L’Unsa plutôt déçue par la Conférence nationale sur le handicap
02/05/2023
Mercredi 26 avril s’est tenue la Conférence nationale sur le handicap, au Palais de l’Élysée. Mise en place par la loi handicap de 2005 et organisée tous les 3 ans, sous l’autorité du Président de la République, elle présente le bilan des politiques publiques engagées pour les personnes en situation de handicap et fixe les orientations et les moyens de cette politique pour les années à venir. Dans un communiqué de presse publié vendredi 26 avril, l’Unsa considère que “si des avancées sont à saluer, elles se font beaucoup trop lentement et ne répondent pas à tous les enjeux”. En effet, le chômage des personnes handicapées s’est amélioré, mais selon le syndicat, “cela pose la question de la formation des agents du service public de l’emploi qui les accompagneront. Cette dernière n’a pas été abordée”. L’Unsa demande aussi la mise en place d’un observatoire de l’emploi des travailleurs en situation de handicap permettant ainsi d’appréhender la réalité de l’emploi, d’évaluer la portée des outils, la formation et les reclassements des personnes déclarées inaptes à l’exercice de leurs fonctions pour raisons de santé.
Source : actuel CSE
L’avant-projet de loi qui retranscrit l’ANI sur le partage de la valeur est finalisé
03/05/2023
L’avant-projet de loi qui transpose l’accord national interprofessionnel du 10 février 2023 sur le partage de la valeur a été transmis au Conseil d’Etat en fin de semaine dernière. Généralisation des dispositifs de partage de la valeur, expérimentation de dispositifs pour les entreprises de moins de 50 salariés, plans de valorisation de l’entreprise,… Détail des 15 articles qui composent le texte.
L’avant-projet de loi qui retranscrit l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur du 10 février 2023 est finalisé et comporte 15 articles. Il a été transmis vendredi aux caisses de sécurité sociale et au Conseil d’Etat. Il sera adopté en Conseil des ministres fin mai pour un examen au Parlement avant l’été et une adoption définitive programmée avant la fin de la session parlementaire. Si le gouvernement, comme il s’y est engagé, traduit “fidèlement” l’ANI, cela ne préjuge toutefois pas des débats qui pourront avoir lieu au Parlement.
L’ensemble des dispositions de l’ANI n’ont pas été reprises car “toutes n’avaient pas vocation à être transposées”, explique-t-on au ministère du travail. Soit car elles constituent simplement “des bonnes pratiques, des recommandations ou des suggestions”, soit car elles relèvent de circulaires ou de doctrines administratives ou du pouvoir réglementaire, ou encore car elles ne sont que de simples rappels.
► Par exemple, les nouveaux cas de déblocage exceptionnel relèvent d’une mesure réglementaire.
Classifications professionnelles
L’article 1er (article 3 de l’ANI) porte sur les grilles de classifications professionnelles. Il prévoit qu'”une négociation en vue de l’examen de la nécessité de réviser les classifications en prenant en compte l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité des emplois est ouverte avant le 31 décembre 2023 au sein des branches n’ayant pas procédé à cet examen depuis plus de cinq ans”.
Deux dispositifs expérimentaux pour les PME
Le deuxième titre regroupe les dispositions qui permettent de faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur.
Parmi celles-ci, l’avant-projet de loi instaure deux dispositifs expérimentaux applicables pendant une période de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
Le premier permet d’ouvrir aux entreprises de moins de 50 salariés, qui souhaiteraient mettre en place un dispositif de participation, la possibilité de négocier par accord de branche ou d’entreprise des formules dérogatoires à la formule légale de participation, pouvant mener à un résultat plus favorable ou moins favorable que celui obtenu avec la formule légale. Une négociation devra être ouverte sur la mise en place d’une telle formule dans chaque branche d’ici le 30 juin 2024 (article 2 de l’avant-projet de loi ; article 6 de l’ANI).
Le second vise à faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur dans les entreprises d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés non soumises à l’obligation de participation. Ainsi, à partir du 1er janvier 2025, ces entreprises devront mettre en place un dispositif de partage de la valeur dès lors qu’elles sont constituées sous forme de sociétés et qu’elles réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives (article 3 de l’avant-projet de loi ; article 7 de l’ANI).
