Féminisation des directions : loi Rixain, mode d’emploi
Quelles sont les entreprises concernées par la loi Rixain ? Quelles sont les instances dirigeantes visées ? Que se passe-t-il en cas de non atteinte des objectifs ? Que faut-il intégrer dans la BDESE et quelles informations doit recevoir le CSE ? Dans un questions-réponses, publié, le 6 mai, le ministre du Travail détaille les mesures permettant de féminiser les directions d’entreprises comptant au moins 1 000 salariés.
Dans la droite ligne de la loi Copé-Zimmerman qui a instauré des quotas dans les conseils d’administration de certaines entreprises en 2011, la loi Rixain du 24 décembre 2021 franchit une étape supplémentaire, en instaurant des quotas de 30 % puis de 40 % de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises d’au moins 1 000 salariés. Le ministère du travail revient sur cette mesure emblématique, en détaillant dans un questions-réponses, publié le 6 mai, et intitulé “représentation équilibrée femmes/hommes dans les postes de direction des grandes entreprises”, les nouvelles obligations figurant à l’article 14 du texte. Tour d’horizon des questions pratiques que pose ce changement.
1- Pour qui ?
La loi Rixain s’applique à toutes les entreprises quelle que soit leur forme sociale (SA, SARL, SAS…). Seule condition : employer au moins 1 000 salariés, pour le troisième exercice consécutif ; cette notion d’exercice correspondant à l’exercice comptable.
A noter : en cas de fusion-réunion, l’effectif à retenir est celui de la nouvelle entité légale. Dans le cadre d’une fusion-absorption, l’effectif à prendre en compte est celui de la société absorbante.
2- Quelle est la date d’entrée en vigueur de ces obligations ?
Deux dates butoirs sont fixées : les entreprises devront atteindre un objectif de 30% de femmes et d’hommes cadres dirigeants et de 30% de femmes et d’hommes membres d’instances dirigeantes à partir du 1er mars 2026. Cet objectif sera de 40% à partir du 1er mars 2029.
Mais si ces quotas n’interviennent que dans quelques années, la publication des écarts éventuels de représentation entre les hommes et les femmes des cadres dirigeants et des membres de ces instances doit s’effectuer dès cette année. Pour cette première, le ministère du Travail a donné un peu répit aux entreprises : elles ont jusqu’au 1er septembre 2022 pour effectuer cette déclaration ; la dead line est ensuite fixée, chaque année, au 1er mars. Une fois publiés, ces écarts de représentation sont consultables jusqu’à la publication de l’année suivante.
A noter : à partir du 1er mars 2023, ces résultats seront également publiés sur les sites internet du ministère du travail.
3- Quelles sont les instances dirigeantes visées ?
Tous les niveaux de décisions stratégiques de l’entreprise sont concernés, quelle que soit leur dénomination, conformément à l’article L.23-12-1 du code du commerce : comité de direction, comité exécutif d’une société anonyme mais aussi comité de directeurs, conseil de direction, conseil stratégique ou encore conseil décisionnaire d’une société par actions simplifiée.
En revanche, les directoires, les conseils de surveillance et les conseils d’administration ne sont pas considérés comme des instances dirigeantes dans une société anonyme. Ces organes ayant des “rôles d’administration, de surveillance et de contrôle”. De même, les organes collégiaux de direction de sociétés par actions simplifiées sont exclus du dispositif.
A savoir : le questions-réponses retient la définition des cadres dirigeants prévue à l’article L. 311-2 du code du travail. Par conséquent, les salariés en forfait jour sont exclus du calcul.
En revanche, les cadres dirigeants cumulant contrat de travail et mandat social sont intégrés dans l’assiette de calcul des écarts de représentation. Lorsqu’une personne est membre de plusieurs instances dirigeantes, elle n’est comptabilisée qu’une seule fois. Par ailleurs, les salariés expatriés dans une société française doivent être pris en compte.
4- Comment calculer les écarts de représentation ?
L’écart reflète le pourcentage d’hommes et de femmes présents parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes. Pour calculer ce delta, la période de référence à prendre en compte est calculée sur 12 mois consécutifs ; elle correspond à l’année comptable.
La proportion de ces femmes et de ces hommes est appréciée en fonction du temps passé sur l’année comptable en tant que cadre dirigeant ou membre des instances dirigeantes.” Le ministère précise que cette notion de “temps passé” correspond “au temps passé, sur la période de référence annuelle, dans les fonctions de cadre dirigeant ou de membre d’une instance dirigeante”, et ce “indépendamment du temps passé dans l’exercice réel de ces fonctions”.
