IRP

La CGT fait campagne pour les 32 heures de travail par semaine et pour un droit de veto octroyé au CSE

15/10/2021

Lors d’une conférence de presse hier à Montreuil, la CGT a lancé une campagne en faveur d’une réduction à 32 heures hebdomadaires du temps de travail (► lire en pièce jointe les propositions du syndicat). Pour la confédération, la réduction du temps de travail, qui permettrait au passage de mieux lutter contre le réchauffement climatique et de favoriser un meilleur équilibre vie privée vie professionnelle, n’est en rien une lubie française : “En Allemagne, le président du syndicat IG Metall s’est prononcé en 2020 pour les 32 heures. C’est également en Allemagne qu’en 2013 un appel de plus de 100 économistes et acteurs du mouvement social s’est positionné en faveur de la semaine de 30 heures, au titre notamment de la lutte contre le chômage. En Grande-Bretagne, le leader du Parti travailliste a pris position en 2019 pour le passage à la semaine de 4 jours et aux 32 heures, sans perte de salaire. En Espagne, en mars 2021, le gouvernement a décidé d’engager une expérimentation de la semaine de 4 jours, à 32 heures avec maintien des salaires. Cette expérience doit porter sur 200 entreprises et plusieurs milliers de salariés. Le mouvement “4dayweek” mène campagne pour la réduction du temps de travail en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Irlande. En octobre 2020, le comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES) s’est exprimé en ce sens : « La CES demande un agenda afin de coordonner les négociations pour une réduction de la semaine de travail sans réduction de salaire et des dispositions pour un contrôle du temps de travail, de la qualité de la vie professionnelle et de la sécurité des revenus en cas de maladie. »

La CGT demande, pour accompagner cette réduction du temps de travail, “une augmentation des droits et moyens des élus et mandatés du personnel” avec “un droit des IRP au recours suspensif en cas de non-respect des règles et procédures” et notamment “un droit de veto du CSE sur l’utilisation des aides publiques par l’entreprise”, la création “de comités interentreprises donneurs d’ordres/sous-traitants”, ainsi que des “droits de réunion collective renforcés”. 

actuEL CSE

Le délégué syndical peut être désigné dans un périmètre plus restreint que celui du CSE d’établissement

19/10/2021

Le découpage de l’entreprise retenu pour la mise en place des CSE d’établissement ne peut pas empêcher la désignation d’un délégué syndical à un niveau inférieur constituant un établissement distinct au sens du droit syndical.

En principe, le périmètre de désignation des délégués syndicaux est le même que celui retenu pour les dernières élections destinées à mettre en place le CSE d’entreprise ou d’établissement (par exemple, Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 11-11.409). Ainsi, dans une entreprise possédant plusieurs CSE d’établissement, les délégués syndicaux seront désignés dans chacun des établissements dotés d’un CSE d’établissement.

En parallèle, le code du travail prévoit qu’il est possible de désigner un délégué syndical sur un périmètre plus restreint au sein d’un peut intervenir au sein “établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques” (article L. 2143-3).

Comme le rappelle un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 29 septembre 2021, cette disposition est d’ordre public. En conséquence, en présence d’une communauté de travail et d’un représentant de l’employeur, il est possible de désigner un délégué syndical indépendamment du découpage de l’entreprise en établissements distincts pour la mise en place des CSE.

Les faits

Décembre 2019, le syndicat FO de l’Ugecam Nord-Est désigne une déléguée syndicale au sein de l’Institut médico-éducatif de Brottes (l’IME). N’ayant pu obtenir du tribunal judiciaire l’annulation de cette désignation, Ugecam Nord-Est décide de porter l’affaire en cassation.

Pour l’employeur, lorsque les partenaires sociaux ont décidé par accord collectif de regrouper plusieurs établissements au sein d’un établissement distinct unique pour la mise en place d’un CSE d’établissement, la désignation d’un délégué syndical ne peut intervenir, “dans un souci de concordance entre le niveau de négociation et le niveau de consultation” qu’au niveau de ce nouveau périmètre et non à celui de l’un de ces établissements. Du fait de son regroupement avec d’autres sites au sein de l’établissement de Chaumont, l’Institut médico-éducatif de Brottes avait perdu toute individualité en tant qu’établissement éventuellement distinct. FO ne pouvait donc pas y désigner une déléguée syndicale.

