Archives de catégorie : Newsletter Actu Sociale N°98

CONSEILLER PRUD’HOMMES

Pour la Cour des comptes, les prud’hommes doivent être réorganisés et mieux “pilotés”

23/06/2023

La Cour des comptes déplore la durée de traitement des affaires (16,3 mois en 2022) par les prud’hommes. Elle préconise plusieurs changements (fixation d’objectifs pour les conseils, schéma de formation continue piloté par l’Ecole nationale de la magistrature, refonte de la carte des tribunaux, etc.) ainsi qu’un élargissement à “des professionnels de terrain” de la composition du Conseil supérieur de la prud’homie. Le projet de loi de programmation de la justice prévoit d’ores et déjà quelques changements.

Le constat n’est pas nouveau, et il est une nouvelle réaffirmé par la Cour des comptes dans les observations qu’elles a transmises hier au gouvernement : les 211 conseils de prud’hommes (CPH) français traitent trop lentement les affaires qui leur sont soumises. En moyenne, un dossier prend 16,3 mois en 2022, contre 9,9 mois en 2009.

Une aggravation paradoxale : depuis plusieurs années, les affaires soumises au juge prud’homal sont en effet en chute libre. Comme on le voit dans le tableau ci-dessous, le nombre d’affaires traitées par les conseils est passé de 148 000 en 2016 à 102 000 en 2020, soit une baisse de 20%. Notons au passage qu’à l’inverse, il y a toujours plus d’affaires concernant les salariés protégés notamment après les ordonnances de 2017 créant le CSE (+ 120% de 2019 à 2020 !).

On peut voir dans la baisse du nombre d’affaires prud’homales l’effet des réformes législatives qui ont asséché la source des contentieux (avec notamment le nouveau mode de rupture du contrat comme la rupture conventionnelle) mais sans doute aussi l’effet d’un découragement certain de la part des salariés devant une procédure jugée moins accessible (ce point n’est pas abordé par la Cour des comptes) et longue, et peut-être moins intéressante, du fait de l’instauration d’un barème obligatoire pour la fixation des dommages et intérêts du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.  

Un taux d’appel jugé trop important

Le taux d’appel, c’est-à-dire la proportion des décisions prud’homales contestées par l’une des parties au conflit, s’élève à 60%, soit un pourcentage “bien plus important que les autres contentieux civils”, observe la Cour selon laquelle ce taux “contribue aux difficultés de fonctionnement” des juridictions d’appel.

Un taux d’appel à relativiser cependant au regard de la nature paritaire de la juridiction et des conflits du travail, avec deux parties (employeur et salarié) qui peinent à s’accorder.

En cas d’appel, il faut en moyenne un délai de 24,6 mois pour traiter une affaire (contre 13,5 mois pour l’ensemble des affaires civiles), un délai qui s’ajoute à celui déjà long des prud’hommes. “La durée totale d’une affaire, en cas d’appel, est en moyenne d’un peu moins de 4 ans”, déplore le rapport de la Cour des comptes qui admet toutefois la complexité grandissante des dossiers et un problème de moyens déployés par les cours d’appels sur les contentieux prud’homaux. 

Un conseil de la prud’homie sous-employé 

Pour la Cour, cette situation pourrait être améliorée. Comment ? Le rapport suggère 9 points (lire notre encadré) dont le principe général pourrait se résumer ainsi : viser une “approche transversale” entre les administrations judiciaires et la direction générale du travail.

Le Conseil supérieur de la prud’homie (CSP), “dont le rôle et la structure doivent évoluer” pour intégrer “des professionnels de terrain”, à savoir un magistrat de cour d’appel, un magistrat d’un tribunal judiciaire et un greffier, devrait avoir davantage de place, notamment pour actualiser l’indemnisation des conseillers, jugée trop faible.

La Cour note que le rôle actuel du CSP est parfois purement formel et s’avère quoi qu’il en soit trop limité : un projet suscitant un avis unanimement négatif n’en est pas moins adopté d’une part, et, d’autre part, certains sujets ne sont pas traités. Le rapport cite “la performance des CPH (..), les questions de départage, d’appel et de cassation (..), la situation des greffes” ou encore “la question des bonnes pratiques professionnelles et de leur diffusion”.

Une approche “transversale” et un meilleur “pilotage” des CPH

La Cour réclame également des indicateurs “pertinents et fiables”, un suivi précis des effectifs au sein des greffes (un point noir souvent soulevé par les juges prud’homaux depuis 2020), et “un travail plus approfondi et organisé” entre les conseils de prud’hommes et les tribunaux judiciaires d’une part et les cours d’appel d’autre part.

 Des objectifs fixés par contrat entre cour d’appels et CPH

Cela pourrait passer par la formalisation de protocoles, “allant au-delà des dispositions énoncées par le code du travail, pour définir les modalités de fonctionnement communes : dimensionnement du greffe, fixation des dates d’audience, délais de mise à disposition des dossiers, locaux pour accueillir les juges départiteurs, bilan annuel quantitatif et qualitatif du départage”.

Le rapport suggère de fixer par contrat entre les cours d’appel et les conseils prud’hommes “des objectifs en termes de nombre et délais de jugements”, et de prévoir des renforts “en moyens humains, greffiers placés ou personnels contractuels, lorsque c’est nécessaire pour soutenir les conseillers, juges non professionnels”.

Une nouvelle refonte de la carte prud’homale

Deux autres points devraient susciter sans doute de vives réactions.

L’un suggère de faire élire en début de mandat, donc pour 4 ans, un président par collège en leur confiant alternativement la prérogative de président et de vice-président, comme l’a déjà envisagé le ministère de la justice. Bénéfice attendu : un meilleur pilotage des conseils.  

L’autre point concerne la suggestion d’une nouvelle “refonte de la carte des conseils prud’hommes” et de leurs conseils, le rapport envisageant des regroupements pour les CPH “dont l’activité est trop faible”.

La formation continue des conseillers

Soulignons, à l’inverse, un motif de satisfaction adressé par la Cour des comptes au monde prud’homal : la nouvelle formation initiale des conseillers. Mais c’est aussitôt pour regretter la faiblesse de la formation continue des conseillers. La Cour des comptes n’aime guère les formations dispensées par les organismes de formation agréés (comme les instituts régionaux du travail) et leur préférerait une action directe de l’École nationale de la magistrature (ENM).

Le rapport préconise donc une évolution “en confiant à l’ENM l’élaboration d’un schéma directeur et l’évaluation qualitative et quantitative du dispositif de formation” continue des conseillers, un schéma qui pourrait s’accorder avec la volonté du ministère de la justice et de la direction générale du travail non pas de supprimer les organismes agréés mais “d’esquisser un dispositif, complémentaire à celui des partenaires sociaux, comportant deux volets, l’un faisant intervenir l’ENM et l’autre mis en œuvre au niveau des cours d’appel et des tribunaux judiciaires”.

Un projet de loi au Parlement

Dans sa conclusion, le rapport de la Cour des comptes demande au ministère de la justice d’engager “sans délai un plan de redressement des conseils prud’hommes”. Reste à savoir ce que reprendra le gouvernement. L’Assemblée doit justement examiner, lors de la session extraordinaire de juillet, le projet de loi d’orientation et de programmation de la justice que vient de voter le Sénat le 13 juin.

Ce texte prévoit déjà quelques dispositions sur les prud’hommes notamment sur  :

la désignation des conseillers,

sur les sanctions qui pourraient viser les conseillers même après la cessation de leur mandat (de façon à lutter contre une forme d’impunité au cas un conseiller mis en cause démissionne). 

A l’initiative des parlementaires, d’autres dispositions ont été ajoutées comme :

une obligation de déclaration d’intérêts pour les conseillers dans un délai de 2 mois à partir de leur entrée en fonction (art. 8 bis);

la fixation d’un âge limite (qui serait de 75 ans) pour l’exercice du mandat de conseiller (art. 8 ter);

la limitation à 5 mandats : un conseiller ayant rempli 5 mandats ne pourrait plus être désigné pour un sixième (art. 8 ter);

une disposition sur la parité entre femmes et hommes (art. 8 quater). Actuellement, une forme de représentation proportionnelle des deux sexes existe pour le renouvellement des conseillers prud’hommes (art. L. 1441-19). Cette règle serait généralisée pour toutes les désignations et assouplie pour les désignations complémentaires afin de pourvoir plus facilement les sièges vacants lorsque la règle de parité empêche la désignation d’un homme ou d’une femme : “Dans le cas du dépôt d’une liste incomplète de candidats, l’organisation peut désigner des candidats d’un même sexe jusqu’à 50 % de la totalité des sièges qui lui sont attribués et en cas de nombre impair de sièges attribués, jusqu’à 50 % plus un siège”. 

Les 9 recommandations de la Cour des comptes 
1. Allonger la durée minimale de mandat de président et de vice-président du conseil des prudhommes et renforcer leur rôle dans la programmation et le suivi des formations initiale et continue des conseillers. 2. Réaliser chaque année un état des effectifs des greffes par conseil de prud’hommes. 3. Inciter les chefs de cours et de juridictions à conclure des protocoles avec les conseils de prud’hommes afin de renforcer leurs articulations (départage, appels, retours d’appel) et de préciser les conditions de fonctionnement de ces derniers (objectifs et moyens). 4. Élargir la composition du conseil supérieur de la prud’homie à un magistrat d’une cour d’appel, un magistrat d’un tribunal judiciaire et un greffier. 5. Réformer le dispositif de formation continue des conseillers prud’hommes en confiant à l’École nationale de la magistrature. l’élaboration d’un schéma directeur et l’évaluation qualitative et quantitative du dispositif de formation. 6. Faire un bilan de la mise en oeuvre par les conseils de prud’hommes des modifications apportées en matière de conciliation et de mise en état des affaires et accompagner les conseillers prud’hommes par la diffusion de guides méthodologiques et de bonnes pratiques, ainsi que des notes d’analyse de jurisprudence. 7. Établir pour chaque conseil de prud’hommes des indicateurs de qualité permettant d’apprécier les taux d’appels, d’infirmation et de confirmation des jugements. 8. Donner aux conseillers prud’hommes l’accès à Portalis et aux bases documentaires nécessaires à leur mission dans le respect des règles de sécurité du ministère de la justice. 9. Engager la refonte de la carte des conseils des prudhommes et des sections qui les composent en envisageant les regroupements des conseils et sections dont l’activité est trop faible ; solliciter à cet égard les propositions du Conseil supérieur de la prud’homie.

