Les entretiens en lien avec le mandat : les droits des représentants du personnel, les obligations de l’employeur
Les entretiens de début et de fin de mandat font partie des dispositifs visant à prendre en compte et à valoriser le parcours professionnel des représentants du personnel. S’ils sont encore peu connus, ils sont pourtant prévus par le code du travail et sont d’ordre public. Panorama du droit applicable à ces entretiens.
Le représentant du personnel ou le représentant syndical est avant tout un salarié. L’exercice de son mandat peut avoir des conséquences sur sa carrière professionnelle, mais il lui permet aussi d’apprendre et d’acquérir de nouvelles compétences. En outre, la fusion des mandats au sein du CSE (comité social et économique) et la limitation du nombre de mandats successifs introduites par l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au CSE implique, d’autant plus, une gestion d’adaptation de l’emploi anticipée. Dans ce cadre, le législateur a prévu plusieurs dispositifs afin d’intégrer ce mandat dans la vie professionnelle présente et future du salarié, et notamment des entretiens de début et de fin de mandat (1).
Entretien de début de mandat
A la demande des représentants du personnel et des titulaires d’un mandat syndical
Au début de son mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d’un mandat syndical bénéficie, à sa demande, d’un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi (C. trav., art. L. 2141-5, al. 3).
Il s’agit bien d’un entretien à la demande du salarié, or le code du travail ne prévoit aucune obligation d’information des représentants du personnel par l’employeur de l’existence de ce droit.
Sont concernés par ce droit à entretien :
- le représentant du personnel titulaire : il s’agit du membre du CSE titulaire bien sûr, mais aussi d’après nous du représentant de proximité. Il semble également que les membres du comité de groupe ou du comité d’entreprise européen pourraient également être visés : lorsqu’il s’agit d’un membre titulaire du CSE, il sera déjà concerné au titre de ce mandat, mais il peut également s’agir d’un membre suppléant désigné comme titulaire à l’un de ces mandats, cela n’étant pas interdit par le code du travail ;
- le délégué syndical (le délégué syndical central devrait également être concerné) ;
- le titulaire d’un mandat syndical : il s’agit du représentant de la section syndicale et du représentant syndical au CSE ou au CSE central d’entreprise. On peut également penser que, notamment, les conseillers prud’hommes, les administrateurs syndicaux de caisses de sécurité sociale et les membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) sont également visés.
Attention, les suppléants au CSE ne sont pas visés. Cependant, rien n’interdit de le prévoir pour eux également, en particulier lorsque l’accord de mise en place ou de fonctionnement du CSE octroie des droits aux suppléants et par exemple lui permet de participer aux réunions. En outre, il semble que le suppléant devenu définitivement titulaire doit pouvoir y avoir droit.
Distinction entre l’entretien professionnel et l’entretien de début de mandat
L’entretien de début de mandat ne se substitue pas à l’entretien professionnel mentionné à l’article L. 6315-1 (C. trav., art. L. 2141-5, al. 3).
Rappelons que l’entretien professionnel a été instauré par la loi du 5 mars 2014. Il doit avoir lieu tous les 2 ans. Il est consacré aux perspectives d’évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualifications et d’emploi et ne doit pas porter sur l’évaluation du travail du salarié. L’objet de l’entretien de début de mandat est de discuter et mettre en place les modalités pratiques d’exercice du mandat au sein de l’entreprise au regard de l’emploi du salarié.
Il ne semble cependant pas interdit, si le début du mandat et l’entretien professionnel coïncident chronologiquement, de procéder à ces deux entretiens corrélativement. Ils doivent cependant se distinguer, leur nature étant différente.
Assistance possible d’un membre du personnel
Le salarié peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise lors de son entretien de début de mandat (C. trav., art. L. 2141-5, al. 3).
Entretien de fin de mandat
De droit pour les titulaires de mandats importants
Au terme d’un mandat « important » de représentant du personnel titulaire ou d’un mandat syndical, celui-ci bénéficie d’un entretien permettant de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise (C. trav., art. L. 2141-5, al. 4).
Remarque : les précisions apportées ci-dessus sur les mandats concernés par l’entretien de début de mandat s’appliquent également ici. A noter que le délégué syndical n’est pas ici visé expressément contrairement à l’entretien de début de mandat, mais il est bien sûr concerné, en tant que titulaire d’un mandat syndical.
