Procès France Télécom : “On a mis les gens dans la nasse pour les faire partir”
A la barre, difficile pour les parties civiles du procès France Télécom de dépasser le ressenti et les impressions générales pour dire le harcèlement moral caractérisé.
“Le changement de comportement des managers, ce n’est pas une infraction pénale. Là, nous sommes dans une qualification de harcèlement moral […] Comment en avez-vous senti un préjudice ? En quoi est-il caractérisé ?”. Ce recadrage de Pascaline Chamboncel-Saligue résume bien l’audience du 20 mai du procès dit des suicides de France Télécom. La présidente n’a eu cesse de réclamer des éléments constitutifs de harcèlement moral aux syndicalistes parties civiles.
C’est bien de cela que sont accusés les anciens dirigeants de France Télécom. On leur reproche d’avoir poussé à bout des salariés pour les inciter à quitter l’entreprise. Condamnés (comme auteurs des faits ou complicité) en 2019, ils ont tous fait appel, hormis l’ancien DRH groupe qui s’est désisté. Ce second procès a débuté le 11 mai et se clôturera début juillet.
Mais difficile pour les syndicalistes appelés à la barre de ne pas évoquer le contexte et l’ambiance générale à l’époque des faits. Alors que l’entreprise venait d’être privatisée et mise en concurrence, les salariés “voulaient faire de la qualité et on leur demandait de faire de la quantité”, raconte par exemple Pierre Vars, secrétaire général de l’Unsa France Télécom. Selon lui, les dispositifs de départ et de mobilité ne correspondaient pas aux besoins, n’étaient pas suffisants. Par exemple : “Quand vous quittez une entreprise, vous partez ailleurs mais mieux payé. En Corrèze c’est impossible, il n’y a pas d’autres opérateurs. Si vous n’avez pas de raison de partir, il faut donc qu’on vous y pousse”.
Alors, “On nous disait qu’on coûtait cher”, “Le discours était : si ça ne te va pas casse-toi”, rapporte-t-il. Il évoque les réunions d’équipe, auparavant hebdomadaires pour faire remonter les besoins qui deviennent quotidiennes et ont pour but de “mettre sous pression” les salariés. “Est-ce que je suis vraiment volontaire [la défense parle de départs volontaires, ndlr] quand on ne me donne plus de boulot, que mon poste est supprimé et que je n’ai plus rien à faire ? C’est bien caractéristique de harcèlement moral”, dénonce également Isabel Lejeune-Tô, déléguée syndicale CFDT, lors d’un passage très calme et clair à la barre. “Quand nous interpellions les N+2 du comportement des N+1, on nous disait que c’était normal, qu’on n’était pas chez les bisounours”, se rappelle Pierre Vars.
“Cela m’a pourri la vie”
Selon Patrick Ackermann, ancien délégué syndical central Sud, dès lors que l’annonce des 22 000 départs est faite : “On est face à une équipe qui a mis en place une machine bien huilée qui, du sommet au cadre de proximité, a mis les gens dans la nasse pour les faire partir pour des licenciements boursiers”. Et la présidente de rappeler que la mise en place d’objectifs chiffrés, tout comme des problèmes de relations individuelles, ne sont pas “suffisants” ici. Le procès doit permettre de savoir s’il y a eu harcèlement moral, basé sur une politique d’entreprise, ou “juste” l’exercice normal d’un pouvoir de direction.
Lors de sa très longue audition, le désormais retraité a tenté de démontrer que la direction était au courant des méfaits de sa politique sur la santé mentale de ses salariés, que lui-même l’avait alertée. D’ailleurs, “je vous ai rencontré” dit-il à l’adresse de Didier Lombard, ex-PDG. “Ne vous retournez pas vers les prévenus”, demande la présidente de la cour à Patrick Ackermann. Quand il est à la barre, le premier à avoir porté plainte, s’adresse régulièrement aux ex-dirigeants, se tourne parfois vers eux, les interpelle. Entrecoupé de sanglots, il témoigne : “J’ai fait ce que vous n’avez pas fait : le geste élémentaire de téléphoner aux familles de victimes”.
