Pas d’activité partielle sans refus de congés ? Le juge suspend la note de la RATP
05/05/2021
Le tribunal administratif de Paris suspend une note de service de la RATP qui imposait aux salariés de présenter une demande préalable de congés avant de pouvoir prétendre, en cas de refus de ce congé pour raison de service, au dispositif d’activité partielle.
Dans une note du 2 avril 2021, la RATP, la régie autonome des transports parisiens, pose une nouvelle règle pour les congés et l’activité partielle dans l’entreprise. La régie s’adresse notamment à ceux de ses agents qui ne peuvent pas télétravailler et qui sont parents d’un enfant de moins de 16 ans ne bénéficiant d’aucune solution d’accueil. L’entreprise les invite à poser des congés pendant les vacances scolaires. C’est seulement si le salarié n’a pas pu obtenir ou décaler ses congés, autrement dit si sa demande de congés s’est heurtée à un refus “pour raison de service”, et seulement s’il ne dispose pas d’un mode de garde et qu’il est donc dans l’incapacité de télétravailler, qu’il pourra être placé en activité partielle. Ce faisant, l’entreprise s’aligne en grande partie sur le dispositif annoncé par le gouvernement. Pour le syndicat Solidaires, néanmoins, cette décision de l’entreprise doit être annulée dans la mesure où elle modifie les droits aux congés et au chômage partiel durant les vacances scolaires, ce qui crée une situation d’urgence. Le syndicat agit donc en justice (devant le tribunal administratif de Paris car la note de la RATP est considérée comme une décision administrative) pour obtenir la suspension de cette décision.
La question du refus de congés
Dans une ordonnance rendue le 20 avril 2021, le tribunal administratif de Paris décide de faire droit à la demande syndicale. Il suspend “l’exécution de la décision de la Régie (..) en tant qu’elle impose aux agents souhaitant bénéficier du dispositif d’activité partielle un refus préalable à une demande de congés”. Certes, remarque le juge, la note ne fait globalement que reprendre les recommandations de la ministre du Travail. Mais elle ajoute cependant, comme condition au bénéfice de l’activité partielle, le fait d’avoir essuyé un refus de demande de congés “pour raison de service”. Sur ce point, observe le tribunal, “la note de la RATP ajoute à la réglementation et aux recommandations de la ministre du Travail”. Cet ajout est pour le juge de nature à “faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée”, et, compte-tenu de l’urgence lié au calendrier scolaire, il faut donc suspendre cette décision “en tant qu’elle impose aux agents souhaitant bénéficier du dispositif d’activité partielle un refus préalable à une demande de congés”.
Une insécurité juridique
Ce critère ne figure pas, en effet, dans l’article 20 de la loi du 25 avril 2020. Cet article prévoit que sont placés en activité partielle “les salariés se trouvant dans l’impossibilité de continuer à travailler pour l’un des motifs suivants : le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d’infection au virus SARS-CoV-2 (..); le salarié est parent d’un enfant de moins de 16 ans ou d’une personne en situation de handicap faisant l’ojet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile”. Les consignes récemment données par le ministère du Travail l’ont été dans un document questions-réponses actualisé le 13 avril dont le jugement du tribunal administratif ne fait d’ailleurs pas mention, ce type de document de “droit mou” n’ayant pas une valeur juridique certaine.
A la lumière de ce jugement, et faute de texte réglementaire actualisé, on ne peut donc que souligner la fragilité juridique des recommandations et des conditions posées par le ministre du Travail à l’octroi de l’activité partielle pour certains salariés (lire ci-dessous). Rappelons que, sauf accord collectif, l’employeur ne peut pas imposer la modification des dates de congés sans respecter un délai de prévenance d’un mois. Le projet de loi de sortie de l’état de crise sanitaire devrait toutefois permettre à l’employeur d’imposer à ses salariés, par accord d’entreprise ou à défaut par accord de branche, la prise de 8 jours de congés payés, de jours de repos ou de déplacer les congés posés, sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc, et ce jusqu’au 31 octobre 2021.
La RATP, qui a fait appel de l’ordonnance, conteste avoir imposé à ses salariés de prendre des congés. Elle nous indique qu’elle “continuera d’appliquer les règles prévues par la loi du 25 avril 2020 relatives au dispositif de chômage partiel qui n’intègre pas les périodes de vacances scolaires”, règles qui ne sont nullement remises en question par la suspension de sa note, ajoute la Régie. “Les salariés remplissant les conditions prévues par la loi bénéficient bien de ce dispositif de chômage partiel pour garde d’enfant”, conclut-elle.