Il n’est pas précisé ici que le salarié doit en faire la demande, mais seulement que l’entretien professionnel « permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise ». Il nous semble donc que l’employeur se doit d’au moins le proposer aux salariés concernés.
Remarque : à noter que l’entretien de fin de mandat est, le cas échéant, un élément du dossier à fournir en cas de demande de valorisation des compétences acquises résultant de l’article L. 6112-4.
Notion de mandat « important »
Depuis le 1er janvier 2020, sont visés par l’entretien de fin de mandat :
- dans les entreprises d’au moins 2 000 salariés : tous les représentants du personnel titulaires et les titulaires de mandat syndical, pour les mandats prenant effet après le 31 décembre 2019 ;
- dans les entreprises de moins de 2000 salariés (et pour toutes les entreprises pour les mandats ayant pris effet avant le 31 décembre 2019) : les représentants du personnel et les titulaires de mandat syndical disposant d’heures de délégation sur l’année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement.
Ainsi, pour un salarié à temps complet, c’est-à-dire à 1 607 heures annuelles, l’entretien de fin de mandat est ouvert aux titulaires de mandat disposant de 1607×30/100 = 482 heures, soit 40 heures mensuelles de délégation (sauf dans les entreprises d’au moins 2 000 salariés, dans lesquelles tous les représentants du personnel titulaires et tous les titulaires de mandat syndical sont concernés, quel que soit leur crédit d’heures, pour les mandats prenant effet après le 31 décembre 2019).
Remarque : il s’agit bien des heures de délégation dont disposent les représentants. Il ne faut donc pas prendre en compte les heures effectivement prises (ou partagées ou reportées), mais bien les heures auxquelles il a droit. Il faut bien sûr cumuler les heures de délégation si le salarié est titulaire de plusieurs mandats.
Articulation entre l’entretien professionnel et l’entretien de fin de mandat
L’objet de l’entretien de fin de mandat est de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise. Il s’agit donc bien de discuter des perspectives d’évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualifications et d’emploi, ce qui est également l’objet de l’entretien professionnel. Il apparaît donc que l’entretien de fin de mandat constitue une version approfondie de l’entretien professionnel, en d’autres termes ils se complètent.
Remarque : il n’est bien sûr pas interdit de procéder à ce recensement des compétences et discuter de leur valorisation éventuelle avec un titulaire de mandat qui n’en réunit pas les conditions lors de l’entretien professionnel, mais ce n’est pas obligatoire, et le salarié ne peut l’exiger.
La rédaction de l’article L. 2141-5, alinéa 4 confirme cette analyse. En effet, il est prévu que c’est « lorsque l’entretien professionnel est réalisé au terme du mandat » que « l’entretien permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise ».
La rédaction de l’article pourrait laisser à penser que si l’entretien professionnel, biennal, et la fin du mandat ne coïncident pas, l’entretien de fin de mandat n’est plus obligatoire. Il nous semble cependant que la rédaction de cet article cherche surtout à lier ces deux entretiens. Le texte n’imposant aucun délai pour tenir l’entretien de fin de mandat, on peut penser que l’employeur peut attendre la date de l’entretien professionnel pour y procéder. Si cette date est trop éloignée de celle prévue pour l’entretien professionnel, il semblerait toutefois judicieux de raisonnablement les avancer.
Des dispositions d’ordre public
Les dispositions de l’article L. 2141-5 relatives aux entretiens de début et de fin de mandat sont d’ordre public. Toute mesure prise par l’employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts (C. trav., art. L. 2141-8).
Ainsi, s’il est bien sûr possible de traiter ces sujets dans des accords, non seulement un tel accord ne pourrait pas écarter ces dispositions, ou exclure certains salariés originellement visés, mais en outre l’employeur ne pourrait pas refuser l’entretien, ou encore l’assistance d’un membre du personnel pour l’entretien de début de mandat, par exemple.