Les parties civiles doivent montrer en quoi elles ont été victimes à titre personnel (même s’il s’agit d’un syndicat en tant que personne morale), ce que leur demande systématiquement Pascaline Chamboncel-Saligue. Patrick Ackermann évoque Anne-Marie, déléguée syndicale qui reçoit un appel de Jean-Michel Laurent quelques minutes avant qu’il ne se jette sous un train. SUD et la CFE-CGC mettent en place l’observatoire des suicides et des mobilités forcées. A chaque suicide une expertise CHSCT est demandée. “Il y en avait tous les mois, cela nous prenait un temps fou. Cela m’a pourri ma vie”. Il raconte avoir dû “gérer à la fois des salariés en grande détresse et des militants à ramasser à la petite cuillère”. “Nous sommes syndicalistes, pas psychologues. Nous ne sommes pas armés. On sentait bien les limites de nos capacités à agir. Nous étions impuissants”, abonde Isabel Lejeune-Tô.
Pauline Chambost
Loi Santé au travail : un questions-réponses du ministère du travail sur les visites destinées à prévenir la désinsertion professionnelle
Rendez-vous de liaison, visites de pré reprise, de reprise et de mi-carrière : le ministère du travail a publié le 5 mai 2022 un questions-réponses qui précise les modalités concrètes des visites, médicales ou non médicales, dont bénéficie le salarié pour prévenir la désinsertion professionnelle.
Le ministère du travail a publié sur son site internet un questions-réponses détaillant les dispositifs en matière de prévention de la désinsertion professionnelle, introduits ou modifiés par la loi pour renforcer la prévention en santé au travail du 2 août 2021. Sont concernées les différentes visites, médicales ou non médicales, dont bénéficie le salarié pendant ou hors arrêt de travail, destinées à prévenir la désinsertion professionnelle liée à l’état de santé.
► Ce questions-réponses aborde également les mesures de reprise d’activité d’un salarié en arrêt de travail que sont l’essai encadré et la convention de rééducation professionnelle : les précisions apportées feront l’objet d’un article ultérieur.
Il est important de noter que plusieurs précisions apportées par le ministère du travail vont plus loin que ce que prévoient la loi du 2 août 2021 précité et ses décrets d’application. Ces mesures n’ont donc aucun caractère impératif : il ne peut alors s’agir que de simples préconisations qui n’ont aucune force obligatoire.
Nous reprenons ci-après ces différentes précisions, ajoutées aux textes officiels par le questions-réponses, que nous avons relevées.
Rendez-vous de liaison
Rappel du dispositif
Le rendez-vous de liaison, introduit par la loi santé au travail, est encadré par les articles L.1226-1-3, L.5213-6-1, D.1226-8-1 et R.4624-33-1 du code du travail.
Il est proposé, par l’employeur, au salarié en arrêt de travail dont la durée de l’absence au travail est supérieure à une durée de 30 jours (articles L.1226-1-3 et D.1226-8 du code du travail). Ce n’est pas un rendez-vous médical mais un entretien entre le salarié et l’employeur qui a pour objet d’informer le salarié qu’il peut bénéficier d’actions de prévention de la désinsertion professionnelle (essai encadré, convention de rééducation professionnelle…), d’un examen de pré reprise et de mesures d’aménagement du poste et du temps de travail. Si l’employeur est tenu de le proposer, le salarié peut le refuser.
► Il n’y a pas de sanction prévue par le code du travail lorsque l’employeur ne remplit pas ses obligations à l’égard du rendez-vous de liaison. Si tel est le cas, ce sont les règles habituelles de responsabilité civile qui s’appliquent : le salarié peut demander des dommages-intérêts s’il justifie d’un préjudice (par exemple perte d’une chance de bénéficier d’une action de désinsertion professionnelle).
Précisions apportées par le questions-réponses sur la durée minimale de 30 jours
Concernant la durée minimale de 30 jours de l’arrêt de travail, condition d’ouverture de l’obligation pour l’employeur de proposer un rendez-vous de liaison, le questions-réponses précise que cette durée minimale peut être “continue ou discontinue”. Or il s’agit d’un ajout aux articles L.1226-1-3 et D.1226-8-1 du code du travail. En l’absence d’une telle précision dans le code du travail, il ne peut être exigé de l’employeur, à notre avis, qu’il informe le salarié de la faculté d’un rendez-vous de liaison si chaque arrêt de travail est inférieur à 30 jours. Il ne peut lui être imposé une telle obligation d’information lorsque la durée de 30 jours est atteinte en prenant en compte plusieurs arrêts de travail distincts, séparés dans le temps.
Ce serait ajouter une obligation au texte. A notre sens, il faut que la durée de l’arrêt de travail soit d’au moins 30 jours continus pour rendre obligatoire l’information de l’employeur. L’esprit du texte est de lutter contre la désinsertion lorsque la durée de l’absence est suffisamment longue et non en cas d’arrêts de travail de courte durée qui peuvent avoir aucun lien entre eux. Par ailleurs, cela peut devenir très vite ingérable car nécessiterait d’organiser des rendez-vous de liaison dès que la somme des arrêts de travail du salarié, quelle que soit la période, atteint 30 jours. Enfin, rendre systématique un rendez-vous de liaison dans ces conditions pourraient être contreproductif car pourrait être ressenti comme une pression morale pour le salarié alors qu’il est en arrêt de travail.