A ce titre, elles devront instaurer l’une des trois mesures suivantes :
la mise en place, au titre de l’exercice suivant, d’un dispositif de participation ou d’intéressement ;
l’abondement, au cours de l’exercice suivant, d’un plan d’épargne salariale ;
le versement, au cours de l’exercice suivant, de la prime de partage de la valeur.
► Les entreprises qui auront déjà mis en place l’un de ces dispositifs, au titre de l’exercice suivant, ne seront pas soumises à cette obligation.
L’obligation de mettre en place l’un de ces dispositifs entrera en vigueur pour les exercices ouverts postérieurement au 31 décembre 2024. Les trois exercices précédents seront pris en compte pour l’appréciation du respect de la condition relative à la réalisation du bénéfice net fiscal.
► Le gouvernement devra remettre au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation au plus tard six mois avant le terme de ces expérimentations. Un suivi annuel de l’application de ces dispositions sera transmis aux organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national interprofessionnel.
Modification des règles de franchissement de seuil
Les entreprises qui franchissent le seuil de 50 salariés pendant cinq années consécutives doivent mettre en place un plan de participation. Actuellement, elles peuvent demander un report de trois ans lorsqu’elles sont déjà couvertes par un accord d’intéressement. L’article 4 supprime la possibilité de demander ce report.
► A noter : les entreprises qui bénéficient du report d’assujettissement à la participation à la date de l’entrée en vigueur de la loi continueront d’en bénéficier jusqu’au terme de ce report.
Négociation sur les bénéfices exceptionnels
L’article 5 impose aux entreprises d’au moins 50 salariés pourvues d’un délégué syndical et soumises à l’obligation de mise en place de la participation de négocier obligatoirement sur les conséquences d’un bénéfice exceptionnel de l’entreprise s’agissant du partage de la valeur avant le 30 juin 2024. Cela pourra prendre la forme du versement d’un supplément d’intéressement ou de participation ou bien de l’engagement à négocier pour mettre en place un nouveau dispositif de partage de la valeur.
► A noter que la définition d’un bénéfice exceptionnel relève de l’employeur. Le gouvernement ne prévoit pas de créer de contrôles sur cette notion car “ce n’est pas dans l’ANI”, répond-t-on au ministère du travail.
Prime de partage de la valeur
L’article 6 ouvre la possibilité d’attribuer deux primes de partage de la valeur par année civile, dans la limite des plafonds totaux d’exonération (3 000 euros ou 6 000 euros s’il existe un accord d’intéressement). Cet article permet également de placer la PPV sur un plan d’épargne salariale et de bénéficier ainsi de l’exonération de l’impôt sur le revenu pour les sommes bloquées dans la limite des plafonds totaux de 3 000 ou de 6 000 euros.
Par ailleurs, l’article 6 prolonge le régime social et fiscal avantageux applicable à la PPV, prévu par la loi du 16 août 2022 (les salariés des entreprises de moins de 50 salariés qui perçoivent au cours des 12 mois précédant leur versement une rémunération inférieure à 3 Smic sont exonérées d’impôt sur le revenu, de CSG/CRDS, de taxe sur les salaires et de forfait social). Cette exonération sera applicable aux primes versées à compter du 1er janvier 2024 et jusqu’au 31 décembre 2026.
► A noter : des mesures complémentaires seront prise dans le cadre du prochain PLFSS.
Enfin, il sera possible d’intégrer la PPV dans un PEE ou un PERE avec des exonérations fiscales plafonnées dans la limite du montant maximum de la PPV.
Création d’un plan de valorisation de l’entreprise
L’article 7 met en place un nouveau dispositif de partage de la valeur dans l’entreprise : le plan de valorisation de l’entreprise. Il pourra être instauré en entreprise par la voie d’un accord collectif.
Pourront en bénéficier les salariés ayant une ancienneté de 12 mois dans l’entreprise (qui pourra être abaissé par l’accord collectif instituant ce dispositif). Il permettra aux salariés de percevoir un montant correspondant à un montant de référence attribué la première année auquel est appliqué, lorsqu’il est positif, le pourcentage de variation de la valeur de l’entreprise sur un cycle de trois ans.