Il est en revanche possible de prévoir des dispositions plus favorables, comme le bénéfice de ces entretiens à des salariés qui n’y aurait normalement pas droit, ou bien prévoyant des délais, ou encore instituant des entretiens en cours de mandat. On retrouve de telles dispositions dans des accords de mise en place du CSE, de droit syndical ou encore dans les accords sur la conciliation vie professionnelle, personnelle et fonctions représentatives prévus également à l’article L. 2141-5 (voir encadré ci-dessous).
(1) A lire dans notre édition de demain, une enquête sur les entretiens d’évaluation et les salariés protégés avec les témoignages de nombreux représentants du personnel.
La lecture faite par la Cour de cassation sur l’accord sur la conciliation entre la vie professionnelle, la vie personnelle et les fonctions représentatives |
L’article L. 2141-5, al. 2 du code du travail prévoit prévoit qu’un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l’expérience acquise par les représentants du personnel par le biais de leur mandat dans leur évolution professionnelle. Mais comment prendre en compte cette expérience ? Comment évaluer l’expérience acquise ? Un arrêt important rendu par la Cour de cassation le 9 octobre 2019 propose une grille de lecture et des critères précis. Dans cette affaire, un accord de groupe sur le parcours professionnel des représentants du personnel prévoit un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle. Les organisations syndicales ont contesté cet accord en justice, considérant qu’une telle évaluation pouvait conduire à une discrimination syndicale et porter atteinte à la liberté syndicale. La Cour de cassation juge ce dispositif valide après vérification de plusieurs points, au cœur desquels la collaboration entre employeur et organisations syndicales à toutes les étapes, de la négociation à la mise en œuvre (Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 18-13.529). Ainsi, la Cour de cassation explique que pour la prise en compte dans son évolution professionnelle de l’expérience acquise par le salarié dans l’exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux, un accord collectif peut prévoir un dispositif : facultatif pour l’intéressé ; permettant une appréciation par l’employeur, en association avec l’organisation syndicale, des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat ; susceptible de donner lieu à une offre de formation ; et dont l’analyse est destinée à être intégrée dans l’évolution de carrière du salarié. Puis, la Cour de cassation valide, en appuyant sur la collaboration avec les organisations syndicales et le respect du principe de non-discrimination : aussi bien l’élaboration par l’employeur du référentiel dont l’objet est d’identifier et d’évaluer les compétences mises en œuvre par le salarié dans l’exercice de ses mandats ; que la méthodologie d’élaboration du dispositif, comme reposant sur des éléments précis et objectifs, excluant toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale. |
Evaluation des salariés protégés : des entretiens à…réévaluer !
09/03/2021
Vu les nombreuses priorités du moment, les entretiens d’évaluation des salariés protégés ne sont pas au centre des préoccupations dans les entreprises. Pour autant, cette question paraît cruciale au regard d’une politique effective de non discrimination des élus et d’un dialogue social de qualité. Nous avons cherché à savoir comment se déroulent en 2021 ces entretiens pour les élus du personnel et les représentants syndicaux : ont-ils lieu en face à face ou en visio ? Les objectifs sont-ils aménagés pour tenir compte de la charge de travail lié aux mandats ? Retour d’expériences.
Après notre éclairage juridique, hier, sur les entretiens en lien avec le mandat (lire notre article), nous vous proposons une enquête sur les entretiens d’évaluation pour les élus du personnel tenus dans les entreprises. Spéciale la cuvée 2021 de ces entretiens ? Pas pour Denis Pauget. Cet élu CFE-CGC, secrétaire du CSE d’une PME qui gère les flux de transports, à Saint Priest (Rhône), n’a rien observé de différent par rapport aux autres années : “Nous travaillons à distance mais les entretiens ont eu lieu en présentiel, comme d’habitude. Tout se passe bien, mais notre activité a été peu touchée par la crise sanitaire. Nous n’y avons consacré que deux réunions de CSE en 2020”.
L’essor de la visio
En revanche, à la Matmut, la plupart des entretiens ont eu lieu en visio, sauf dans certaines agences. Elisabeth Perez, déléguée syndicale centrale (DSC) FO de cette mutuelle, ne signale elle-aussi rien d’extraordinaire. Elle est plus attentive aux entretiens qu’elle-même doit faire passer à la trentaine d’élus FO du CSE, afin d’évaluer l’évolution de leurs compétences afin de favoriser leur évolution professionnelle : “Notre accord de CSE prévoit des entretiens en début, en cours et en fin de mandat”, nous précise-t-elle, avec une grille de questions et d’évaluation précise à la clé. Les entretiens de début de mandat ayant eu lieu début 2020, ceux du milieu de mandat auront donc lieu en 2022.
