Un projet de loi prévoit de prolonger les réunions à distance du CSE et d’imposer 8 jours de congés à l’initiative de l’employeur
16/04/2021
Un projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise prolonge jusqu’au 31 octobre 2021 certaines mesures d’urgence figurant dans l’ordonnance du 16 décembre 2020 comme celles sur les réunions à distance du CSE. Le texte permettra également à un employeur de choisir 8 jours de congés ou de jours de repos, dans l’agenda du salarié, contre 6 actuellement.
Il n’est pas encore présenté en Conseil des ministres mais il cristallise déjà de nombreux mécontentements : le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dont deux articles ont été soumis à la consultation de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP), le 14 avril, prévoit, une nouvelle fois, des dérogations au code du travail, en habilitant le gouvernement à procéder par ordonnances sur différents sujets sociaux. Concrètement, il modifie l’ordonnance du 16 décembre 2020, l’ordonnance du 25 mars 2020 et la loi du 17 juin 2020, en prorogeant certaines mesures dérogatoires jusqu’au 31 octobre 2021 alors que la dead-line était jusqu’ici fixée au 30 juin 2021. Sont ainsi visées les règles sur la consultation du CSE, la gestion des congés payés, le recours aux CDD et le prêt de main-d’œuvre.
Pour l’exécutif, il s’agit là d’un dispositif intermédiaire “permettant de répondre rapidement à une éventuelle reprise économique, tout en ouvrant la voie à un rétablissement des règles de droit commun”. L’exposé des motifs du texte l’atteste : “une vigilance particulière restera nécessaire dans les prochains mois compte tenu des taux d’incidence qui demeurent élevés et de la pression exercée par la crise sur le système hospitalier”.
Mécontentement des organisations syndicales
Mais pour les syndicats, le compte n’y est pas. “Les mesures d’exception n’ont pas vocation à perdurer, fulmine Jean-François Foucard, secrétaire confédéral CFE-CGC. L’exception ne peut pas devenir la norme. On peut trouver d’autres solutions alternatives”. “Si l’on considère que le travail peut reprendre dans des conditions normales, l’état d’urgence doit cesser. Nous étions déjà opposés aux dérogations l’an passé”, renchérit Nathalie Verdeil, secrétaire confédérale de la CGT.
CSE : maintien des réunions à distance
Le texte reconduit tout d’abord “le dispositif d’organisation des réunions du comité social et économique (CSE) à distance qui permet le recours à la visioconférence, aux conférences téléphoniques et à la messagerie instantanée présentant l’intérêt d’assurer la continuité du fonctionnement de l’instance tout en respectant les gestes barrières, en évitant les déplacements en présentiel des membres convoqués”.
Congés payés : “permettre aux entreprises de s’organiser face à l’ampleur de la crise”
Le sujet le plus contesté concerne la prise des congés payés. L’article 6 du projet de loi prévoit, en effet, de proroger de 4 mois supplémentaires les dispositions selon lesquelles un employeur peut continuer à imposer à ses salariés, par accord d’entreprise ou à défaut par accord de branche, la prise de certains congés payés, de jours de repos ou de déplacer les congés posés. Mais le texte augmente également le plafond des jours imposés par l’employeur : ce ne serait plus 6 jours mais 8 jours que ce dernier pourrait momentanément choisir, sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc. L’objectif étant de “permettre aux entreprises de s’organiser face à l’ampleur et à la prolongation de la crise sanitaire”, selon l’exposé des motifs. Ce qui signifie, selon Nathalie Verdeil, “que les accords déjà conclus l’an passé ou cette année à ce sujet devront être renégociés”.
CDD : “fluidifier les successions de contrats”
Autre changement : le projet de loi prolonge jusqu’au 31 octobre 2021 les assouplissements prévus par l’article 41 de la loi du 17 juin 2020 pour le régime des CDD, à savoir la possibilité de fixer par un accord collectif d’entreprise le nombre maximal de renouvellements possibles pour un CDD ; les modalités de calcul du délai de carence entre deux contrats ou encore de prévoir les cas dans lesquels le délai de carence n’est pas applicable. Pour le gouvernement, “cette prolongation apporte aux entreprises un outil de négociation leur permettant, d’une part, d’allonger les relations individuelles de travail qui n’ont pu se dérouler dans les conditions initialement prévues et, d’autre part, de fluidifier les successions de contrats dès lors que les conditions de l’activité le justifient”.