Aussi logique qu’elle puisse paraître, l’argumentation de l’Ugecam Nord-Est est rejetée.

Le code du travail prévoit en effet que “la désignation d’un délégué syndical peut intervenir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques” (article L. 2143-3).

Des dispositions d’ordre public

Or, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 29 septembre 2021, “ces dispositions, même si elles n’ouvrent qu’une faculté aux organisations syndicales représentatives, sont d’ordre public quant au périmètre de désignation des délégués syndicaux”. En conséquence, ni un accord collectif de droit commun, ni l’accord d’entreprise destiné à déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts pour l’élection des CSE d’établissement (article L. 2313-2) ne peuvent priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d’un établissement au sens de l’article L. 2143-3 du code du travail.

Dans cette affaire, il avait été constaté que l’accord de mise en place du CSE à l’Ugecam ne prévoyait rien “en matière de désignation des délégués syndicaux”, que le directeur de l’IME de Brottes avait la qualité de représentant de l’employeur et, enfin, que l’employeur n’apportait aucun élément concret pour contester l’existence d’une communauté de travail.

Conclusion : la désignation d’une déléguée syndicale au sein de l’Institut médico-éducatif de Brottes était valable.

Frédéric Aouate, rédacteur en chef du GuideCSE

Environnement : les actions concrètes des syndicats pour les militants et élus de CSE

19/10/2021

Les lois Pacte (2018), mobilités (2019) et climat (2021) ont peu à peu inscrit l’environnement dans l’entreprise et dans les missions du CSE. Mais comment les syndicats s’approprient-ils ces mesures, et surtout quelles sont leurs actions concrètes pour former leurs militants et aider les élus de CSE ? Une conférence du cabinet spécialisé en environnement Gate17 a invité la CGT, la CFDT, la CFE-CGC et l’UNSA autour de ces sujets.

Les syndicats sont-ils frileux ou entreprenants sur l’environnement ? Ont-ils pris la mesure de l’urgence climatique et du rôle des représentants du personnel en la matière ? Depuis la loi climat du 22 août 2021, le CSE dispose de nouvelles prérogatives environnementales, notamment au travers de ses informations consultations élargies aux conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise. Les élus ne se sont cependant vu octroyer aucun moyen supplémentaire en formation ou en heures de délégation pour s’approprier les sujets environnementaux. Comment les syndicats peuvent-ils leur apporter leur soutien ? Les secrétaires généraux ou nationaux chargés du développement durable Véronique Martin (CGT), Madeleine Gilbert (CFE-CGC), Philippe Portier (CFDT) et Guillaume Trichard (UNSA) ont répondu à cette question de Mathilde Despax, présidente du cabinet Gate17, spécialiste de l’accompagnement des CSE sur l’environnement.

L’essentiel travail de sensibilisation

Philippe Portier, secrétaire national développement durable de la CFDT, plante le décor : “Certaines équipes syndicales n’ont pas attendu la loi climat pour travailler sur l’environnement, mais pour d’autres, la priorité reste les salaires et les conditions de travail”. Les syndicats se sont donc donnés pour objectif de sensibiliser les militants et délégués syndicaux à l’environnement. Côté CFDT, l’ARC assume cette mission. ARC pour Accompagnement, Ressources, Conseils. Cet espace intranet comporte des informations, des indications sur les pratiques syndicales à mettre en place, des conseils d’experts, des décryptages de documents. 

Côté UNSA, la plateforme dénommée UNSA Please est dédiée aux équipes de terrain et inclut un volet environnemental. Un centre de formation agréé propose également des ateliers de sensibilisation. Mais Guillaume Trichard va plus loin : “A l’appui des CSE, on trouve les cabinets d’experts, notamment d’experts-comptables. Ils doivent eux aussi le virage vert”.

