IRP

FO : Yves Veyrier passe la main à Frédéric Souillot

A l’issue de son congrès de Rouen, la semaine dernière, FO s’est choisi un nouveau secrétaire général, Frédéric Souillot, élu avec plus de 87% des voix En dépit de quelques échanges assez vifs, le troisième syndicat français a réussi son passage de relais.

Malgré quelques passes d’armes entre tenants d’une ligne réformiste et tenants d’une ligne davantage revendicative, lesquels ont réclamé encore vendredi, en vain, que FO exige un retour pur et dur à la retraite à 60 ans et à 37 annuités, Yves Veyrier aura donc réussi son pari lors du congrès de Rouen : celui de passer le relais dans de bonnes conditions au nouveau secrétaire général de FO, Frédéric Souillot.

Ce congrès aux allures de rassemblement a été beaucoup moins agité que le fut celui de 2018, marqué par la succession tendue entre Jean-Claude Mailly et Pascal Pavageau, lequel devait démissionner quelques mois plus tard suite au scandale des fichiers. Christian Grolier, qui avait maintenu sa candidature à ce mandat, l’a en effet retirée mercredi. Il a fait lire un message à la tribune expliquant sa décision par la volonté de faire prévaloir l’unité de FO, ce qui n’exclut pas d’autres raisons : probabilité d’un mauvais score, savants équilibres sur la composition des instances dirigeantes.

Le rapport d’activité approuvé par 98% des voix 

C’est donc un syndicaliste de 54 ans issu de la métallurgie, donc partisan d’une ligne “réformiste”, qui va incarner pour les trois prochaines années l’image de FO, le troisième syndicat français et le premier dans la fonction publique d’Etat, dont les élections ont lieu à la fin de l’année (1). Auparavant, le rapport d’activité et le rapport de trésorerie présentés par Yves Veyrier ont été très largement approuvés par les délégués, à plus de 98%. On peut y voir le signe d’une volonté d’afficher une unité, alors que Jean-Claude Mailly n’avait pu faire approuver son rapport d’activité qu’à 44% en 2018.

Frédéric Souillon, l’homme de la situation pour Yves Veyrier

Frédéric Souillot, qui a volontairement évité de s’exprimer devant la presse pendant le déroulement du congrès, est aux yeux d’Yves Veyrier “un syndicaliste FO pur sucre” : “Il est ouvrier, dans la métallurgie, il a pris en charge la section de son syndicat puis son syndicat (Schlumberger), il l’a fait grandir en multipliant les implantations avec de bons résultats sur la représentativité. Il a pris en charge l’union locale, puis il est arrivé à la fédération de la métallurgie où il a suivi des dossiers comme la sidérurgie. A la confédération depuis 2015, il a pris en charge les questions de formation et de développement”. 

La question des CSE 

Le nouveau secrétaire général de FO devra donc suivre les axes dressés par les quatre résolutions adoptées à la quasi-unanimité par le congrès (outre-mer, sociale, protection sociale, résolution générale). Dans la résolution générale, “de seulement 20 pages”, FO rappelle son opposition à la loi de représentativité de 2018 et demande l’abrogation de la loi Rebsamen de 2015, de la loi Travail de 2016 et des ordonnances travail de 2017. Le syndicat “dénonce la mise en place des CSE de manière ultra centralisée” et revendique “la mise en place d’une représentation du personnel plus proche des salariés”.

Nous demandons la fin de la limitation à trois mandats successifs 

FO demande la suppression de la limitation, pour les membres du CSE, à trois mandats successifs et réclame le rétablissement des CHSCT, “une institution consacrée aux questions de santé, sécurité et conditions de travail, dotée de la personnalité morale et de moyens adéquats”, dans toutes les entreprises. Au sujet de l’élargissement des attributions des CSE aux conséquences environnementales, FO rappelle “que le rôle premier de l’organisation syndicale et des représentants du personnel est la défense des intérêts matériels et moraux des salariés”, et que ces nouvelles attributions ne doivent pas “amener les représentants des salariés à codécider des mesures qui ne relèvent pas de leur responsabilité”.

Alors qu’Yves Veyrier estimait crucial l’enjeu du développement syndical pour faire progresser l’implantation et la représentativité de FO (qui compterait “380 000 cartes placées”), la nécessité de “réussir les élections professionnelles” et de “présenter des listes plus complètes et partout où c’est possible” ne fait l’objet que de quelques lignes dans la résolution générale (2). 

Le pouvoir d’achat et les salaires

Le texte réclame l’augmentation du Smic à hauteur de 80% du salaire médian, “l’augmentation générale des salaires” et la généralisation “d’une prime de transport aux salariés qui n’ont d’autre choix que de se rendre sur leur lieu de travail avec leur véhicule personnel”. Le syndicat souhaite “l’interdiction de distribution de dividendes pour les entreprises bénéficiaires d’aides de l’Etat ou mettant en place un PSE”. 

Pour une nouvelle négociation sur le télétravail 

Au sujet du télétravail, si FO a signé l’accord interprofessionnel de 2020, le syndicat n’en demande pas moins “une nouvelle négociation interprofessionnelle pour un accord nominatif et prescriptif”. En attendant, pour tout projet de mise en place du télétravail, FO exige par ailleurs “une négociation en première intention au niveau des branches et des entreprises traitant de thèmes obligatoires dont l’éligibilité et les conditions de mise en œuvre de ce mode d’organisation du travail, la prise en charge des frais professionnels, le droit à la déconnexion et l’articulation des temps de vie, l’égalité femmes-hommes, le handicap (..), le droit syndical”. 

“Les interlocuteurs sociaux doivent négocier librement”

Sur le dossier des retraites, FO conteste tout recul de l’âge de départ, refuse “toute volonté de création d’un régime unique” et toute “mainmise de l’Etat” en estimant que la gestion paritaire a fait ses preuves pour l’Agric-Arcco. Dans la continuité de l’accord récent sur le paritarisme, il reste essentiel sur le plan interprofessionnel, selon le syndicat, “que les interlocuteurs sociaux puissent négocier librement, selon un agenda social paritaire, choisi sans intrusion ni injonction du gouvernement”. 

Militants, exercez votre libre arbitre !