Bernard Domergue

SANTÉ, SÉCURITÉ, CONDITIONS DE TRAVAIL

Préjudice d’anxiété: lindemnisation des salariés éligibles à la cessation d’activité anticipée est de droit

21/06/2023

Dès lors qu’il a travaillé, dans les conditions de temps et d’emploi requises, dans une entreprise inscrite sur la liste ouvrant droit au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA), le salarié peut obtenir l’indemnisation de son préjudice d’anxiété même s’il a introduit sa demande avant l’arrêté de classement.

Par un arrêt du 11 mai 2010, la Cour de cassation a reconnu que peuvent obtenir réparation d’un préjudice d’anxiété les salariés ayant travaillé, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel.

Ce préjudice correspond au fait de subir, alors même qu’aucune pathologie n’est déclarée, une inquiétude permanente ressentie “face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante”, un préjudice qu’il y a lieu de réparer par l’attribution de dommages-intérêts.

Les contours de son indemnisation ont depuis fortement évolué et font l’objet d’une jurisprudence abondante. Dans un arrêt publié du 24 mai dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à répondre à une nouvelle problématique : le fait que la saisine de la juridiction prud’homale soit antérieure à l’inscription de l’établissement sur l’arrêté de classement ACAATA (allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante) exclut-il la réparation du préjudice d’anxiété ? 

Si les conditions sont réunies, la date de demande d’indemnisation n’a pas d’incidence 

En l’espèce, un salarié engagé en 1984 avait saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à la réparation d’un préjudice d’anxiété le 13 juin 2013. En cours d’instance, par arrêté du 3 décembre 2013 pris en application de la loi du 23 décembre 1998, sa société a été inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA pour la période de 1949 à 1996.

S’appuyant sur le fait que le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes avant l’inscription de la société sur l’arrêté de classement, la cour d’appel a refusé de lui appliquer le régime de preuve dérogatoire attaché au préjudice d’anxiété. En conséquence, en application des règles de droit commun, il aurait notamment dû prouver un préjudice personnellement subi résultant de son exposition. L’argumentaire est rejeté par la chambre sociale qui estime que la saisine de la juridiction prud’homale antérieure à l’inscription de l’établissement sur l’arrêté ne suffit pas à écarter le régime spécifique du préjudice d’anxiété. 

Une solution dans la lignée de la jurisprudence antérieure 

La démonstration de la Cour de cassation est très claire : 

les salariés qui ont travaillé dans l’un des établissements classés ACAATA pendant une période où était fabriqué ou traité de l’amiante et qui se trouvent, par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ont droit à la réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété ; 

en l’espèce le salarié avait bien travaillé dans un établissement mentionné à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur la liste établie par l’arrêté du 3 décembre 2013 et, pendant la période visée par cet arrêté, il avait occupé un poste susceptible d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité ;

de fait, il était fondé à obtenir l’indemnisation de son préjudice d’anxiété. 

Cette décision est assez logique au regard de la jurisprudence antérieure puisque dans deux arrêts du 2 mars 2017 et du 8 juillet 2020, la même démonstration avait déjà été utilisée pour définir les critères permettant une indemnisation. De fait, il n’était pas surprenant que la date de la demande de réparation soit sans incidence.

Elise Drutinus

NÉGOCIATION COLLECTIVE

Fact : nouvel appel à projets pour améliorer la négociation collective sur les conditions de travail

20/06/2023

Dans le cadre du Fonds pour l’amélioration des conditions de travail (Fact), l’Anact lance un appel à projets pour “Améliorer les processus de négociation collective sur les conditions de travail dans les TPE-PME ou au niveau des branches“. 

Il vise à accélérer le développement de la négociation d’entreprise et à davantage y intégrer les enjeux des conditions de travail et de la santé au travail. En effet, en 2021, seulement 7 % des accords se penchaient sur ces thématiques. L’objectif est d’activer le levier de la négociation collective pour “répondre aux attentes des salariés et faire face aux défis rencontrés par les entreprises” tels que les mutations des métiers, les difficultés de recrutement, la numérisation, la transition écologique, etc.

Les actions participatives et prenant en compte l’égalité femmes-hommes seront privilégiées. Les projets attendus doivent permettre de :

renouveler les pratiques de négociation jusqu’à la signature d’un texte de négociation ;

mieux articuler les sujets de négociation relatifs aux mutations sociales, écologiques, technologiques et leurs liens avec le travail et ses conditions d’exercice ;

développer les pratiques de négociation au service de la santé au travail et des conditions de travail. 

A noter qu’un exemple de projet attendu peut être, pour une PME, le fait de se faire accompagner par un consultant pour réaliser une analyse des pratiques de négociation sur les conditions de travail.

Globalement, l’appel à projets souhaite “améliorer concrètement les conditions de travail des salariés au niveau d’un territoire ou d’une branche”.

Les structures éligibles à cet appel à projets sont les TPE-PME ou associations de moins de 300 salariés, les acteurs territoriaux (réseaux d’entreprises, fédérations, Opco, chambres consulaires) ainsi que les branches professionnelles ou interprofessionnelles.

Une enveloppe budgétaire de 900 000 euros est allouée à l’appel à projets et sera distribuée en fonction de la nature des propositions et de leur ampleur et ambition.

Les dossiers de candidature peuvent être déposés jusqu’au 16 octobre 2023. Ils seront ensuite examinés en commission le 13 novembre 2023.

Un webinaire de présentation de l’appel à projets a eu lieu lundi 5 juin 2023.

Source : actuel CSE

Regards croisés sur le paritarisme

21/06/2023

Jeudi 15 juin s’est tenue une rencontre organisée par Alpha sur “le paritarisme dans l’entreprise et en dehors de l’entreprise”. L’occasion de croiser le regard des invités sur un système essentiel mais régulièrement menacé par l’exécutif.

“Pourquoi organiser une conférence sur le paritarisme ? Après la longue période d’affrontement sur les retraites, il s’agit de reprendre son souffle. Il y a des débats de fond à mettre en mouvement”, a expliqué en introduction Pierre Ferracci. Le président du groupe Alpha, qui juge que le quinquennat d’Emmanuel Macron a mis à mal les structures paritaires nationales, relève par ailleurs que le patronat ne semble guère s’inquiéter des reprises en main tentées par l’exécutif. L’Etat guetterait en effet avec avidité les réserves de l’Unedic afin, notamment, de financer des embauches auprès de Pôle Emploi, après avoir convoité celles de l’Agirc-Arrco. Alors que les partenaires sociaux tentent d’établir un agenda social autonome, et que plusieurs accords nationaux interprofessionnels (ANI) ont été récemment signés, la conférence s’est appliquée à croiser les points de vue des différents acteurs du paritarisme : syndicats de salariés, patronat, sociologue et gestionnaire paritaire.

Le regard syndical de Frédéric Souillot (FO) : “Le paritarisme fait la cohésion sociale de notre République”

Pas de doute, le secrétaire général de Force ouvrière défendra le paritarisme dans les années à venir. Il a d’ailleurs relevé, dans un édito publié la veille de la conférence, que la paternité du terme revient à André Bergeron, leader de FO de 1963 à 1989, qui l’aurait utilisé pour saluer la création de l’assurance chômage. Force ouvrière s’est d’ailleurs plusieurs fois exprimé ces dernières semaines pour protéger les organismes paritaires comme Action Logement ou l’Unedic. “Le paritarisme crée la cohésion sociale dans notre République : salariés et employeurs gèrent la retraite complémentaire, Action logement, l’assurance chômage”, a rappelé Frédéric Souillot. Il juge que l’Etat tente régulièrement de reprendre la main sur les organismes paritaires “car il fonctionne sur un tempo différent du nôtre, mais quand nous devons prendre une décision, nous avons besoin de temps et d’un temps long pour trouver une solution”.

Le regard patronal d’Alexandre Saubot : “Le paritarisme est ce que ses acteurs veulent en faire”

Président de France Industrie (*) depuis 2020, Alexandre Saubot rappelle que les interventions de l’Etat sont liées à l’histoire du pays : “L’Etat est le ciment de l’unité, et dans notre pays jacobin, il s’occupe de nous”. L’ancien président de l’UIMM et du Medef juge tout de même que le principe de la lettre de cadrage de l’exécutif dans les négociations paritaires “n’est pas satisfaisant”, mais c’est selon lui aux acteurs du paritarisme de travailleur leur négociation pour la faire aboutir. “La première chose est de partir sur le diagnostic le plus partagé possible, car sans ce point essentiel, ce n’est pas la peine de poursuivre une négociation, ou alors on crée un guide et des modes d’emplois non normatifs. Le paritarisme est donc ce que les acteurs veulent en faire”.

Alexandre Saubot considère cependant que la retranscription intégrale d’un ANI se heurterait au principe de la liberté d’amendement parlementaire. Sa solution pour résoudre ce problème : “Si on est assez forts ensemble, que l’on traite le sujet avec de vraies réponses, les politiques n’iront pas s’embêter à modifier le contenu de l’accord”.

Le regard sociologique de Julien Damon : “Le paritarisme est à la fois un mode de fonctionnement et un totem”

Pour le sociologue Julien Damon, “on a l’impression que depuis Vercingétorix et la Sécurité sociale, il y aurait un paritarisme pour faire fonctionner notre système social, mais le paritarisme de négociation relève du droit du travail, la doctrine considérant que les partenaires sociaux sont érigés en colégislateurs, même si c’est dans un cadre contraint”. En revanche, le paritarisme de gestion présente une part de “totem à la française”.