Les élus doivent savoir ce qu’est un bilan carbone 

Le secrétaire général adjoint de l’UNSA se met même à la place des élus de CSE et considère qu’il faut muscler leur formation : “Si on reste dans les dogmes, les a prioris et les à-peu-près, les directions pourront dire n’importe quoi aux élus qui n’auront pas les armes pour répondre. Si les élus ne savent pas ce qu’est un bilan carbone, ou une mission ISR (investissement socialement responsable) on leur vendra des ‘fakenews’, et ils vont passer à côté des sujets”.

Selon le syndicaliste UNSA, de nombreuses entreprises ont déjà commencé leur “green washing” avec leur rapport RSE (*), une fausse politique verte qui risque de se perpétuer. Autre sujet soulevé par Guillaume Trichard : le verdissement des ASC, les activités sociales et culturelles du CSE. Allez critiquer les directions sur l’impact environnemental, c’est mieux quand on est vertueux soi-même. La transformation écologique doit être systémique, y compris quand on est aux manettes d’un CSE qui emploie lui-même des salariés”.

Un livret thématique pour les CSE 

La CGT a créé un collectif de travail dédié à l’environnement, fournit des documentations et anime des journées d’études. Son manifeste intitulé “Pas d’emplois sur une planète morte” (en pièce jointe), édité avec le collectif Plus jamais ça (dont font partie la FSU et Solidaires) propose par exemple un droit de veto des CSE sur les projets portant atteinte à l’environnement, la santé ou l’emploi. Un livret environnement (en pièce jointe) est également spécialement dédié aux CSE. Selon Véronique Martin, secrétaire nationale de la CGT, “le but de ce document est que les militants et les élus appréhendent les prérogatives des CSE sous l’angle des risques, principalement celui que les dégradations environnementales font peser sur la santé des salariés”. Le livret rappelle aussi aux élus de CSE leurs principaux droits comme l’expertise ou le droit d’alerte, et aborde les ASC et la commission environnement.

Nous avons formé 400 militants en 4 ans 

Enfin, la CFE-CGC avance avoir formé au développement durable 400 militants en 4 ans. Le syndicat des cadres fait partie de Global Compact France, une initiative des Nations Unies qui regroupe entreprises et organisations à but non lucratif pour inciter les sociétés à adopter une attitude socialement responsable. “Nous allons bientôt publier un mémo sur les enjeux du dialogue environnemental d’entreprise”, ajoute Madeleine Gilbert, secrétaire nationale RSE et développement durable de la CFE-CGC, “ainsi qu’un livret destiné aux administrateurs salariés, intitulé Gouvernance et RSE”.

Quand les syndicats eux-mêmes se mettent au vert

Difficile de stimuler élus et délégués syndicaux sans être exemplaire. Les syndicats se mettent donc eux aussi sur la voie d’un fonctionnement plus respectueux du climat et de l’environnement. L’UNSA a développé depuis 2016 un partenariat avec la fédération d’association France Nature Environnement et réalise ses propres bilans carbones. La CGT a cessé les vols aériens sur de courtes distances et a revu son parc de véhicules. La CFE-CGC s’occupe de remettre ses locaux aux normes environnementales et tente de réduire son utilisation de plastique.

(*) Le rapport RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) est un document annuel qui recense les actions en matière de développement durable, instauré par la loi Nouvelles régulations économiques de 2001.

Marie-Aude Grimont

Un tract syndical peut-il donner la grille des salaires de l’entreprise

20/10/2021

Nous revenons sur la décision du tribunal judiciaire de Paris, en date du 6 août 2021, au sujet d’un tract syndicat, car cette affaire nous donne l’occasion de rappeler certains principes et de pointer des questions qui restent en suspens. Ici, le juge a débouté une entreprise de sa demande de retrait et d’interdiction d’un tract syndical auquel était annexée la grille des salaires de la société, l’employeur dénonçant la violation par son délégué syndical de son obligation de confidentialité.