A noter : lorsqu’une entreprise est organisée en business units, c’est-à-dire qu’elle dispose de plusieurs instances dirigeantes, le calcul prend en compte la totalité de ces lieux de pouvoir ; il ne s’agit pas d’un calcul individualisé. De même, un comité exécutif dont le champ d’action porte sur le groupe et, qui est institué au sein d’une société employant plus de 1 000 salariés, entre dans le champ d’application de cette obligation.
Si l’entreprise n’a pas de cadre dirigeant mais qu’elle a une ou plusieurs instances dirigeantes, “elle devra calculer les écarts de représentation entre les femmes et les hommes parmi les membres de ces instances”.
Lorsque les écarts de représentation ne sont pas calculables, l’employeur n’est pas assujetti à cette obligation. Il doit toutefois “transmettre à l’administration et au CSE les précisions expliquant la raison pour laquelle ces écarts n’ont pas pu être calculés”.
5- Que se passe-t-il lorsqu’une entreprise n’atteint pas l’objectif de 30 % de femmes et d’hommes cadres dirigeants et de 30 % de femmes et d’hommes membres d’instances dirigeantes au 1er mars 2026 ?
Les mauvais élèves devront prévoir des mesures “adéquates et pertinentes” de correction dans le cadre de leur négociation sur l’égalité professionnelle. En l’absence d’accord prévoyant de telles mesures, celles-ci sont déterminées par décision unilatérale de l’employeur, après consultation du CSE. La décision est déposée auprès de l’autorité administrative qui peut présenter des observations sur les mesures prévues par l’accord ou la décision de l’employeur. Ces observations sont présentées à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise ainsi qu’à son CSE.
6- Que se passe-t-il en cas de non atteinte de cette obligation au 1er mars 2029?
Les entreprises qui n’auraient pas atteint la proportion requise de personnes de chaque sexe dans chaque ensemble, disposeront d’un délai de deux ans pour se mettre en conformité avec cette obligation. Mais elles devront publier leurs objectifs de progression et leurs mesures de correction, au bout d’un an, sur le site internet de l’entreprise sur la même page que les écarts de représentation. A défaut, ils seront portés par “tout moyen” à la connaissance des salariés.
7- Quelle est la pénalité applicable en l’absence d’atteinte de l’objectif chiffré ?
À l’expiration de ce délai de deux ans, si les résultats obtenus sont toujours en deçà du taux de 40 %, l’employeur peut se voir appliquer une pénalité financière d’un montant maximum de 1 % des rémunérations et gains. Le montant, fixé par l’autorité administrative, prendra en compte “la situation initiale de l’entreprise, les efforts constatés dans l’entreprise en matière de représentation des femmes et des hommes ainsi que des motifs de sa défaillance”. Le produit de cette pénalité sera versé au budget général de l’Etat.
En pratique, les entreprises qui ne respecteront pas le quota minimum de 40 % de femmes (ou d’hommes) pourraient donc subir cette sanction à partir du 1er mars 2031.
8- Quelles informations transmettre au CSE ?
La loi prévoit une obligation de transmission à l’administration et au CSE, en trois temps. Primo, dès 2022, les entreprises doivent transmettre leurs écarts de représentation ainsi que les modalités de publication de ces écarts. Secundo, à compter du 1er mars 2026, elles devront communiquer, outre les données citées, les mesures de correction adoptées le cas échéant.
Tertio, à compter du 1er mars 2029, elles adresseront au CSE les objectifs de progression et les modalités de publication de ces objectifs et des mesures de correction adoptés le cas échéant.
A savoir : parallèlement, la BDESE s’enrichit d’une nouvelle rubrique sur les écarts de répartition entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes.
Anne Bariet
Normes imposées à l’employeur : le CSE doit quand même être consulté
Lorsque la mise en œuvre de règles s’imposant à l’employeur est de nature à affecter les conditions d’emploi au sein de l’entreprise, la consultation du CSE s’impose.
Lorsqu’on parle de droit à consultation ponctuelle du CSE, il est en général question de déterminer si l’importance du projet l’exige, ou encore, à quel moment le projet est suffisamment concret pour donner lieu à une consultation ayant un « effet utile », ou enfin si les « informations précises et écrites » remises au comité sont suffisantes. Ce sont les conséquences sur la marche générale de l’entreprise ou les conditions de travail, de santé et de sécurité d’un projet élaboré et mis en œuvre par l’employeur qui sont examinées par le CSE. Mais qu’en est-il de normes, règles, imposées à l’employeur, lequel se charge seulement de leur mise en œuvre dans l’entreprise ? La consultation du CSE se justifie-t-elle ? s’impose-t-elle ? C’est à cette question que répond un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 21 avril 2022.