Précisions apportées par le questions-réponses sur les délais d’organisation du rendez-vous de liaison à respecter
Concernant les délais d’organisation du rendez-vous de liaison :
- le questions-réponses précise que “le salarié qui accepte ce rendez-vous se voit proposer une date dans les 15 jours par l’employeur” . Or, ce délai, à défaut d’être prévu par le code du travail, n’a qu’une valeur indicative. Il ne pourrait donc être reproché à l’employeur de ne pas avoir respecté ce délai, sauf cas d’abus de droit (délai de plusieurs mois par exemple) ;
- le questions-réponses précise que “le service de prévention et de santé au travail est prévenu par l’employeur 8 jours avant la tenue du rendez-vous de liaison”. Là aussi, ce délai n’étant pas fixé par un texte, il n’a qu’une valeur indicative et ne s’impose pas.
Précisions apportées par le questions-réponses sur la tenue du rendez-vous de liaison
Le questions-réponses précise que le rendez-vous de liaison peut être organisé à distance ou en présentiel. Cette précision ne relève d’aucun texte mais ne nous semble pas contraire à l’esprit de la loi Santé au travail. Toutefois, l’option d’un rendez-vous en distanciel, ne peut être, selon nous, qu’une faculté offerte au salarié qui pourrait préférer un rendez-vous en présentiel, en raison notamment de conditions matérielles à son domicile et de la protection des données personnelles.
Précisions apportées par le questions-réponses sur les modalités de l’association du SPST
Le rendez-vous de liaison doit “associer” le service de santé au travail (article L.1226-1-3 du code du travail). Se pose alors la question des contours de cette “association du SPST”. Il est bien précisé que le personnel du SPST “participe en tant que de besoin au rendez-vous de liaison par l’article R.4624-33-1. Ce qui implique que la présence du SPST au rendez-vous de liaison n’est pas exigée de manière systématique.
Le questions-réponses précise que deux options se présentent :
- cette association du SPST peut se limiter à la préparation de documents informatifs (prospectus, flyers) sur le rôle de la cellule de prévention de désinsertion professionnelle, sur les visites de pré reprise et plus largement sur les outils à disposition du salarié en faveur du maintien en emploi ;
- ce n’est que lorsque la situation du salarié le nécessite, que le SPST assiste le salarié pendant le rendez-vous, en présentiel ou à distance.
Il est vrai que les textes n’exigent pas la présence du SPST pendant les rendez-vous de liaison mais on peut se demander si la simple transmission d’un flyer est suffisante.
À notre avis, cela dépendra de la situation propre à chaque salarié.
Il n’est pas précisé qui détermine si “la situation du salarié nécessite la présence du SPST” et sur quels critères.
Ce sont donc des précisions à prendre de manière indicative là aussi.
Par ailleurs, le questions-réponses précise que le SPST peut être représenté non seulement par un membre de l’équipe pluridisciplinaire du SPST mais également par un membre de la cellule de prévention de désinsertion professionnelle (cellule PDP). Or le code du travail ne prévoit pas cette deuxième option. Il s’agit d’un ajout au texte qui, à notre sens, doit être utilisé avec précaution voire à éviter, notamment au regard de la protection des données personnelles du salarié.
Visite de pré reprise et visite de reprise
Rappel
La visite de pré reprise, organisée par le médecin du travail, à l’initiative du travailleur, du médecin du travail, du médecin traitant ou du médecin-conseil de l’assurance maladie a pour objectif d’anticiper le retour dans l’entreprise du salarié en recommandant notamment la mise en place de mesures d’aménagements et d’adaptations du poste de travail (articles L.4624-2-4, L.4624-3 et R.4624-30 du code du travail).
Cette visite qui visait tout arrêt de travail d’au moins trois mois concerne, depuis le 1 er avril 2022, tout arrêt de travail d’au moins 30 jours. Elle doit désormais faire l’objet d’une information par l’employeur.
