Fraude au CPF : le Sénat adopte la proposition de loi à l’identique
Après une adoption à l’Assemblée nationale le 6 octobre, la proposition de loi sur la fraude au compte personnel de formation (CPF) a été votée à l’unanimité jeudi 8 décembre au Sénat, sans modification. Le texte devrait être promulguée rapidement, sauf saisine surprise du Conseil constitutionnel. Morceaux choisis des débats.
1h 45 : c’est le temps éclair qu’il a fallu, jeudi 8 décembre, aux sénateurs pour voter à l’unanimité la proposition de loi sur les abus et fraudes au compte personnel de formation, adoptée également à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 6 octobre. Le texte reprend à l’identique la version des députés. Les deux amendements déposés par Mélanie Vogel, du groupe Ecologiste-solidarité et territoires, visant à étendre l’interdiction du démarchage téléphonique commercial non consenti à tous les domaines de prospection commerciale, n’ont pas été retenus. En somme un débat consensuel, sans obstruction et contestation. Une situation quasi inédite sous ce second quinquennat Macron. De quoi réjouir Carole Grandjean, la ministre de l’enseignement et de la formation professionnelle, qui s’est aussitôt félicitée pour ce vote sur les réseaux sociaux. Ce texte va permettre “aux Français de se former sans être pollués”. Il peut désormais être promulgué, sauf saisine surprise du Conseil constitutionnel.
Un texte attendu de longue date
Cette proposition de loi, déposée par Sylvain Maillard, député de Paris (Renaissance, ex-LREM) et Bruno Fuchs, député du Haut-Rhin (Modem), en août dernier, était attendue de longue date. En février 2021, Catherine Fabre, à l’époque députée LREM de Gironde, avait porté une première proposition de loi, assez similaire. Laquelle n’avait pas pu être examinée en raison de la fin de la session parlementaire anticipée due aux élections présidentielle et législative. Plusieurs tentatives avaient ensuite été effectuées pour intégrer un véhicule législatif, via des amendements, notamment lors des débats sur la loi pouvoir d’achat, mais sans succès. C’est donc Carole Grandjean, en charge de la formation professionnelle, qui a logiquement soutenu le dossier.
Une fraude estimée à 43 millions d’euros en 2021
Lors des débats au Sénat, elle a rappelé que “le succès massif du CPF a aussi ouvert la porte à des pratiques commerciales abusives voire agressives”. “Ces dérives consistent souvent à forcer les individus à acheter des formations contre leur gré ou de manière insuffisamment réfléchie, a-t-elle détaillé. Cela s’est traduit par des appels, des SMS ou des courriels intempestifs de la part de centres d’appels ou d’organismes de formation”. “Ces arnaques véhiculaient bien souvent des informations erronées sur les droits de l’individu et l’objectif réel poursuivi par l’organisme”, a-t-elle alerté.
Des procédés aux conséquences considérables : le préjudice financier lié aux pratiques abusives et frauduleuses est évalué à 43 millions d’euros en 2021. “Une somme qui a été multipliée par cinq en un an”.
Une série de mesures pour sécuriser le CPF |
Pour Carole Grandjean, cette proposition de loi complète l’arsenal de mesures mises en place par le gouvernement pour sécuriser le compte personnel de formation. Tout d’abord, elle a rappelé que le service France Connect +, lancé le 25 octobre, permet, grâce au service d’identité numérique de La Poste, de lutter contre l’usurpation d’identité lors de la réalisation de démarches administratives sensibles. Par ailleurs, elle a indiqué que l’entrée en vigueur de Qualiopi, en janvier dernier, avait permis de “renforcer l’exigence de qualité des organismes de formation”. 17 000 d’entre eux sont aujourd’hui répertoriés sur la plateforme, contre 24 000 auparavant. Qui plus est, elle a soutenu que le renouvellement du Répertoire spécifique, en janvier dernier, avait conduit “à éliminer deux tiers des certifications dont l’intérêt n’était plus avéré pour l’évolution professionnelle des actifs”. Enfin, elle a déclaré que “l’intégralité de l’offre portant sur la création et la reprise d’entreprise avait été revue, il y a quelques mois, par la Caisse des dépôts : près de 60 % des offres ont ainsi été déréférencées car elles sont apparues non conformes”. |
“Réseaux de criminalité”
“Derrière ces pratiques, il y a des réseaux de criminalité organisés, a renchéri Nadia Sollogoub (Union centriste). Malgré le renforcement des dispositifs de contrôles, Tracfin (la cellule anti-blanchissement du ministère des finances) a constaté en 2021 une persistance voire un renforcement de la fraude qui s’organise au fur et à mesure de la tentative de sécurisation du dispositif”. Désormais “on constate des inscriptions fictives à des formations non suivies, un démarchage agressif et même des incitations aux inscriptions par des offres de cadeaux”.