Prêt de main-d’œuvre : “un dispositif particulièrement adapté à la situation économique”
S’agissant du prêt de main-d’œuvre, les règles, fixées par l’article 52 de la loi du 17 juin 2020, sont aussi reconduites de quatre mois supplémentaires. “Un tel dispositif, particulièrement adapté à la situation économique actuelle dès lors qu’une entreprise rencontrant une baisse temporaire de son activité peut prêter un de ses salariés à une entreprise en manque de main-d’œuvre, permet de préserver l’emploi et la rémunération du salarié et de s’adapter aux variations d’activité en évitant ou limitant les licenciements”, selon l’exposé des motifs. Autrement dit, jusqu’au 31 octobre 2021, l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice pourront donc ne signer qu’une seule convention de prêt de main-d’œuvre en vue de la mise à disposition de plusieurs salariés. Avant le 17 juin dernier, une convention ne pouvait être conclue que pour la mise à disposition d’un seul salarié.
Anne Bariet
Transitions collectives : un questions-réponses pour guider les entreprises
13/04/2021
Elisabeth Borne, ministre du travail
Le ministère du Travail a publié, le 8 avril, un “questions-réponses” sur les transitions collectives destinées à faciliter les reconversions professionnelles. Le texte précise notamment l’articulation de ce dispositif avec l’activité partielle, le plan de sauvegarde pour l’emploi ou encore les ruptures conventionnelles collectives.
La branche multiservices de Derichebourg et le groupe de maisons de retraite médicalisées Korian ont concrétisé, jeudi 8 avril, l’un des premiers accords de transitions collectives, destinés à favoriser la reconversion d’une trentaine de salariés de la propreté, majoritairement des femmes, vers le métier d’aide-soignant. A l’issue d’une formation de 14 mois, Korian s’engage à les embaucher en CDI pour un salaire de 1 906 euros bruts par mois. En cas d’échec, ils conserveront leur contrat actuel.
Le dispositif fera-t-il d’autres adeptes ? Pour passer à la vitesse supérieure, le ministère du travail a mis en ligne, le 8 avril, un questions-réponses à destination des entreprises, qui vient s’ajouter à l’instruction ministérielle, transmise aux Direccte (dénommées désormais Dreets) le 11 janvier 2021.
Un salarié en formation ne peut pas être placé en activité partielle
Le document revient notamment sur l’articulation entre “Transco” et les dispositifs d’activité partielle classique et de longue durée, le plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) ou encore les ruptures conventionnelles collectives (RCC). S’il indique, tout d’abord, qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les reconversions professionnelles et l’activité partielle, il précise que “le salarié qui bénéficie d’un projet de transition professionnelle dans le cadre d’un parcours de transitions collectives ne pourra pas, au cours de son parcours de formation, continuer à être placé en activité partielle de longue durée ou en activité partielle”.
Le salarié ne doit pas être visé par un PSE en cours
Par ailleurs, une entreprise engagée dans un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) ne peut pas solliciter l’association Transition pro (AT-Pro), chargée de valider le projet et de financer la formation, à travers le FNE-formation, en vue de faire bénéficier un ou plusieurs salariés d’un parcours de transitons collectives “si les emplois occupés font partie du périmètre de la réorganisation”.
Seuls les salariés qui ne se trouvent pas dans le champ d’application du PSE sont éligibles au parcours “Transco”. Ce qui implique pour l’employeur de fournir une attestation indiquant qu’au moment du dépôt d’un dossier auprès de l’AT-Pro, “le ou les salariés concernés ne sont pas visés par la procédure de licenciement économique au cours dans l’entreprise”.
En outre, lorsqu’une entreprise met en place une RCC (rupture conventionnelle collective) un salarié peut se porter volontaire à un parcours de transitions collectives. Mais il ne peut dans ce cas s’engager “parallèlement dans un départ volontaire au titre de la RCC”.
Le salarié peut poursuivre sa formation en cas de congé mobilité ou reclassement
Le questions-réponses lève également le voile sur le sort des parcours de transitions collectives engagées par des salariés lorsque leur entreprise entreprend un PSE ou une RCC. Il souligne ainsi que ces parcours “ne sont pas automatiquement interrompus”. Concrètement, ce n’est qu’à compter de la notification individuelle de son licenciement (PSE) ou de la rupture de son contrat de travail (RCC), que le financement du parcours de l’AT-Pro prend fin. Dans ce cas, le salarié pourra poursuivre sa formation dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle (en cas de PSE dans une entreprise de moins de 1 000 salariés), du congé de reclassement (en cas de PSE dans une entreprise de plus de 1 000 salariés ou appartenant à un groupe de plus de 1 000 salariés) ou du congé de mobilité (en cas de RCC).