Vendredi, Yves Veyrier a salué, lors d’un ultime discours, “la formidable unité et le formidable rassemblement démocratique” des délégués en les invitant à œuvrer pour “l’indispensable solidarité collective qui doit présider à la vie en société”. Citant l’Homme révolté d’Albert Camus, il a conseillé aux militants FO de se méfier “des tribuns et la pensée dominante” : “L’homme révolté est un homme qui dit non. Commencez toujours par dire non, allez chercher la connaissance du sujet, pesez le pour et le contre, et alors seulement vous pourrez vous déterminer et exercer votre libre arbitre, en faisant valoir vos arguments pour convaincre. L’indépendance de notre confédération ne peut être fondée que sur votre propre indépendance de pensée”. Et Yves Veyrier d’ajouter : “Soyez fiers de votre engagement syndical, parlez-en autour de vous, car il s’agit de lutter contre toute forme d’oppression (…) et pour l’amélioration du mieux-être, par la libération du souci quotidien du lendemain. L’indispensable solidarité collective doit présider à la vie en société.

Une nouvelle commission exécutive confédérale

Conclu par la traditionnelle reprise en chœur de l’Internationale, le congrès s’est poursuivi, vendredi après-midi, par l’élection à huit clos des nouvelles instances dirigeantes de la confédération. Le comité confédéral national (CCN) a élu Frédéric Souillot secrétaire général par 87,68% des suffrages exprimés (77,47% des inscrits), à rapporter aux 45,7% ayant permis l’élection d’Yves Veyrier quelques mois après les divisions du congrès de 2018. 

Dans le bureau confédéral (5 hommes, 5 femmes), qui reconduit notamment Michel Beaugas, Béatrice Clicq et Karen Gournay, Patrick Privat reste trésorier de la confédération. Christian Grolier intègre la commission exécutive, laquelle ne comporte que 5 femmes sur 35 membres (voir notre encadré).

Les défis qui attendent les nouveaux responsables de FO et singulièrement Frédéric Souillot sont nombreux. Il y a bien sûr la réforme des retraites, que le chef de l’Etat veut appliquer dès l’été 2023. Il y a le sujet des revendications salariales et de l’évolution du financement de la protection sociale. Il y a encore la nouvelle réforme touchant Pôle emploi avec le projet France Travail qu’Emmanuel Macron veut lancer dès cet été (lire notre brève dans cette même édition). Quant aux enjeux propres à l’organisation, il faut mentionner l’implantation syndicale et la représentativité lors du nouveau cycle d’élections dans les CSE, sans oublier les élections de la fonction publique de fin d’année. 

(1) Dans le privé, FO dispose d’une représentativité de 15,2%, soit un poids relatif de 17,6%

(2) Le rapport financier indique une baisse des recettes des cotisations syndicales, passées de 8,9 millions en 2017 à 8,3 millions en 2020. FO, qui a réduit ses charges de personnel entre 2020 et 2019, dispose de 10,8 millions de recettes propres, de 6,7 millions venant des formations syndicales, de 13 millions au titre du paritarisme et de 295 000€ de subventions publiques pour l’année 2020. La confédération doit investir 100 000€ à 150 000€ par an pour sécuriser son informatique.

La composition des nouvelles instances
Le congrès de FO a vu le départ de Roxane Idoudi (action sociale), de Serge Legagnoa (en charge de la protection sociale) et Marjorie Alexandre (secteur international).  Les membres du bureau confédéral sont Rachel Barrion, Michel Beaugas, Béatrice Clicq, Patricia Drevon, Hélène Fauvel, Éric Gautron, Karen Gournay, Pascal Lagrue, Cyril Lama et Branislav Rugani. Leurs responsabilités devraient être définies ce mercredi 8 juin. Les membres de la commission exécutive sont : Yanis Aubert (UD 76), Franck Bergamini (UD FO 13), Christine Besseyre (FO Com), Frédéric Bochard (UD 63), Jean-Luc Bonnal (UD 84), Sébastien Busiris (FEC FO), Serge Cambou (UD 81), Patrice Clos (FD Transports), Jean-François Duflo (UD 59), Gabriel Gaudy (UD 75), Gilles Goulm (FO Défense), Philippe Grasset (FO Finances), Christian Grolier (FGF), François Guerard (FAGE), Franck Hausner (UD 06), Philippe Herbeck (FO Cheminots), Frédéric Homez (FO Métaux), Jean-Baptiste Konieczny (UD 62), Hervé Larrouquere (UD FO), Michel Le Roc’h (UD 44), Philippe Mano (UD 33), Rachel Messousse (UD 25), Arnaud PICHOT (UD 26/07), Clément Poullet (FNEC FP), Hervé Quillet (Chimie), Laurent Rescanières (FGTA), Catherine Rochard (UD FO 49), Dominique Ruffie (UD 78), Pascal Samouth (UD 43), Franck Serra (FD Bâtiment), Sylvie Szeferowicz (UD 51), Alexandre Tott (UD 57), François Trinquet (UD 92), Sylvia Veitl (FO Pharmacie). La commission de contrôle des comptes comprend Jean-Yves Sabot (FD Métaux), Didier Courtois (FO Finances) et Vincent Vilpasteur (UD 95).  La commission des conflits comprend Laurent Aubersin (FO Finances), François Bucaille (UD 71), Emmanuel Dubarre (FD Chimie), Alain Molina (UD 17), Reza Painchan (UD 93), Anita Passante (FEC), Raymond Pontvianne (FO Bâtiment), Olivier Repesse (UD 69), Hubert Raguin (FNEC FP), Richard Roze (FGTA).

Bernard Domergue

L’expert-comptable du CSE n’est pas obligé de s’en tenir aux informations de la BDESE

L’expert-comptable assistant le CSE dans le cadre d’une consultation récurrente peut réclamer la communication d’informations qui n’ont pas à figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE).

Une fois mandaté par le CSE pour une mission légale, notamment dans le cadre de l’une des trois consultations récurrentes, l’expert-comptable est en droit de se faire communiquer tous documents qu’il estime utiles pour sa mission. Sauf à prouver un abus de droit de la part de l’expert, l’employeur n’a aucune marge de manœuvre, il ne peut pas refuser la communication des documents réclamés sous prétexte qu’ils ne seraient pas, selon lui, utiles ou nécessaires à la mission. Remarquons toutefois qu’il a été jugé que l’expert qui exige la production de documents inexistants et dont l’établissement est facultatif (Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-18.166) ou qui sont sans aucun rapport avec sa mission (Cass. soc., 25 janv. 1995, n° 92-12.718) commet un abus de droit.