“Le problème de la fraude au CPF était en germe dans la loi de 2018”
L’écologiste Mélanie Vogel a toutefois rétorqué que la désintermédiation et la monétisation du CPF ont favorisé “un marché mal régulé”. Un constat également partagé par Monique Lubin, du groupe Socialiste, écologiste et républicains (Ser) qui a rappelé que les partenaires sociaux, à l’initiative de l’ANI de 2018, s’étaient prononcé contre la désintermédiation et la monétisation du CPF. “Le problème de la fraude au CPF était en germe dans la loi de 2018”, a-t-elle déclaré tout en précisant que 32 400 signalements ont été effectués auprès de la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du dispositif, au premier semestre 2022.
Au passage, le groupe Ecologiste-solidarité et territoires a revendiqué “un droit à la formation pour se reconvertir, intégré au compte professionnel de prévention et tout spécifiquement pour les métiers en transition”. “Il faudrait aussi que le droit à la formation tienne compte de l’importance de former les individus tout au long de la vie et pas seulement dans une optique de professionnalisation au sens strict du terme mais permettre à chacune et chacun d’apprendre, de s’enrichir de connaissances de différents sujets d’intérêt général, de progresser dans la compréhension du monde”, a soutenu Mélanie Vogel.
“Une première réponse importante”
Mais malgré les divergences politiques, le sujet a fait consensus. “Si ce texte n’épuise pas le sujet des ajustements à apporter au CPF, c’est une première réponse importante, a résumé Nadège Have (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants). Le temps de la régulation est le bienvenu”.
Les principales mesures |
La proposition de loi comporte quatre articles. Dans le détail, l’article 1 inscrit dans les codes de la consommation et du travail l’interdiction du démarchage commercial par SMS, téléphone ou via les réseaux sociaux au titre du CPF. En cas de manquement à cette interdiction, le texte fixe le montant de l’amende administrative à 75 000 euros maximum pour une personne physique et à 375 000 euros pour une personne morale. Par ailleurs, l’article 2 étend le champ des acteurs concernés par un échange d’informations utiles à la lutte contre la fraude au CPF, afin d’intégrer dans la boucle les organismes financeurs, les organismes et instances délivrant la certification Qualiopi ainsi que les ministères et organismes certificateurs. Il prévoit également de lever le secret professionnel et d’instaurer un droit de communication d’informations entre les agents de la Caisse des dépôts et consignations chargés de la lutte contre la fraude au CPF et les agents chargés de la lutte contre le travail illégal. En outre, pour permettre à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) d’encaisser plus facilement les sommes perçues illégalement, le texte lui confère les moyens de mettre en œuvre un recouvrement forcé. Enfin, l’article 4 encadre le recours à la sous-traitance, en leur conférant les mêmes obligations que les prestataires de formation. En cas de manquement de leur part, le donneur d’ordre pourra être déréférencé. Un décret précisera la mise en musique de ces dispositions. |
Anne Bariet
CPF : les salariés devront mettre la main au portefeuille
Le gouvernement a eu une nouvelle fois recours au 49-3 pour faire adopter le projet de loi de finances pour 2023, le 11 décembre, à l’Assemblée nationale. Il a instauré en dernière minute un reste à charge pour les salariés qui souhaitent mobiliser leur compte personnel de formation (CPF) en vue de suivre une formation. Le montant de cette participation sera précisé par décret.
Après l’échec de la commission mixte paritaire, réunie le 6 décembre, sur le projet de loi de finances pour 2023 (PLF), la Première ministre, Élisabeth Borne, a une nouvelle fois eu recours à l’article 49.3 et a engagé, le 11 décembre, la responsabilité du gouvernement sur la deuxième partie du budget et l’intégralité du texte. Avant la deuxième lecture du texte à l’Assemblée nationale ce week-end, le gouvernement avait confirmé, via un amendement déposé samedi en fin de journée, son intention – déjà précisée en première lecture- d’instaurer un reste à charge pour les salariés qui souhaitent mobiliser leur compte personnel de formation (CPF).
Une participation proportionnelle ou forfaitaire
Le texte complète ainsi l’article 49 du projet de loi et indique que la participation du titulaire “peut être proportionnelle au coût de la formation dans la limite d’un plafond ou fixée à une somme forfaitaire”. Elle serait demandée à tous les salariés en vue de financer une action de formation, une validation des acquis de l’expérience (VAE) ou un bilan de compétences. Ce reste à charge ne concerne pas les demandeurs d’emploi “qui ont le plus besoin d’une formation”. Ni même les salariés qui parviennent à co-construire un projet de formation avec leur entreprise soit par accord d’entreprise ou individuellement. Dans ce cas, ces derniers recevront un abondement de leur entreprise.
L’exposé des motifs indique que les modalités de mise en œuvre seront précisées par décret en Conseil d’Etat, que ce soit pour le “taux de participation”, les “conditions de sa possible prise en charge par un tiers” ou encore le “niveau minimal d’abondement par l’employeur”.
Une série de mesures pour limiter les dérives du CPF
Selon l’exécutif, le compte personnel de formation a généré cinq millions d’inscriptions. Revers de la médaille, cette réforme a aussi un coût : 6,7 milliards d’euros engagés par la Caisse des dépôts et consignations, organisme gestionnaire du CPF. Aussi le gouvernement entend-il réguler l’utilisation du dispositif en enjoignant les Français à mettre la main au portefeuille tout en s’assurant que “les formations s’inscrivent dans un projet professionnel solide”.