Un régime social spécifique aux sommes versées dans le cadre de plans de partage de la valorisation de l’entreprise est prévu. Les primes seront exonérées de toutes les contributions et cotisations sociales d’origine légale et conventionnelle et ne seront assujetties qu’à la contribution sociale patronale de 20 % prévue dans le cadre des attributions gratuites d’actions. Elles seront par ailleurs exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite de 5 % des 3/4 du plafond annuel de la sécurité sociale si elles sont placées et bloquées sur un plan d’épargne.
Simplification des dispositifs de partage de la valeur
Le troisième titre est consacré à la simplification des dispositifs de partage de la valeur :
l’article 9 précise les conditions de mise en place d’un système d’avances des sommes résultant de l’intéressement ou de la participation ;
l’article 10 vient sécuriser les accords d’intéressement qui prévoient des primes plus favorables aux bas salaires, le dispositif étant déjà prévu au niveau de la loi pour la participation ;
l’article 11 simplifie la procédure de révision du contenu des plans interentreprises. Ainsi, l’article permet aux entreprises fondatrices du plan de modifier le contenu du plan par avenant, sur simple information des entreprises adhérentes ;
enfin, l’article 12 permet à la branche du travail temporaire d’aménager les modalités d’attribution de l’intéressement et de la participation aux salariés temporaires.
Développer l’actionnariat salarié
Enfin, le quatrième titre vise à développer l’actionnariat salarié.
L’article 13 prévoit de rehausser le plafond global général d’attribution d’actions gratuites, de 10 à 15 % du capital social pour les grandes entreprises et les ETI et de 15 à 20 % du capital social pour les PME. Il prévoit également de rehausser de 30 à 40 % du capital social le plafond global d’attribution pour les distributions bénéficiant à l’ensemble des salariés et instaure un plafond global intermédiaire pour les distributions bénéficiant à des salariés représentant plus de 25 % de la masse salariale et plus de 50 % de l’effectif salarié, conditionné au respect du même ratio d’écart maximal de 1 à 5 que le plafond global d’attribution d’actions à l’ensemble des salariés.
Enfin, il permet d’exclure les actions détenues depuis plus de sept ans du calcul du pourcentage maximal du capital social que peut détenir un salarié ou mandataire social pour avoir le droit de se voir attribuer des actions gratuites.
L’article 15 prévoit que, dans le cas où les droits de vote liés à un fonds d’actionnariat salarié sont délégués à la société de gestion de ce fonds, cette société devra transmettre chaque année au conseil de surveillance sa politique d’engagement actionnarial, ainsi que le compte rendu de la mise en œuvre de cette politique afin d’assurer l’information de l’épargnant salarié.
Verdir l’épargne salariale |
L’article 14 prévoit d’imposer aux règlements des plans d’épargne entreprise (PEE) et des plans d’épargne retraite (PER) de proposer deux fonds supplémentaires correspondant à des fonds satisfaisant à des critères de financement de la transition énergétique et écologique ou d’investissement socialement responsable, en complément du fonds solidaire qui doit déjà être proposé dans ces plans (exemple de fonds labellisés ISR, GREENFIN, FINANSOL, CIES, France relance). |
Florence Mehrez
Activité partielle et APLD : revalorisation du taux horaire minimum de l’allocation
03/05/2023
La hausse du Smic intervenue au 1er mai (11,52 euros bruts de l’heure contre 11,27 euros auparavant) entraîne mécaniquement une hausse du taux horaire de l’allocation d’activité partielle versée à l’employeur.
Le taux minimal de l’allocation d’activité partielle versée à l’employeur au titre des heures chômées par ses salariés correspond à un pourcentage du Smic et évolue logiquement avec lui. Pour toute heure chômée indemnisée, il a ainsi droit à une allocation équivalant à 36 % du salaire brut horaire antérieur, dans la limite de 4,5 fois le taux horaire du Smic, avec application d’un taux plancher.
En conséquence de la revalorisation du Smic intervenue au 1er mai, un décret du 28 avril 2023 augmente ce taux minimal et le porte à 8,21 euros (contre 8,03 euros antérieurement).