Une jurisprudence déjà esquissée

Il est donc logique de considérer que l’expert-comptable peut réclamer la communication d’informations, bien évidemment en rapport avec sa mission, qui n’ont pas à figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). D’ailleurs, la jurisprudence l’a déjà admis indirectement. Il a en effet été jugé, à propos d’une expertise sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, que l’expert pouvait demander la communication des déclarations sociales nominatives (DSN) des 3 dernières années et de l’année en cours en ce que celles-ci se rapportaient à l’évolution de l’emploi, aux qualifications et à la rémunération des salariés au sein de l’entreprise (Cass. soc., 23 mars 2022, n° 20-17.186). Or, la DSN ne fait pas partie des documents que l’employeur doit intégrer à sa BDESE.

Grâce à un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022, c’est désormais clair, net et précis, l’expert-comptable du CSE n’est pas obligé de s’en tenir aux informations de la BDESE.

D’autres informations réclamées par l’expert

Dans cette affaire, le cabinet Syndex, mandaté par le CSE de la société Casino services dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail, réclame la transmission de certaines informations sociales individuelles. Estimant que les éléments transmis étaient insuffisants, le CSE décide de porter l’affaire en justice.

Dans son argumentation, la société Casino services fait notamment valoir qu’elle était seulement tenue de communiquer à l’expert-comptable “les pièces utiles” à la consultation sur la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail, à savoir “les éléments recensés à l’article R. 2312-20 du code du travail“.

Remarque : cet article R. 2312-20 liste les rubriques de la BDESE que l’employeur doit, en l’absence d’accord fixant la liste et le contenu des informations nécessaires aux consultations récurrentes mettre à la disposition du CSE dans les entreprises de 300 salariés et plus. L’article R. 2312-19 fait de même pour les entreprises de moins de 300 salariés.

Peu importe que ces infos figurent ou nom dans la BDESE

Nullement convaincue par l’argument, la Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation formé par Casino services. Elle décide qu’il importait peu que “les informations demandées ne soient pas au nombre de celles devant figurer dans la base de données économiques et sociales en application des articles L. 2312-36R. 2312-9 et R.2312-20 du code du travail”.

Sur le fond, il est donc jugé que la production d’éléments bruts, pris à la source, demandée par le cabinet Syndex s’avérait nécessaire à la réalisation de la mission d’expertise “dès lors qu’ils étaient de nature à permettre une analyse complète sur 20 % de la population exclue des données fournies par l’employeur, en matière de promotion, de qualification et d’égalité professionnelle entre hommes et femmes, et ce sur la totalité du périmètre social”. Et ce, “alors que l’agglomération des données produites par la société était susceptible de fausser l’analyse, notamment en gommant les écarts de salaire qui pourraient s’avérer importants dans ces catégories professionnelles ainsi que les changements annuels de ces populations de cadres”.

La règle posée par cet arrêt du 18 mai 2022 vaut bien évidemment en cas d’expertise sur la situation économique et financière de l’entreprise. Ainsi, l’expert-comptable ne sera heureusement pas limité aux informations que l’employeur doit mettre à la disposition du CSE en application des articles R. 2312-16 et R. 2312-17 du code du travail.

Frédéric Aouate

Comment le télétravail peut permettre d’augmenter la productivité

Dans son troisième rapport, le Conseil national de productivité se penche sur les effets du télétravail qui s’est largement développé depuis la crise sanitaire. Comment les entreprises peuvent-elles en tirer profit en termes de productivité ? Quels sont les écueils à éviter ?

Dans son troisième rapport, le Conseil national de productivité s’est penché sur l’effet de l’essor du télétravail sur la productivité. Un mode de travail qui risque de se généraliser. En effet, constate le rapport, alors que le télétravail était une pratique marginale, la crise sanitaire a conduit à un développement massif de cette pratique en France. Huit télétravailleurs sur dix déclarent souhaiter continuer le télétravail et 20 % des salariés travaillent dans une entreprise qui a l’intention d’étendre ou de pérenniser la règle existante en matière de télétravail. Le rapport rappelle qu'”avant la crise sanitaire, le télétravail était une pratique peu répandue en France. En 2019, seul 4 % des salariés le pratiquaient de manière régulière2 (3 % en 2017)”, dont 14% de cadres”.

“Cette forme de travail est souvent associée à des gains, tant pour les travailleurs concernés que pour les entreprises”, observe le Conseil national de la productivité qui tente de cerner un peu plus précisément ces avantages en termes de productivité.

Un temps de travail mieux géré

Comment le télétravail influe-t-il sur l’organisation du travail ? D’une part, souligne le rapport citant des études réalisées sur le sujet, “les télétravailleurs ont généralement une opinion particulièrement positive de la flexibilité de l’organisation de leur journée de travail et du gain de temps des trajets domicile-travail. Or la hausse de la satisfaction au travail est en général source de gains de productivité et d’une rotation des salariés moins forte…”. 

L’OCDE a d’ailleurs noté que plus de 60 % des managers de l’échantillon de leur enquête pensent que, “malgré un environnement non stabilisé et certainement pas idéal, la productivité de leurs travailleurs a augmenté grâce au télétravail. Ces managers estiment que c’est parce que les travailleurs sont plus concentrés et commettent moins d’erreurs à la maison”. 

A noter, “un nouveau type de recours au télétravail, qui introduirait par exemple des accords fondés sur des objectifs plutôt que sur une durée du travail, pourrait entraîner une éventuelle modification contractuelle”, insiste le Conseil national de productivité.

Une entrave à la formation

L’un des points faibles du télétravail souligné par le rapport est qu’il est “peu propice à la formation des salariés selon les managers”. Selon l’enquête de l’OCDE, “ils sont environ 70 % à estimer que la formation du personnel dans un environnement de télétravail est plus difficile et que les employés apprennent moins sur le tas. De même, le télétravail ne favorise pas la bonne intégration des nouveaux entrants dans leur emploi. Cela peut constituer un frein à la croissance de la productivité à moyen et à long terme, notamment car la formation est un préalable aux qualifications”.

Attention aux conditions de travail dégradées

Attention aussi aux risques psychosociaux ! “Une mise en œuvre future et pérenne du télétravail dans de bonnes conditions implique une politique managériale adaptée, afin de réduire les risques de dégradation des conditions de travail”, prévient le rapport. D’autres phénomènes, comme les difficultés de communication ou la solitude, viennent à l’inverse pénaliser ces gains potentiels de productivité”.

Délocalisation des emplois

Le télétravail peut inciter à recruter au-delà même des frontières nationales, ce qui peut constituer autant un atout qu’un risque. “Au-delà des effets sur la productivité, il faut aussi signaler des effets sur la compétitivité, notamment en permettant aux entreprises de puiser dans un réservoir plus large de talents géographiquement éloignés, ainsi qu’une meilleure allocation des travailleurs aux entreprises (matching)”, note le rapport.