Selon le professeur à Sciences Po et HEC, la gestion de la sécurité sociale n’a pas relevé du paritarisme, en tout cas pas à sa naissance : “En 1945 s’est mis en place un système de démocratie sociale avec élection de représentants salariés, et à la tête du conseil d’administration siégeaient uniquement des organisations syndicales. Par ailleurs, le paritarisme est mis en place avec les ordonnances Jeanneney de 1967, que les syndicats ont qualifiées de ‘scélérates’ car ils n’en voulaient pas pour une raison simple : elles mettaient à parité les organisations syndicales et patronales”.

Le regard paritaire de Brigitte Pisa : “Le paritarisme, ce n’est pas un miracle mais presque”

Présidente du Conseil d’administration de l’Agirc-Arrco qui gère les retraites complémentaires du privé, Brigitte Pisa partage la nécessité des partenaires sociaux de disposer de temps pour négocier et faire avancer les chantiers. “On prend le temps d’évaluer, de déterminer nos objectifs, il faut trouver le plus grand dénominateur commun dans l’intérêt des gens que nos organisations protègent”. Dans cette perspective, “pour moi, ce n’est pas un miracle mais presque”, s’émerveille-t-elle. Brigitte Pisa gère selon elle “un endroit consensuel où ce sont ceux qui paient qui gèrent les risques”.

Il reste à observer ce que le paritarisme parviendra à poser comme futures bases de négociations. Les partenaires sociaux sont en effet attendus sur de nombreux sujets dans les prochains mois, comme l’emploi des seniors ou la nouvelle convention d’assurance chômage, alors que patronat et syndicats vivent mal les évolutions parlementaires apportées au projet de loi sur le partage de l valeur, texte issu de l’ANI signé en février 2023.

(*) Organisation professionnelle qui a pour but la promotion de l’industrie en France

Marie-Aude Grimont

FORMATION

VAE : la réforme des petits pas

20/06/2023

Le cabinet Tenzing a dévoilé la semaine dernière le bilan intermédiaire de la deuxième phase d’expérimentation portant sur la validation des acquis de l’expérience (VAE), un dispositif réformé par la loi du 22 décembre dernier. Des arbitrages restent à prendre avant la création du futur service public dédié à cette troisième voie de certification.

Le coup d’envoi de la réforme de la validation des acquis de l’expérience (VAE) a été donné l’an dernier, avec la loi Marché du travail du 22 décembre 2022 mais plusieurs points techniques n’avaient pas été tranchés. C’est pourquoi, Carole Grandjean, la ministre déléguée de l’enseignement et de la formation professionnels, a lancé, en parallèle, des expérimentations pour peaufiner le dispositif de validation des acquis de l’expérience, sur la base des préconisations du rapport de David Rivoire, Claire Khecha et Yanic Soubien, remis le 15 mars 2022. Ces observations nourriront les réflexions pour la rédaction des décrets d’application prévus “d’ici à l’été”.

Une expérimentation à “grande échelle”

Une première expérimentation, REVA, pour “reconnaître et valider”, avait été lancée en septembre 2021. Carole Grandjean a réitéré l’essai avec un deuxième test, en septembre dernier, cette fois “à grande échelle” pour confirmer les premières tendances. Doté d’un budget de 15 millions d’euros, il vise à accompagner 3 000 salariés, aidants familiaux et demandeurs d’emploi, vers des certifications de 19 métiers en tension des secteurs sanitaire et social, de la petite enfance, de l’économie sociale et solidaire afin de répondre aux difficultés de recrutement.

Les résultats sont cruciaux pour la réussite de cette réforme. L’exécutif cherche à faire de la VAE une arme pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre. Il s’est d’ailleurs donné pour objectif d’atteindre chaque année 100 000 diplômes ou titres professionnels acquis par la VAE d’ici à la fin de l’année 2026.

Le cabinet Tenzing a dévoilé le bilan intermédiaire de cette deuxième expérimentation, hier, en présence de Carole Grandjean, lors d’un déplacement à Vitaliance, une entreprise située à Courbevoie (92). Le rapport final sera, lui, disponible en juillet.

Des résultats plutôt “prometteurs”

Et pour la ministre les résultats sont plutôt prometteurs. Parmi les satisfécits, le cabinet a listé plusieurs avancées concrètes. Tout d’abord, le délai de prise en compte de la demande de VAE du candidat a été réduit, passant de deux mois en moyenne à 51 heures. Un premier contact est établi avec le candidat, lequel reçoit la réponse sur la recevabilité ou non de son dossier dans les neuf jours (contre deux à quatre mois dans un parcours de VAE classique).

Par ailleurs, le cabinet note une élévation du niveau de qualification des candidats, alors qu’on constate aujourd’hui que 86 % des candidats à la VAE ont un niveau inférieur ou égal au baccalauréat (niveau 4), permettant ainsi de “renforcer leur employabilité”.

Un nouvel acteur, l’architecte accompagnateur de parcours

Surtout, cette expérimentation a permis de mettre en avant un acteur clef dans ce processus, la création d’une fonction d’architecte accompagnateur de parcours, chargé d’accompagner le prétendant à la VAE en amont de la démarche mais aussi tout au long de son parcours pour l’aider à coconstruire son projet et réaliser son dossier de validation. Un point faible jusqu’ici dans le dispositif. Les abandons étaient importants, de l’ordre de 60 %, contre 8,8 % ici. L’idée est ici de sécuriser le parcours du candidat en proposant un parcours “sans couture” avec un accompagnateur unique.

En outre, la mise en place d’un financement unique, effectué par les associations Transitions professionnelles, “permet d’obtenir des accords de prise en charge financière en en 48 heures”, note le rapport qui précise qu’il s’agit “d’un facteur incontestable de réduction du taux d’abandon”.

Les branches professionnelles appelées à la rescousse

Reste toutefois des points perfectibles. Si la dynamique de recrutement des candidats est satisfaisante et a permis d’engager 3000 candidats dans cette expérimentation, elle a mis “un temps plus significatif que prévu à se déployer”. “Des moyens supplémentaires ont été déployés pour renforcer les capacités d’embarquement de l’expérimentation”.

“A terme, Reva aura besoin de pouvoir compter sur les branches professionnelles pour faire le lien avec l’ensemble des entreprisse de leur secteur d’activité”. Une étude menée par le cabinet Tenzing, en 2022, auprès de DRH d’entreprise de taille intermédiaire et grands groupes montrait que 75 % des répondants n’avaient pas étudié l’opportunité du dispositif pour leur entreprise et seulement 8 % de l’échantillon avait déjà proposé à ses salariés un dispositif de VAE.

Une rémunération forfaitaire plutôt qu’à l’heure

Par ailleurs, le rapport ne tranche pas la question du profil de l’architecte accompagnateur de parcours (AAP). Doit-il être un spécialiste d’un secteur d’activité ? Un généraliste capable d’intervenir sur l’ensemble des titres et diplômes, à l’instar du conseiller en évolution professionnelle ? Mais il recommande de cogiter sur une certification AAP, en lieu et place de la norme Qualiopi VAE.

S’agissant de la prise en charge financière, le cabinet penche pour une rémunération sous forme de forfait plutôt qu’une rémunération à l’heure. “Si le coût maximum de 4 000 à 5 000 euros pour un parcours de VAE n’est pas remis en cause, son découpage doit être repenser entre faisabilité, accompagnement, formation et coût du jury”, indique-t-il.

Enfin, face au défaut criant de jurys, le cabinet donne quelques pistes : renforcement des financement ; implication des jurys en amont de la soutenance ; plus grande liberté laissée aux certificateurs dans la composition de ces instances ; jurys inter-régions, inter-certificateurs ; jurys à distance…

La création du futur service public de la VAE dont la mise en chantier passera par la fondation d’un groupement d’intérêt public (GIP) nécessite des arbitrages très courts, rappelle le rapport. Le portail doit, en effet, voir le jour, le 1er juillet prochain, avec plus de 200 certifications professionnelles disponibles dans les secteurs du sanitaire et social, du sport, de la grande distribution et de la métallurgie.

Anne Bariet

10 milliards d’économies en vue : arrêts maladie et CPF sur la sellette

20/06/2023

Nous allons trouver 10 milliards d’euros d’économies pour ramener la dépense publique à 53,5% du PIB en 2027, contre 57,5% en 2022 : c’est, en substance, ce qu’a dit hier, aux Assises des finances publiques, le ministre de l’Economie. 

Bruno Le Maire a cité plusieurs sources possibles d’économies relevant du ministère du travail et de la santé : 

les arrêts maladies. “En 2022, nous avons eu 8,8 millions d’arrêts maladie en France, contre 6,4 millions dix ans plus tôt. C’est une hausse de plus de 30 %, qui nous a conduit en 2022 à dépenser au total 16 Md€. Nous proposons à toutes les parties prenantes, représentants des entreprises et des salariés, médecins conseils, Cnam, de travailler ensemble d’ici le PLFSS 2024 aux instruments les plus efficaces pour lutter contre ces dérives. Chacun doit être davantage responsabilisé. Du salarié au chef d’entreprise, en passant par le médecin. L’absentéisme n’est pas une fatalité”, a déclaré Bruno Le Maire.

les aides à l’emploi (apprentissage notamment) et le compte personnel de formation (CPF) avec l’idée d’un “ticket modérateur” afin de “responsabiliser les utilisateurs”. “Sur l’apprentissage et le compte personnel de formation (CPF), nous ne sommes plus dans la situation d’il y a six ans. L’apprentissage est un succès. La bataille culturelle de l’apprentissage a été gagnée par le président de la République, la Première ministre et la majorité. Il est donc possible de réduire le prix des formations payées par l’Etat pour les apprentis, pour compenser certains abus sur les marges, et d’introduire un ticket modérateur sur le compte personnel de formation, pour responsabiliser les utilisateurs”, a estimé le ministre.

