Crise sanitaire : les élus de CSE anticipent une crispation du dialogue social

22/03/2021

Déterminés mais inquiets, tel est l’état d’esprit des élus après un an de crise sanitaire et de pratique du CSE. Si l’arrivée du Covid a ouvert une parenthèse qualitative, ils anticipent une crispation du dialogue social, et ressentent les directions tendues. Décryptage des résultats de la dernière enquête Syndex, réalisée avec l’Ifop.

62 % des représentants du personnel se disent fatigués, 53 % sont inquiets, mais ils restent déterminés pour affronter les difficultés à venir. C’est l’enseignement de l’enquête très fournie (87 pages en pièce jointe) réalisée par le cabinet d’experts Syndex, avec l’institut de sondage Ifop. Dix entretiens d’une heure ont été menés par les sondeurs auprès d’élus de CSE, ainsi que dix autres avec des représentants de directions. Une nouveauté cette année pour cette étude annuelle, l’appel à l’opinion des salariés qui ont été questionnés sur leur connaissance du CSE. Mais les résultats les plus intéressants présentés par Syndex lors d’une visioconférence jeudi 18 mars, concernent l’appréhension par les élus de la qualité du dialogue social, pendant et après la crise sanitaire du Covid-19. L’enquête révèle aussi un bilan du passage  au CSE un an après qu’il soit devenu obligatoire (janvier 2020), et après 3 ans de pratique pour les entreprises qui ont été les plus rapides à le mettre en place. Revue de détail.

Les élus anticipent un dialogue social tendu autour de l’emploi

Une majorité des élus de CSE interrogés ont donné une mauvaise note à la qualité du dialogue social dans leur entreprise : ils sont 56 % à la noter de 0 à 5. Autre point saillant du sondage, 55 % des élus pensent que le passage au CSE va continuer de détériorer le dialogue social. Pourtant, d’après leurs réponses, si la crise sanitaire n’as pas été une promenade de santé, elle semble avoir constitué une parenthèse qualitative pour le dialogue social : 65 % des représentants du personnel ont jugé que le positionnement de la direction de l’entreprise avait été bon vis-à-vis du CSE pendant la crise.

L’épidémie a également permis que de nouveaux sujets soient traités par le CSE (pour 56 % des répondants), de réinventer certaines modalités de fonctionnement du CSE (55 %) et d’échange avec les salariés (55 %). Pour 52 % d’entre eux, “la direction fonctionne en bonne entente avec le CSE”. Certes, cela laisse 48 % de mécontents, mais il est également possible que ce coin de ciel bleu dans la tête des élus soit également lié à leur sérénité sur le plan de la situation économique immédiate de l’entreprise, que 75 % d’entre eux jugent bonne. Cette opinion ne concerne cependant que la période actuelle, soulagée par l’activité partielle, les prêts garantis par l’Etat et autres aides. L’inquiétude des élus s’avère plus aigüe lorsqu’on les interroge sur l’avenir. Ils estiment aussi à 79 % que les directions sont les grandes gagnantes du passage au CSE, au détriment des salariés, désignés comme perdants pour 57 % des élus interrogés.

Un bilan plutôt négatif donc, qui laisse augurer d’une crispation lors des futures réunions. 57 % des élus estiment que leur direction est tendue, un chiffre en large hausse par rapport aux millésimes  précédents de l’étude (31 % en 2018 et 36 % en 2019). Parmi les craintes les plus tenaces, on trouve celle d’un affaiblissement des représentants du personnel face à la direction (40 % des réponses), suivie par celle d’un accroissement de l’investissement en temps nécessaire pour exercer leur mandat (35 %) et d’une moindre prise en compte des enjeux de santé au travail (34 %). Selon Olivier Laviolette, directeur de Syndex, “cela est peut-être dû à une anticipation des décisions à venir en matière d’emploi, on sent une crispation en cours dans ces résultats”. Quand on les interroge sur les perspectives de dialogue social à l’avenir, 65 % des élus citent les conditions de travail comme sujet prioritaire, devant la situation économique. Pour Catherine Jordery-Allemand, membre du comité de direction de Syndex : « Comme les années précédentes, les conditions de travail arrivent en tête des sujets jugés prioritaires. Cette tendance a sans doute été confortée par la crise sanitaire. Cela se retrouve dans les attentes de formation”. 

Les élus en quête de formation et de temps

Interrogés sur les principaux changements qui ont découlé du passage au CSE, 51 % des élus répondent qu’ils disposent de moins d’heures de délégation. Le pourcentage d’insatisfaits grimpe à 69 % dans les entreprises de moins de 50 salariés. En parallèle, la moitié d’entre eux pensent que le temps passé à exercer leurs missions d’élus va augmenter, et, fait inquiétant, 11 % disent qu’ils ne seront plus élus au sein de la nouvelle instance. Cesario Gonzales, délégué syndical CGT témoigne :  “Des salariés se disent prêts à venir au CSE sans comprendre la fusion des trois instances. Souvent ils viennent par affinité avec des réclamations individuelles ou stratégiques. Mais une fois élus, ils manquent d’intérêt pour les sujets d’hygiène et sécurité, jugés trop techniques. Nous subissons donc une déperdition, et le poids du CSE repose finalement sur les épaules de très peu de gens”.

Concrètement, les élus soulignent que l’allongement et l’espacement des réunions constituent les inconvénients majeurs du passage au CSE. Ils indiquent peiner à couvrir tous les sujets et avoir tendance à “perdre le fil” entre deux réunions. L’absence de suppléants aux réunions (lorsque leur présence n’a pas été négociée en interne avec la direction) complique selon eux la transmission d’informations et démobilise les suppléants. Les élus font aussi remonter dans l’enquête une crainte de baisse d’expertise, en particulier en raison de la disparition du CHSCT et parce que ces sujets ont du mal à s’imposer dans les ordres du jour. Enfin, une fois de plus, cette crainte est liée à la baisse des heures de délégation, les élus disposant de moins de temps pour préparer les sujets.

Un autre effet structurel lié au passage au CSE consiste selon les élus dans une perte du lien de proximité : l’enquête Syndex relève que la moitié des entreprises multisites en sont dépourvues. Et le lien avec les salariés tend à se distendre à cause de la dématérialisation des relations sociales depuis la crise sanitaire. Les élus vont donc devoir trouver de nouvelles modalités d’approche des salariés.

Les salariés ont une bonne image de leur CSE mais le connaissent mal
Bonne nouvelle : une majorité de salariés déclare avoir voté aux dernières élections de leurs représentants (61 %). En revanche, ils sont 89 % à répondre que le CSE est obligatoire à compter de 50 salariés (11 salariés étant la bonne réponse). Un chiffre qui montre que la connaissance du CSE n’est pas encore totalement acquise. Par ailleurs, ils sont 45 % à se sentir mal informés sur l’activité et le fonctionnement de leur CSE. Ce dernier dispose toutefois d’une bonne image pour 66 % des salariés interrogés. Enfin, une  majorité d’entre eux (59 %) estime que la création du CSE permet d’innover dans le dialogue social, 50 % pensent que la fusion des instances en une seule présente un risque de perte d’espaces de discussions et 50 % un risque de perte du dialogue social.

Marie-Aude Grimont