Tout dépend du manager
Un dispositif analogue était aussi prévu chez Generali (6 000 salariés en France) mais la crise sanitaire et l’urgence économique ont rendu ce dossier secondaire par rapport aux urgences, constate Dominique Tabarié, DSC UNSA. Chez cet assureur, les entretiens d’évaluation n’ont d’ailleurs pas encore été bouclés. “Nous sommes en plein dedans”, dit la syndicaliste. Ces entretiens se déroulent en visio et la question des mandats ne peut bien sûr pas y être évoquée. En revanche, l’entreprise prend soin de tenir compte des heures passées en délégation, en transport et en réunion, pour adapter les objectifs des salariés ayant un mandat. Sur ce sujet, Dominique Tabarié n’a pas reçu de retour particulier pour l’instant. Mais elle observe en revanche que la règle, posée par accord, selon laquelle tout salarié doit bénéficier d’un plan d’action ou d’une augmentation significative pour les 5 ans, n’est pas toujours respectée dès lors qu’il s’agit d’un élu du personnel, “car tout dépend du manager” et de son attitude face à la distribution d’enveloppes d’augmentation plutôt faibles.
La question des objectifs adaptés ou non avec la crise
Chez Michelin, Jérôme Lorton, DSC SUD, n’a pas de vision globale sur la situation des élus concernant les entretiens d’évaluation. Il faut dire que le syndicaliste, “qui n’a jamais autant travaillé en 20 ans de mandats syndicaux” du fait de la crise sanitaire et de ses conséquences, a d’autres priorités, comme la négociation en cours d’un accord de ruptures conventionnelles collective, l’entreprise visant un objectif de 2 300 départs sur 3 ans. Cela étant, Jérôme Lorton nous indique que Michelin a revu l’an dernier les objectifs fixés au personnel pour tenir compte de la crise, car la réalisation de ces objectifs conditionne la rémunération variable. Ce correctif aurait permis de sauver la moitié des bonus.
“Chez nous, la campagne d’entretiens annuels est en train de s’achever. Tout se fait en visio car nous sommes à 100% en télétravail”, nous répond Nawel Hadjadj, DS CGT de la société ADP Gis France, une société spécialisée dans les logiciels de paie qui emploie 2 000 salariés sur 9 sites en France. Son entretien à elle s’est bien déroulé, car la salariée maîtrise son temps : elle travaille sur des projets et peut consacrer la moitié de son emploi du temps à ses mandats. Mais son syndicat reste vigilant quant à la situation des élus du personnel.
Nous avons alerté la direction sur la nécessité d’aménager les objectifs des salariés qui sont élus du personnel
Il y a 5 ans, la CGT avait alerté la direction sur la nécessité d’aménager les objectifs des élus afin de leur permettre d’accomplir leur mandat sans se pénaliser professionnellement. “Cela a été fait, mais cela reste un combat permanent, nous dit Nawel Hadjadj. La charge de travail des élus du CSE est très forte s’ils veulent exercer pleinement leur mandat. Cela a des effets sur l’équipe de travail dont la charge de travail n’est pas toujours diminuée, car tout dépend des managers et certains craignent d’être mal perçus par leur hiérarchie”. Mais le souci du moment pour la déléguée syndicale, c’est la baisse de moral des salariés. Le refus de l’entreprise de les laisser revenir de temps à autre au bureau, ne serait-ce qu’un jour par semaine, suscite l’incompréhension du personnel. “Nous avons fait une réunion extraordinaire du CSE en décembre pour alerter la direction. Certains salariés n’en peuvent plus de travailler à domicile. Une véritable souffrance s’exprime”, rapporte-t-elle. Sans que cela ait, pour l’instant, conduit l’entreprise à modifier sa consigne de télétravail permanent.