Réglementation des travaux imposée à l’entreprise
Dans cette affaire, la société Enedis (ancienne société ERDF, filiale du groupe EDF) doit mettre en œuvre à compter du 1er avril 2015 ses travaux en basse tension dans les conditions réglementaires des « conditions d’exécution du travail » (CET). Ces règles sont élaborées par des commissions d’experts représentant les différentes entreprises françaises exploitant des ouvrages de transport et de distribution d’électricité ainsi que les centres de formation (le comité des travaux sous tension « CST »). Elles s’imposent donc aux opérateurs. Le CSE central demande en justice à être consulté sur toute nouvelle « CET », ainsi que sur toute nouvelle prescription du réseau de distribution d’électricité (PRDE) et, plus généralement sur tout « document prescriptif ».
Consultation du CSE obligatoire sur les règles imposées à l’employeur
Sur la demande de consultation du CSE sur les « conditions d’exécution du travail » (CET) imposées à l’entreprise, la cour d’appel donne raison au comité : il doit être informé et consulté.
L’employeur conteste au motif que toute consultation du CSE doit revêtir un « effet utile » qui ne peut, d’après lui, que concerner un « projet, une mesure envisagée ou une décision unilatérale de l’employeur ». La mise en oeuvre de normes à caractère réglementaires et non modifiables qui ne sont pas édictées par l’employeur et s’imposent à lui ne pourrait donc pas donner lieu à une procédure d’information et de consultation préalable. Mais la Cour de cassation est d’accord avec la cour d’appel et le CSE.
Ces règles, bien que s’imposant aux opérateurs, « correspondent aux conditions générales préalables aux travaux afférents, aux modalités suivant lesquelles le travail devait être préparé puis organisé, aux conditions d’emploi des outils et aux modalités à suivre pour la bonne exécution du travail ». Il en résulte que « leur mise en œuvre était de nature à affecter les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelles au sein de l’entreprise et devait par conséquent faire l’objet d’une information-consultation du comité », « peu important que leur mise en œuvre soit imposée à l’employeur et ne résulte pas d’une décision unilatérale de sa part ».
Ainsi, dès lors que la mise en œuvre de ces normes est susceptible d’avoir des conséquences sur les salariés, ici sur leurs conditions de travail et leur formation, le comité doit être consulté, peu importe leur source et leur caractère contraint.
Pas de consultation sur les notes à vocation documentaire
En revanche, concernant les « prescriptions du réseau de distribution d’électricité » (PRDE), il n’y a pas lieu de consulter le CSE. En effet, ces documents sont des « notes établies par les diverses directions de la société, précisant et transposant en mode opératoire les règles à mettre en œuvre par les unités de réseaux ou les agents effectuant les travaux ». Ces notes « se référaient pour leur contenu à des « documents associés » de contenus plus larges dont, notamment, les carnets de prescription au personnel ayant fait l’objet d’information-consultation du comité».
La cour d’appel a donc estimé que « les PRDE avaient une vocation uniquement documentaire et déclinaient sur un mode opératoire des normes réglementaires dont la mise en œuvre avait d’ores et déjà donné lieu à information et consultation du comité central d’entreprise, de sorte que l’obligation d’information et de consultation concernant ces notes circulaires internes n’était pas justifiée ».
La Cour de cassation confirme cette décision. Elle explique que l’information-consultation du comité, dont la cour d’appel a ordonné la mise en œuvre s’agissant des CET (normes « conditions d’exécution du travail »), n’avait pas à être reconduite s’agissant des PRDE, notes à vocation uniquement documentaires.
► Remarque : il apparaît que ces notes ne sont qu’une simple transcription. Il est en effet question de « notes établies par les diverses directions de la société Enedis décrivant, précisant et transposant en mode opératoire les règles à mettre en œuvre par les unités réseaux ou les agents effectuant des travaux ». Il semble donc logique que le comité ne soit pas consulté à nouveau.