À l’issue de la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires, un délégué syndical diffuse un tract intitulé « Rémunération 2021 – Chacun pour soi et la CFDT pour tous », auquel est annexé un tableau sur lequel figurent les rémunérations minimales, moyennes, médianes et maximales par coefficient.  L’entreprise assigne en référé d’heures à heures (1) la fédération CFDT Communication Conseil Culture au visa de l’article 835 du Code de procédure civile en faisant valoir que la diffusion du tract constitue un trouble manifestement illicite. Elle demande notamment au tribunal :

  • de juger que le tract comporte des informations confidentielles dont la divulgation porte atteinte à l’intérêt de la société et que l’organisation syndicale, par l’intermédiaire de son délégué, a violé son obligation de discrétion et de confidentialité ;
  • d’ordonner, sous astreinte, le retrait du tract sur supports papier et numérique, l’interdiction de le diffuser sur ces supports et le versement d’une provision en réparation du préjudice causé par la diffusion.

L’entreprise est déboutée de toutes ses demandes par le tribunal judiciaire. Rendue dans un domaine où les décisions sont rares, cette ordonnance fournit l’occasion de rappeler certains principes et de signaler des questions en suspens.

► Outre la violation du code du travail et de la jurisprudence, l’employeur invoquait aussi la violation par le syndicat et son délégué de l’accord d’entreprise sur le droit syndical, au motif que le tract avait été diffusé non pas concomitamment à sa transmission à la direction, mais avant, contrairement aux stipulations de cet accord. Il est également débouté, le juge ayant considéré qu’il n’établissait pas l’antériorité de la diffusion. Bien plus, le syndicat ayant prouvé que l’entreprise avait tardé à adresser aux salariés un mail contenant un lien vers les communications syndicales du mois passé en dépassant ainsi le délai prévu par l’accord, il a été condamné à réparer le préjudice subi par le syndicat.

Pas d’obligation de discrétion pour le DS, exception faite de la BDES

À l’appui de ses demandes, la société faisait valoir que le délégué syndical est tenu, comme les membres du CSE, à un devoir de discrétion à l’égard des informations confidentielles présentées comme telles par l’employeur, dans la mesure où leur divulgation est de nature à porter atteinte à l’intérêt de l’entreprise.

Elle se fondait sur les articles L. 2315-3 et L. 2312-36 du code du travail, le premier disposant que les membres de la délégation du personnel du CSE et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur, et le second, relatif à la BDES (base de données économiques et sociales), prévoyant à son dernier alinéa que les membres de cette délégation et les délégués syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations contenues dans la base de données revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur.

Ses arguments sont rejetés par le tribunal.

Celui-ci rappelle d’abord que la liberté de communication des syndicats est garantie par de nombreux droits et libertés fondamentaux : liberté d’action syndicale et participation des travailleurs (préambule de la Constitution de 1946, al. 6 et 8), liberté d’expression (déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 art. 11 et convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales art. 10) et principe d’égalité des syndicats (déclaration des droits de l’Homme et du citoyen art. 6).
Le tribunal rappelle aussi l’article L. 2142-5 du Code du travail sur le contenu des affiches, publications et tracts, lequel est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse.

Pour le tribunal, aucune des dispositions invoquées par l’employeur n’est applicable au litige.

L’obligation de discrétion visée à l’article L. 2315-3 (plutôt que L 2312-36) concerne les membres du CSE, pas les délégués syndicaux.
Le tableau litigieux n’a pas été communiqué par l’intermédiaire de la BDES, puisqu’il a été transmis dans le cadre d’une réunion de négociation annuelle des salaires et ne figure pas dans la BDES de l’entreprise.
S’il est exact que, selon l’article L 2312-36, les informations communiquées par l’intermédiaire de la BDES peuvent être considérées comme confidentielles lorsqu’elles sont identifiées comme telles par la direction, y compris pour les délégués syndicaux, la BDES a pour vocation le fonctionnement du CSE et non l’exercice des mandats syndicaux.

