Agenda social : les premiers arbitrages du gouvernement
13/07/2023
La Première ministre a reçu hier les cinq syndicats de salariés représentatifs et les trois organisations patronales. Chacun a pu réaffirmer ses revendications mais Elisabeth Borne s’est souvent abstenue de toute réponse, notamment au sujet d’une révision des ordonnances Macron sur le CSE. On en sait cependant plus sur le calendrier et les futures lettres de cadrage. Le point sur les timides avancées issues de cette réunion multilatérale.
“Une journée utile”, pour Marylise Léon (CFDT). “Des échanges très constructifs” selon Elisabeth Borne. Mais tout le monde n’est pas de cet avis : “Ce n’est pas une journée historique”, a indiqué Frédéric Souillot (FO), Sophie Binet (CGT) déplorant “des réponses en décalage avec les besoins”. Si quelques consensus sont ressortis de la réunion multilatérale entre la Première ministre et les organisations syndicales, de nombreux sujets demeurent épineux, notamment l’organisation des thèmes de l’agenda cadrés par l‘article L1 du Code du travail, ou encore le fond des discussions sur l’assurance chômage. Une seule chose semble acquise : malgré le souhait unanime des syndicats de salariés de revenir sur les ordonnances Macron organisant le CSE, la perspective d’une réforme n’a jamais été aussi éloignée. Pour le reste, la Première ministre a entériné les principaux thèmes de l’agenda proposé par les partenaires sociaux.
La négociation sur l’emploi des seniors sera cadrée par le gouvernement
Le thème le plus prometteur de négociation interprofessionnelle semble pour l’instant l’emploi des seniors. Contrairement aux vœux du patronat, qui craint de se voir imposer des mesures contraignantes, la première ministre a souhaité qu’il soit traité dans le cadre de l’article L1 du code du travail, qui prévoit des concertations préalables et un document d’orientation donnant un cadre aux partenaires sociaux. Avec la pénibilité, la question des seniors relève en tout cas de l’urgence, la réforme des retraites entrant en vigueur au 1er septembre, mais dépourvue de l’index seniors retoqué par le Conseil constitutionnel. Le document d’orientation sera transmis aux partenaires sociaux fin août en vue d’une négociation mi-septembre, a précisé Yvan Ricordeau (CFDT) en marge de la réunion.
Figureront aussi au menu des négociations tripartites le compte épargne temps universel (CETU), les parcours professionnels, la prévention de l’usure professionnelle et les reconversions professionnelles.
Découpage des négociations : le grand écart
Les organisations patronales et syndicales sont par ailleurs très divisées sur l’opportunité de grouper tous ces thèmes dans une seule négociation, sur la base d’une seule lettre de cadrage, ou de les séparer. Si Yvan Ricordeau se montre plutôt favorable à cette seconde option, Sophie Binet a proposé deux documents d’orientation distincts “car les négociations ont plus de chances d’aboutir si elles ne sont pas entremêlées”. Frédéric Souillot a quant à lui admis le désaccord des syndicats sur ce point et renvoyé aux prochaines discussions. François Hommeril (CFE-CGC) s’est prononcé pour une séparation nette des sujets, tandis que Cyril Chabanier (CFTC) souhaite une seule lettre de cadrage.
Le patronat ne brille pas non plus par son unité : François Asselin (CPME) se range du côté d’une seule négociation générale, Patrick Martin (Medef) et Jean-Christophe Repon (U2P) sont davantage favorables à un découpage. Les partenaires sociaux parviendront peut-être à s’accorder une fois le document d’orientation reçu, qu’ils souhaitent tous suffisamment ouvert pour leur laisser des marges de manœuvre, ce qu’Elisabeth Borne leur a confirmé.
Assurance chômage : pas de retour en arrière
L’assurance chômage fait partie des sujets qui ne sont pas réglés à l’issue de cette réunion. Tout d’abord parce que la question de sa gouvernance n’a pas été évoquée. Ensuite parce que contrairement au souhait des syndicats de salariés, le gouvernement ne remettra pas en cause les deux précédentes réformes de 2019 et 2021 qui ont revu le mode de calcul du salaire journalier de référence et introduit une contracyclicité de l’indemnisation.
De ce fait, l’issue d’une négociation fructueuse sur le sujet semble déjà très incertaine. Pour l’heure, les organisations syndicales et patronales vont attendre la lettre de cadrage de fin juillet avant d’avancer leurs positions. A la fin de la réunion, Elisabeth Borne a précisé que ce document ferait lui-même l’objet d’une concertation avec les organisations syndicales et patronales. Pour mémoire, le décret de carence arrivera à échéance au 31 décembre 2023, et le gouvernement ne semble pas prêt à le reconduire.
Pas de révision des ordonnances Macron sur le CSE
Malgré une demande unanime des cinq syndicats représentatifs de salariés, la perspective d’une réforme du régime du CSE semble fermée. “Nous avons rappelé notre revendication présentée le 16 mai car toutes les analyses prouvent que la réforme de la représentation du personnel ne contribue pas du tout au dialogue social. Mais la Première ministre n’a rien répondu”, a expliqué Frédéric Souillot (FO). Malgré un constat partagé par les autres syndicats de salariés, ce chantier ne sera sans doute pas ouvert d’ici la fin du quinquennat, Patrick Martin (Medef) y est en tout cas résolument opposé.
Un diagnostic sur les trappes à bas salaires
Sur les salaires, les minimas sociaux et les pensions, les syndicats ont rappelé leur souhait de négociations dans les entreprises et les branches afin de rehausser le pouvoir d’achat. La Première ministre a proposé la réalisation d’un diagnostic sur les trappes à bas salaires. Les employeurs bénéficiant d’exonérations de cotisations sociales rechignent en effet à augmenter les salaires afin de continuer de bénéficier du dispositif.
Le patronat demande une dose de capitalisation dans l’Agirc-Arrco
Sophie Binet l’a pris comme une provocation : “Le patronat a le culot de nous proposer une dose de capitalisation dans le cadre de la négociation des retraites complémentaires”. Côté CFDT, Yvan Ricordeau s’est étonné de voir ce sujet mis sur la table par la CPME, alors qu’une réunion s’est tenue en ce début de semaine sans que ce sujet ne soit mis à l’ordre du jour. La prochaine séance de négociation devrait se tenir le 5 septembre au CESE (conseil économique, social et environnemental), dans un lieu neutre et non au Medef, comme l’a prévu l’accord national interprofessionnel sur le paritarisme.
Sans surprise, malgré les revendications syndicales, le patronat reste par ailleurs fermement opposé à toute conditionnalité des aides publiques aux entreprises et se montre très réservé sur le compte épargne temps universel. L’U2P espère enfin une négociation sur l’apprentissage afin de réduire de coût contrat.
Les résultats de ces négociations paritaires devraient aboutir au printemps 2024, afin que les transpositions législatives aient lieu ensuite au second semestre 2024.
Marie-Aude Grimont