Cette dernière piste ressemble fort au retour du reste à charge pour les formations financées par le CPF, une disposition prévue dans la loi de finances pour 2023 mais non encore appliquée. A suivre…

Source : actuel CSE

CPF : tous les permis de conduire d’un véhicule terrestre à moteur seront bientôt éligibles

23/06/2023

La loi du 21 juin 2023 “visant à faciliter le passage et l’obtention de l’examen du permis de conduire”, parue au Journal officiel hier, étend les possibilités d’utilisation du compte personnel de formation (CPF) “à la préparation aux épreuves théoriques et pratiques de toutes les catégories de permis de conduire d’un véhicule terrestre à moteur”.

L’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition est fixée au 1er janvier 2024.

Pour l’instant, il est possible d’utiliser son CPF pour financer le code de la route et l’épreuve pratique du permis de conduire des voitures (catégorie B) et des poids lourds (catégories C1, C, D1, C1E, CE, D1E et DE).

Cette possibilité devrait être étendue aux motos légères (permis A1), aux voiturettes (permis B1) ainsi qu’aux permis autorisant les titulaires de permis B à tracter des remorques plus lourdes (B96, BE).

La loi du 21 juin 2023 prévoit que “les conditions et les modalités d’éligibilité au CPF de toutes les catégories de permis de conduire d’un véhicule terrestre à moteur seront précisées par décret après consultation des partenaires sociaux”.

Rappelons que deux conditions sont actuellement prévues (C. trav., art. D. 6323-8) :

l’obtention du permis de conduire doit contribuer à la réalisation d’un projet professionnel ou à favoriser la sécurisation du parcours professionnel du titulaire du compte ;

le titulaire du compte ne doit pas faire l’objet d’une suspension de son permis de conduire ou d’une interdiction de solliciter un permis de conduire ; cette obligation est vérifiée par une attestation sur l’honneur de l’intéressé produite lors de la mobilisation de son compte.

Source : actuel CSE

SYNDICAT

Sophie Binet (CGT) demande l’ouverture de négociations de branche et d’entreprise sur les départs anticipés

19/06/2023

Lors d’une rencontre avec l’association des journalistes de l’information sociale (Ajis), vendredi matin à Paris, Sophie Binet, élue fin mars secrétaire générale de la CGT, a fait le point sur l’actualité sociale. La CGT, qui prépare un plan syndical pour l’environnement, entend renforcer sa présence auprès des cadres dans les entreprises et souhaite peser pour obtenir des branches et entreprises des mesures compensant la réforme des retraites.

Il est bien sûr encore trop tôt pour pressentir les effets que produiront sur la CGT l’élection au mandat de secrétaire général de Sophie Binet, élue surprise du congrès de mars dernier. Mais le changement est déjà notable dans le ton, très offensif et très précis, de ses interventions médiatiques. Devant la presse, vendredi 16 juin à Paris, l’ancienne secrétaire générale de l’Ugict, le syndicat des techniciens et cadres de la CGT, a analysé la situation de l’intersyndicale contre la réforme des retraites, elle est revenue sur les dernières négociations professionnelles et les enjeux des relations avec l’exécutif, et elle a donné une première indication quant à ses choix pour développer l’implantation syndicale de la CGT dans les entreprises privées. 

La CGT dans les entreprises privées : cap sur les cadres !

Commençons par ce dernier aspect. Ces dernières années, la CGT (22,9% en poids relatif) a cédé la première place d’organisation syndicale dans le privé à la CFDT (26,77%). “Mais la CFDT comme la CGT ont perdu des voix, ce sont les syndicats catégoriels qui en ont gagné”, analyse Sophie Binet qui y voit l’effet d’un changement de la composition sociale de nombreuses entreprises françaises, notamment industrielles, avec une population de techniciens et cadres de plus en plus importante (*).

Nous progresserons en développant nos syndicats Ugict 

La nouvelle secrétaire générale de la CGT veut donc aller chercher davantage de voix dans ces populations : “Nous ne progressons qu’en développant nos Ugict dans les entreprises. Quand nous sommes présents, nous avons de bons résultats chez les cadres”. Reste à savoir si cela sera suffisant pour combler le retard d’implantations de sections syndicales vis-à-vis de la CFDT…

Quoi qu’il soit, cette compétition électorale entre organisations syndicales fait contraste, relève Sophie Binet, avec la démarche unitaire très présente au niveau national depuis le début du conflit sur les retraites, une unité approuvée par la base et qui “permet de renverser la table face aux directions” : “La loi de 2008 sur la représentativité a généré de la concurrence sur le terrain avec des élections professionnelles qui alimentent une course à l’échalote”, constate-t-elle comme à regret.  

Des créations de collectifs

Dans le même temps, observe Sophie Binet, avec le mouvement social sur les retraites, la CGT a vu débarquer dans ses structures des groupes de salariés qui cherchaient à s’organiser pour créer des syndicats. Ces embryons de collectifs sont à ses yeux d’autant plus prometteurs pour de futures implantations syndicales que 40% des salariés français n’ont pas de représentation syndicale dans leur entreprise. “Ce désert syndical est un problème quand il s’agit de mobiliser les salariés et de les inciter à faire grève”, reconnaît-elle. Elle ne peut donc que se féliciter du regain actuel d’adhésions syndicales, qu’elle estime à 100 000 toutes OS confondues.

Des DRH me demandent comment susciter des vocations de représentants du personnel ! 

 Au passage, Sophie Binet observe, non sans ironie, que l’affaiblissement des syndicats et de la représentation du personnel provoqué selon elle par les ordonnances de 2017 est tel “qu’aujourd’hui des DRH m’invitent pour me demander comment susciter des vocations de représentants du personnel”. Sa réponse ? La dirigeante syndicale demande au gouvernement, comme d’ailleurs l’intersyndicale qui lance un groupe de travail sur le sujet, une véritable révision des ordonnances travail. Ni le patronat le ni le gouvernement n’y semblent prêts ? “Il faut se battre pour regagner par la fenêtre ce qu’on a perdu par la porte”, répond-elle.

La CGT veut obtenir par la négociation des départs anticipés

Et Sophie Binet, très offensive, d’annoncer la couleur : “Sur les retraites, nous avons perdu la première mi-temps mais le match n’est pas fini”. Un avant-goût de la deuxième mi-temps ? D’abord, contestation des futurs décrets retraite, “car c’est honteux de vouloir appliquer dès septembre la réforme, alors que chacun sait qu’il faut entre 3 et 6 mois pour préparer un départ à la retraite”. Ensuite ? Pression mise sur les entreprises pour les contraindre à négocier au sujet des seniors. Mais pas dans le sens attendu par le gouvernement : “Nous demandons l’ouverture dans les branches et les entreprises de négociations pour obtenir des départs anticipés et la prise en compte des années d’étude”. Enfin, il y a aura, promis, un nouveau référendum d’initiative dans un an visant à contester la loi, une hypothèse déjà évoquée par Laurent Escure.

Les négociations interprofessionnelles

Comment se positionnera la CGT “de” Sophie Binet s’agissant des négociations nationales interprofessionnelles ? On sait que la confédération a ratifié très peu d’accords nationaux interprofessionnels (ANI) ces dernières années. Récemment, elle a signé celui sur la santé au travail (accord accidents du travail et maladies professionnelles, AT-MP) mais pas celui sur la transition écologique et le dialogue sociale. 

Pour quelles raisons ? “L’accord santé, nous le signons parce que nous avons arraché des avancées comme la création de 200 postes dans la branche AT-MP, la volonté de faire davantage de prévention (..) L’accord sur l’environnement, nous ne le signons pas car il n’apporte rien, c’est une série de pétitions de principe, ce n’est pas un véritable ANI. D’ailleurs il ne nécessite aucune transposition législative”. La CGT n’ira cependant pas jusqu’à faire opposition à cet accord.

Il n’est pas normal que le patronat organise tout 

La CGT réclame une nouvelle fois une autre approche des négociations interprofessionnelles (lieu neutre de négociation, diagnostic commun en utilisant les ressources du CESE, par exemple), Sophie Binet jugeant qu’il n’est “pas normal que ce soit le patronat qui organise tout”. Rappelons à ce sujet que l’accord sur le paritarisme de 2022, qui réaffirmait l’autonomie des partenaires sociaux et le principe d’un agenda social autonome, prévoyait une autre méthode pour les négociations interprofessionnelles, des dispositions qui ont visiblement du mal à se traduire dans les faits (**).

Au sujet des prochaines discussions interprofessionnelles, concernant  les régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco et l’assurance chômage, Sophie Binet souhaite un positionnement intersyndical. La CGT, prévient-elle, abordera ces négociations de façon offensive en réclamant de meilleures pensions et de nouvelles ressources, par exemple via une surcotisation des entreprises ne respectant pas l’égalité entre femmes et hommes. Sur le chômage, elle fustige un jeu de rôles entre le gouvernement et le patronat : ce dernier ne veut pas négocier et laisse le gouvernement faire “le sale boulot”, ce qui lui semble “contradictoire avec l’affirmation de la défense du paritarisme”. 

La CGT veut revenir sur le barème Macron

Interrogée enfin sur les 10 ans de la loi de sécurisation de l’emploi, Sophie Binet a marqué sa différence avec la CFDT, qui avait signé l’accord national interprofessionnel ayant entraîné la loi de 2013, une loi qui a réformé les plans sociaux et imposé des délais stricts pour la consultation des CE/CSE : “Aujourd’hui, c’est devenu presque un combat d’obtenir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Et les moyens pour un syndicat de faire constater l’absence de motivation économique des licenciements sont devenus très faibles. Les ruptures conventionnelles collectives (RCC) permettent aux entreprises de faire partir les salariés à moindres frais et le barème des licenciements abusifs, sans parler des accords de performance économique (APC), fait qu’il n’a jamais été aussi facile de licencier qu’aujourd’hui”.