Le parcours pourra aussi “être continué dans le cadre de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, sous réserve de l’avis de Pôle emploi”. Dans le cas où les dispositifs ne lui permettent pas de financer sa formation en totalité, le salarié a la possibilité de mobiliser son compte personnel de formation.
Financer des reconversions en interne
Le document rappelle également les règles inhérentes à ce dispositif, à savoir que l’objectif est bien “de répondre aux besoins de reconversions en externe et ne répond pas directement aux besoins de développement des compétences des entreprises”. Reste une interrogation : le dispositif peut-il servir malgré tout à financer des reconversions de salariés en interne à l’entreprise ? En effet, à l’issue de la formation, il n’y a pas de transfert du contrat vers un nouvel employeur. Conformément à l’instruction du 11 janvier 2021, le salarié peut donc choisir de rester dans son entreprise d’origine. Dans ce cas, il réintègre son poste de travail ou “un poste équivalent dans l’entreprise”. Même si ce retour ne le met pas à l’abri d’une éventuelle procédure de restructuration. Le questions-réponses indique que “les associations Transitions pro seront attentives à ce point lors de l’examen des projets de reconversion des salariés”. Pour rappel, le dispositif FNE-formation peut sous certaines conditions répondre aux besoins de développement des compétences dans l’entreprise dans la période de crise sanitaire et économique. Par exemple, pour accompagner les évolutions de l’entreprise en vue d’assurer sa pérennité et son développement : évolution des savoir-faire ou mise en place de nouveaux modes d’organisation et de gestion.
Anne Bariet
Les entreprises ont jusqu’au 24 mai 2021 pour réaliser l’analyse d’impact des traitements de données RH
13/04/2021
La période laissée aux entreprises pour documenter l’analyse d’impact de leurs traitements de données prendra fin le 24 mai 2021. Cette procédure est requise en particulier pour trois types de traitements de données concernant les ressources humaines. Mais l’avocat spécialisé Eric Barbry se veut rassurant : rien de compliqué dans l’accomplissement de ces formalités.
Les déclarations préalable à la Cnil (commission nationale informatique et libertés), c’est terminé depuis le 25 mai 2018. Le traitement des données personnelles, notamment celles des salariés par les services de ressources humaines, doit répondre aux obligations d’un règlement européen, le RGPD. Ce règlement n’a toutefois pas supprimé toutes les exigences d’analyse préalable de l’effet d’un traitement de données personnelles. Lorsque ce dernier est particulièrement sensible, les entreprises doivent mettre en oeuvre au préalable une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD, ou PIA en anglais).
Mais en 2018 lors de l’entrée en vigueur du RGPD, peu d’entreprises et de collectivités avaient pris le temps de se conformer à la nouvelle règlementation. En réaction, la Cnil leur a accordé un délai de grâce de trois ans pour réaliser l’analyse d’impact des traitements de données mis en place avant le 25 mai 2018. La date fatidique approche. Au 25 mai 2021, plus d’excuses pour avoir omis de réaliser cette étude d’impact.
Des contrôles accrus à partir de mai 2021 ?
L’approche de cette date pourrait donner le top départ de contrôles Cnil plus poussés, selon Eric Barbry, avocat associé du cabinet Racine, spécialisé en droit des données personnelles. “Je n’ai constaté chez mes clients aucun contrôle Cnil depuis mai 2018 concernant le respect du RGPD. Tous les traitements RH mis en oeuvre après mai 2018 devraient avoir fait l’objet d’une analyse d’impact, or ce n’est pas le cas. Je pense que la Cnil attend la fin du délai de mise en conformité pour opérer un tour de vis pour toutes les entreprises.”
Il reste un peu plus d’un mois aux entreprises pour se conformer. Mais si tous les traitements de données doivent respecter le RGPD, seuls certains d’entre eux doivent faire l’objet d’une analyse d’impact. Afin d’identifier ces traitements, le Comité européen à la protection des données (CEPD) a listé neuf critères. Si le traitement de données coche deux de ces cases, il doit faire l’objet d’une AIPD.
