08/02/2021
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Plusieurs grandes enseignes de restauration collective ont présenté des projets de plans de sauvegarde de l’emploi. Le secteur se porte en effet très mal. Sous la double peine des difficultés de ses clients qui mettent en place eux-mêmes des PSE, et de la généralisation du télétravail qui réduit le nombre de couverts. Deux délégués syndicaux nous expliquent ces phénomènes.
Sodexo, Sogeres, Elior, Compass… Les grands noms de la restauration collective souffrent. Le 27 octobre 2020, Sodexo a annoncé l’ouverture d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) concernant 2 083 postes. Quelques semaines plus tôt, Elior a communiqué son intention de se séparer de 1 881 salariés sur deux de ses filales, Elior Entreprises (1 553 postes) et Arpège (328 postes). Selon les délégués syndicaux que nous avons pu interroger, les motifs du recours au PSE sont identiques chez Sodexo et Elior : la mise en oeuvre de PSE chez les clients conjuguée au télétravail réduit le nombre de couverts, étouffant ainsi les restaurateurs.
La réduction inquiétante du nombre de couverts
Airbus, Thales, Société Générale… Autant de clients de Sodexo qui ont réduit leur effectif salarié en 2020 via des PSE.
Un effet ricochet
Eric Villecroze, délégué syndical central FO (majoritaire) chez Sodexo nous le confirme : “Cela produit un effet ricochet, c’est autant de repas de moins à servir pour nous. Or, nos effectifs sont adaptés en fonction de nos clients et de notre activité”. De plus, le télétravail appliqué dans le but de réduire le nombre de salariés dans les locaux des clients a conduit à la fermeture des restaurants collectifs. “Cela pourrait se limiter à un effet conjoncturel pendant la pandémie, mais à chaque fois qu’un accord d’entreprise est conclu sur le télétravail, cela le rend structurel, ce qui est d’autant plus néfaste pour notre secteur”, analyse Eric Villecroze.
Chez Elior, la direction de l’entreprise a d’abord justifié le PSE par les effets de la pandémie, selon Gilles Garnes, délégué syndical central FO (majoritaire). Il faut dire aussi que l’activité a baissé de près de 50 %.
Il n’y a pas seulement baisse de la masse salariale, c’est une réorganisation
Mais un effet d’aubaine n’est pas impossible : “Le choix des zones d’emploi concernées par le PSE nous a tout de suite fait penser à une opération plus ambitieuse. Il ne s’agit pas seulement de réduire la masse salariale, c’est une réorganisation”, nous confie le syndicaliste. Une réorganisation d’autant plus difficile à vivre, selon lui, qu’Elior n’est pas coutumière des PSE. La négociation du plan de sauvegarde était donc toute nouvelle pour les organisations syndicales d’Elior.
Négociation des organisations syndicales et consultation des CSE
Comme pour tout PSE, les organisations syndicales représentatives de Sodexo et Elior ont été invitées à négocier le contenu du plan. Pour Eric Villecroze (Sodexo), ” nous ne négocions pas le PSE lui-même. Notre but est de réduire le nombre de licenciements à moins de 1 000 personnes, et de négocier les mesures d’accompagnement des salariés. Nous voulons de bonnes mesures avec des congés spéciaux, des reclassements, de la mobilité, des primes jusqu’à 10 000 €, et en dernier lieu les licenciements”. Les négociations sont encore en cours chez Sodexo, dont le nombre de filiales pourrait faciliter les reclassements, dans le secteur médico-social notamment, où des postes sont à pourvoir. Toujours selon Eric Villecroze, la direction a présenté au CSE son plan baptisé “Rebond”, ainsi que le chiffrage de l’année 2020.
Chez Elior en revanche, les négociations (six séances) se sont terminées la semaine dernière sur les deux filiales, et le CSE central doit rendre son avis le 8 février prochain. D’ici 24 à 48 heures, les organisations syndicales feront savoir si elles signent l’accord négocié avec la direction. Sur les 1 888 postes dont la suppression est envisagée, la négociation du PSE pourrait permettre d’en récupérer environ 1 000 par l’effet des reclassements. Les syndicats ont fait appel à un expert pour étudier les données économiques, un droit d’alerte ayant par ailleurs été actionné avant la pandémie.
6 000 courriers de proposition de reclassement
Selon Gilles Garnes, “des courriers de proposition de reclassement ont été envoyés à environ 6 000 salariés, et nous avons été étonnés de voir que les salariés voulaient en effet changer de secteur ou d’emploi. Les départs en retraite sont bien entendu prioritaires, et accompagnés au mieux. Je suis plus inquiet pour ceux qui seront licenciés, nous avons établi une hypothèse haute de 800 personnes. Beaucoup de nos salariés viennent du secteur hôtels-cafés-restaurants, et on sait comme c’est difficile de retrouver un emploi en ce moment”. Chez Elior, les négociations ont eu lieu en présentiel, suite à une demande insistante des organisations syndicales qui trouvaient cela “plus rassurant”.
Le recours à l’activité partielle n’a pas suffi
Dans les deux entreprises, l’activité partielle a été utilisée pour amortir le premier choc. Chez Sodexo, elle a été activée dès le 17 mars 2020. Elle vise 60 % du personnel et toutes les fonctions de l’entreprise selon Eric Villecroze. Elle concerne également une bonne partie de l’effectif chez Elior. “Malheureusement, nous n’avons jamais réussi à obtenir que la direction complète la rémunération des salariés placés en activité partielle, bien que nous ayons travaillé ce point via une intersyndicale”, regrette Gilles Garnes.
Face à cette situation et aux faibles perspectives d’amélioration de la sittuation épidémique depuis l’apparition des variants du Covid-19, la restauration collective tente de trouver de nouveaux débouchés. Sodexo possède déjà deux filiales spécialisées dans la livraison de repas à domicile : Foodchéri et Seazon. Chez Elior, on envisage aussi de s’y mettre afin de conquérir de nouveaux marchés : “Puisque bientôt on aura le droit de déjeuner à son bureau !”, s’amuse Gilles Garnes, en allusion au décret attendu en ce sens…
Marie-Aude Grimont