La marche générale de l’entreprise Bien que la Cour de cassation ne vise expressément aucun article du code du travail, il est fait référence à l’article L. 2312-8. Cet article prévoit que le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur les conditions d’emploi, de travail et la formation professionnelle. Ce sont bien les « questions intéressant » la marche générale de l’entreprise et les conditions de travail qui sont visées, pas les « projets » ou les « décisions unilatérales de l’employeur ». La solution est donc logique. D’autant que l’objet d’une consultation porte également sur les répercussions d’une mesure, l’avis du CSE pouvant émettre un avis sur ses conséquences sur l’organisation du travail ou la formation du personnel par exemple. La jurisprudence sur le sujet Si c’est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation se prononce sur une telle norme imposée, elle a déjà tranché en faveur de la consultation du CSE lorsque les modifications de l’organisation économique et juridique de l’entreprise résultent d’une loi qui s’impose à l’employeur (dans cette affaire, la loi portant réforme de l’audiovisuel public qui emportait des conséquences pour les salariés) : voir par exemple Cass. soc., 26 oct. 2010, n° 09-67.760. La Cour s’est aussi penchée sur le cas d’une nouvelle classification imposée par un accord collectif étendu, laquelle impliquait le regroupement de certains emplois et devenait le support des salaires minimaux (Cass. soc., 21 nov. 2012, n° 11-10.625). Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère depuis longtemps que la transmission négociée du capital social d’une entreprise, utilisée comme moyen de placer une société sous la dépendance d’une autre, équivaut à une cession et à ce titre doit donc faire l’objet d’une consultation du CSE, et ce, même si cette transmission intervient entre des tiers à l’entreprise et que la décision n’appartient pas à ses dirigeants (Cass. crim., 29 oct. 1991, n° 90-84.302 ; Cass. crim., 22 mars1983, n° 82-91.562). |
Séverine Baudouin
Sur un an, l’inflation fait baisser les salaires en euros constants
Si l’on en juge par les derniers chiffres de la Dares, l’inflation est en train de bousculer la donne de l’économie française et singulièrement celle sur les salaires et le pouvoir d’achat. Ainsi, en dépit de leur progression au 1er trimestre 2022 (+1,2% et +1,1%) et même sur un an (+2,5% et +2,3%), deux indices sur les salaires, le SHBOE (indice du salaire horaire de base des ouvriers et des employés) et le SMB (indice du salaire mensuel de base) accusent sur un an et en euros constants une baisse respective de 2,1% et de 2,3% du fait de l’inflation, dont la hausse atteint, hors tabac, 4,6% entre fin mars 2021 et fin mars 2022.
Par catégorie socioprofessionnelle, cette baisse du SMB atteint sur un an :
- 2,7% pour les cadres et professions intermédiaires ;
- 2,2% pour les ouvriers ;
- 2% pour les employés.
Par secteur d’activité, et toujours sur un an en euros constants, la baisse du SMB touche la construction (-2,6%), l’industrie (-2,3%) et le tertiaire (-2,3%).
Le schéma ci-dessous donne à voir, en pourcentage, cette évolution en montrant le glissement annuel des salaires mensuels de base (en euros constants).
actuEL CE
L. Berger (CFDT) et P. Martinez (CGT) demandent l’annulation d’un accord mondial signé avec Orpea
Le 4 mai dernier, selon les Echos, les secrétaires généraux de la CFDT et de la CGT ont écrit ensemble à la Fédération syndicale internationale des services (Uni Global Union) pour lui demander d’annuler l’accord mondial qu’elle a signé le 8 avril avec le groupe Orpea, présent dans 23 pays avec 70 000 salariés. Cet accord porte sur l’emploi éthique, le dialogue social, la négociation collective et les droits syndicaux, alors même que le groupe a été violemment mis en cause pour les conditions de vie des personnes résidant dans ses Ephad, mais aussi pour des soupons de discrimination syndicale. Des organisations syndicales (CGT, FO, CFDT) ont d’ailleurs entrepris contre Orpea des actions en justice. “Il est évident qu’UNI Global Union a commis une faute grave”, estiment dans ce courrier les leaders syndicaux. Les dirigeants de l’Uni, selon les Echos, ont proposé aux numéros un de la CGT et de la CFDT une rencontre le 18 mai. A suivre…
actuEL CE
Réunions du CSE : pour les temps de trajet, l’employeur ne peut pas s’en sortir avec une contrepartie
Le temps de trajet, pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué en exécution des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement domicile/lieu de travail.