Un plan syndical pour l’environnement 

Mais si elle réclame de revoir les ordonnances 2017 et l’abandon du barème Macron sur les licenciements, la secrétaire générale n’entend pas positionner la CGT sur une ligne uniquement protestataire. Elle réfute tout d’abord toute velléité de mainmise politique sur les mouvements sociaux : “Un parti politique n’a pas vocation à organiser un mouvement social, on construit une grève sur des motifs professionnels, pas politiques”.

Ensuite, devant les journalistes de l’information sociale (Ajis), elle a mis en avant l’expérience de Gardanne, sorte de modèle du futur plan syndical pour l’environnement que la CGT souhaite élaborer (***). La fermeture en 2018 de cette centrale de charbon des Bouches-du-Rhône, “faite sans anticipation” par les pouvoirs publics, a donné lieu à un contre-projet des équipes CGT qui va aboutir à une production de gaz via la biomasse et la méthanation (production de gaz à partir de bois), salue-t-elle : “C’est l’exemple de ce qu’il faut faire en matière environnementale. Commencer par sécuriser la situation des salariés, mettre le paquet sur la formation professionnelle, et construire des projets alternatifs pour transformer les sites”. 

Interrogée par ailleurs sur un éventuel rapprochement de la CGT avec la FSU et Solidaires, Sophie Binet a dit vouloir tout mettre à plat, car ce sujet n’a jamais été débattu collectivement, a-t-elle affirmé. 

(*) De fait, entre les cycles électoraux de 2017 et 2021 la CGT et la CFDT ont perdu respectivement 150 000 et 40 000 voix, tandis que la CFE-CGC, l’UNSA et Solidaires en gagnaient respectivement 38 500, 19 900 et 3 100. Sur les audiences nationales interprofessionnelles.

(**) Parmi les partenaires sociaux, seule la CGT n’a pas signé l’accord national interprofessionnel du 14 avril 2022.

(***) Le dernier congrès de la CGT a décidé le retrait de la confédération du collectif “Plus jamais ça” dont fait partie Greenpeace. Ce plan est donc une façon pour la CGT de tenter de réaborder le dossier environnemental d’un bon pied.

Le regard de Sophie Binet sur Laurent Berger et Marylise Léon
Sophie Binet ayant été élue fin mars, et Laurent Berger quittant son mandat le 21 juin pour passer la main à Marylise Léon, les deux secrétaires généraux ne se sont côtoyés que brièvement. La secrétaire générale de la CGT juge cependant son homologue de la CFDT “très franc, ce qui est pratique pour travailler”, dans la mesure où ils avaient “un objectif commun utile pour avancer”. Mais Sophie Binet ne se prive pas d’une petite pique : “Il a bien su défendre les intérêts de son organisation”. Elle se dit par ailleurs “très contente” de voir deux femmes à la tête des confédérations majeures du paysage syndical : “Cela permet de déviriliser notre image, ainsi que les us et coutumes. Je suis très confiante pour la suite : Marylise Léon est franche et efficace, elle connaît et travaille ses dossiers”. Les relations entre les deux grands syndicats français partent donc pour l’instant sous de bons auspices…

Bernard Domergue

[Note de lecture] Laurent Berger dénonce “l’impensé politique” du travail

19/06/2023

“Du mépris à la colère, essai sur la France au travail”, le livre du secrétaire général de la CFDT tout juste sorti en librairie, dresse le bilan des deux dernières crises françaises : l’épidémie de Covid-19 et la réforme des retraites. Aux yeux de Laurent Berger, c’est à chaque fois l’impensé politique du travail qui mine les catégories de travailleurs les plus modestes.

Laurent Berger, qui quitte le 21 juin prochain la tête de la CFDT,  n’en est pas à son premier ouvrage puisqu’il tient régulièrement la plume (une dizaine de fois depuis sa thèse de 1992). Il est même probable qu’il réfléchisse déjà à son prochain livre. L’un de ces titres, “Sortir de la crise”, publié en 2021, aurait d’ailleurs pu paraître aujourd’hui. On y lit : “La démocratie est en grande partie confisquée par une pratique du pouvoir ultra-centralisée et restreinte qui laisse peu de place à la délibération”.

Au centre de ce pouvoir se trouve selon l’auteur une classe politique qui poursuit son idéologie sans un regard pour les travailleurs. C’est ce mépris que dénonce Laurent Berger dans son dernier livre. Un mépris qui au fil des crises génère la colère et fournit selon lui le terreau le plus fertile aux tendances d’extrême droite : “Le travail (…) représente un enjeu démocratique fondamental. Quand on est respecté et considéré dans son travail, on a moins de risque de dérailler, et on est moins perméable aux idées qui menacent la démocratie”. Le syndicaliste s’attache donc à décrire “comment on en est arrivés là”. Il propose ses pistes pour mettre le travail et ses acteurs au centre du jeu politique afin de donner au travail “sa force d’émancipation et d’épanouissement”. 

Une classe politique dans le déni 

Aucun parti ne sort grandi de son analyse. Pour Laurent Berger, “l’arbre des idéologies cache la forêt du travail, à commencer par les idéologies politiques qui se limitent à “un discours de moralisation comme si les gens ne voulaient pas travailler (…), comme si la grève entravait le travail de ceux qui triment vraiment”. Et ce y compris à gauche “car la gauche française n’a jamais été travailliste”. 

La réforme des retraites percute les travailleurs de première et deuxième ligne 

Au fil des anecdotes de près de onze ans de mandat passés en partie sur le terrain des entreprises au contact des militants, le futur ex-secrétaire général dresse le portrait de travailleurs usés par le quotidien, ces “deuxième ligne” qui ont maintenu les activités dites essentielles pendant la pandémie de Covid. Ces catégories modestes à qui l’on a beaucoup promis, mais peu accordé. Une population qui forme d’ailleurs une partie des bataillons d’adhérents, la CFDT revendiquant plus de 40 000 syndiqués supplémentaires depuis le mois de janvier. A leur sujet, Laurent Berger souligne avec malice : “On dit que les militants sont plus optimistes que les autres parce qu’ils pensent qu’ils ont prise, qu’ils peuvent changer les choses”. 

Car une autre crise est venue ajouter de la colère au mépris : la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, dont la mesure phare “percute très exactement la catégorie des travailleurs de première et deuxième ligne, qui se sent déjà invisibilisée et méprisée”. La boucle est bouclée mais le pouvoir restera dans le déni décrié par l’auteur. Les quatorze manifestations et l’intersyndicale n’y suffiront pas. 

Les pistes “à la portée d’un gouvernement” 

“Si le gouvernement n’est pas capable de mettre en place cette profonde transformation du travail (…), il court à sa perte mais il offre également une voie royale à madame Le Pen, qui se moque complètement des travailleurs, ne connaît rien au sujet des retraites, qui est anti-syndicaliste, qui se contrefiche du droit des femmes”, affirme Laurent Berger. 

Ne plus laisser l’organisation du travail à la seule prérogative de l’employeur 

Alors que faire ? Le syndicaliste de Saint-Nazaire ne laisse pas le lecteur sans pistes. Sans surprise, puisque c’est le prisme de la CFDT, il propose en premier lieu du dialogue social et de la négociation collective : “L’organisation du travail est la prérogative exclusive de l’employeur. Il est impossible de faire évoluer les choses si on ne modifie pas cette règle. C’est à la portée d’un gouvernement”. Il prône également un dialogue professionnel accordant au salarié un espace d’expression sur son métier et des marges de manœuvre, une redistribution des richesses incluant des écarts maximums de rémunération, une refonte de la fiscalité des revenus. Sans oublier la conditionnalité des aides publiques, une politique environnementale ambitieuse dans la décarbonation des entreprises, une meilleure place accordée au seniors et une rénovation du management. 

Un livre sur l’injustice

Si la sincérité de celui qui a commencé à militer au sein d’une association de réinsertion s’entend à chaque ligne, on peut craindre que ses propositions ne se limitent à des incantations en raison de l’absence, ici dénoncée, de volonté de la classe politique pour les concrétiser. A la différence des précédents ouvrages, que l’on sentait plus percutants (notamment celui paru en juillet 2019, “Syndiquez-vous !”), les lecteurs plus au fait du domaine social pourront rester sur leur faim. Cependant, dans une langue directe et sans fioritures qui correspond d’ailleurs au ton qui est le sien dans les médias, Laurent Berger convainc sans mal le lecteur de l’injustice faite aux classes populaires.  

► “Du mépris à la colère, essai sur la France au travail”, éditions Seuil, 19 mai 2023, 144 pages, 12 € (lire la présentation sur le site de l’éditeur)

Marie-Aude Grimont

Véronique Revillod élue secrétaire générale de la CFDT Services

19/06/2023

Lors du congrès du Havre du 13 au 16 juin de la CFDT Services, Véronique Revillod a été élue secrétaire générale de cette fédération qui comprend 81 00 adhérents et 82 syndicats dans des secteurs très variés (commerce, hôtellerie-restauration, immobilier, intérim, propreté, professions judiciaires, etc.). Elle succède à Olivier Guivarch, qui intègre les instances de la confédération.

Titulaire d’un master en négociations et relations sociales à Paris Dauphine et auditrice du cycle des Hautes études pour le développement économique CHEDE (IGPDE), Véronique Revillod, qui a commencé son engagement syndical en 2005 comme déléguée CFDT chez Manpower, était depuis 2019 secrétaire générale adjointe de cette fédération, où elle a notamment suivi le dossier des travailleurs essentiels et les questions de rémunération et pouvoir d’achat. 

Source : actuel CSE

La CGT présente son bureau confédéral élargi à de nouvelles unions départementales

20/06/2023

La direction de la CGT a présenté, hier à Montreuil, son nouveau bureau confédéral. Les caractéristiques de cette nouvelle équipe ? Un élargissement aux unions départementales (UD), et deux personnes en charge des élus et mandatés de CSE.

Un premier bureau confédéral avait été présenté au congrès de Clermont-Ferrand fin mars 2023, à l’issue de l’élection de Sophie Binet au secrétariat général de la CGT. L’ouverture à 4 nouveaux membres a pour but de “l’élargir aux territoires”. Le bureau confédéral compte donc désormais 14 membres.