Pas de sentiment de crise aigüe en revanche du côté de Gallimard (500 salariés), selon le délégué syndical CGT Eric Froment, mais il faut dire que la maison d’édition a connu une très bonne année 2020 sur le plan économique, la vente des livres ayant été dopée par les confinements et le télétravail. Cela n’empêche pas les élus du CSE et les délégués syndicaux d’être encore très sollicités en 2021, après un cru 2020 déjà chargé. “Je sors de trois réunions”, nous dit Eric Froment quand nous l’appelons. L’une concerne la négociation d’un protocole préélectoral dans une filiale, l’autre un problème de management qui va donner lieu à une mission d’expertise et de conseil, et la dernière a trait à la dénonciation d’un contrat par lequel Gallimard fournit une revue à une entreprise à difficulté, et qui pourrait entraîner des reclassements voire des départs. “Depuis les ordonnances Macron et la création du CSE, le travail des élus n’a cessé de s’alourdir”, dénonce au passage le DS CGT.
Nous avons négocié en GPEC le déroulement des entretiens et la possibilité d’en référer aux RH
Concernant les entretiens d’évaluation, dont Eric Froment est loin d’être un fan (“c’est un peu infantilisant pour le salarié qui ne peut pas parler librement face à son manager, surtout s’il ne s’entend pas avec lui”, soutient-il), ce dernier estime que son entreprise les pratique de façon correcte, la campagne devant se terminer en juin chez Gallimard (1). “Dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), nous avions négocié le déroulement de ces entretiens, avec la possibilité pour le salarié d’en référer aux RH en cas de problème”, nous explique-t-il. En revanche, les syndicats n’ont pas obtenu ce qu’ils réclamaient, à savoir qu’un service dans lequel un salarié est élu soit crédité d’un nombre d’heures de travail correspondant à la charge liée au mandat.
Des formulaires pas toujours adaptés à la réalité des métiers
Ces critiques sur les entretiens d’évaluation individuels, Franck Daout, DSC CFDT de Renault, les partage, du moins pour le contenu des formulaires. Le syndicaliste a découvert en janvier les nouveaux documents mis au point par les services RH, qu’il juge non adaptés : “D’un côté, on nous vante sans arrêt l’autonomie des managers et là, on leur impose des formulaires détaillés qui multiplient les points sur les comportements des salariés. Rien qui permette vraiment la valorisation des métiers réels, des équipes et de la performance collective”, juge-t-il.
En théorie, les représentants du personnel occupés à 80% par leur mandat ont droit à un entretien croisé. Mais en pratique…
Chez Renault, les élus dont les mandats représentent au moins 80% du temps de travail doivent normalement bénéficier d’un entretien d’évaluation croisé en présence de leur responsable métier et d’un correspondant RH. Mais en pratique, c’est rarement usité, déplore Franck Daout. Pour prévenir tout problème et toute discrimination, ce dernier passe donc en revue avec les RH tous les élus mandatés par son syndicat afin de vérifier que leur situation en matière d’augmentation de salaire et d’évolution professionnelle. “Globalement, c’est correct, mais nous avons quand même quelques dossiers problématiques qui risquent de se finir aux prud’hommes”, constate le délégué syndical en évoquant des non augmentations ou des non passages du statut de technicien au statut cadre.
Les inégalités salariales entre femmes et hommes sont-elles évoquées à l’occasion des entretiens annuels ? Franck Daout ne le pense pas, mais il observe que la situation des femmes militantes semble davantage prise en compte par la direction que celle des hommes militants. Un effet collatéral de l’index F/H ? Quoi qu’il en soit, cette question de l’évaluation et d’une appréciation objective et non discriminatoire du travail des salariés ayant un mandat est pour le délégué syndical le signe évident de la qualité du dialogue social dans l’entreprise. Une entreprise qui pour l’heure reste sujette aux à-coups de la relance d’après crise. “Nous sommes touchés par la pénurie de composants électroniques, et certaines usines font déjà plusieurs jours de chômage partiel par semaine”, rapporte Franck Daout. Le DS n’est pas étonné, mais énervé par la situation : “Nous avions prévenu la direction, c’était prévisible qu’au sortir de la crise, il y aurait cette pénurie et que les sous-traitantes favoriseraient les donneurs d’ordre qui les traitent correctement…”
Chez Conforama, on gère encore le PSE, nous n’avons plus d’entretiens individuels depuis 2 ans
Enfin, dans notre tour d’horizon, nous avons eu certains retours ne signalant pas de problèmes (“Rien ne m’a été remonté. PSA nous laisse le temps nécessaire pour l’exercice de nos mandats syndicaux”, nous a dit ainsi N’Guyen Anh Quan, DSC CFE-CGC ). Mais nous avons eu aussi eu des cas d’entreprises ayant carrément cessé de pratiquer les entretiens individuels d’évaluation. Comme Conforama. “L’entreprise ne les fait plus depuis deux ans, car la priorité est de boucler le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui touche 2 000 personnes, nous précise Mouloud Hammour, élu FO et secrétaire du CCE de l’enseigne. Deux magasins doivent encore fermer et il nous faut toujours travailler sur les reclassements”. L’agenda social des négos dans l’entreprise est également gelé, dans l’attente des décisions du nouveau PDG, Conforama ayant été repris par Mobilux, la maison mère de But.