Un salarié de la société Transgourmet opérations, membre du comité d’établissement (CE) et du CCE et délégué syndical central suppléant, saisit les prud’hommes afin d’obtenir “le paiement d’un rappel de salaire au titre de son temps de déplacement pour se rendre aux réunions du comité central d’entreprise en région parisienne … et de la part excédant le temps normal de déplacement entre son domicile et son lieu de travail habituel”. En appel, l’employeur est à nouveau condamné par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à payer un rappel de plus de 11 000€ ! L’affaire arrive alors en cassation.
Temps de déplacement et contrepartie
Dans son pourvoi, l’employeur invoque une règle du code du travail (art. L. 3121-4) selon laquelle “le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière”.
En conséquence, pour la direction de Transgourmet opérations, les temps de trajet dont le salarié réclamait le paiement n’étaient pas du temps de travail effectif devant être payé comme tel, mais simplement du temps de temps de déplacement professionnel devant faire l’objet d’une compensation.
L’employeur fait également valoir que “le temps de trajet effectué en exécution de mandats de représentant du personnel ne doit être rémunéré comme du temps de travail effectif que s’il est pris en dehors de l’horaire normal de travail et pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail”.
Or, ici, le salarié réclamait le paiement de 7 heures de trajet, en plus de la rémunération de 7 heures de travail qui lui était versée pour les journées de réunion, alors qu’il n’avait pas été constaté que l’intégralité des temps de trajet correspondants avait été réalisés en dehors de l’horaire normal de travail. Les réunions durant habituellement bien moins de sept heures, l’employeur estimait que le salarié n’avait pas à partir systématiquement à 5 h 45 pour prendre l’avion à 7 heures ni à reprendre l’avion à 18 h, les liaisons aériennes étant très fréquentes.
Le RS ne doit subir aucune perte de rémunération
Dans son arrêt du 21 avril 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société Transgourmet opérations et confirme sa condamnation à payer les temps de trajet au salarié.
D’abord, les juges rappellent que “le représentant syndical au comité d’entreprise ne devant subir aucune perte de rémunération en raison de l’exercice de son mandat, le temps de trajet, pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué en exécution des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail”. Il ne s’agit donc pas de temps de déplacement professionnel au sens de l’article L. 3121-4 du code du travail.
Ensuite, il avait bien été constaté que le salarié s’était rendu aux réunions du comité central d’entreprise dans la région parisienne, organisées à l’initiative de l’employeur, en exécution de ses fonctions de délégué syndical. Il était donc parfaitement en droit de “réclamer la rémunération de son temps de trajet effectué pendant et hors l’horaire normal de travail, pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail”.
Frédéric Aouate
Le taux d’emploi des 15-64 ans est le plus élevé depuis 1975
Selon les derniers chiffres de l’Insee publiés hier, le taux de chômage en France est stable au premier trimestre 2022, à 7,3% (-0,1 point par rapport au trimestre précédent, soit 18 000 demandeurs de moins, sur un total de 2,2 millions de demandeurs au sens du BIT). Sur un an, le chômage baisse de 0,8 point, et de 0,9 point par rapport à la période d’avant la crise sanitaire. En revanche, le taux de chômage des jeunes “rebondit légèrement” (+0,3 point) au premier trimestre. A noter également la stabilité du taux de chômage de longue durée, qui touche 700 000 personnes, alors que le taux d’emploi des 15-64 ans progresse à nouveau pour atteindre 68%, ce qui constitue le plus haut niveau depuis que l’Insee le mesure (1975). Par tranche d’âge, le taux d’emploi atteint 82,5% pour les 25-49 ans, 65,5% pour les 50-64 ans dont 56,1% pour les 55-64 ans.
ActuEL CE
Le salarié protégé peut saisir le juge judiciaire en cas de cession d’activité après un licenciement économique autorisé
Il appartient à la juridiction judiciaire d’apprécier si la cession d’éléments d’actifs autorisée par le juge-commissaire emporte application du transfert du contrat du travail du salarié protégé dont le licenciement économique avait été autorisé antérieurement dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.
En cas de cession d’une entité économique autonome, le contrat de travail des salariés de cette entité est transféré de plein droit au cessionnaire, en application du fameux article L. 1224-1 du code du travail.
Cette règle s’applique aux salariés protégés. Mais que se passe-t-il lorsque, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le licenciement d’un salarié protégé est autorisé par l’inspecteur du travail, et que, toujours dans le cadre de cette procédure, une entité économique autonome est ensuite transférée à un repreneur ? C’est à cette question, et en particulier au droit du salarié protégé de contester son licenciement sur ce fondement devant le juge judiciaire, que répond cet arrêt du 21 avril 2022 (en pièce jointe).