Les neuf critères du CEPD permettant de caractériser un traitement susceptible d’engendrer un risque élevé |
Données traitées à grande échelle ; Données sensibles (origine raciale ou ethnique, opinions politiques, convictions religieuses ou philosophiques, appartenance syndicale, données génétiques ou de santé, données biométriques et données concernant la vie ou l’orientation sexuelle) ou données à caractère hautement personnel (données relatives à des communications électroniques, données de localisation, données financières, etc.) ; Données concernant des personnes vulnérables (patients, personnes âgées, enfants, etc.) ; Croisement ou combinaison de données ; Evaluation/scoring (y compris le profilage) ; Prise de décision automatisée avec un effet juridique ou similaire ; Surveillance systématique de personnes ; Traitement pouvant exclure du bénéfice d’un droit, d’un service ou d’un contrat ; Utilisation innovante ou application de nouvelles solutions technologiques ou organisationnelles. |
AIPD requise pour trois types de traitements RH
En France, plusieurs délibérations de la Cnil publiées en 2018 et 2019 permettent d’y voir plus clair.
La délibération Cnil du 11 octobre 2018 liste les opérations de traitement pour lesquelles une analyse d’impact est exigée. En matière RH, trois types de traitements sont ainsi considérés comme “à risques” :
- Les traitements “établissant des profils de personnes physiques à des fins de gestion des ressources humaines”. Exemples : traitements de détection et de gestion de “hauts potentiels”, traitements visant à faciliter le recrutement notamment grâce à un algorithme de sélection, traitements visant à proposer des actions de formation personnalisées grâce à un algorithme, traitements visant à détecter et à prévenir les départs de salariés sur la base de corrélations établies entre divers facteurs.
- Les traitements “ayant pour finalité de surveiller de manière constante l’activité des employés concernés”. Exemples : dispositifs de vidéosurveillance constante (par exemple pour les salariés manipulant de l’argent ou ceux travaillant dans des entrepôts filmés), analyse des courriels sortants (notamment afin de détecter des fuites d’informations), chronotachygraphes des véhicules de transport routier.
- Les traitements “ayant pour finalité la gestion des alertes et des signalements en matière professionnelle”. Exemple : procédures internes de recueil des signalements des lanceurs d’alerte (trafic d’influence, corruption, devoir de vigilance).
A contrario, une délibération Cnil du 12 septembre 2019 indique les cas dans lesquels l’AIPD n’est pas requise :
- Les traitements mis en place dans une entreprise de moins de 250 personnes, uniquement à des fins de ressources humaines (gestion de la paie, des formations, suivi des entretiens annuels d’évaluation…) ;
- Les traitements ayant pour seule finalité la gestion des contrôles d’accès physiques et des horaires pour le calcul du temps de travail (accès aux locaux de travail par badge, …)
- Les traitements destinés à la gestion des activités des comités d’entreprise et d’établissement (et, partant, du CSE) (gestion des programmes socio-culturels de l’entreprise, communication interne, formation des élus, fichier de gestion des membres…).
Ces listes ne sont pas exhaustives, et l’entreprise devra se référer aux neuf critères du CEPD pour vérifier que son traitement requiert ou non une AIPD. La Cnil propose sur son site internet une infographie qui récapitule les bonnes questions à se poser.
S’assurer de cocher toutes les cases
Il est temps de se mettre au travail, pour les entreprises qui ne se seraient pas penchées suffisamment près sur le sujet de l’analyse d’impact. Mais rien de sorcier, selon l’avocat Eric Barbry. “On s’en fait une montagne, car je pense que certains acteurs de la sécurité informatique ont sciemment laissé entendre que l’analyse d’impact était très compliquée et nécessitait une analyse profonde. Or, ce n’est pas du tout le cas ! Il ne s’agit pas d’un audit de sécurité de l’entreprise, mais bien d’une analyse documentée, qui doit montrer que l’entreprise s’est posé les bonnes questions. Le traitement est-il bien basé sur l’un des fondements juridiques du RGPD ? Les données collectées sont-elles nécessaires ? Les personnes sont-elles correctement informées ? A-t-on mis en place des mesures de sécurité adaptées ? Il s’agit de balayer le RGPD pour s’assurer qu’on a bien coché toutes les cases.”
La Cnil propose sur son site internet un guide pour réaliser une analyse d’impact.
Les montants en jeu ne sont pas anodins. En effet, les autorités de contrôle peuvent prononcer des amendes administratives pouvant s’élever à 10 millions d’euros ou 2 % du chiffre d’affaires annuel mondial.
Laurie Mahé Desportes