Procès France Télécom : mémo pour suivre l’affaire devant la cour d’appel
Contexte, faits en cause, accusés… Quelques points pour comprendre ce dont on parle en ce moment au procès dit “des suicides de France Télécom” devant la cour d’appel de Paris.
Le procès dit France Télécom en appel a débuté le 11 mai 2022 et se clôturera le 1er juillet. En première instance, devant le tribunal de Paris en 2019, plusieurs anciens dirigeants de l’entreprise avaient été condamnés pour harcèlement moral ou complicité de harcèlement moral. Une décision historique. Hormis l’entreprise Orange en tant que personne morale et l’ex-DRH Olivier Barberot, tous ont fait appel de cette décision.
Le contexte pré-crise
Historiquement, France Télécom, entreprise publique, employait des fonctionnaires. Le recrutement de contractuels de droit privé débute en 1990 puis celui de fonctionnaires cesse quelques années plus tard. La loi du 26 juillet 1996 transforme définitivement l’entreprise en société de droit privé. Au même moment, ses activités changent et ses métiers aussi. C’est la fin des renseignements téléphoniques et l’arrivée des box Internet, par exemple. Parallèlement, le secteur des télécommunications est ouvert à la concurrence.
Les faits en cause
Dans ce contexte, il est décidé de supprimer 22 000 postes en trois ans (soit 20 % des effectifs), d’en ouvrir 6 000 autres et d’organiser des milliers de mutations, géographiques ou fonctionnelles. L’annonce est faite progressivement à cheval sur 2005 et 2006. Le plan social n’est pas vraiment envisagé (les salariés de droit privé ne représentent que 80 % des effectifs). À la place, la direction lance en juin 2005 le plan Next, avec son volet social appelé Act, dont le déploiement s’accélère à partir de février 2006. Ils comportent des dispositifs de mutation, en interne ou dans la fonction publique, des départs anticipés à la retraite… Tous les départs sont “volontaires”, selon les prévenus.
Mais pour les parties civiles et les magistrats de première instance, ces dispositifs ne pouvaient suffire à remplir les objectifs chiffrés fixés : ceux-ci ont été remplis au prix d’une dégradation des conditions de travail. Autrement dit, en poussant les salariés à bout, vers la sortie. On pense ici à la déclaration de l’ancien PDG devenue célèbre, prononcée en 2006 lors d’une convention devant des managers : “Je ferai les départs par la fenêtre ou par la porte”. D’où les poursuites pour harcèlement moral. Si des suicides et tentatives de suicide sont enregistrés dès les années 2000, leur nombre augmente à partir de 2007. Le procès porte uniquement sur la période 2007-2010.
Qui sont les accusés ?
Ils sont six sur le banc des accusés.
D’abord, Didier Lombard qui a remplacé Thierry Breton à la tête de France Télécom en 2005. Il y est resté jusqu’en 2011.
Ensuite : Louis-Pierre Wenès. Il occupait depuis 2003 le poste de directeur achat et amélioration de la performance groupe. À partir de 2006, il détenait aussi la casquette de directeur des opérations France. Au cours de l’audience du 12 mai 2022, la présidente de la cour a rappelé les surnoms qui lui collent à la peau : le “cost killer” et la “brute”.
En 2006, Nathalie Boulanger, également poursuivie, devient cheffe du projet de réorganisation des activités France nommé RAF, qui se termine quelques mois plus tard. Après un poste de directrice des actions territoriales, elle occupe à partir de 2008 celui de directrice marketing en charge du contrôle de gestion des ressources humaines et de l’open innovation.
Autre accusé : Guy-Patrick Cherouvrier. Il a gravi les échelons de l’entreprise petit à petit pour en devenir le DRH France de 2005 à 2008, date de son départ en retraite.
Ensuite, Brigitte Dumont a été directrice recrutement et gestion de carrières au sein de la DRH groupe à partir de 2005. Poste auquel s’est ajouté celui de responsable du management des compétences et de l’emploi fin 2006. Elle était également directrice du programme Act au niveau groupe.
Dernier accusé : Jacques Moulin, directeur territorial de la région Est jusqu’en 2006, nommé chef du projet de la DRH opérations France en 2008. Il a été condamné de complicité pour les faits passés lorsqu’il était dans l’Est, mais relaxé pour la période suivante.
Quelles sont les parties civiles ?
Les parties civiles retenues lors de l’instruction sont 41 personnes physiques (19 familles endeuillées, les personnes qui ont tenté de se suicider ou qui ont souffert de dépression), dix syndicats, deux associations (ASD Pro et la Fnath) et un CHSCT. Au début du premier procès se sont ajoutées un peu plus de 100 parties civiles supplémentaires, des salariés ou anciens salariés de l’entreprise.
Pauline Chambost