Précisions apportées par le questions-réponses
Le ministère du travail dans son questions-réponses précise que la durée minimale de 30 jours de l’arrêt de travail peut être continue ou discontinue. Or le code de travail ne précise pas que cette durée minimale d’ouverture à la visite de pré reprise peut être discontinue. Il n’y a donc, à notre avis, aucune obligation pour l’employeur d’informer le salarié sur son droit à bénéficier de cette visite lorsque chaque arrêt de travail pris isolément est inférieur à 30 jours, au prétexte que la somme d’arrêts de travail distincts et séparés dans le temps excède 30 jours. L’obligation d’information de l’employeur sur la visite de pré reprise n’est, selon nous, impérative que si la durée de l’arrêt de travail est de 30 jours consécutifs.
Bien sûr rien n’empêche à l’employeur de proposer une visite médicale auprès du service de santé à un salarié, s’il l’estime nécessaire, alors que les conditions de la visite de pré reprise ne sont pas réunies mais ce ne n’est qu’une faculté et cette visite n’aura pas la nature juridique de “visite de pré reprise…
Le questions-réponses précise que la visite de pré reprise peut être effectuée par le médecin du travail ou l’infirmier de santé au travail. Toutefois, rappelons que l’infirmier au travail ne peut effectuer cette visite que si cette mission lui est confiée par le médecin du travail dans le cadre d’un protocole écrit (article D.4624-10 du code du travail). Il ne pourra pas émettre des indications ou des propositions reposant sur des éléments de nature médicale ; seul le médecin du travail peut le faire.
Concernant la visite de reprise, le questions-réponses n’apporte aucune précision nouvelle. Il est à noter que, contrairement au rendez-vous de liaison et à la visite de pré reprise, le ministère du travail ne précise pas que la durée minimale de l’arrêt de travail exigée (60 jours en cas de maladie ou accident non professionnel, 30 jours en cas d’accident du travail) peut être discontinue.
Visite de mi-carrière
Rappel du dispositif
Une visite médicale de mi-carrière, créée par la loi de prévention pour renforcer en santé au travail, doit être organisée au cours de l’année du 45e anniversaire de tous les salariés – sauf lorsqu’un accord de branche prévoit une échéance différente (article L.4624-2-2 du code du travail).
Son objectif est :
- d’établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risques professionnels auxquelles il a été soumis ;
- d’évaluer les risques de désinsertion professionnelle, en prenant en compte l’évolution des capacités du travailleur en fonction de son parcours professionnel, de son âge et de son état de santé ;
- de sensibiliser le travailleur sur les enjeux du vieillissement au travail et sur la prévention des risques professionnels.
Le questions-réponses précité apporte des précisions concernant cette nouvelle visite.
Date de réalisation de la visite
La visite de mi-carrière doit être organisée au cours de l’année du 45e anniversaire du salarié ou à l’âge prévu par la branche lorsqu’un accord prévoit une échéance différente. La visite peut être anticipée et être organisée conjointement avec une autre visite médicale lorsque le travailleur doit être examiné par le médecin du travail dans les deux ans précédant l’échéance (article L.4624-2-2 du code du travail).
Le questions-réponses confirme que cette échéance correspond à l’âge de 45 ans ou, réaffirme le QR, à l’âge déterminé par l’accord de branche.
Initiative de la visite
Le questions-réponses ajoute que la visite peut être organisée à l’initiative du SPST, de l’employeur ou du salarié. Cette précision n’apparaissait pas dans la loi pour renforcer la prévention en santé au travail.
Attestation de visite
La visite de mi-carrière doit faire l’objet d’une attestation de visite. Lorsqu’elle est couplée à une visite périodique, une seule attestation précisant que la visite de mi-carrière a été effectuée est suffisante selon le questions-réponses.
Participation du référent handicap à la visite
Le référent handicap peut désormais participer aux échanges organisés dans le cadre de la visite de mi-carrière (article L.5213-6-1 du code du travail). Toutefois, Il ne peut pas assister, précise le questions-réponses, à l’entretien médical et à l’examen médical du salarié mais seulement aux échanges concernant les éventuelles mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation de poste et/ou d’horaire.
Nathalie Lebreton et Ouriel Atlan
La consultation sur le DUERP se fait au niveau du CSE d’établissement
Anne Benedetto et Laurent Gonzales, deux consultants du cabinet Syndex, ont tenu un webinaire mardi 24 mai sur les nouveautés de la loi santé au travail pour les élus de CSE. L’occasion de rappeler que le CSE doit désormais être consulté sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Selon les deux experts, cette consultation doit se tenir non au niveau du CSE central mais à celui du CSE d’établissement.
La loi santé au travail du 2 août 2021 prévoit une nouvelle consultation du CSE sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Cette nouvelle obligation s’applique depuis le 31 mars 2022. Le webinaire organisé par Syndex a donc rappelé le nouveau rôle des élus dans l’élaboration du DUERP et défini le périmètre de la consultation concernée.