Dès lors, lorsque des documents sont transmis aux délégués syndicaux dans le cadre du fonctionnement du CSE, alors ils sont soumis à la même obligation de confidentialité que les autres membres de l’instance. À l’inverse, lorsqu’ils se voient communiquer des informations en leur stricte qualité de délégué syndical et en dehors de tout fonctionnement du CSE, ce sont les dispositions de l’article L 2142-5 qui ont vocation à s’appliquer et les seules limites fixées à la liberté d’expression du délégué syndical sont celles prévues par la loi relative à la liberté de la presse.

A notre avis Les arguments textuels du tribunal nous semblent solides : l’obligation de confidentialité est prévue à plusieurs reprises par le Code du travail, dans les articles L. 2315-3 et L. 2312-36 mentionnés ci-dessus et dans d’autres plus spécifiques, par exemple dans le cadre du droit d’alerte économique (C. trav. art. L. 2312-67), ou relatifs aux documents de gestion comptable prévisionnelle (C. trav. art. L. 2312-25) ou en cas d’offre de reprise d’un site menacé de fermeture (C. trav. art. L.1233-57-15). Elle peut s’imposer au comité, mais aussi à des personnes qui n’en font pas partie, experts assistant le comité (C. trav. art. L. 2315-84) et experts et techniciens des commissions (C. trav. art. L. 2315-45). On peut en déduire que, lorsqu’elle n’est pas imposée, notamment dans le cadre de la négociation obligatoire sur les salaires, cette obligation n’existe pas. La doctrine va dans ce sens : voir, par exemple, Grégoire Loiseau, Pascal Lokiec, Laurence Pécaut-Rivolier, Pierre-Yves Verkindt, Droit de la représentation du personnel, Dalloz Action 12/2018 n° 523.202. D’aucuns déploreront ce qu’ils considéreront comme une lacune des textes, en reprenant l’argument de l’entreprise, resté d’ailleurs sans réponse, selon lequel « la loyauté commande notamment à l’employeur de fournir aux représentants syndicaux une information complète et sincère qui a pour corollaire l’obligation pour les représentants syndicaux de respecter le devoir de discrétion et de confidentialité attaché aux informations confidentielles ». Et penseront que la situation n’est pas de nature à inciter les entreprises à la générosité en matière d’information. Reste qu’il n’appartient pas au juge de se substituer au législateur. Un remède possible en la matière, qui ménagerait les deux parties, serait de conclure, en application des articles L. 2242-10 s. du code du travail, un accord d’adaptation sur les négociations obligatoires – ou, s’agissant des autres négociations, un accord de méthode en application de l’article L. 2222-3-1 du même code – prévoyant la possibilité pour l’entreprise de signaler certaines informations comme confidentielles et l’obligation pour les négociateurs syndicaux de respecter ce caractère. Autre solution possible : comme le permet l’article L. 2312-21 du code du travail, conclure un accord d’entreprise sur la BDES et y intégrer les informations nécessaires aux négociations obligatoires avec les délégués syndicaux. Qui seraient alors tenus à une obligation de confidentialité pour les informations confidentielles et présentées comme telles par l’employeur.

Mais un syndicat ne doit pas divulguer d’informations sensibles hors de l’entreprise, ou les déformer

La société fondait aussi son action sur un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation ayant admis, dans le cas d’une information écrite donnée à un représentant du personnel, que l’indication du caractère confidentiel peut résulter de la mention « confidentiel » et interdisant sa diffusion externe apposée sur la note en cause (Cass. soc. 6-3-2012 n° 10-24.367 F-D : RJS 5/12 n° 408). Le tribunal judiciaire estime que cette décision ne pouvait pas, non plus, être utilement invoquée : outre le fait que les informations, dans cette espèce, avaient été transmises à un membre du comité d’entreprise en cette qualité, l’intéressé les avait divulguées à la presse et déformées.

Or, dans l’affaire soumise au tribunal, les informations litigieuses étaient annexées à un tract adressé aux salariés de l’entreprise, dont celle-ci ne démontrait pas que le délégué l’ait distribué à des personnes extérieures, le fait qu’il soit diffusé sous format numérique par la voie de l’intranet de l’entreprise ne permettant pas d’établir une diffusion en dehors de celle-ci. Et le tableau n’avait pas été modifié par l’intéressé.