Le taux minimal de l’allocation versée au titre de l’activité partielle de longue durée (APLD) est également revalorisé et porté à 9,12 € (contre 8,92 € antérieurement). Pour rappel, les employeurs recourant à l’APLD peuvent bénéficier d’une allocation équivalant à 60 % de la rémunération horaire brute, dans la limite de 4,5 fois le taux horaire du Smic, sans pouvoir être inférieure à ce plancher de 9,12 €.
Ces nouvelles valeurs sont applicables aux demandes d’indemnisation adressées à l’autorité administrative pour les heures chômées à partir du 1er mai 2023.
Source : actuel CSE
Retour critique sur l’étude de la Dares sur l’abandon de poste
04/05/2023
Alors que le décret sur l’abandon de poste vient d’être publié au Journal officiel, Alexandre Devaux, avocat associé au sein du cabinet Fidal Avocats, revient sur l’étude que la Dares avait publiée en février dernier. Il décrypte – et critique – la méthode qui a permis d’indiquer que 123 000 abandons de poste ont été réalisés au 3ème semestre 2022.
Annoncé initialement pour fin mars, le décret d’application sur la “présomption de démission” issue du nouvel article L.1237-1-1 du code du travail a été publié au Journal officiel du 18 avril 2023.
La publication de ce décret s’accompagne de la mise en ligne d’un questions-réponses sur la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié sur le site du ministère du travail.
En vertu de l’article L.1237-1-1, tout salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail, après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.
Selon l’article R. 1237-13 du code du travail créé par le décret, ce délai ne peut être inférieur à quinze jours et commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure – et non de sa distribution.
A défaut d’avoir repris son poste ou d’avoir justifié de son absence par un motif légitime dans ce délai, le salarié est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.
Présumé démissionnaire, le salarié est par conséquent privé du droit à l’allocation d’assurance chômage en application de l’article L.5422-1 du code du travail.
C‘est l’effet attendu de cette présomption de démission.
Les conditions d’adoption de l’article L.1237-1-1 du code du travail
L’article L.1237-1-1 du code du travail est une création de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.
Issu d’un amendement n° 393 déposé le 30 octobre 2022 par le groupe Les Républicains et adopté devant l’Assemblée nationale le 4 octobre suivant, son objectif, comme le précise son exposé sommaire, était de “limiter le recours des salariés à la pratique de l’abandon de poste lorsqu’ils souhaitent que leur relation de travail cesse, tout en étant indemnisé par l’assurance chômage”.
Jean-Louis Thiériot, l’un des députés à l’origine de cet amendement, expliquait sur France Inter le 3 octobre 2022 que l’objectif était de répondre à la fois à un impératif d’efficacité économique et à un impératif d’équité. Il ajoutait que depuis des mois il rencontrait “toute une série d’entreprises, qui vont de la petite boulangerie au restaurateur et au transport scolaire aujourd’hui, qui sont victimes d’abandon de poste du jour au lendemain par quelques salariés évidemment, évidemment c’est pas la majorité”.
Ces derniers “sont des fraudeurs qui organisent leur carrière ou leur non-carrière au frais de la collectivité nationale”.
En d’autres termes, l’abandon de poste est un stratagème pour obtenir une indemnisation de l’assurance chômage auquel le législateur se devait de mettre fin.
Dénué évidemment de toute étude d’impact, cet amendement a été soutenu naturellement par la majorité présidentielle devant l’Assemblée nationale puis adoptée définitivement, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire, par l’Assemblée et le Sénat les 15 et 17 novembre 2022 dans le cadre de la procédure accélérée et ce, en dépit des nombreuses critiques concernant l’absence de toute étude sérieuse sur l’ampleur de ce phénomène.
Dans le cadre du recours porté devant le Conseil constitutionnel, celui-ci a considéré, dans sa décision rendue le 15 décembre 2022, que le texte ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle et était par conséquent conforme à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a néanmoins assorti sa décision de réserves en rappelant que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève, l’exercice du droit de retrait, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d’une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail peuvent constituer un motif légitime.