Le rôle des élus dans l’élaboration du DUERP
Selon Anne Benedetto, “parmi la batterie des documents de prévention, le DUERP prend encore plus d’importance depuis la loi santé au travail”. De ce fait, confirme Laurent Gonzales, “les élus du CSE ont un vrai rôle à jouer dans l’élaboration du DUERP”. En effet, la loi prévoit que le CSE doit être consulté sur le DUERP au moins une fois par an dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Cette consultation concerne non seulement la rédaction initiale du document mais aussi ses mises à jour. De plus, la loi renforce le dispositif en contraignant l’employeur à évaluer de nouveaux risques : ceux liés à l’organisation du travail et les poly-expositions aux agents chimiques dangereux. “Le CSE et la CSSCT apparaissent donc comme de nouveaux contributeurs à l’élaboration et la mise à jour du DUERP”, insiste Laurent Gonzales. Par ailleurs, l’employeur doit conserver les différentes versions du DUERP pendant au moins 40 ans. Ces versions sont tenues à la disposition des travailleurs, anciens travailleurs et toute personne y justifiant intérêt. L’ancien travailleur ne peut accéder qu’aux versions du DUERP correspondantes à sa période de présence dans l’entreprise, précise Anne Benedetto.
“En tant qu’élus du CSE, le DUERP étant construit de manière participative, vous contribuez à évaluer les risques par vos inspections, vos enquêtes, votre droit d’alerte, votre connaissance des indicateurs sociaux transmis dans le rapport annuel de la commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) si elle existe”, recommande Laurent Gonzales. Rappelons que la CSSCT est obligatoire dans les entreprises d’au moins 300 salariés. L’inspecteur du travail (ou un accord majoritaire) peut cependant l’imposer dans les entreprises de moindre effectif.
Une consultation du CSE d’établissement
Quid de l’articulation entre CSE central et CSE d’établissement dans la consultation sur le DUERP ? Le CSE central est-il prioritaire sur cette consultation ? Non, répond Laurent Gonzales : “Le DUERP est un document opérationnel, bâti sur une logique d’unités de travail. Il fait notamment apparaître les risques psychosociaux et ceux liés à l’organisation du travail. L’employeur doit donc consulter les instances locales. La consultation doit se tenir au CSE d’établissement sur le DUERP de ce même établissement”. Pour mémoire, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, des CSE d’établissement et un CSE central sont constitués dans les entreprises comportant au moins deux établissements distincts (article L.2313-1 du code du travail).
Quant au rythme de consultation, Anne Benedetto considère qu’il sera supérieur à une fois par an en pratique : “Le CSE est consulté à chaque modification du DUERP. Ainsi, à chaque séance du CSE sur des sujets de la CSSCT, le DUERP est susceptible d’être modifié. Donc le CSE peut être consulté jusqu’à quatre fois par an et plus en cas de besoin”.
L’article L.2315-27 du code du travail prévoit en effet qu'”au moins quatre réunions du comité social et économique portent annuellement en tout ou partie sur les attributions du comité en matière de santé, sécurité et conditions de travail, plus fréquemment en cas de besoin, notamment dans les branches d’activité présentant des risques particuliers”. La consultante conseille aussi aux élus de s’appuyer au maximum sur la consultation relative à la politique sociale qui leur fournira les informations et indicateurs nécessaires. “Attention, ajoute-t-elle, l’idée est que les élus rendent un avis critique du DUERP, négatif ou positif, mais avec une réelle analyse de son contenu”. En un mot, l’avis des élus sur le DUERP devra confronter le document aux réalités du travail dans l’établissement.
Marie-Aude Grimont
Comment améliorer les conditions de travail dans les Ehpad ?
Le cabinet Secafi publie un guide ciblé sur l’amélioration des conditions de travail des employés des Ehpad. Dans ces établissements, que peuvent faire les élus des CSE pour les personnels, sachant que les contraintes extérieures (réglementation, financement par la Sécurité sociale) sont fortes ? Les réponses de Sophie Rousseau, l’une des auteurs de ce guide.
Un mot pour vous présenter ?
Au sein de Secafi, je m’occupe du secteur “santé et économie sociale”, pour lequel nous réalisons des analyses économiques, stratégiques, sociales, sur les conditions de travail également. Je suis notamment en charge de la méthodologie interne, de la coordination des consultants et de la capitalisation de leurs expériences, et du travail de recherche, mais j’ai gardé une responsabilité de mission. J’ai co-rédigé, avec François Cochet et Richard Jeantet, le guide Agir de Secafi sur les Ehpad (1).