A notre avis Est-ce à dire que, s’il avait pu démontrer que le tract avait été diffusé à l’extérieur de l’entreprise, l’employeur aurait pu en obtenir le retrait et l’interdiction, en dépit de la liberté d’expression des syndicats ? La réponse semble affirmative. En d’autres termes, le tribunal semble admettre que, même si un délégué syndical n’est pas tenu, en principe et en tant que tel, à une obligation de confidentialité, le droit du syndicat de divulguer des informations relatives à l’entreprise en dehors de celle-ci n’est pas sans limites.
On pense immédiatement à un arrêt de la Cour de cassation, selon lequel il résulte des articles 10, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et 1er de la loi 2004-575 du 21 juin 2004 que, si un syndicat a le droit de communiquer librement des informations au public sur un site internet, cette liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d’informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers (Cass. soc. 5-3-2008 n° 06-18.907 PBRI : RJS 5/08 n° 563). Et qui conclut qu’une cour d’appel ne pouvait pas rejeter la demande d’une société tendant à faire retirer du site internet d’un syndicat certaines informations la concernant et dont elle jugeait la diffusion contraire à ses intérêts et aux règles de confidentialité, sans rechercher si les informations litigieuses avaient un caractère confidentiel et si ce caractère était de nature à justifier l’interdiction de leur divulgation au regard des intérêts légitimes de l’entreprise.
Restent plusieurs questions en suspens, parmi lesquelles : pour obtenir le retrait d’un tract portant atteinte à ses intérêts légitimes, l’employeur doit-il établir qu’il a été diffusé volontairement à l’extérieur de l’entreprise ou suffit-il qu’il prouve que le tract a simplement « fuité » ? Est-il exclu que, dans certains cas, la diffusion d’informations aux seuls salariés de l’entreprise puisse porter atteinte aux intérêts légitimes de l’entreprise ? En effet, ceux-ci ne sont soumis, par principe, à aucune obligation de discrétion (Laurence Pécaut-Rivolier, « La confidentialité : droit ou obligation du représentant du personnel ? », Dr. soc. 2012 p. 46).

Il ne suffit pas, pour qu’un document soit confidentiel, qu’il soit signalé comme tel par l’employeur 

L’entreprise soutenait enfin que la divulgation du tract était de nature à porter atteinte à l’intérêt de l’entreprise, le contenu de la grille des salaires dans l’entreprise étant « particulièrement sensible puisqu’il dévoile la rémunération effective de tous les collaborateurs en fonction de leur coefficient conventionnel ».

Elle faisait notamment valoir :

  • qu’elle avait transmis le tableau dans le cadre confidentiel et spécifique de la négociation annuelle obligatoire en prenant soin d’indiquer spécifiquement « A l’attention des délégués syndicaux uniquement » – « Confidentiel – Ne pas diffuser sans autorisation – Ce document et les informations qu’il contient sont propriété de […]. Il ne doit pas être utilisé à d’autres fins que celles pour lesquels (sic) il a été remis. Copyright […] – Tous droits réservés. Confidentiel – Ne pas diffuser sans autorisation »;
  • que la diffusion aux salariés de ces informations portait atteinte aux droits des salariés au respect de leur vie privée et à la confidentialité de leur rémunération ; que la diffusion du tract dans les locaux le rendait accessible à toutes les personnes présentes sur le site, clients et prestataires compris, ce qui était d’autant plus préjudiciable qu’elle était une entreprise de services dont le chiffre d’affaires était essentiellement basé sur la valorisation des heures de travail dans le cadre des projets remportés.

Ces arguments sont également rejetés par les juges. Ceux-ci se réfèrent à un arrêt de la Cour de cassation, aux termes duquel, pour satisfaire aux conditions de l’article L 2325-5 du Code du travail (dont le contenu, qui concernait le comité d’entreprise, a été transposé au CSE par l’article L 2315-3 précité), l’information donnée aux membres du comité d’entreprise doit non seulement être déclarée confidentielle par l’employeur, mais encore être de nature confidentielle au regard des intérêts légitimes de l’entreprise, ce qu’il appartient à l’employeur d’établir (Cass. soc. 5-11-2014 n° 13-17.270 FS-PB : RJS 1/15 n° 44). Aux termes de cet arrêt, en plaçant sous le sceau de la confidentialité l’ensemble des documents adressés au comité sans justifier de la nécessité d’assurer la protection de l’ensemble des données contenues dans ces documents, l’employeur avait porté une atteinte illicite aux prérogatives des membres du comité dans la préparation des réunions.