► L’arrêt commenté est publié au bulletin, et 4 autres arrêts adoptant l’exacte même solution dans la même affaire, sont également diffusés par la Cour de cassation (Cass. soc., 21 avr. 2022, n° 20-17.468, n° 20-17.498, n° 20-17.471 et n° 19-22.327). A noter aussi que dans cette même affaire, la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur le sort des salariés non protégés il y a quelques mois (Cass. soc., 19 janv. 2022, n° 20-17.472).
Licenciement économique autorisé d’un salarié protégé
Dans cette affaire, le 1er juin 2015, le tribunal de commerce prononce un jugement de liquidation judiciaire d’une entreprise avec maintien de l’activité jusqu’au 5 juin. Dans ce cadre, le licenciement économique d’un salarié protégé est autorisé par l’inspecteur du travail le 15 juillet.
Un mois plus tard, le 19 août, une ordonnance du juge-commissaire autorise la reprise du site industriel exploité par la société liquidée (vente de gré à gré en application de l’article L. 642-19 du code de commerce incluant fonds de commerce, clientèle, stocks, équipements, parc machines, actifs intellectuels et bases de données), laquelle est réalisée par acte du 2 mai 2016.
► Rappelons qu’en cas de liquidation judiciaire, le juge-commissaire peut autoriser le maintien de l’activité pour une certaine durée (3 mois maximum, prolongeable de 3 mois) si la cession totale ou partielle de l’entreprise est envisageable (C. com., art. L. 641-10 et R. 641-18).
Le salarié demande sa réembauche à la société repreneuse, demande s’avérant infructueuse. En conséquence, le 12 juin 2017, le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour voir dire son licenciement dépourvu d’effet en vertu de l’article L. 1224-1 du code du travail. Il demande des dommages et intérêts pour rupture abusive au motif que son contrat de travail aurait dû être transféré.
La cour d’appel fait droit à cette demande.
► Rappelons que le juge judiciaire est le juge compétent pour se prononcer sur la question du transfert des contrats de travail dans le cadre de l’article L. 1224-1 du code du travail. La violation de cet article prive d’effet les licenciements économiques prononcés à l’occasion du transfert d’une entité économique autonome (Cass. soc., 20 janv. 1998, n° 95-40.812 ; Cass. soc., 18 déc. 2000, n° 98-41.178). Il peut être demandé la poursuite des contrats de travail illégalement rompus ou la réparation du préjudice en résultant (Cass. soc., 20 mars 2002, n° 00- 41.651 ; Cass. soc., 28 janv. 2004, n° 01-47.356). D’autre part, la cession d’actifs de l’entreprise en liquidation judiciaire autorisée par le juge judiciaire dans le cadre de l’article L. 642-19 du code de commerce emporte application de l’article L. 1224-1 du code du travail dès lors que cette cession concerne une entité économique autonome dont l’identité est maintenue et l’activité poursuivie. Dans ce cas, les licenciements antérieurement opérés par l’administrateur judiciaire ou le mandataire-liquidateur, sont sans effet, en dehors de ceux autorisés par le tribunal de commerce en application des dispositions de l’article L. 642-5 du code de commerce (Guide DGT (salariés protégés) 20 sept. 2019, fiche 15). Les salariés ont le choix de demander au nouvel employeur (le cessionnaire) la poursuite de leur contrat de travail, qui est censé n’avoir jamais été rompu, ou la réparation du préjudice qui découle de la rupture (Cass. soc., 15 févr. 2006, n° 04-43.923).
Le cessionnaire conteste cette décision au motif que le licenciement du salarié protégé est intervenu en vertu d’une autorisation administrative devenue définitive. Ce licenciement ne pourrait donc pas être remis en cause devant le juge judiciaire en application du principe de séparation des pouvoirs. D’autant, ajoute le repreneur, que le salarié avait eu connaissance du transfert dans le délai de recours contre l’autorisation de licenciement.
Pas d’atteinte au principe de séparation des pouvoirs dans ce cadre
La Cour de cassation donne raison à la cour d’appel et au salarié protégé.
Elle explique « qu’en l’absence de toute cession d’éléments d’actifs de la société en liquidation judiciaire à la date à laquelle l’inspecteur du travail a autorisé le licenciement d’un salarié protégé, il appartient à la juridiction judiciaire d’apprécier si la cession ultérieure d’éléments d’actifs autorisée par le juge-commissaire ne constitue pas la cession d’un ensemble d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité qui poursuit un objectif propre, emportant de plein droit le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité économique autonome, conformément à l’article L. 1224-1 du code du travail, et rendant sans effet le licenciement prononcé, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d’un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ». Puis la Cour ajoute que « la contestation portait sur le non-respect du principe du transfert des contrats de travail par l’effet de la cession d’une entité économique autonome, intervenue après la notification du licenciement autorisé par l’inspecteur du travail ».
