si longtemps, il a été jugé que l’expert-comptable assistant le CSE dans le cadre dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail pouvait réclamer la communication d’informations qui n’ont pas à figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales. Deux arrêts du 19 avril 2023 de la Cour de cassation du 19 avril 2023 réaffirment le principe.
Première affaire : l’expert du CSE réclame des fichiers contenant des informations individuelles
Tout commence, dans la première affaire (arrêt n° 21-24.208), par l’ouverture le 23 janvier 2020 d’une procédure d’information/consultation du CSE de la société GTM Sud sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. A cette occasion, le comité décide de se faire assister par un expert-comptable.
Sans attendre, le cabinet Syndex désigné pour cette mission transmet au président et au secrétaire du CSE une demande d’informations et de documents nécessaires à la réalisation de l’expertise. Le 5 février 2020, l’expert est obligé de solliciter à nouveau la communication de ces éléments. Pour en finir, lors de la réunion du comité du 18 juin 2020, la direction de GTM Sud répond qu’elle “considérait les pièces déjà transmises comme nécessaires et suffisantes à l’expertise sur la politique sociale de l’entreprise”.
Le CSE et son expert-comptable décident alors de porter l’affaire en justice pour obtenir la communication de documents complémentaires et la prolongation du délai de consultation.
En appel, la société est condamnée à transmettre à l’expert une série de documents. Il est également décidé de donner au CSE un délai supplémentaire de 2 mois pour rendre son avis consultatif sur la politique sociale.
Précisons ici que, parmi les informations dont la communication a été ordonnée, on peut notamment citer : le suivi mensuel des effectifs 2019 ; le livre de paie détaillant globalement toutes les rubriques des rémunérations versées au personnel en 2018 et 2019 par catégorie de personnel ; pour les cadres et ETAM, les fichiers électroniques de rémunérations avec, notamment, le matricule, le sexe, la date de naissance, la date d’entrée dans l’effectif, l’intitulé précis du poste, la nature du contrat de travail, etc. Quant aux rémunérations, il est imposé qu’elles soient détaillées : salaire de base mensuel après augmentation annuelle, éventuels 13e mois, primes de vacances, primes de fin d’année, primes d’ancienneté, primes d’objectifs ou primes commerciales, primes exceptionnelles et avantages en nature.
L’affaire arrive en cassation.
La défense de l’employeur
Dans son pourvoi, la société GTM Sud fait d’abord valoir qu’elle avait bien mis à la disposition du CSE et de Syndex l’ensemble des éléments devant figurer dans la BDES, et notamment les rémunérations moyennes ou médianes par sexe, catégorie professionnelle, niveau ou coefficient hiérarchique, tranche d’âge, ainsi que les données collectives sur l’évolution des rémunérations salariales, telles que définies à l’article R. 2312-9 du code du travail. Elle n’était donc pas tenue de fournir des informations individuelles sur la rémunération de chacun des salariés. Pour GTM Sud, la demande de l’expert tendant à obtenir des “fichiers électroniques de rémunération” pour les cadres et Etam, comportant des informations individuelles sur chaque salarié et sa rémunération, excédait ce qui était nécessaire à l’accomplissement de sa mission.
L’autre argument invoqué par GTM Sud consistait à faire valoir que l’expert ne peut pas exiger la production de documents qui n’existent pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire. En conséquence, l’employeur ne saurait être tenu de constituer pour les seuls besoins de l’expertise les fichiers électroniques réclamés par l’expert-comptable, en procédant à sa place à un retraitement de données issues de différents documents légaux, tels que bulletins de paie, registres du personnel et livres de paie. Finalement, pour GTM Sud, “les fichiers électroniques dont le cabinet Syndex réclamait la communication … n’existaient pas et ne correspondaient à aucun document dont la confection est légalement obligatoire pour l’employeur”. Il revenait donc bien à l’expert de les établir à partir des documents déjà fournis.
Dans son arrêt du 19 avril 2023, la Cour de cassation rejette le pourvoi de GTM Sud et confirme ainsi sa condamnation à fournir les éléments réclamés par Syndex.
Une communication jugée bien nécessaire par la Cour de cassation
D’après les juges, il est exact que “l’expert-comptable ne peut pas exiger la production de documents n’existant pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire pour l’entreprise”. Or, d’après ce qu’avait pu constater la cour d’appel, les fichiers électroniques de rémunérations des ETAM et des cadres sollicités par l’expert existaient bien. Pour preuve notamment, GTM Sud avait indiqué par mail transmettre les éléments sollicités pour les ouvriers et précisé qu’elle transmettrait, dans un deuxième temps, les documents concernant les ETAM et cadres.
Par ailleurs, comme l’avait relevé la cour d’appel, la communication pour l’ensemble des salariés du suivi mensuel des effectifs 2019, du livre de paie détaillant globalement toutes les rubriques des rémunérations durant les années 2018 et 2019, par catégorie de personnel, ainsi que, pour les salariés cadres et ETAM, des fichiers électroniques de rémunérations n’excédait pas la mission légale de l’expert désigné. Cette communication était bien nécessaire à l’exercice de la mission d’expertise, peu important que les informations demandées ne soient pas au nombre de celles devant figurer dans la base de données économiques et sociales.
L’expert-comptable doit pouvoir accéder aux informations brutes, sans retraitement de la part de l’entreprise
Deuxième affaire : l’expert demande des données brutes pour son analyse sociale
Dans la seconde affaire (arrêt n° 21-25.563), il a été jugé que la production des données brutes réclamées par l’expert s’avérait nécessaire à la réalisation de sa mission d’analyse de la politique sociale de l’entreprise, notamment sur l’évolution des salaires et sur les informations et les indicateurs chiffrés sur la situation comparée des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles de l’entreprise. Pour les juges, “les informations retraitées et consolidées, seules produites par la société, étaient susceptibles de fausser l’analyse de l’expert”.
D’où la condamnation de l’entreprise à transmettre à l’expert-comptable l’extraction d’informations brutes, individuelles et anonymisées sur la totalité de l’effectif, y compris les cadres supérieurs.
Frédéric Aouate
Face aux pénuries de cadres, les entreprises jouent la carte du salaire
26/05/2023
Selon une étude de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) publiée hier, 62 % des entreprises qui recrutent des cadres ont révisé à la hausse la rémunération initialement prévue (+7 points) pour pallier les difficultés de recrutement. Les grandes entreprises, disposant de davantage de marges de manœuvre, ont été plus nombreuses à utiliser le levier de la rémunération en 2022 (76 %).
Par ailleurs, près de huit entreprises sur 10 ont consenti des ajustements portant sur le profil du candidat finalement retenu (81 %, contre 74 % en 2021), privilégiant le plus souvent des cadres ayant moins de compétences techniques ou moins d’expérience (+50 %).
Une partie des entreprises semble également prête à réviser certaines conditions d’emploi, par exemple, en accordant un temps partiel.
En revanche, elles sont moins enclines à accorder plus de jours de télétravail que prévu (30 %) et repoussent largement l’idée de raccourcir voire de supprimer la période d’essai.
D’après l’étude, 64 % des entreprises ayant recruté au moins un cadre en 2022 ont rencontré des difficultés de recrutement (+14 points par rapport à 2021).