Puis le tribunal constate, d’une part, que la direction avait communiqué un document de 22 pages et contenant 5 annexes, dont l’intégralité des contenus, sans distinction, était identifiée comme étant confidentielle et, d’autre part, que l’entreprise ne démontrait pas en quoi la diffusion de la grille des salaires portait atteinte à son intérêt ou à celui des salariés. En effet, pour les juges, le tableau faisant figurer les rémunérations minimales, moyennes, médianes et maximales ne concernait aucun coefficient réunissant moins de 5 salariés. Dès lors, les informations communiquées ne permettaient pas d’identifier les rémunérations individuelles des salariés, ni même leurs postes puisque les coefficients regroupent plusieurs postes différents.

Extrait de la décision
Il n’y a pas lieu d’ordonner le retrait d’un tract auquel est annexé un tableau contenant la grille des salaires de l’entreprise remis à un délégué syndical lors de la négociation annuelle sur les salaires et présenté comme confidentiel, dès lors que : lorsque des documents sont transmis aux délégués syndicaux dans le cadre de la base de données économiques et sociales, ils sont soumis à la même obligation de confidentialité que les autres membres de l’instance ; à l’inverse, lorsqu’ils se voient communiquer des informations en leur stricte qualité de délégué syndical et en dehors de tout fonctionnement du CSE, ce sont les dispositions de l’article L 2142-5, relatif aux affiches, publications et tracts, qui ont vocation à s’appliquer, et les seules limites fixées à la liberté d’expression du délégué syndical sont celles prévues par la loi relative à la liberté de la presse ; l’employeur n’a pas pu établir la diffusion du tableau à l’extérieur de l’entreprise et le délégué n’a pas déformé son contenu ; d’une part, la direction avait communiqué un document de 22 pages et contenant 5 annexes, dont l’intégralité des contenus, sans distinction, était identifiée comme étant confidentielle et, d’autre part, l’entreprise ne démontrait pas en quoi la diffusion de la grille des salaires portait atteinte à son intérêt ou à celui des salariés ; en effet, le tableau faisant figurer les rémunérations minimales, moyennes, médianes et maximales ne concernait aucun coefficient réunissant moins de 5 salariés ; dès lors, les informations communiquées ne permettaient pas d’identifier les rémunérations individuelles des salariés, ni même leurs postes puisque les coefficients regroupent plusieurs postes différents.

(1) : Le référé d’heures à heures (article 485 du code de procédure civile) permet d’obtenir une ordonnance de référé dans un délai particulièrement rapide.

La rédaction sociale des EFL

Les mesures d’un PSE s’apprécient au regard des moyens du groupe

18/10/2021

Pour savoir si les mesures adoptées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) sont “suffisantes”, l’autorité de contrôle administrative (Drieets, ex-Direccte) doit tenir compte des moyens dont dispose l’entreprise ou le groupe, rappelle, dans deux décisions du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Melun. L’affaire concerne deux PSE homologués par l’administration, l’un touchant un établissement (Mitry Mory Transport, contrôlé à 100% par le groupe Kuehne), l’autre l’entreprise Acna (filiale du groupe Servair). En l’occurence, le juge administratif, saisi par les organisations syndicales de ces entreprises, estime que l’administration, en limitant l’appréciation du périmètre des moyens du groupe à Servair d’un côté et aux entreprises françaises du groupe Kuehne de l’autre, n’a pas exercé le contrôle qui devait être le sien et qu’elle a donc commis une erreur de droit. Le tribunal administratif annule donc les décisions d’homologation du PSE de la Drieets des 21 mai et 2 juin 2021. 

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