En d’autres termes, dès lors que la cession d’éléments d’actifs est postérieure à l’autorisation de licenciement, l’inspecteur du travail n’ayant pas pu la prendre en compte dans sa décision, le recours devant le juge judiciaire est possible. Cette action n’a pas la nature d’une contestation d’une autorisation de licenciement, laquelle est bien réservée à l’autorité administrative, mais d’une demande relative à l’application de l’article L. 1224-1, c’est-à-dire au transfert automatique du contrat de travail dans les nouvelles conditions suite à la cession.
► La Cour de cassation souligne que la contestation « ne portait pas sur la régularité de la procédure de licenciement, la recherche d’un repreneur et le bien-fondé de la décision rendue par l’inspecteur du travail devenue définitive », lesquels éléments relèvent du contrôle du licenciement économique dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. D’autre part, dans le seul arrêt de la série pour lequel la cour d’appel avait rejeté la demande du salarié protégé (n° 19-22.327), la Cour de cassation précise bien que « la décision administrative qui avait autorisé le licenciement du salarié, n’avait pu s’être prononcée sur l’incidence de la cession ultérieure du fonds de commerce ».
Ainsi, conclut la Haute juridiction, « l’action engagée par les salariés protégés devant la juridiction prud’homale aux fins de condamnation du cessionnaire au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive de leur contrat de travail » est recevable et ne porte pas atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
► A noter que cette solution ne devrait pas s’appliquer en cas de reprise dans le cadre d’un « plan de cession » (C. com., art. L. 642-1 et s.) (il s’agit ici d’une reprise d’actifs, dans le cadre de l’article L. 642-19 du code de commerce, laquelle constitue une entité économique autonome). En effet, le transfert légal des contrats de travail au cessionnaire ne s’applique pas aux salariés dont le licenciement pour motif économique a été prononcé en application du plan de cession arrêté par le juge (Cass. soc., 26 juin 1991, n° 90-46.055). Attention, toutefois, l’autorisation de licenciement reste obligatoire. Ainsi, le salarié protégé qui n’est pas inclus dans le plan de cession tel qu’arrêté par le tribunal, mais dont l’autorisation de licenciement n’a pas été obtenue, doit être repris par le cessionnaire (Cass. soc., 7 oct. 1992, n° 89-41.179).
Séverine Baudouin
Affaire du CCE d’Air France : le tribunal de Bobigny annule l’enquête pénale
Après plusieurs années d’errements, l’enquête pénale ouverte en 2000 à la suite de la plainte du comité central d’entreprise (CCE) d’Air France pourrait s’arrêter sans que les prévenus ne soient jugés, révèle le quotidien Le Monde. Le tribunal de Bobigny souhaite en effet clore cette affaire qui implique notamment Robert Génovès, ex-patron de FO-Air France et secrétaire général du CCE de l’époque, accusé de malversations conduisant le CCE au dépôt de bilan. Le motif de ce coup d’arrêt ? La longueur excessive de l’enquête qui bafoue le droit des accusés à être jugés dans un délai raisonnable. L’action publique est d’ailleurs éteinte à l’égard de Robert Génovès qui est décédé en septembre 2018. Quant aux deux autres prévenus âgés aujourd’hui de plus de 72 ans (un ancien salarié du CCE et un ancien secrétaire général adjoint du CCE), leur état de santé laisse planer un doute sur leur capacité à se rappeler des faits et à témoigner à leur procès. Une nouvelle étape judiciaire pourrait cependant survenir : le parquet de Bobigny et le CSE central ont fait appel de la décision du tribunal de stopper l’affaire, considérant que les victimes des malversations ont droit à la réparation de leur préjudice.
ActuEL CE
Élections : la violation de l’obligation de neutralité de l’employeur doit être prouvée
Il appartient à celui qui invoque la violation par l’employeur de son obligation de neutralité d’en rapporter la preuve.