4 nouveau membres au bureau confédéral

Font leur entrée au bureau confédéral :

David Gistau : ancien salarié de la fonderie SAM, issu de l’UD de l’Aveyron, chargé de l’organisation et la structuration (adhésions, adhérents isolés, culture d’organisation) ;

Denis Gravouil : technicien du privé, UD de Seine-Saint-Denis et secrétaire général de la fédération nationale des syndicats du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle, chargé de la protection sociale et professionnelle (chômage, retraites, emploi, prévoyance, travailleurs migrants, sécurité sociale) ;

Myriam Lebkiri : agence de maîtrise du public, UD du Val-d’Oise, chargée de l’activité femmes mixité (égalité au travail et dans la vie, violences sexistes et sexuelles, mixité dans la CGT) ;

Sandrine Mourey : technicienne du public, UD Côte-d’Or, en charge de la négociation collective et de la démocratie sociale (salaires, garanties collectives, temps de travail, élus et mandatés CSE).

Pour mémoire, les autres membres du bureau sont Laurent Brun (administrateur de la CGT, en charge de l’éducation, des sports et de la culture), Nathalie Bazire (aménagement du territoire, enjeux sociaux, environnementaux et économiques, politiques publiques), Catherine Giraud (renforcement, déploiement, élections professionnelles), Sébastien Menesplier (environnement et transformation de l’appareil productif), Boris Plazzi (international et paix), Gérard Ré (dispositifs référents et aide aux organisations), Mireille Stivala (travail et santé), Thomas Vacheron (communication), Céline Verzeletti (discrimination et égalité des droits).

Selon Sophie Binet, les membres du bureau se caractérisent par “une forte expérience de dirigeants d’organisation, une expérience de conduite de la lutte et de négociations importantes”. Pour la nouvelle secrétaire générale, “ce bureau est donc expérimenté pour conduire la CGT”.

Deux membres du bureau pour les élus de CSE

Si Sandrine Mourey est la principale membre du bureau en charge des élus de CSE, elle partage cependant ce sujet avec Thomas Vacheron. C’est ce dernier qui participe par ailleurs au groupe de travail intersyndical sur les ordonnances Macron, dont les thèmes de réflexion résultent du communiqué de presse intersyndical du 30 mai dernier. Ce groupe a déjà commencé ses travaux mais la date à laquelle il rendra ses conclusions publiques est encore inconnue.

Un plan de travail autour de 3 points

Selon Sophie Binet, un plan de travail a été validé autour de 3 grands chantiers. Il s’agira tout d’abord de poursuivre des actions contrer la réforme des retraites, notamment en attaquant ses décrets d’application. Elle se projette également dans le référendum d’initiative partagée (RIP) qui pourra avoir lieu dans moins d’un an.

Le comité confédéral national des 14 et 15 juin a également validé une grande campagne de protection de la naissance à la mort, incluant la retraite à 60 ans, la prise en charge de la petite enfance et des personnes âgées dépendantes, mais aussi des accidents de la vie.

Il sera également question pour ce bureau de “faire fructifier le rapport de force” en travaillant à l’accueil des 30 à 40 000 nouveaux syndiqués et d’améliorer l’implantation de la CGT en entreprises dans un contexte d’élections professionnelles. A cette fin, un plan de déploiement doit être mis au point dès cet été. Enfin, le bureau compte “gagner des avancées sur les salaires”, un point partagé avec l’intersyndicale qui œuvre depuis le mois de janvier sur les retraites.

Outre ces 3 axes majeurs, la CGT continuera son action sur la santé et les conditions de travail, les droits des saisonniers, le droit aux vacances. Figurent toujours au menu la question de la conditionnalité des aides publiques, la réduction du temps de travail à 32 heures sur 4 jours et l’égalité hommes femmes sur laquelle Sophie Binet réclame un point tripartite avec le gouvernement et le patronat.

Marie-Aude Grimont

Après FO, la CGT, FSU et Solidaires attaquent le décret sur l’abandon de poste

20/06/2023

Après FO, qui avait annoncé la couleur dès le 3 mai, les syndicats CGT, FSU et Solidaires ont indiqué hier qu’ils attaquaient devant le Conseil d’Etat le décret assimilant l’abandon de poste à une démission, un changement qui prive de droit aux indemnités chômage les salariés concernés. “Le gouvernement ne prend décidément pas la mesure de la souffrance au travail des salariés et préfère les contraindre soit à rester en poste plutôt que de faire pression sur le patronat, directement responsable des conditions de travail dégradées et notamment de fait, des abandons de poste, soit à les priver d’assurance chômage”, estiment les trois syndicats dans un communiqué commun où ils redoutent une “multiplication des contentieux devant les juridictions prud’homales”.

Très contestée par les organisations syndicales, cette mesure prise par décret s’accompagnait d’un questions-réponses du ministère du travail demandant aux entreprises de ne plus licencier les salariés en abandon de poste mais de les considérer comme démissionnaires. Un conseil jugé dangereux par les avocats d’entreprise. Ce questions-réponses a depuis été récemment retiré du site ministériel.

Selon une récente étude de l’Unedic, la moitié des abandons de postes serait réalisée avec l’accord de l’employeur.

Source : actuel CSE

Les propositions de la CPME pour limiter les arrêts de travail

20/06/2023

Alors que le gouvernement entend limiter le nombre d’arrêts de travail (lire notre brève dans l’édition du jour), la CMPE a formulé hier ses propositions en ce sens. 

La confédération patronale des PME propose ainsi de : 

imposer un nombre de jours de carence identique entre les salariés du privé et du public ; 

rendre ces jours de carence d’ordre public en interdisant toute dérogation conventionnelle ; 

exclure des jours de carence les arrêts pour cause d’acte chirurgical ou dans le cadre des affections de longue durée (ALD) ;

autoriser l’employeur à mettre en place un dispositif d’intéressement basé sur l’assiduité ; 

lancer une campagne d’information sur les risques encourus en cas de faux arrêts de travail ;

donner la possibilité à l’employeur de connaître la cause de l’arrêt maladie, à charge pour lui de prendre ensuite les mesures de prévention qui s’imposent en cas de cause récurrente ; 

systématiser les contrôle de la sécurité sociale en cas d’arrêt maladie de plus d’un mois ;

permettre l’appel à des médecins experts indépendants pour évaluer la validité des arrêts de travail, détecter les faux arrêts maladie ou les arrêts maladie de complaisance.

Source : actuel CSE

Geoffroy Roux de Bézieux dresse le bilan de son mandat marqué par les crises

21/06/2023

Alors que Geoffroy Roux de Bézieux quitte la présidence du Medef en juillet, il a dressé le bilan de son mandat, hier, lors d’une conférence de presse. Le patron des patrons s’est félicité de la reprise du dialogue social et s’est dit attaché à la construction d’un nouvel agenda autonome d’ici à l’été pour arrêter les futures négociations entre les partenaires sociaux.

Un mandat marqué par les crises. Elu en 2018, Geoffroy Roux de Bézieux, qui quitte la présidence de l’organisation patronale le 6 juillet prochain, a dû affronter de multiples crises, des Gilets Jaunes, en 2018 à la guerre en Ukraine en 2022, en passant par la crise sanitaire et la réforme des retraites. “Il est difficile de faire mieux”, a-t-il souligné, en rappelant que le Medef a été en première ligne sur de nombreux sujets, notamment durant le Covid, où il a enchaîné les réunions, avec Bruno le Maire, le ministre de l’économie, pour mettre en place les dispositifs de soutien aux entreprises.

Mais “GDR” a surtout mis en avant la féminisation de l’organisation syndicale avec 31 % de femmes au sein du comité exécutif où elles exercent 41 % des mandats. Il s’est également réjouit du rééquilibrage interne de l’organisation, avec plus de pouvoir confiée aux régions, leurs représentants siégeant désormais à la commission exécutive.

Construction d’un agenda social autonome

Surtout, il s’est félicité de “la reprise d’un dialogue régulier avec les syndicat”, avec des rencontres “entre numéros un [patronaux et syndicaux] qui n’existaient plus” quand il est arrivé à la tête du Medef. Des réunions qui constituent “l’une des plus grandes réussites de mon mandat”.

Dès son arrivée, il s’est attelé à la construction d’un agenda social autonome. Avec à son actif, la signature de plusieurs accords nationaux interprofessionnels (ANI) dont celui du partage de la valeur qualifié “d’historique par son contenu et le moment où il a été signé”, en plein conflit sur la réforme des retraites. Il finalise avant son départ une nouvelle feuille de route pour arrêter les thématiques communes. Une première réunion a eu lieu le 5 juin avec les organisations patronales et syndicales et une prochaine est programmée d’ici à la fin du mois.

Une négociation sur l’emploi des seniors

A ce stade, tout n’est pas encore calé. Les partenaires sociaux ont, toutefois, convenu d’une négociation sur l’emploi des seniors “assez large” qui n’aborderait pas uniquement l’Index ou le CDI seniors mais les problématiques de recrutement et de maintien dans l’emploi des seniors, avec une déclinaison au niveau des branches professionnelles.

D’autres sujets comme la valorisation des parcours syndicaux devraient figurer au menu des discussions. “Avec la limitation des mandats, il y a un sujet de reconversion des délégués syndicaux après leur passage au CSE”, a-t-il expliqué. De même, l’assurance chômage devrait figurer dans l’agenda social, à la fois les règles d’indemnisation, fixées temporairement par la loi jusqu’au 31 décembre 2023 et la question de la gouvernance.

Reste toutefois des points de blocage, à l’instar des sujets sur d’éventuelles “négociations nationales sur les salaires” ou encore de la révision des ordonnances de 2017 ; deux thématiques qui constituent une ligne rouge pour le patronat.

De même, Geoffroy Roux de Bézieux a fermé la porte à une discussion sur la conditionnalité des aides publiques, également réclamée par les organisations syndicales qui souhaitent remettre à plat l’ensemble des exonérations fiscales et sociales accordées aux entreprises.