“Le télétravail peut permettre d’élargir la réserve de travailleurs parmi lesquels les entreprises peuvent choisir, éventuellement même au-delà des frontières géographiques, soit pour mieux cibler des profils par rapport aux compétences requises (talents), soit à compétences équivalentes pour bénéficier d’un contexte juridique, social ou fiscal, plus favorable”. 

Ce qui n’est pas sans danger. “Les effets de potentiel dumping, incitant au moins-disant social et fiscal pourrait donc affecter la productivité des pays (fuite des cerveaux et accroissement du pouvoir de négociation des entreprises qui comprimeraient les salaires), mais aussi la compétitivité entre pays”

Là encore, “la négociation collective peut permettre de trouver un point d’équilibre entre la recherche de productivité des entreprises et les risques de délocalisations”. 

Réduire les coûts fonciers

Enfin, comme on l’observe depuis quelques temps, le télétravail permet de réduire les mètres carrés de bureau et d’augmenter ainsi la productivité comme le constate le Conseil national de productivité. “Cela passe par exemple par une baisse des coûts pour les entreprises se restructurant pour utiliser moins de foncier (capital physique), c’est-à-dire la baisse de l’utilisation d’un facteur sans effet sur la production, ce qui conduit à une augmentation mécanique de la productivité du travail”. 

Selon la Banque de France, le loyer d’une entreprise locataire médiane représente environ 8 % de sa valeur ajoutée, offrant ainsi une marge de manœuvre pour réduire l’empreinte foncière des entreprises.

Florence Mehrez

Plan jeunes : la CGT propose une nouvelle consultation du CSE sur les stagiaires

Allocation autonomie, apprentissage, contrat de génération… la CGT formule dix propositions dans un nouveau plan jeunes présenté hier en conférence de presse. Le syndicat propose aussi une nouvelle consultation obligatoire du CSE sur les stagiaires ainsi que différentes mesures impliquant les IRP dans la lutte contre les discriminations.

“Les gouvernements ont négligé les jeunes”, affirme Céline Verzeletti, secrétaire confédérale et référente jeunes de la CGT en introduction de la conférence de presse de présentation du plan jeunes, mardi 7 juin à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Mais la CGT compte bien “en faire une priorité”. Certes, leur précarisation ne date pas de la crise sanitaire : selon l’Insee, en 2016, 20,8 % des jeunes vivaient déjà sous le seuil de pauvreté, et 30 % d’entre eux renonçaient à des soins médicaux pour des raisons financières. Le Covid les a cependant fragilisés en favorisant le décrochage des études et en morcelant leur parcours professionnel. Afin de tenter d’y remédier, la CGT formule dix propositions soumises à certains candidats de gauche aux élections législatives, notamment dans la circonscription de Montrouge/Malakoff/Bagneux. Une manière pour le syndicat d’essayer de se faire une place dans le débat politique à quelques jours du premier tour des élections législatives, le 19 juin prochain. Les dix propositions concernent l’allocation d’autonomie, l’apprentissage et la formation mais également une nouvelle information consultation du CSE sur les stagiaires.

Les stagiaires au menu du CSE

Certaines propositions de la CGT concernent en premier lieu les représentants du personnel : le syndicat suggère de créer une nouvelle consultation sur l’objectif annuel chiffré du nombre de stagiaires, le contenu et le suivi des stages. Il faudrait d’ailleurs créer un véritable statut du stagiaire selon la CGT, prévoyant notamment que les durées de stages soient prises en compte dans le calcul de la retraite ou pour l’ouverture des droits au chômage. “La gratification ne devrait jamais être inférieure à un demi Smic”, ajoute Nawel Benchlikha, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT et co-pilote du collectif confédéral pour la jeunesse avec Alexandre Fels. Le syndicat soumet également l’idée que le compte personnel de formation des jeunes soit alimenté à proportion de la durée des stages.

Mobiliser les représentants du personnel contre les discriminations

Autre suggestion intéressant les représentants du personnel : ouvrir des négociations annuelles obligatoires sur le thème de la lutte contre les discriminations et l’égalité. En effet, selon le dernier baromètre sur la perception des discriminations consacré à la jeunesse, le défenseur des droits relève que “plus d’un jeune sur trois rapporte avoir vécu une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de sa recherche d’emploi ou de sa carrière”. Pour la CGT, “ces négociations doivent aboutir à ce que l’employeur ait une obligation de résultat dans sa politique dite ‘de diversité'”, indique le document de propositions (en pièce jointe).

Mais ce n’est pas tout. Pour améliorer le traitement des questions d’égalité et de discriminations, la CGT propose d’accorder “des droits supplémentaires” aux élus des IRP du public comme du privé, sans toutefois en préciser le contenu. Elle considère qu’il faudrait “maintenir ou rétablir les prérogatives des CHSCT”. Enfin, elle suggère de mettre en place “un registre des candidatures et une commission pour les représentants du personnel”. Le but serait que les élus puissent “analyser l’ensemble des candidatures reçues et retenues”, indique le plan jeunes du syndicat.

Une allocation d’autonomie de 1 600 €

“Nous avons travaillé sur ce plan avec des jeunes de la CGT et hors CGT afin de coller à leurs revendications”, explique Nawel Benchlikha. Parmi les mesures du plan jeunes, une allocation d’autonomie à hauteur de 80 % du Smic, soit 1 600 € nets. La CGT vise ainsi la précarité, accrue depuis la crise sanitaire. Elle tente aussi de toucher ce qu’elle appelle les “NEET” (ni en études ni en emplois) en proposant de renforcer les missions locales en contact avec les jeunes et d’ajuster le montant du contrat d’engagement (1) en fonction de leur évolution dans leur parcours d’insertion. 

Sur la formation et l’apprentissage, la CGT propose un meilleur contrôle et une “véritable certification” des organismes de formation via une instance paritaire à l’échelon régional. Le syndicat suggère aussi de répartir la taxe d’apprentissage en trois parts : une aux régions pour abonder un socle de financement commun à chaque centre de formation des apprentis (CFA), une à certains centres afin de compenser les disparités entre petits et grands CFA, et une dédiée aux établissements des formations hors apprentissage (lycées professionnels par exemple).

Enfin, la CGT aimerait voir renaître le contrat de génération. Mis en place sous le quinquennat Hollande en 2012, il a ensuite été supprimé par une ordonnance du 24 septembre 2017. Soutenu par une aide financière de 12 000 € sur trois ans, il permettait à l’entreprise d’embaucher un jeune tout en maintenant dans l’emploi un senior d’au moins 57 ans. Alexandre Fels, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT, souligne à ce sujet “qu’aucune étude n’a été faite sur les entreprises où le contrat était signé”. Il précise que “d’après les retours des syndicats notamment dans l’industrie, le contrat de génération a permis d’embaucher des jeunes qui ont ainsi acquis des savoir-faire”.