(1) Rappelons qu’un salarié ne peut pas se dispenser de se rendre à un entretien d’évaluation, sauf à risquer une sanction pouvant aller, pour un refus réitéré, jusqu’au licenciement pour faute grave. De par son pouvoir de direction, l’employeur a en effet le droit d’évaluer le travail des salariés. A la condition, a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2002, que le dispositif d’évaluation ait été auparavant porté à la connaissance des salariés. En effet, selon l’article L. 2312-38 du code du travail, le comité social et économique doit être “informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés”.
Chez Airbus Helicopters, les objectifs 2020 ont été recalés a posteriori pour tenir compte des efforts et des initiatives des salariés |
Les entretiens d’évaluation des opérationnels sont en cours de clôture chez Airbus Helicopters, qui emploie 11 500 personnes à Marignane (Bouches-du-Rhône). Ils se sont bien déroulés pour les élus du personnel, estime Claude Bocoviz. Le délégué syndical central CFE-CGC explique avoir négocié avec la DRH la prise en compte des efforts des salariés durant cette année si particulière : “Si Airbus Elicopter ne s’est arrêté que 3 jours l’an dernier, et si l’année a été correcte, c’est bien grâce aux initiatives des cadres et des salariés”. Qu’il s’agisse d’adapter la production, de mettre en place les gestes barrières, ce sont les initiatives des salariés qui ont permis à l’entreprise de passer le cap. Il aurait donc été paradoxal de voir ces salariés, et notamment les cadres, sanctionnés sur leur part variable pour n’avoir pas atteints des objectifs fixés en 2019 mais devenus obsolètes avec la crise sanitaire. Je fais moi-même un entretien annuel avec mes mandatés ! Cela concerne donc les élus qui partagent leur temps entre les mandats (le CSE de l’établissement compte 36 élus mais il y a aussi dans l’entreprise des RVS, des représentants de vie sociale, qui sont des représentants de proximité) et le travail opérationnel. A cet égard, le DSC estime que l’entreprise joue le jeu et laisse aux membres du CSE le temps nécessaire à l’accomplissement de leur mandat. Les élus et représentants syndicaux sont d’ailleurs suivis de près par Claude Bocoviz : “Je fais moi-même un entretien avec mes mandatés pour évaluer l’évolution de leurs compétences syndicales. Je ne peux certes pas les rétribuer davantage, mais je peux proposer des formations ou des évolutions de mandat et de responsabilités syndicales”. Un suivi particulier est fait pour les personnes détachées sur un mandat syndical Pour les salariés détachés à temps complet pour leur mandat syndical, comme c’est son cas, Claude Bocoviz rappelle qu’un système d’entretien annuel de suivi a été mis en place, via un accord de droit syndical, afin de s’assurer que ces salariés gardent leur employabilité et puissent retourner sans problème le jour venu à l’opérationnel. Cela porte-t-il ses fruits ? “L’accord est récent et les CSE ne sont mis en place que depuis fin 2019, deux mois avant la crise sanitaire. C’est donc encore trop tôt pour tirer un bilan de ce dispositif. Mais c’est très important car les salariés ne s’engageront pas dans un mandat syndical s’ils craignent que cela nuise à leur emploi ou à leur carrière “, répond le DSC. |