Seule quasi-certitude : l’agenda social devrait toutefois être divisé en deux blocs, un bloc dialogue social qui traitera des sujets qui ne nécessitent pas de lettre de cadrage et un bloc L.1 (en référence à l’article L.1 du code du travail qui prévoit une concertation des partenaires sociaux avant toute réforme du gouvernement portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle).

“Une place pour la démocratie sociale”

Pas question, en effet, de laisser la main au gouvernement : après des rencontres bilatérales avec l’exécutif à la mi-mai, “il y a une volonté partagée entre organisations syndicales et patronales de se saisir de l’opportunité qui nous est donnée de négocier de manière autonome”.

“La réforme des retraites a rebattu les cartes du dialogue social. On a beaucoup reproché au gouvernement de dédaigner, de court-circuiter les partenaires sociaux. On a une chance de retrouver une place pour la démocratie sociale. Ce qui implique aussi un espace de responsabilités parce que si on n’arrive à se mettre d’accord sur les sujets qu’il nous confie, évidemment, le retour de bâton sera fort”, prévient-il. Autrement dit, “ce sera un échec des partenaires sociaux et le gouvernement serait légitime alors à prendre la main”.

Défense du paritarisme de gestion

Le mandat de Geoffroy Roux de Bézieux a également été marqué par la défense du paritarisme de gestion. Une proposition de campagne. En 2018, le candidat revendiquait, en effet, la “transformation du paritarisme” pour “obtenir une véritable autonomie de décision et de gestion”. Il s’était d’ailleurs engagé à n’accepter la responsabilité gestionnaire d’instances paritaires que si le Medef a la responsabilité pleine et entière de la gestion, sans interférence de l’Etat.

S’il s’est targué s’avoir réussi à donner une gestion paritaire renforcée à la branche AT/MP, à travers l’ANI de mai dernier, il n’a toutefois pas obtenu gain de cause sur l’assurance chômage, repris en main par l’Etat. Malgré cette ingérence, le Medef se dit légitime à rester dans la gouvernance, le financement du système provenant en partie des “cotisations des entreprises”.

De plus, des menaces subsistent, prévient Geoffroy Roux de Bézieux, en référence à la gouvernance de France Travail qui devrait réunir, outre l’Etat et les partenaires sociaux, des représentants des collectivités à chacun des niveaux territoriaux (bassin d’emploi, département, région).

Le 6 juillet, le Medef élira son onzième président, Dominique Carlac’h ou Patrick Martin. Le ou la future numéro un sera alors confronté à des nouveaux interlocuteurs à la tête des principales organisations syndicales, Sophie Binet, à la CGT et Marylise Léon, à la CFDT.

Arrêts de travail : le Medef opposé à l’augmentation des jours de carence
Alors que le gouvernement a annoncé, lundi, vouloir lutter contre les arrêts maladie, le Medef s’est dit opposé à l’augmentation des jours de carence en cas d’arrêt maladie. “Dans beaucoup d’entreprises et de conventions collectives les jours de carence”, au nombre de trois dans le secteur privé, “sont pris en charge” par l’employeur, a indiqué Geoffroy Roux de Bézieux. Le Medef doit “réfléchir aux pratiques managériales”, et aux “raisons pour lesquelles dans certains cas ce sentiment de mal-être augmente”. Il s’est déclaré en faveur d’une “mesure d’ordre public” qui prendrait la forme d’un “jour de carence qui ne pourrait être remboursé par personne”.

Anne Bariet

Marylise Léon est élue secrétaire générale de la CFDT

22/06/2023

Marylise Léon a été élue hier secrétaire générale de la CFDT à l’unanimité, devant 2 700 militants réunis au Zénith de Paris. Le relais de Laurent Berger est donc passé dans les meilleures conditions possibles pour la confédération. La fidélisation des militants et l’obtention d’avancées pour les travailleurs vont faire partie de ses travaux à venir. Retour sur une journée particulière.

“Quelle fierté de m’exprimer aujourd’hui devant vous !” C’est ainsi que Marylise Léon a débuté son premier discours de secrétaire générale de la CFDT, sous le regard bienveillant de Nicole Notat (*) et face aux 2 700 militants venus aussi remercier Laurent Berger pour ses 11 années de service. Un peu plus de deux mandats, comme il l’avait annoncé au congrès de Lyon en juillet 2022. Des mandats marqués bien sûr par la réforme des retraites mais aussi par la conquête de la première place parmi les organisations syndicales françaises, comme il l’a rappelé dans son discours.

Premier syndicat français : la « prolongation du travail des militants avant nous »

Très applaudi, Laurent Berger a débuté son discours devant une salle comble. C’est “une CFDT en forme” qu’il transmet à Marylise Léon. Laurent Berger est revenu sur la période de mobilisation contre la réforme des retraites : “Depuis 2010, la CFDT affirme vouloir mettre en place un système universel et porter des propositions. (…) Le Président de la République les a balayées d’un revers de main. (…) La CFDT a assumé son leadership syndical. Nous avons su mener l’intersyndicale sans faux pas, sans tomber dans la caricature et en résistant aux attaques de tous bords”.

Côté dialogue social, le futur ex-secrétaire général est revenu sur les derniers accords nationaux interprofessionnels (ANI) relatifs au partage de la valeur, à la transition écologique et aux accidents du travail et maladies professionnels, soulignant également que 20 ANI ont été signés par les partenaires sociaux depuis 2012.

Enfin, Laurent Berger a félicité les militants d’avoir conquis la place de première organisation syndicale française, en 2017. Une victoire qu’il ne s’attribue pas personnellement mais qu’il met en perspective : “En prolongeant le travail des générations de militants avant nous, nous sommes devenus la première organisation syndicale française”. Un succès qu’il attribue également au fait de n’avoir “jamais dérogé à nos valeurs fondamentales”, et à la capacité de la CFDT à se tenir “à hauteur de femmes et d’hommes” tout en menant “un travail de débats qui nous permettent de penser la transformation sociale au sens large”.

Marylise Léon élue secrétaire générale à l’unanimité

Peu avant 13h30, Marylise Léon est venue en personne annoncer son élection à la presse, elle qui était jusqu’à présent secrétaire générale adjointe (**). “Une bonne nouvelle et une étape de franchie, c’était l’un des objectifs de cette journée : faire ce passage de témoin entre Laurent et moi”. Elle est cependant bien consciente de la difficulté de prendre la suite : “C’est toujours compliqué de passer après un secrétaire général qui a onze ans de mandats, qui est charismatique et a su emmener la maison CFDT sur de bons rails. C’est bon aussi de se rappeler comment il a débuté pour être indulgent avec une nouvelle secrétaire générale qui arrive !”

Marylise Léon est revenue ensuite sur l’enquête Kantar réalisée pour la CFDT et rendue publique le matin même, qui indique que 59 % des Français font confiance aux syndicats pour défendre leurs intérêts de façon globale en France (71 % chez les moins de 35 ans). Ce taux est de 56 % pour la défense des intérêts en entreprise. 63 % des sondés lui font confiance pour défendre les acquis sociaux, 61 % pour faire avancer le dialogue social, 55 % pour conquérir de nouveaux droits.

L’enjeu de la fidélisation

En bénéficiant des effets de la mobilisation contre la réforme des retraites, Marylise Léon démarre donc son mandat sur une rampe de lancement. Il lui reste à transformer l’essai, fidéliser les militants, accueillir les 46 000 nouveaux adhérents. Un défi important, car “il reste beaucoup d’inquiétude et de colère, à nous de trouver des issues positives”.

L’étude Kantar montre en effet que l’inquiétude domine chez les salariés sondés (53 %), avec la lassitude (40 %) et la colère (34 %). La responsabilité de Marylise Léon dans cet enjeu de transformation sera grande, tant sur la structuration de l’organisation que les pratiques syndicales. 41 % des sondés attendent des actions en faveur des conditions de travail, 37 % en faveur du pouvoir d’achat des travailleurs.

“Il va falloir faire en sorte que les nouveaux restent à la CFDT et qu’ils s’y trouvent bien”, a indiqué la nouvelle secrétaire générale. Ensuite, Marylise Léon compte s’appuyer sur les nouveaux droits conquis via les actions syndicales et discussions relatives à la pénibilité, à l’usure professionnelle et aux conditions de travail. “C’est ce qu’attendent les nouveaux syndiqués : des avancées concrètes”, a-t-elle conclu.

(*) Secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002

(*) Titulaire d’un DESS chimie, Marylise Léon a travaillé dans plusieurs entreprises comme responsable hygiène sécurité avant d’entrer à la CFDT en 2003 comme salariée de la fédération chimie. Elle a alors formé de nombreux délégués syndicaux avant de rejoindre, en 2014, la commission exécutive de la confédération, et de devenir la n°2 en 2018, menant pour son syndicat plusieurs négociations dont celles sur les institutions représentatives du personnel en 2015 et plus tard l’assurance chômage.

La CFDT conservera-t-elle ses 46 000 nouveaux adhérents ?
  Yvan Ricordeau, nouveau secrétaire général adjoint, pilote le chantier “évolution interne” depuis le congrès de Lyon en juillet 2022. “Aucune instance confédérale ne se passe plus sans aborder ces sujets”, a-t-il indiqué. De plus, la confédération a proposé à tous les syndicats de faire une rencontre sur ces enjeux. Le thème est également évoqué en commission exécutive confédérale mais aussi en bureau national dont plusieurs membres travaillent sur ce thème. Lydie Nicol, secrétaire nationale chargée du développement, a précisé que la CFDT compte 612 205 adhérents à la fin 2022. Le meilleur moyen selon elle de retenir les nouveaux ? Pratiquer un syndicalisme de proximité : “Il faut être à l’écoute, aller au contact, leur faire de la place, accepter d’être  bousculé. Il va falloir qu’on coopère mieux, qu’on mutualise encore plus, qu’on fasse vivre le fédéralisme”.