Pour l’heure, d’autres actions de la CGT sont prévues durant l’été selon Nawel Benchlikha : “Nous diffusons un livret spécial saisonniers et nous partons à la rencontre des jeunes à l’occasion du Tour de France”.

(1) Contrat qui propose aux jeunes de 16 à 25 ans un accompagnement individuel vers l’emploi.

Comment attirer les jeunes dans le syndicalisme et les CSE ?
  Pour Céline Verzeletti que nous avons pu interroger lors de la conférence de presse, le plan permet de s’adresser directement à la jeunesse. “On arrive ainsi à s’approcher d’eux notamment en milieu professionnel et à partir de là on peut essayer de les syndiquer. Nous sommes bien conscients que sur la syndicalisation des jeunes, nous sommes un peu en difficulté”, explique-t-elle. Selon la syndicaliste, les jeunes ne sont pas plus individualistes que les générations précédentes, “mais ils s’engagent autrement, c’est pourquoi nous travaillons sur les causes sociales, l’écologie et le féminisme”. Elle ajoute que “souvent, ils nous disent qu’ils ne connaissent pas leurs droits, or pour défendre ses droits il faut déjà les connaître”. Alexandre Fels rappelle quant à lui l’opposition de la CGT aux ordonnances Macron mettant en place les CSE, en particulier la règle de limitation à trois mandats. “Nous voulons au contraire montrer la valeur ajoutée que le fait d’être au CSE apporte dans une carrière. Tous les syndicats essaient d’attirer des jeunes dans les CSE, et cela se fait dans la majorité des entreprises”. Tout en regrettant que “la peur des représailles des employeurs [soit] le premier frein qui empêche les jeunes de prendre un mandat”, Nawel Benchlikha se montre confiante : “Depuis la bataille contre les retraites, les jeunes viennent souvent nous voir pour nous dire qu’ils veulent adhérer à la CGT. Ils voient que nous sommes un syndicat combatif”.

Marie-Aude Grimont

“Les réformes structurelles sont de nature à faire baisser le nombre de demandeurs d’emploi”

Yannick L’Horty, professeur à l’université Gustave Eiffel et directeur de la fédération Théorie et évaluation des politiques publiques du CNRS, estime réaliste la promesse d’Emmanuel Macron d’atteindre le plein emploi d’ici à 2027. Mais si la réforme de l’assurance chômage incite à un retour plus rapide sur le marché du travail, elle pourrait favoriser une reprise d’emplois peu durables, en incitant les chômeurs à accepter des emplois de moindre qualité et donc à durée limitée.

Le portefeuille du nouveau ministre du travail, Olivier Dussopt, s’est élargi au plein emploi, conformément à la promesse d’Emmanuel Macron. Le défi, du plein emploi, estimé autour de 5 % de chômeurs en France, est-il réaliste d’ici à 2027 ?

On est sur une bonne trajectoire. Cette perspective devient envisageable même probable alors qu’auparavant elle était inatteignable. Le plus dur a été fait ; on est enfin sorti du corridor où nous étions enfermés depuis les années 80-82 avec un taux de chômage compris entre 8 % et 12 %. Passer de 7,3 % à 5 % est possible d’ici à 2027, un niveau qui n’a jamais été aussi bas depuis les années 70, avant le premier choc pétrolier de 1973. On a retrouvé la trajectoire descendante qui prévalait avant la crise sanitaire. Au total, le nombre de chômeurs au sens du BIT est de 2,2 millions de personnes en France.

A quoi peut-on imputer les bons chiffres de l’emploi actuels ?

 Plusieurs menaces pèsent sur cette embellie du marché de l’emploi, à commencer par la forte inflation, la crise ukrainienne et le changement climatique

Les réformes structurelles, conduites depuis une dizaine d’années en France sont de nature à faire baisser le nombre de demandeurs d’emploi : assouplissement des dispositions juridiques encadrant le contrat de travail, instauration d’un barème sur les indemnités prud’homales (qui a rassuré les employeurs sur le coût du licenciement ), développement de l’apprentissage (qui a permis d’orienter les jeunes vers des filières offrant des débouchés), réforme de l’assurance chômage et allègement du coût du travail (avec le CICE) qui a basculé en 2019 sous forme d’allègement de cotisations sociales). C’est la combinaison de toutes ces réformes qui a permis de flexibiliser le marché du travail.

Quelques bémols toutefois. Bien que cette notion de plein emploi ait des connotations très positives, elle ne signifie pas que tous les actifs ont du travail. Il subsiste un chômage frictionnel imputable au fait qu’un minimum te temps est nécessaire pour se faire embaucher, après avoir quitté un poste ou au moment de démarrer une carrière professionnelle.

De plus, nous sommes dans un climat d’incertitude. Plusieurs menaces pèsent sur cette embellie du marché de l’emploi, à commencer par la forte inflation, la crise ukrainienne et le changement climatique qui pourrait, à plus long terme, avoir des conséquences préoccupantes sur le marché du travail ; par exemple de fortes inondations pourraient avoir des retombées économiques importantes sur l’agriculture et le tourisme et entraîner une situation de l’emploi beaucoup moins favorable.

La réforme de l’assurance chômage initiée par Muriel Pénicaud puis poursuivie par Elisabeth Borne, qui vise à réduire la période d’indemnisation pour rendre incitatif le retour au travail, a-t-elle déjà porté ses fruits ?

Les primo-actifs sont incités à accepter des emplois de moindre qualité et donc à durée limitée

Il est encore difficile d’évaluer le comportement des demandeurs d’emploi et les réactions des entreprises. Globalement, une moins grande générosité de l’assurance chômage peut avoir un effet dual : inciter à un retour plus rapide mais en même temps favoriser une reprise d’emplois peu durable. C’est le cas par exemple des primo-actifs, qui n’ont pas assez d’années contributives au système d’assurance chômage : ils sont incités à accepter des emplois de moindre qualité et donc à durée limitée, en attendant de retrouver un poste plus en phase avec leurs attentes.

Emmanuel Macron souhaite poursuivre la réforme de l’assurance chômage. D’une part, en modulant les allocations des demandeurs d’emploi en fonction de la conjoncture économique. D’autre part, en remplaçant Pôle emploi par France travail, un guichet unique qui réunirait, à l’échelle d’un territoire, l’ensemble des acteurs de l’emploi pour éviter une trop grande segmentation des prestations visant le retour à l’emploi. Qu’en pensez-vous ?