D’ores et déjà, l’exécutif a mis en place une série de mesures pour limiter les dérives du dispositif. Le 7 décembre, le Sénat a voté à l’unanimité et sans modification la proposition de loi sur la fraude au CPF. Le texte devrait être promulgué rapidement, sauf saisine surprise du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, le renouvellement du Répertoire spécifique, en janvier dernier, avait conduit “à éliminer deux tiers des certifications dont l’intérêt n’était plus avéré pour l’évolution professionnelle des actifs”, selon Carole Grandjean, la ministre de l’enseignement et de la formation professionnels, auditionnée le 7 décembre, au Sénat. En outre, l’intégralité de l’offre portant sur la création et la reprise d’entreprise a été revue ; “près de 60 % des offres ont ainsi été déréférencées car elles sont apparues non conformes”. Enfin, le gouvernement a lancé, le 25 octobre, le service France Connect +, pour sécuriser le CPF. Lequel permet, grâce au service d’identité numérique de La Poste, de lutter contre l’usurpation d’identité lors de la réalisation de démarches administratives sensibles.
Pour être définitivement adopté, le projet de budget 2023 doit une nouvelle fois revenir devant les sénateurs avant son adoption définitive par les députés. La motion de censure déposée par les Insoumis, jeudi dernier, a elle été rejetée.
Sept Français sur 10 opposés à un reste à charge
Reste que l’amendement passe mal auprès des syndicats. Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO, en charge de l’emploi et de la formation professionnelle, a aussitôt réagi, dimanche, sur Twitter en indiquant que “le CPF est un droit”. “Instaurer un reste à charge est une atteinte à ce droit” a alerté le syndicaliste. L’Unsa a indiqué par communiqué que cette décision remettait “en cause le principe de la liberté de choisir son avenir professionnel énoncé dans la loi de septembre 2018”.
De son côté Éric Coquerel, président de la commission des Finances à l’Assemblée nationale (LFI), a estimé, sur BFM, que ce procédé était “scandaleux”. “On nous dit que la formation est nécessaire tout au long de la vie pour changer de métier, se reconvertir et là on va demander aux salariés de payer”, a-t-il fustigé.
Autre point faible : 69 % des Français sondés se disent opposés à la systématisation d’un reste à charge pour le bénéficiaire, dans le cadre de la mobilisation de son CPF, selon un sondage Ipsos publié le 8 décembre 2022 par Wall Street English. Cette opposition est encore plus forte pour les personnes ayant un niveau de diplôme inférieur au bac (74 %).
Seule concession : 83 % des sondés souscrivent à l’idée de responsabiliser davantage les apprenants en instaurant un reste à charge pour les seuls actifs qui n’iraient pas au bout de leur parcours de formation.
Anne Bariet
Reste à charge pour les salariés sur le CPF : pour les syndicats, “c’est non !”
Les syndicats ont vivement réagi à l’amendement du gouvernement qui vise à imposer aux salariés d’assumer un reste à charge s’ils souhaitent utiliser leurs droits à formation présents dans leur compte personnel de formation, le CPF. La CFDT juge cette mesure injuste : “Les salariés qui mobiliseront leur CPF pour financer une action de formation, un accompagnement pour une validation des acquis de l’expérience (VAE) ou un bilan de compétences se verront appliquer une franchise. Cette mesure est contraire à l’esprit de la loi 2018 et injuste. Elle viendra éloigner encore plus de la formation les salariés aux plus petites rémunérations et qui sont souvent celles et ceux qui y ont le moins accès”.
Le syndicat ajoute qu’il s’agit d’une “entaille à ce qu’est le CPF depuis qu’il a été construit par les partenaires sociaux : un dispositif à la main du salarié pour construire son parcours professionnel”. La CFDT s’offusque aussi de la méthode : “Déposer un amendement alors même que les partenaires sociaux viennent de remettre jeudi dernier au ministre du Travail, du plein-emploi et de l’insertion et à la ministre déléguée Carole Grandjean des propositions avec des pistes de régulation du CPF est un mauvais signal envoyé avant le début des concertations sur la formation professionnelle”.
La CGT se scandalise également d’une mesure qui “rabote les droits des salariés”, “alors que le CPF ne représente que 2,7 milliards d’euros dans le budget de France Compétences”. La confédération dénonce l’inégalité de cette obligation dont elle demande “le retrait immédiat” : “Un salarié gagnant plus de 4000 euros aura le même reste à charge qu’un autre à temps partiel payé au Smic !”
FO est sur la même longueur d’ondes. Le syndicat se dit “fermement opposée à tout logique de modération financière du CPF” et estime que “seule la généralisation du recours aux conseillers en évolution professionnelle permettrait de réguler efficacement (c’est à dire par la qualité des actions de formation suivies) le CPF, et plus largement le dispositif de formation professionnelle”.
actuEL CE