Dans le cadre des élections professionnelles, la question de l’obligation de neutralité de l’employeur est en général en cause dans le cadre de la campagne électorale : propagande, déclarations, pressions… Mais cette obligation de neutralité, prévue à l’article L. 2141-7 du code du travail, est bien plus large. Elle interdit l’exercice de tout moyen de pression en faveur ou à l’encontre d’une organisation syndicale, et cela recouvre également l’adoption de mesures discriminatoires à l’égard d’un syndicat, ou le traitement différencié de certains syndicats vis-à-vis d’autres. Elle peut ainsi concerner d’autres étapes des élections professionnelles, comme dans cette affaire, le rejet d’une candidature tardive.
Mais qu’en est-il de la charge de la preuve de la violation de cette obligation de neutralité ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation, pour la première fois à notre connaissance, dans un arrêt du 18 mai 2022 publié sur son site.
Candidature tardive rejetée par l’employeur
Dans cette affaire, la date limite de dépôt des candidatures pour les élections du CSE est fixée par le protocole préélectoral au 4 novembre à 12 heures. Un syndicat, la CFTC, adresse sa liste de candidats pour le premier collège par courriel le 4 novembre à..12h16. L’employeur refuse sa liste en raison de son envoi après l’heure limite de dépôt. Le syndicat demande l’annulation des élections du premier collège au motif de la violation de l’obligation de neutralité de l’employeur. Il allègue que la candidature tardive d’un autre syndicat a été acceptée. En effet, cette liste FO a été remise en mains propres le 4 novembre, sans précision de l’heure. La CFTC considère que c’est à l’employeur de prouver qu’il a bien respecté son obligation de neutralité, et donc concrètement de prouver que la candidature a bien été remise avant 12 heures.
Modalités d’organisation du scrutin : rappel Les modalités d’organisation du scrutin fixées par le protocole préélectoral dont la régularité n’est pas contestée s’imposent à l’employeur et aux organisations syndicales. L’employeur ne commet donc aucune irrégularité en refusant de tenir compte d’une liste déposée en retard (Cass. soc., 9 nov. 2011, n° 10-28.838 ; Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-19.657). Si une certaine souplesse sur le dépassement de l’heure de dépôt a été tolérée pendant des années (si le retard n’était pas de nature à troubler le déroulement du scrutin, l’employeur ne pouvait l’écarter : retard de 32 minutes (Cass. soc., 23 juin 2004, n° 02-60.848), et de 11 minutes (Cass. soc., 10 juill. 1997, n° 96-60.383)), la jurisprudence de 2011 semble la remettre en cause en posant un principe général de respect des modalités fixées par le protocole préélectoral non contesté. La jurisprudence ne s’est pas depuis prononcée clairement sur ce point. Un seul arrêt de 2020 juge abusif le refus de l’employeur d’une liste de candidats après l’expiration du délai prévu par le protocole préélectoral, cette liste ayant été remise dans les délais, puis à nouveau, avec deux minutes de retard, pour faire suite à l’exigence de l’employeur de justification du mandat du syndicat (Cass. soc., 27 mai 2020, n°18-60.038). Dans ce cadre, c’est d’ailleurs l’abus de l’employeur qui est soulevé, il n’est pas question de déterminer si le retard était de nature à troubler le déroulement du scrutin comme dans la jurisprudence antérieure. On peut penser que c’est pour cette raison que le syndicat a invoqué la violation de l’obligation de neutralité et non l’abus du rejet de la candidature, déposée seulement 16 minutes après l’heure limite. |
Le tribunal constate qu’effectivement « il n’était pas en mesure d’apprécier si l’heure limite de dépôt avait été respectée par ce syndicat et si la société, en refusant la liste de candidature CFTC déposée à 12 heures 16, n’avait pas favorisé le syndicat FO au détriment du syndicat CFTC ». Le juge en déduit que la société ne justifie pas avoir respecté son obligation de neutralité et annule les élections.
Charge de la preuve de la violation de l’obligation de neutralité
Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord.
Elle commence par rappeler qu’effectivement, « les irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral constituent une cause d’annulation des élections indépendamment de leur influence sur le résultat des élections. L’obligation de neutralité de l’employeur est un principe général du droit électoral ». Il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-14.178 ; Cass. soc., 27 mai 2020, n° 19-15.105).
Puis la Cour ajoute immédiatement « qu’il appartient à celui qui invoque la violation par l’employeur de son obligation de neutralité d’en rapporter la preuve ». Ainsi, le tribunal a inversé la charge de la preuve et n’a pas caractérisé le manquement de l’employeur à son obligation de neutralité. En d’autres termes, c’est au syndicat de prouver la violation de l’obligation de neutralité, dans cette affaire de prouver que FO a remis sa liste après 12 heures.
Séverine Baudouin