On s’est beaucoup penché sur le volet monétaire de l’assurance chômage mais trop peu sur le volet accompagnement

L’idée est de rendre plus actif le financement de l’assurance chômage, en ciblant le volet dépenses. Avec d’un côté, un système de bonus-malus pour les entreprises qui font un usage excessif des contrats courts et de l’autre, un système de plafonnement ou de dégressivité des allocations pour encourager un retour plus rapide à l’emploi.

La réforme de France travail complète ce dispositif. On s’est, en effet, beaucoup penché sur le volet monétaire de l’assurance chômage mais trop peu sur le volet accompagnement. Or, ce volet, bien mené, peut générer des gains d’efficacité dans la gestion du chômage. L’organisation actuelle des intermédiaires du marché du travail reste un point faible. C’est pourquoi, il faut encourager le développement différencié des programmes d’accompagnement, en fonction des différents publics des demandeurs d’emploi. Avec des dispositifs renforcés pour les personnes les plus vulnérables. Le pourcentage des chômeurs de longue durée de plus d’un an a fortement augmenté doublé depuis la crise sanitaire, jusqu’à dépasser les 50 %. Il faut donc amplifier ce mouvement d’accompagnement en direction de ce type de public.

Mais pourquoi choisir l’échelle régionale ?

 Une nouvelle réforme qui conduirait à créer un organisme décentralisé, avec des moyens propres à chaque territoire

Le faire au niveau régional me paraît pertinent. Les besoins ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre, d’un secteur d’activité à l’autre. On peut donc envisager, 13 ans après la fusion de l’ANPE et des Assedic, une nouvelle réforme qui conduirait à créer un organisme décentralisé, avec des moyens propres à chaque territoire.

L’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi était pourtant l’objectif du Plan de développement des compétences (PIC), lancé en 2018. Quels sont vos retours ?

La crise sanitaire a complexifié l’évaluation de ce dispositif. Beaucoup d’expérimentations ont été abandonnées. Nous aurons des résultats plus convaincants et exhaustifs d’ici à la fin 2022. Pour ma part, en tant que directeur de la fédération TEPP, je suis impliqué dans l’évaluation de ce dispositif pour deux régions, le Grand Est et la Bourgogne.

Anne Bariet

Pouvoir d’achat : les propositions de la CPME

Dans un communiqué publié hier, la CPME propose un “pack pouvoir d’achat” pour faire face à l’inflation. La confédération suggère : 

  1. de réactiver pour toutes les entreprises la défiscalisation des heures supplémentaires et de plafonner le montant des charges patronales. Concrètement, au-delà de la 35e heure, un salarié serait payé 25 % de plus mais les charges patronales n’augmenteraient pas ;
  2. d’assouplir les dispositifs de partage de la valeur. D’une part en ouvrant une option entre la formule actuelle de calcul de la réserve spéciale de participation et une nouvelle formule directement calculée à partir du résultat. D’autre part, en ajoutant des critères individuels aux critères collectifs pour l’intéressement ;
  3. de permettre de verser la prime Pepa en plusieurs versements au cours d’une année ; 
  4. de transformer la déduction d’impôt sur le revenu des frais professionnels, en crédit d’impôt, sur le modèle du crédit d’impôt pour le particulier employeur et réviser le barème kilométrique qui sert de base à ce dispositif. 

actuEL CE

Laurent Berger (CFDT) : “Le premier sujet sur la table, c’est le pouvoir d’achat”

Le secrétaire général de la CFDT s’est entretenu hier avec la presse lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale. Une heure trente de questions-réponses qui dessinent les positions du premier syndicat français dans les mois à venir. En parallèle, Laurent Berger prépare le prochain congrès de sa confédération qui se tiendra la semaine prochaine à Lyon.

Hasard du calendrier, le congrès de la CFDT se tiendra pile entre les deux tours des élections législatives. “Mais on ne le savait pas quand on l’a organisé !”, précise d’emblée Laurent Berger qui tient à ne pas prendre parti dans ces élections, réservant à son syndicat le rôle de “porter la voix des travailleurs, de ceux que l’on n’entend pas toujours”. Sa seule limite restera donc de se montrer “incompatible avec l’extrême droite”. Quant aux annonces du nouveau gouvernement, Laurent Berger entend bien donner de la voix face aux prochaines réformes : “Sur certains sujets on veut peser, sur d’autres on veut combattre”, distingue-t-il, traçant ainsi la répartition de ses priorités. En un mot, la question des retraites peut attendre. Il place l’urgence sur le pouvoir d’achat.

Pouvoir d’achat : “Des mesures à cibler”

Chèque alimentation, indexation des retraites, carburants… le gouvernement se positionne ces derniers jours sur le pouvoir d’achat (lire notre brève dans cette même édition).  Une priorité que partage Laurent Berger mais sous un prisme plus large que les seules aides directes de l’État. Aides qui selon lui devraient être ciblées : “Les aides au carburant pour tous, c’est arroser du sable. Ça n’a pas le même sens selon qu’on se rend tous les jours au travail en voiture ou qu’on part en weekend entre amis”. Il en va de même du chèque alimentation : “Il doit arriver plus vite et être ciblé”, martèle Laurent Berger.

Salaires : “Mettre le patronat dos au mur”

La question du pouvoir d’achat englobe celle des salaires pour le leader de la CFDT qui appelle le patronat à prendre ses responsabilités : “Dans les branches, il faut contraindre à une revalorisation au niveau du Smic. 143 branches aujourd’hui se situent sous ce montant, avec des effets de tassement. Et ce qui me remonte le plus, c’est le cas de gens qui travaillent depuis quatre, cinq ou six ans et sont toujours payés au Smic. Il faut mettre le patronal dos au mur”, a-t-il insisté. Une revalorisation qui selon lui doit concerner aussi les minimas sociaux, rappelant que “le RSA n’a pas augmenté depuis longtemps”. Sur ce sujet, le syndicaliste se montre inquiet : “La spirale négative des ménages qui se trouvent dans la pauvreté me fait vraiment flipper”.