Activité partielle et garde d’enfant : la consigne du ministère du Travail |
A compter du 26 avril, date de la reprise de la scolarité après les vacances scolaires unifiées du printemps, les salariés de droit privé qui sont contraints de garder leur enfant de mions de 16 ans (soit parce que la classe ou l’établissement d’accueil de l’enfant est fermé pour raison sanitaire, ou parce que l’enfant est cas contact) peuvent bénéficier de l’activité partielle s’ils ne peuvent pas télétravailler, explique le ministère du Travail dans son questions-réponses actualisé le 13 avril. Pour cela, le salarié doit remettre à son employeur un justificatif : attestant de la fermeture d’établissement d’accueil, de la classe ou de la section de l’enfant selon les cas (message général reçu de l’établissement ou, le cas échéant, de la municipalité informant de la non ouverture ou du fait que l’enfant ne sera pas accueilli compte tenu des mesures sanitaires décidées ou une attestation fournie par l’établissement) ; ou un document de l’assurance maladie attestant que l’enfant est identifié comme cas contact à risque et doit donc respecter une mesure d’isolement. Les documents justificatifs, précise le ministère, devront être conservés par l’employeur et pourront être demandés par l’administration en cas de contrôle. Le salarié remettra également à son employeur une attestation sur l’honneur indiquant qu’il est le seul des deux parents demandant à bénéficier d’un arrêt de travail au titre de la garde de son enfant contraint de demeurer à domicile pour les jours concernés. |
Bernard Domergue
Le Sénat appelle le gouvernement à défendre le régime français de garantie des créances des salariés
05/05/2021
Le Sénat a adopté hier, mardi 4 mai, une proposition de résolution relative à l’avenir du régime de garantie des salaires. Présentée par le sénateur Bruno Retailleau (LR), cette proposition invite le gouvernement à “défendre la singularité du régime actuel de garantie des créances des salariés, qui a fait la preuve de son efficacité, en concourant à la solidarité vis-à-vis des salariés dont l’emploi est menacé” et à “envisager l’ouverture d’une protection spécifique de garantie des salaires des indépendants durement éprouvés par la crise”.
Le groupe auteur de la proposition estime que “l’avenir du régime de garantie des salaires, unique en Europe, est aujourd’hui menacé par un projet de réforme, actuellement discuté au ministère de la justice, et visant à transposer la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité de 2019”. “Cette réforme pourrait conduire demain, indiquent les sénateurs, à ce que le personnel des entreprises en faillite, ou au bord de la faillite, ne puisse plus être payé”.
Reclassement du salarié protégé inapte : les précisions du médecin du travail postérieures à son avis comptent
06/05/2021
Lorsqu’après son constat d’inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié protégé, ses préconisations peuvent, s’il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l’employeur.
En matière d’inaptitude, les règles protectrices instituées en faveur des représentants du personnel se combinent avec les dispositions des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail prévoyant le reclassement du salarié devenu inapte à son emploi. Ainsi, avant d’autoriser le licenciement d’un salarié protégé sur ce motif, l’inspecteur du travail doit s’assurer de la régularité de la procédure interne à l’entreprise, de la matérialité de l’inaptitude médicale, de l’absence de discrimination mais également du caractère réel et sérieux des efforts de reclassement. Qu’en est-il lorsque le médecin du travail, sollicité par l’employeur, apporte des précisions postérieurement à son avis d’inaptitude limitant le champ du reclassement possible ?
Reclassement à un poste sédentaire sur la seule commune de Colmar
Dans cette affaire, une salariée protégée auxiliaire de vie est victime d’un accident du travail. A son retour, le médecin du travail conclut à l’inaptitude de l’intéressée à son poste de travail. Cet avis est confirmé à la seconde visite de reprise. Le médecin préconise un reclassement dans un poste sédentaire, situé à Colmar, et n’imposant pas de déplacements. A la demande de l’employeur, par courrier, ce même médecin a apporté des précisions sur la possibilité de reclassement et confirmé que la recherche devait s’effectuer dans la commune de Colmar. L’employeur propose donc deux postes sédentaires sur cette seule ville, mais la salariée les refuse, et l’employeur la licencie sur autorisation de l’inspecteur du travail.
Le tribunal administratif rejette la demande d’annulation de cette décision mais la cour administrative d’appel y fait droit. Pour la cour, ces propositions ne suffisent pas à établir que l’employeur a envisagé toutes les possibilités de reclassement au sein des différentes antennes de l’association. Les juges ajoutent que s’il est vrai que l’employeur est tenu de suivre les préconisations du médecin du travail, la circonstance que ce dernier a fixé le périmètre de la recherche de reclassement au territoire de Colmar “ne dispensait pas l’employeur de poursuivre la recherche de reclassement, au besoin dans les autres départements où ses antennes sont implantées, et de proposer à l’intéressée tout emploi compatible avec son état de santé, en subordonnant sa proposition de reclassement à la condition qu’elle déménage à proximité du nouveau lieu d’exécution de son contrat pour tenir compte des préconisations du médecin”.
Possibilité de se prévaloir des échanges avec le médecin du travail
Mais le Conseil d’État n’est pas d’accord. Les juges expliquent que “lorsqu’après son constat d’inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s’il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l’employeur”. Ainsi, l’employeur peut se prévaloir des échanges qu’il a eus, après le constat d’inaptitude, avec le médecin de travail sur les possibilités de reclassement d’une salariée protégée en vue de justifier du caractère sérieux de sa recherche de reclassement.
► Remarque : à noter que la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en matière d’inaptitude des salariés “ordinaires” a déterminé que l’existence d’un dialogue entre du médecin du travail montre que l’employeur justifie de recherches effectives de reclassement
au regard des préconisations du médecin du travail (Cass. soc., 27 janv. 2016, n° 14-20.852).
Ainsi, les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l’inaptitude par le médecin du travail, sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l’employeur de l’impossibilité de remplir cette obligation (Cass. soc., 1er févr. 2017, n° 15-26.207; Cass. soc., 21 déc. 2017, n° 16-14.532). Le Conseil d’État fait application de ces principes dans cette affaire en validant la prise en compte par l’employeur de précisions apportées par le médecin du travail après l’avis d’inaptitude dans le cadre de la recherche de reclassement du salarié protégé.
Séverine Baudouin, Dictionnaire permanent social