Marie-Aude Grimont

L’Ugict-CGT veut une semaine de 4 jours, mais avec des garanties…

22/06/2023

Après la bataille des retraites, l’Ugict-CGT lance une campagne visant une nouvelle réduction du temps de travail, via 32 heures et 4 jours de travail par semaine. Attention toutefois à l’écueil de la modération salariale et de l’intensification du travail, ont prévenu plusieurs intervenants lors d’une journée de débats organisée hier à Paris.

Les tables-rondes sur la réduction du temps de travail (RTT), organisées par l’Ugict-CGT et son trimestriel Options, le mercredi 21 juin au musée social de Paris, ont réactivé les débats d’il y a 25 ans, au moment de l’adoption de la première loi Aubry faisant des 35 heures la référence légale pour la durée de travail hebdomadaire (*).

Chat échaudé craint l’eau froide, pourrait-on résumer. Constatant que les 35 heures n’ont pas toujours entraîné une véritable baisse de la charge de travail du fait d’un nombre insuffisant de créations d’emplois, le syndicat des techniciens et cadres de la CGT revendique en effet une nouvelle réduction du temps de travail mais à condition qu’elle soit accompagnée de garanties, tant en termes d’embauches que de temps gagné. 

Le spectre du forfait-jours

L’Ugict-CGT, dont Sophie Binet était la secrétaire générale jusqu’à son élection fin mars à la tête de la CGT, a en effet mal digéré la création du forfait-jours, “une trahison” pour l’inspectrice du travail Agathe Le Berder, élue Ugict-CGT.

“Les 35 heures, c’était positif. Mais le forfait-jours, qui concernait à l’origine le top management, touche maintenant la moitié des cadres. Cela autorise des débordements horaires non contrôlés chez les techniciens et cadres. On ne paie plus les heures supplémentaires puisqu’on ne les compte même plus”, s’agace Thomas Deregnaucourt. Et ce directeur adjoint dans la fonction publique hospitalière, membre de la direction de l’Ugict, de relier ce constat au management par objectif : “Peu importe les moyens et le temps que tu y passes, on te donne un objectif, c’est ton problème !”

200 heures de travail de plus par an pour les cadres au forfait-jours 

De fait, si 90% des cadres aiment leur travail, comme le rappelle Gaël Bourdon de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), 20% se situent au-delà de 50 heures de travail hebdomadaire et 45% des cadres -ceux qui exercent une fonction managériale- se disent épuisés. “Or ce sont eux qui sont censés assurer un travail supportable pour leurs équipes”, s’inquiète le responsable adjoint du pôle études de l’Apec, selon lequel 6 cadres sur 10 font parfois passer leur vie personnelle derrière leur vie professionnelle, y compris lorsqu’il s’agit de prendre des rendez-vous médicaux.

Pas étonnant aux yeux d’Agathe Le Berder : les cadres au forfait travaillent en moyenne 200 heures de plus par an que les cadres au régime horaire, et ces 200 heures représenteraient, si on les convertissait en emplois, “300 000 postes de cadres, soit le niveau du chômage actuel des cadres”.

Coincés dans le moment présent

Tout se passe comme si nous étions “coincés dans le moment présent”, comme si nous avions du mal à nous projeter dans l’avenir, car il nous faut réaliser de la performance à court terme dans un travail de plus en plus individualisé : si je n’y arrive pas, c’est de ma faute, c’est une affaire personnelle. Cette intensification toujours plus forte du travail, l’ergonome Corinne Gaudart, directrice de recherches au CNRS (**), la désigne sous un nom : c’est le modèle du “travail à la hâte”.

Les autres temps importants du travail, comme celui de la transmission, sont mangés 

Présenté comme non négociable, sans alternative, ce modèle nous assigne un temps consigné pour réaliser nos objectifs, et notamment pour reporter des indicateurs assez éloignés de nos tâches quotidiennes. “Dans ce modèle, les autres temps qui comptent, comme celui de la transmission, sont mangés, d’où la difficulté à former, à fidéliser et donc aussi à recruter. D’où l’absence de créativité car les marges de manoeuvre pour faire à sa façon font défaut”, analyse l’ergonome.

Pour obtenir une réduction du travail qui n’entraîne pas un nouveau regain d’intensification au travail, l’Ugict-CGT entend “remporter la bataille idéologique sur le temps libre”, selon les mots de Thomas Deregnaucourt. Une bataille des idées ? Oui, dans la mesure, observe la philosophe Céline Marty, “où on a souvent décrédibilisé toute appropriation du temps libre par les classes populaires”, “car le temps libre, c’est un temps où vous n’avez de comptes à rendre à personne”.

Les femmes pionnières du désir de réduire le nombre de jours travaillés

Les idées sur le travail et le temps ont d’ailleurs déjà évolué. Au XIXe et au début du XXe siècles, remarque Maryse Dumas, ancienne dirigeante syndicale de la CGT désormais membre de l’Institut d’histoire sociale de la confédération, le travail féminin a longtemps été contesté. Y compris à la CGT, car il représentait une menace de mise en cause du patriarcat.

De même, ce sont d’abord les femmes qui ont exprimé le souhait d’une réduction du travail s’effectuant en jours et non en durée horaire journalière, les hommes étant par ailleurs davantage portés sur les questions salariales. “Aujourd’hui, les femmes cadres travaillent 1 732 heures par an, soit 8,4 heures par jour, soit 4% de moins que les hommes, soit 207 jours de travail, soit 10 jours de moins que les hommes”, relève d’ailleurs Maryse Dumas. 

Reste à trouver la martingale pour “produire un temps dans lequel on se retrouve afin que les différents temps sociaux s’épaulent au lieu de se concurrencer”, comme le souhaite Corinne Daudart. Pierre Ferracci, le patron du groupe Alpha, met pour sa part en garde contre “les illusions qu’une baisse du temps de travail pourraît entraîner” via une modération salariale et surtout une intensification supplémentaire du travail et donc une nouvelle dégradation des conditions de travail.

Cet écueil, déjà identifié lors du récent congrès de l’UNSA, fait dire à plusieurs militants qu’il faut non seulement une loi protectrice et affichant les 32 heures hebdomadaires, mais aussi des créations d’emploi. 

Encadrer à nouveau le temps de travail des cadres

L’inspectrice du travail Agathe Le Berder veut “réencadrer” le temps de travail des techniciens et cadres “avec un décompte et un respect des durées maximales du travail journalier (10 heures) et hebdomadaire (48 heures)”. Là où la CFDT réclame une forme d’association dans l’organisation du travail, l’élue de l’Ugict-CGT revendique pour les cadres un droit de refuser certaines tâches, “un droit d’alerte qui protégerait du licenciement”, afin de permettre aux cadres “de retrouver des marges de manœuvre sur leur travail”. 

 La RTT, un principe de prudence avec le réchauffement climatique !

“La RTT, c’est un sujet cardinal autour duquel s’articulent tous les autres sujets : les conditions de travail, la charge de travail, l’emploi’, résume Maryse Dumas.

On pourrait y ajouter le thème de l’écologie avec les conséquences du réchauffement climatique. “Avec cette crise climatique, nous ignorons quelles seront nos conditions de travail dans 20 ans. Désintensifier la charge du travail, c’est donc une priorité pour que nos corps tiennnent, c’est un principe de prudence, de précaution”, estime Céline Marty.

Se former en vue des négociations d’entreprise

Pour l’Ugict, l’enjeu d’une nouvelle phase de RTT passe donc, on l’a vu, par la loi, mais aussi par des négociations d’entreprise débouchant sur des accords novateurs pour les salariés. Or les exemples d’accords sur le temps de travail cités par des militants présents hier, qu’il s’agisse de France Télévisions (“Un journaliste, ça ne compte pas ses heures”, a ironisé l’ancien secrétaire du CSE de l’entreprise publique très critique sur le forfait-jours) ou d’Accenture avec sa semaine de travail “à la carte”, se sont avérés décevants selon l’Ugict-CGT.

“Chez Accenture, nous avons des durées quotidiennes de 10 heures de travail. Si c’est ça à la vision patronale de la semaine de 4 jours…”, persifle Sylvain Memet. Et cet élu de la CGT Accenture de mettre en garde contre une “appropriation par le patronat d’un sujet d’innovation sociale” qui permettrait à l’entreprise “de ne rien changer au fond sur le temps de travail”.

Le piège, c’est la division du salariat, rebondit Agathe Le Berder, “car trop souvent les cadres sont exclus des accords sur la semaine de 4 jours”. Aux yeux de l’inspectrice du travail, “l’enjeu est de créer du collectif dans un univers où tout est individualisé, à l’image du contrat de forfait-jour”. Mais, promet la syndicaliste, “nous allons former nos militants pour négocier”…

(*) La première loi Aubry a été adoptée le 13 juin 1998, la deuxième, le 19 janvier 2000, a créé les forfaits-jours. 

(**) Et co-directrice du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise) au Cnam

Un jour de repos en plus, mais 4 fois 9 heures de travail par semaine ?
Le sénateur du Nord Jean-Pierre Deccol, invité par l’Ugict, a présenté sa proposition de loi de réduction du temps de travail aux militants de la CGT. C’est d’abord “une proposition de témoignage”, a-t-il précisé, en indiquant l’avoir envoyée à l’Elysée. Le sénateur, qui dit n’être pas un spécialiste des affaires sociales, défend une semaine de 4 jours…de 36 heures, soit 4 jours de 9 heures de travail quotidien, avec une pause quotidienne de 20 minutes. “La journée libérée permettra d’éviter des déplacements coûteux”, souligne le parlementaire, qui a envoyé son texte à l’Elysée.  L’accueil a été plutôt frais chez certains militants, comme l’ancienne secrétaire générale de l’Ugict, Marie-José Kotlicki : “4 jours de 9 heures de travail ? Mais vous allez encore intensifier davantage le travail, déjà que la France est la championne des cas de burn out”. 

Bernard Domergue