Sur ce point, l’article R.1237-13 du code du travail s’est contenté de reprendre cette liste en lui ajoutant l’adverbe “notamment” si bien que celle-ci est donc, comme on pouvait s’y attendre, indicative et non limitative.
C’est dans ce contexte que la loi a été promulguée le 21 décembre 2022 et publiée au Journal officiel le lendemain.
Qualifié d’objet juridique non identifiée (Ojni (1) ou d’aberration juridique (2)), l’article L.1237-1-1 n’a cessé d’être critiqué par une partie de la doctrine et des praticiens – critiques dirigées essentiellement contre le mécanisme même de présomption et l’atteinte portée à un principe que l’on pouvait croire immuable depuis la décision du 7 mai 1987 selon laquelle la démission ne se présume pas et ne peut résulter que d’un acte clair et non équivoque.
L’article L.1237-1-1 a pu aussi être critiqué en ce que, loin de constituer une arme efficace contre les salariés calculateurs désireux de se faire licencier pour bénéficier des largesses de Pôle emploi, il expose au contraire les entreprises au risque moins maitrisé de se voir imputer la rupture pour abandon de poste tout en transférant à ces dernières les risques liés à la perte de l’assurance chômage.
D’autres ont relevé que cette présomption repose davantage sur un préjugé que sur une vérité scientifiquement démontrée et que cette présomption ne pourrait être légitime qu’à la condition que l’hypothèse de fraude à Pôle emploi constitue le cas de figure majoritaire des abandons de poste (3).
Or, jusqu’à récemment, nous ne disposions d’aucune donnée chiffrée ou étude préalable, hormis une étude réalisée en 2017 portant sur le contentieux de cours d’appel relatif aux licenciements pour abandon de poste qui n’aborde cependant pas cet aspect.
C’est désormais chose faite puisqu’une étude publiée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l’emploi et de l’Insertion (Dares) le 22 février 2023 est venue justifier a posteriori les nouvelles dispositions de l’article L.1237-1-1 du code du travail.
La justification de la présomption d’abandon de poste par une étude réalisée par la Dares
Retweeté le 22 février par Olivier Dussopt, ministre du travail, un article du journal Les Échos, se fondant sur cette étude, était publié le jour même et titrait “Les abandons de poste, un phénomène significatif en France”.
Selon cet article, l’accès à l’indemnisation chômage, qui a concerné 50 000 salariés du privé ayant abandonné leur poste au cours des six premiers mois de 2022, sera bientôt rendu impossible.
Plus précisément, l’étude de la Dares, réalisée en octobre et novembre 2022 – c’est-à-dire pendant les discussions sur le projet de loi devant le Parlement – révèle opportunément qu’au 1er semestre 2022, environ 70 % des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé sont motivés par un abandon de poste.
Selon l’étude, cela représente 123 000 salariés, dont 116 000 en CDI. Parmi eux, 50 000 ouvrent un nouveau droit à l’assurance chômage.
L’on pourrait être tenté de croire que les dispositions de l’article L.1237-1-1 se justifient donc.
Cependant, ce nombre de 123 000 est trop important pour ne pas être suspect pour les praticiens.
Sans surprise, l’étude ne fournit aucune précision sur le motif de ces abandons de poste. L’on ne connait évidemment pas, parmi eux, la proportion de ceux qui reposent sur une cause justificative.
L’on ne connait pas davantage la proportion de ceux qui ont été suivis d’une transaction – ce qui aurait pu intéresser les praticiens tant les licenciements pour abandon de poste sont devenus rares depuis l’entrée en vigueur du dispositif de rupture conventionnelle.
L’abandon de poste demeure toutefois encore un motif que les entreprises proposent parfois aux salariés qu’elles veulent voir partir alors qu’elles n’ont aucune raison valable. Les entreprises et leurs salariés se mettent d’accord sur un licenciement pour abandon de poste suivi d’une transaction dont les termes ont été évidemment négociés préalablement.
Ce qui étonne davantage c’est la méthode utilisée par la Dares pour parvenir à ce résultat.
Cette étude repose en effet sur une double méthode : celle de l’échantillonnage et celle de l’interpolation.
La méthode de l’échantillonnage consiste à sélectionner une base de sondage au sein d’une population à partir de laquelle pourront être tirées le cas échéant des conclusions probantes concernant la population dans son ensemble.