Partage de la valeur ajoutée : “Il y a un vrai boulot à faire”

Autre chantier à aborder dans les prochains mois, le partage de la valeur ajoutée qui réclame “un vrai boulot”. Encore une fois, le secrétaire général de la CFDT vise le patronat qui selon lui reste “rétif” à ce sujet, notamment sur l’extension du partage aux entreprises sous-traitantes. S’il reconnaît que l’idée du dividende salarié promis par Emmanuel Macron a le mérite de faire émerger le sujet, encore faut-il selon lui le mettre en miroir avec le dividende perçu par les actionnaires. “Et là, souligne Laurent Berger, tout est question de calcul”. Ajoutant que le dividende salarié revient à l’intéressement, il prévient que l’idée “ne marchera pas si c’est pour que les salariés touchent 10 là où les actionnaires touchent 100”. Mais considérant que “la CFDT n’est pas que le syndicat de la fiche de paye, elle s’occupe aussi du reste”, il compte bien jouer son rôle dans les prochaines réformes de la protection sociale.

Retraites : “Il est hors de question d’en traiter cet été”

Suivant la logique de sa priorité donnée au pouvoir d’achat, Laurent Berger a été très clair sur la réforme des retraites. Sur le fond, c’est-à-dire le recul de l’âge légal de départ à 64 ou 65 ans, “c’est ‘no way’ pour la CFDT”, a-t-il tranché. D’une part parce que selon lui une telle mesure pénaliserait ceux qui ont commencé à travailler jeunes, et d’autre part parce qu’il fustige l’idée de financer la dépendance des personnes âgées sur le budget des retraites : “Ce ne sera pas possible. Pour financer l’autonomie, la santé ou encore l’éducation, il faut d’autres choix fiscaux qu’aujourd’hui”, à savoir un impôt plus progressif, sur les plus riches et une taxation du patrimoine.

Laurent Berger réclame aussi une réforme de la gouvernance de l’assurance chômage, épinglant la lettre de cadrage de l’État et le risque de perte de contrôle des partenaires sociaux. “La lettre fût un cran supplémentaire franchi par l’État sous le dernier quinquennat (…) qui contraint les négociations. Je ne veux pas faire mine de jouer un rôle”, a-t-il insisté.

Des relations intersyndicales au beau fixe ?

Interrogé sur l’élection de Frédéric Souillot en remplacement d’Yves Veyrier, Laurent berger a indiqué avoir déjà eu des échanges avec lui et l’avoir félicité. Il a ajouté que “les attaques ad hominem, ça n’existe plus. On se parle, on échange, on se rencontre. Il y a des accords et des désaccords mais on s’est unis sur le report de l’âge légal”. Si Frédéric Souillot a montré son accord sur ce point en qualifiant la réforme des retraites de “mère des batailles”, Laurent Berger temporise : “Il peut y avoir des enjeux internes dans cette déclaration”. Il relève cependant la volonté des syndicats “d’agir ensemble”.

Le congrès de la CFDT en ligne de mire

Au sujet de sa propre succession, Laurent Berger a confirmé qu’il n’assurerait pas l’entièreté de son mandat. Si par ailleurs il reconnaît que “la parité est dans la logique des choses”, il ne s’est pas spécialement prononcé pour qu’une femme prenne sa place, au contraire de Philippe Martinez qui tente de positionner Marie Buisson à la tête de la CGT après son départ.

Enfin, à notre demande, le secrétaire général a esquissé les contours du congrès de la CFDT qui aura lieu la semaine prochaine à Lyon. Il ne sera pas question de commenter l’actualité, mais de “valider l’activité et de se projeter sur des repères pour les quatre prochaines années”. Les trois premiers jours seront consacrés à “entériner notre positionnement après quatre ans très difficiles sur la base du rapport d’activité”. Ensuite, le syndicat abordera les résolutions et leurs amendements dans la perspective de “mettre la CFDT en capacité de faire face aux défis, car c’est une organisation solide (…) mais pas toujours assez agile”. La fin du congrès verra aussi “des moments forts autour de camarades d’autres pays comme l’Afghanistan et l’Ukraine”. Laurent Berger a conclu en affirmant vouloir “montrer que la CFDT sait où elle va et qu’on est crédibles”.

Conseil national de la refondation : “On fera surtout attention à ce que ça ne soit pas cosmétique”
  Laurent Berger s’interroge sur le Conseil national de la refondation annoncé par Emmanuel Macron dans la presse régionale comme une nouvelle instance de gouvernement permettant de remplir les objectifs fixés pendant sa campagne présidentielle (lire l’interview dans le quotidien Ouest France). Ce nouveau CNR, référence au Conseil national de la Résistance, impliquerait selon le Président de la République “les forces politiques, économiques, sociales, associatives, des élus des territoires et de citoyens tirés au sort”. Tout comme Frédéric Souillot sur RTL lundi 6 juin, Laurent Berger se demande quelle serait la différence entre le CNR et le CESE (conseil économique social et environnemental). “On va demander vendredi de quoi il en retourne”, a-t-il affirmé. En effet, Emmanuel Macron aurait invité à déjeuner les principaux leaders syndicaux afin d’évoquer le sujet. Le leader de la CFDT reste cependant lucide : “On peut appeler CNR ou pas, tout dépend de la démarche mais pour l’instant on ne sait pas ce que c’est. On fera surtout attention à ce que ça ne soit pas cosmétique”. Philippe Martinez (CGT) a quant à lui déjà décidé de ne pas se rendre à ce déjeuner (lire notre brève dans cette même édition).  

Marie-Aude Grimont

Pouvoir d’achat : les annonces du gouvernement, les réactions des syndicats

A l’approche des élections législatives, le gouvernement multiplie les annonces sur le pouvoir d’achat. Vendredi 3 juin, dans son interview à la presse régionale, Emmanuel Macron a donné les caractéristiques du chèque alimentation. Interrogée sur la radio de radio France Bleu mardi 7 juin, la première ministre Élisabeth Borne a indiqué qu’il prendrait dans un premier temps la forme d’un virement bancaire. Versé “en une fois” à la rentrée aux plus modestes gagnant moins de 2 000 euros, son montant (qui n’est pas encore fixé) se situerait entre 100 et 150 euros. En parallèle, une réflexion serait engagée sur le chèque alimentation lui-même, afin de permettre l’accès des ménages à une alimentation bio et durable.

Elisabeth Borne a annoncé par ailleurs une augmentation des retraites de 4 % dès le mois de juillet. Enfin, un dispositif spécial carburants serait mis en place à la rentrée à destination de “ceux qui font beaucoup de kilomètres chaque jour”.