Pourquoi publiez-vous un guide ciblé sur les Ehpad ? Est-ce en raison de l’affaire Orpea qui a remis à la une les conditions de travail de ce secteur ?
Nous avions déjà publié en 2015 ce guide pour la qualité de vie au travail et l’amélioration des conditions de travail des Ehpad, et ce guide a été l’un des plus téléchargé sur notre site. En 2022, c’était le bon moment pour le réactualiser, non du fait de l’affaire Orpea, mais parce que la dégradation des conditions de travail des personnels et, de façon plus générale, la problématique générale de la prise en charge des personnes âgées ne faisait que monter en puissance ces dernières années et ces derniers mois.
Le sujet des Ehpad ne fait que monter en puissance ces dernières années
Le travail du journaliste Victor Castanet (Ndlr : l’auteur des Fossoyeurs, le livre sur Orpea) a été le point d’orgue d’un long processus de rapports parlementaires, de propositions émanant de politiques et de syndicalistes sur ces sujets, alors que la situation empirait. Nous étions engagés dans une phase d’actualisation des éléments chiffrés de notre guide et nous lui avons ajouté une dimension pratique à destination des représentants du personnel. L’actualité s’est focalisée sur les taux d’encadrement et les moyens dans ces établissements. C’est bien sûr essentiel, mais ce ne sont pas les seuls déterminants du travail.
Mais justement, ne sont-ce pas des éléments externes aux Ehpad (réglementation, financement par la Sécurité sociale, etc.) qui déterminent largement les conditions de travail des personnels ?
C’est en effet une question centrale. Les Ehpad, comme d’autres structures sanitaires et médico-sociales, sont en effet encadrés par des budgets confiés par l’Assurance maladie et les départements, sachant que le secteur privé peut avoir une tarification libre sur la partie hébergement.
Avec le même budget, il peut y avoir des façons différentes d’organiser le travail
La marge de manœuvre de ces établissements paraît donc limitée, il n’y a qu’à voir l’insuffisance du “subventionnement” du taux d’encadrement (Nldr : pour 100 places, ce taux d’encadrement est de 63,4 équivalents temps plein, contre 61 en 2016, mais il est jugé toujours insuffisant). Cela étant, avec le même budget, il peut toujours y avoir des façons différentes d’organiser le travail, de mener une politique sociale en vue d’un meilleur climat social, de tenter d’être attractif, etc. Nous donnons quelques clés et quelques pistes pour les représentants du personnel.
Vous abordez la question du matériel dans les Ehpad…
La Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie) ne dénombre pas moins de 20 000 accidents de travail en Ehpad en 2019, des accidents dont la première cause est la manutention, suivie par les chutes. Le matériel pouvant aider les personnels de ces établissements, pour lever les personnes par exemple, est particulièrement crucial pour limiter ces accidents du travail, pour prévenir la pénibilité, éviter les blessures au dos. Les pouvoirs publics ont aidé les établissements à se doter de ces matériels, ce qui montre une prise de conscience sur ce sujet, même si les enveloppes ne sont pas à la hauteur des besoins. Mais ce sujet doit être appréhendé de façon globale.
Faute de temps et de formation, il arrive que le matériel ne soit pas utilisé !
Nous avons vu des cas où le matériel était présent dans l’Ehpad mais laissé au fond d’un couloir, et finalement pas utilisé. Pourquoi ? Parce que les salariés soumis à des tâches multiples n’avaient rigoureusement pas le temps d’aller dans le couloir chercher un fauteuil ergonomique, par exemple, mais aussi parce qu’il n’y avait pas eu de formation sur ce matériel. Dès lors, on utilise l’ancien que l’on connaît. Une enveloppe financière ne suffit donc pas ! Le matériel doit correspondre aux besoins précis de l’établissement et les personnels doivent être formés et accompagnés à la prise en main de ces nouveaux outils. La prévention des accidents et l’amélioration des conditions de travail passent aussi par les locaux : salles de bains exigües, douches qui ne sont pas de plein pied, très longs couloirs avec étages, etc., tout cela contribue à la fatigue et à l’usure du personnel.
En quoi la consultation du CSE sur le DUERP, le document unique d’évaluation et de prévention des risques professionnels, peut-elle constituer une opportunité pour les élus ?