Il est alors nécessaire de constituer un échantillon de la population qui représente le plus fidèlement possible la population retenue. Le caractère représentatif de celui-ci dépend de la taille de l’échantillon et du choix des membres de l’échantillon.
De manière générale, plus l’échantillon est grand et plus l’estimation sera précise.
La Dares a interrogé, indique-t-elle, un échantillon d’entreprises ayant reporté, dans leur déclaration sociale nominative (DSN), au moins un “licenciement pour faute lourde ou grave” pour les CDI ou une “rupture anticipée pour faute grave ou lourde” pour les CDD au cours du premier semestre de l’année 2022.
La Dares n’a pas fourni leur nombre ; l’on sait seulement que ces entreprises ont été sélectionnés dans cinq secteurs d’activités (4)
Renseignements pris auprès de la Dares, celle-ci a interrogé 1 900 entreprises – nombre qui parait bien maigre en comparaison à l’échantillon retenu au titre des enquêtes qu’elle réalise chaque trimestre sur l’évolution des salaires de base et conditions d’emploi dans le secteur privé, à savoir 38 000 (5).
En outre, toutes n’ont pas répondu à l’enquête ; seulement 40 % d’entre elles ont accepté d’indiquer le motif des licenciements auxquels elles avaient procédé au cours du 1er semestre 2022 si bien que l’étude repose en réalité sur un échantillon de 760 entreprises et concerne seulement 770 salariés.
Toujours selon les précisions apportées par la Dares, 71 % des 770 salariés dont le contrat a été rompu pour faute grave ou lourde, l’ont été pour abandon de poste, soit 546 salariés.
De ce chiffre la Dares a déduit par interpolation que, rapporté au nombre des ruptures pour faute grave ou lourde mentionnées dans les DSN du 1er semestre 2022 (173 000), le nombre de salariés dont le contrat de travail avait été rompu pour abandon de poste s’est élevé par conséquent à 123 000, dont 116 000 salariés en contrat à durée indéterminée (94,31 %).
L’on passe ainsi naturellement de 546 salariés à … 123 000 salariés ayant abandonné leur poste.
L’étude ne s’arrête pas là.
L’appariement ForCE a été ensuite mobilisé par la Dares pour caractériser les trajectoires des salariés titulaires d’un CDI ayant abandonné leur poste dans les trois mois suivant la fin de contrat.
Mis en place en 2020 par la Dares, avec la contribution de Pôle emploi, le dispositif ForCE est un dispositif permanent de croisement des bases statistiques sur la FORmation, sur le Chômage et l’Emploi dont l’enjeu est de permettre la reconstitution des trajectoires professionnelles de toutes les personnes ayant eu un contact avec le service public de l’emploi (missions locales, Pôle emploi) ou ayant suivi une formation professionnelle prise en charge totalement ou partiellement par les pouvoirs publics.
La Dares s’est donc attachée à examiner la situation des individus dans les trois mois après avoir abandonné leur CDI au 1er semestre 2022, soit 515 salariés si l’on tient compte de la part qu’ils représentent (94,31 %).
L’on apprend que 37 % d’entre eux ont accédé au moins une fois à un nouvel emploi dans les trois mois suivant leur abandon de poste (6).
Ce dispositif a aussi permis de déceler que, sur les 515 salariés ayant abandonné leur poste (pour des causes que l’on ignore toujours), 45 % (232 salariés) ne se sont pas inscrits à Pôle emploi dans les trois mois (7).
Pour cette catégorie, il est peu probable que la motivation première de leur abandon de poste, au moins pour les trois premiers mois, soit de bénéficier des faveurs du Pôle emploi.
Par ailleurs, 55 % d’entre eux se sont inscrits à Pôle emploi (283 salariés) : 82 salariés ont retrouvé un emploi salarié (8) tandis que 201 n’ont pas retrouvé d’emploi dans les trois mois suivants (9).
C’est cette dernière sous-catégorie qui est a priori suspectée de vouloir bénéficier indument du système d’assurance chômage, ce qui représenterait selon la Dares environ 50 000 salariés (10).