Hier, l’UNSA a réagi par communiqué de presse (en pièce jointe), jugeant ces annonces “pas satisfaisantes”. Pour le syndicat, “l’enjeu c’est la préservation pérenne du pouvoir d’achat et cela implique aussi que les entreprises et les employeurs publics participent à cet effort en augmentant les salaires”. Réaction hier également de la CFE-CGC qui met l’accent sur l’utilisation des transports publics et la négociation des salaires (communiqué en pièce jointe).

actuEL CE

Covid-19 : la mise en œuvre rapide du plan de relance entraîne des effets d’aubaine

Le gouvernement a lancé le plan France Relance pour permettre une reprise de l’activité économique après la crise dans un délai de deux ans. La Cour des comptes estime que le choix des projets retenus repose sur une conditionnalité insuffisante.

“Une machinerie administrative assez lourde pour assurer une mise en œuvre rapide”. Pierre Moscovici résume ainsi le “plan de relance” du gouvernement (France Relance), qui a vocation à s’appliquer principalement en 2021 et 2022 (*) pour permettre une reprise de l’activité économique après la crise de la Covid-19. Le Premier Président de la Cour des comptes était auditionné par le Sénat en mars dernier, audition retranscrite dans un rapport d’information publié le 25 mai 2022.

Ce délai de deux ans répond à l’objectif même de relance. “Le respect de cet objectif [de rapidité] a notamment reposé sur la recherche active de candidats pour les aides, la mise en place de concertations ad hoc entre acteurs et le choix de critères de sélection privilégiant la rapidité d’engagement des projets”, soulignent les magistrats de la rue Cambon (dans leur rapport joint en annexe de celui du Sénat).

Ainsi, de nombreux appels de projet ont été lancés et attribués rapidement (au cours de l’année 2021). Il en est de même pour les aides dites “de guichet” dont l’instruction des dossiers se limite à la seule vérification juridique de l’éligibilité du bénéficiaire (les autres mécanismes mis en œuvre dans le cadre de France Relance pour sélectionner les bénéficiaires des mesures sont la commande publique classique et les appels à manifestations d’intérêt). 

A noter que cette rapidité a été permise par la reprise, pour partie, de mesures déjà existantes.

Conditionnalité limitée et sans ciblage

Mais la mise en œuvre rapide de France Relance a une contrepartie, estime la Cour des comptes. “Une moindre exigence dans la sélection des projets retenus, avec un risque d’effet d’aubaine et une conditionnalité insuffisante”. “Le choix des projets a reposé sur des critères simples, avec une conditionnalité limitée et sans ciblage massif”, indiquent les magistrats. 

C’est le cas, par exemple, des mesures de soutien “à la demande en véhicules propres”. Ou encore du dispositif MaPrimeRénov’ (qui a pour objet de financer les dépenses engagées pour les travaux d’amélioration de la performance énergétique d’un logement). “La vérification de la qualité et de l’efficacité des travaux menés n’est pas assurée”, précise Pierre Moscovici.

Des projets existants favorisés

Autre inconvénient de cette rapidité d’exécution : elle a “conduit à retenir les projets déjà existants, qui ne nécessitaient pas d’expertise longue, et à l’inverse à écarter certains projets, pourtant en accord avec les priorités du plan, mais dont le temps de préparation n’était pas compatible avec les délais du plan de relance”.

La Cour des comptes émet notamment des doutes sur le processus de sélection des projets liés à la transition énergétique des équipements sportifs et la qualité des instructions menées au niveau territorial. Le calendrier très serré a davantage profité au financement de projets existants. Les exigences de rapidité ont “pu conduire à sélectionner des projets déjà prêts, alors que d’autres projets, pourtant en accord avec les priorités du plan de relance, nécessitaient une instruction plus approfondie et ne satisfaisaient donc pas les objectifs de décaissement rapide”, explique le rapport sénatorial.

Une intervention massive qui doit rester ponctuelle

France Relance n’est pas donc exempt de critiques. Et plus globalement, la Cour des comptes préconise un plan ponctuel et limité dans le temps. “Il conviendrait de ne plus ouvrir d’autorisations d’engagement sur la mission « Plan de relance» au-delà de la fin 2022 et de prévoir sa suppression le plus tôt possible après cette échéance, estime Pierre Moscovici. En effet, il est nécessaire de bien délimiter le plan de relance dans le temps, une intervention aussi massive devant rester ponctuelle”. Et d’insister : “Un plan de relance est par nature temporaire”.

Par ailleurs, il est recommandé d’assurer un suivi plus strict de France Relance et de publier au premier semestre 2022 un bilan d’ensemble du “déploiement territorial” des mesures. Pour mesurer pleinement l’efficacité de l’ensemble de ce plan gouvernemental.

Plan de relance : un ensemble “assez touffu” de mesures à 100 milliards d’euros
France Relance, lancé par le gouvernement en 2020, consacre 100 milliards d’euros à la reprise et la transformation de l’économie. Selon le Premier Président de la Cour des comptes, ce budget finance “un ensemble assez touffu de mesures”, lesquelles “ne font pas l’objet d’un recensement exhaustif, unique et partagé entre les différentes administrations”. Ce plan de relance s’organise autour de trois priorités : la transition écologique, notamment la rénovation thermique des bâtiments publics et des logements, la décarbonation de l’industrie et le développement des mobilités vertes ; la compétitivité des entreprises, avec la baisse des impôts de production, le soutien à l’innovation ciblé vers des secteurs comme le spatial et l’aéronautique et les aides à la relocalisation ; la cohésion sociale et territoriale, avec des mesures en faveur de l’emploi, certaines ciblées sur les jeunes, et le soutien à l’investissement public dans le cadre du Ségur de la santé.

(*) application jusqu’en 2026 au moins pour son volet européen, indique Pierre Moscovici.

Céline Chapuis

L’emploi résiste au premier trimestre 2022

En dépit du contexte économique dégradé, marqué par la poursuite de l’épidémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine, l’emploi salarié progresse de +0,4 % au premier trimestre 2022 (+68 100 postes), selon un communiqué de l’Acoss, publié hier. Sur un an, l’augmentation est de 2,3 % (+ 434 600 postes).

Dans le détail, ce dynamisme est essentiellement porté par le tertiaire (+ 83 300 postes). L’industrie diminue légèrement et la construction ralentit (malgré un niveau historiquement élevé).

Le salaire moyen par tête (SMPT) enregistre, quant à lui, une nette accélération : + 1,4 % sur le trimestre, après + 0,4 %. Une progression qui pourrait s’expliquer par les hausses successives du Smic (+ 2,2 % au 1er octobre 2021, + 0,9 % au 1er janvier 2022) et les revalorisations salariales conclues lors des dernières NAO.

Au total, la masse salariale soumise à cotisations sociales augmente de 2,1 % au quatrième trimestre 2021, après + 1,4 % au trimestre précédent. Son niveau dépasse de 7,7 % celui de fin 2019.

actuEL CE