Parfois le dialogue social dans ces établissements est difficile, notamment au sujet des négociations salariales. Mais ce sujet des risques professionnels et de leur prévention peut faire consensus entre les employeurs et les élus. Il me semble que cette obligation réglementaire sur la réalisation et l’actualisation du DUERP, renforcée par la loi santé au travail de 2021, donne l’occasion aux représentants du personnel de participer à un travail concerté sur le diagnostic des risques (les identifier, les coter, etc.) pour aboutir à un plan d’action.
En quoi peut consister ce plan d’action ?
Ce peut être l’organisation de formations, un aménagement de l’organisation du travail, mais aussi des temps d’échanges.
Les élus du personnel peuvent demander des temps d’échange collectif
Ces temps d’échanges collectifs, qui ne sont pas pour nous des points de transmission de consignes d’une équipe à l’autre, peuvent, par exemple, consister à faire le point en équipe, 5 à 15 minutes par jour, sur le déroulement prévu de la journée, sur les événements particuliers à connaître et à anticiper, mais aussi l’occasion d’examiner certains sujets liés au travail comme la prévention des esquarres, l’utilisation du lève-malades, ou des événements douloureux. Ce type d’échanges est organisé par la direction ou les cadres de santé mais rien n’empêche les élus d’avoir l’initiative de les demander en insistant sur le besoin de refaire sens et de communiquer.
Vous préconisez dans le guide “l’élaboration commune de solutions organisationnelles”. Qu’est-ce que cela signifie ?
Dans les organisations du travail, les règles et les contrôles se multiplient, avec des notes de service affichées. Ce sont des procédures écrites mais elles doivent faire l’objet de discussions, entre pairs ou de façon collective avec le cadre de proximité, afin que ces procédures soient confrontées au travail réel. Pour voir ce qui dans ces règles fonctionne et ce qui ne peut pas être respecté et donc doit être corrigé.
Il doit y avoir une discussion pour confronter les procédures et les notes de service au travail réel
Ces échanges collectifs ont d’ailleurs été très nombreux pendant la crise sanitaire, car il fallait élaborer ensemble, dans l’urgence, des solutions concrètes et pragmatiques pour faire face au manque de masques et de blouses. Cela n’est pas étonnant pour nous, d’ailleurs. Bien sûr, que nous soyons psychologue, ergonome ou analyste social, nous avons un regard d’expert, mais quand nous travaillons au côté des salariés, nous voyons tous que ce sont les salariés qui, parce qu’ils connaissent bien sûr leur travail et leur environnement, vont émettre des solutions ou des mesures pour réduire le risque, améliorer l’organisation, etc.
Le DUERP a-t-il été modifié lors de la crise sanitaire dans les Ehpad ?
Malgré tout ce qu’on peut dire sur le dialogue social, parfois bien abîmé ici et là, nous avons quand même constaté une volonté générale de prendre à bras-ll-corps le risque lié à la Covid-19. Ces notions de coopération et de collaboration collective se sont concrétisées pendant cette crise et les représentants des salariés ont été acteurs de la prévention. Nous avons vu de nombreuses actualisations du DUERP, mais aussi des adaptations au fil de l’eau des organisations, avec des réunions ou des points planifiés chaque jour ou chaque semaine avec des représentants du personnel.
Le modèle des Ephad peut-il tenir quand on sait que le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans va doubler d’ici 2050, et que l’augmentation du niveau de dépendance physique et psychique va entraîner des besoins en personnel plus importants, sur des tâches à forte pénibilité ? On a l’impression que le maintien à domicile est privilégié par les pouvoirs publics…
Vaste question ! Des solutions sont avancées pour maintenir le plus longtemps possible la personne âgée à son domicile ou pour imaginer une autre forme d’habitat collectif, entre générations ou via des résidences autonomes.
Le modèle des Ehpad doit évoluer
Il n’en demeure pas moins que la médicalisation du grand âge est un aspect incontournable, avec la perte d’autonomie physique mais aussi psychique. Il est évident que le modèle des Ehpad doit changer, pour faire évoluer le mode de prise en charge et d’accompagnement des personnes dépendantes. Cela passe d’abord par un changement de regard, dans nos sociétés européennes, sur le grand âge. Le modèle des Ehpad doit aussi changer pour rendre ses métiers davantage attractifs.
Comment redonner de l’attractivité à ces métiers ?
Les soignants et les personnels ne travaillent pas en Ehpad par hasard.
Le sens du travail est primordial
Pour eux, le sens de leur travail est primordial, et la façon dont on organise le travail joue donc un grand rôle. De bons plannings peuvent participer de l’attractivité de ces métiers. Cela n’est pas évident car souvent les personnes se retrouvent à commencer tôt le matin et finissent tard le soir, avec une coupure, par exemple, de 13h30 à 15h30. Si vous habitez loin de votre travail, cette amplitude de travail énorme (10 heures pour une rémunération de 7h30), est épuisante, et, à terme, ce n’est pas tenable pour les personnes. Bien sûr, cela va de pair avec l’amélioration des salaires.