Cependant, l’on regrettera encore le manque de précision…parmi ces 201 salariés, combien ont effectivement bénéficié de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) ?
En effet, l’inscription à Pôle emploi ne donne pas nécessairement lieu à la perception d’une ARE.
Par ailleurs, l’étude ne fournit aucune précision sur ceux qui ont pu retrouver un emploi au-delà de cette première période de trois mois.
Autrement dit, compte tenu des enjeux attachés à cette réforme, l’on aurait pu espérer une étude un peu plus précise et convaincante basée sur une méthode un peu plus rigoureuse.
Une étude qui arrive au bon moment pour justifier une mesure contestée qui parait relever davantage d’une certaine idéologie que reposer sur une réalité certaine.
Compte tenu des nombreuses incertitudes liées à cette présomption d’abandon de poste que le décret du 17 avril 2023 n’a pas levées, les entreprises pourront être avisées de ne pas s’en prévaloir et d’éviter ainsi de s’ériger en juge de l’assurance chômage.
Il pourra en être autrement si “l’employeur entend faire valoir la présomption de démission” et s’inscrire dans cette procédure – comme l’énonce l’alinéa premier de l’article R. 1237-13 qui, à la lettre, confirme l’existence d’une faculté laissée à son appréciation et non d’une obligation malgré la position très contestable du Q/R considérant qu’il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute.
(1) “La démission sans volonté de démissionner : quels effets aura cet objet juridique non identifié ?”, G. Duchange et I. Meftah, Revue de droit du travail, 2022, p. 685.
(2) “La présomption de démission : une aberration juridique“, Michèle Bauer
(3) “Une innovation déroutante : la démission sans volonté de démissionner”, Jean Mouly, Droit social, 2023, p. 158.
(4) Le secteur du commerce, transport et entreposage, le secteur de l’hébergement et de la restauration, le secteur “autres services”, le secteur de l’industrie et le secteur de la construction.
(5) C’est l’échantillon retenu pour l’enquête ACEMO pour le 4e trimestre 2021.
(6) 21 % d’entre eux ne se sont pas inscrits à Pôle emploi ; 16 % se sont inscrits au chômage.
(7) Cette catégorie regroupe les non-inscrits à Pôle emploi et en emploi salarié au moins une fois dans les trois premiers mois (21 %) et les non-inscrits à Pôle emploi et sans emploi salarié au cours des trois suivants (24 %).
(8) 16 % de l’échantillon
(9) 39 % de l’échantillon
(10) La Dares évoque un pourcentage de 43 ce qui représenterait 50 000 salariés sans s’expliquer sur le calcul de ce pourcentage.
Présomption de démission en cas d’abandon de poste : Force ouvrière attaque le décret et le questions réponses devant le Conseil d’État
04/05/2023
Dans un communiqué publié hier, Force ouvrière annonce avoir déposé un recours devant le Conseil d’État pour faire annuler le décret du 17 avril 2023 relatif à la nouvelle procédure applicable en cas d’abandon de poste. FO “conteste le principe même de la présomption de démission pour abandon de poste qui constitue “une aberration juridique créée dans le seul but de restreindre encore un peu plus les droits des demandeurs d’emploi”.
FO déplore, par exemple, qu’un salarié, dans l’impossibilité de relever son courrier (en raison d’une hospitalisation), se trouve exposé au risque d’être déclaré « présumé démissionnaire »”.
FO attaque par ailleurs le “questions-réponses” du ministère du travail” qui “ferme désormais la porte au licenciement pour abandon de poste qui permettait à ces salariés de bénéficier des allocations chômage”.
Un autre recours contre ce document du ministère du travail a été porté devant le Conseil d’État par l’association Le Cercle Lafay. Ce dernier porte sur la réponse 1 qui affirme que l’employeur devrait obligatoirement avoir recours à la procédure de présomption de démission dès lors qu’il a envoyé une mise en demeure du salarié de reprendre son poste. Le mémoire de la partie requérante, que nous avons pu consulter, indique que l’article L. 1237-1-1 du code du travail “ne mentionne aucunement que cette nouvelle procédure d’abandon de poste serait exclusive du licenciement”.
Source : actuel CSE