Qu’avez-vous observé avec le passage au CSE ? Un renouvellement des élus ?
On retrouve certains anciens membres mais il y a de nombreux nouveaux élus, effectivement. D’ailleurs, quand on analyse la politique sociale d’un établissement, on regarde s’il y a des mandats vacants au CSE, s’il y a des nouveaux élus. C’est un indicateur très pertinent. Mais le passage du CE et du CHSCT au CSE a beaucoup perturbé le travail des représentants du personnel. Nous ne serions recommander une organisation idéale en matière d’IRP. Mais quand il y a sur un site des élus CSE ou des représentants de proximité, cela facilite grandement le dialogue social et le travail conjoint sur les conditions de travail.
On a vu qu’Orpea n’avait mis en place d’un seul CSE pour toute la France. Une telle centralisation est-elle la norme ou l’exception dans le secteur des Ehpad ?
Cela me paraît exceptionnel. Des grands groupes ou des associations non lucratives du secteur n’ont pas choisi de faire cela. Ce qu’on voit plutôt, ce sont des CSE centraux avec des CSE régionaux. Avoir des représentants des salariés au contact du personnel est crucial et même un impératifpour l’amélioration des conditions de travail.
(1) Agir pour l’amélioration des conditions de travail dans les Ehpad, Secafi, à télécharger ici
Bernard Domergue
Santé publique France lance la plateforme “les employeurs pour la santé”
Santé publique France a déployé ce mardi 31 mai, à l’occasion de la journée mondiale sans tabac, la plateforme “Les employeurs pour la santé”, nouveau dispositif pour accompagner les structures (publiques, privées et associatives) dans une démarche de prévention et de promotion de la santé de leurs collaborateurs. L’objectif est de mettre à leur disposition des outils à déployer au sein de leur structure au rythme qu’elles souhaitent.
La première thématique traitée est celle de l’arrêt du tabac, à la suite du succès de l’opération “Mois sans tabac” chez un certain nombre d’employeurs. Lors de la dernière édition de “Mois sans tabac” en 2021, près de 5 000 structures se sont en effet inscrites sur le site qui leur est dédié et ont commandé les outils (affiches, dépliants vidéos, campagne 3989) mis à disposition par Santé publique France.
La plateforme a vocation à traiter de toutes les thématiques liées aux addictions et à l’ensemble des thématiques de prévention et de promotion de la santé dans les années à venir (alimentation, activité physique, santé mentale, etc.).
actuEL CE
Le ministère du travail rappelle les précautions à prendre en cas de fortes chaleurs
Dans un communiqué publié mercredi, le ministère du travail rappelle les précautions à prendre par l’employeur pour protéger ses salariés des fortes chaleurs au travail :
- mettre en place une organisation adaptée pour limiter l’exposition des travailleurs aux fortes chaleurs (horaires décalés, pauses plus fréquentes…) et privilégier le télétravail lorsque cela est possible ;
- mettre à la disposition des salariés de l’eau potable et fraîche ;
- s’assurer que le port des protections individuelles est compatible avec les fortes chaleurs ;
- contrôler le bon renouvellement de l’air dans les locaux fermés, et surveiller la température des locaux ;
- fournir aux salariés des moyens de protection contre les fortes chaleurs et/ou de rafraîchissement ;
- faire remonter toute situation anormale au système d’inspection du travail.
Concernant les travailleurs en extérieur, l’employeur doit aménager leur poste de façon à ce qu’ils soient protégés des fortes chaleurs dans la mesure du possible. Il doit également prévoir un local permettant l’accueil des travailleurs dans des conditions préservant leur sécurité et leur santé : à défaut d’un tel local, des aménagements horaires de chantier doivent être prévus. Enfin, doivent être mis à disposition de chaque travailleur au moins trois litres d’eau par jour.
En cas de déclenchement par Météo France de la vigilance rouge dans un département, l’employeur doit réévaluer quotidiennement les risques d’exposition pour chacun de ses salariés en fonction de l’évolution de la température et de la nature des travaux à effectuer. Si les précautions prises sont insuffisantes pour garantir la santé et la sécurité des travailleurs, l’activité doit être suspendue. Les entreprises peuvent alors recourir au dispositif d’activité partielle ou de récupération des heures perdues. Concernant le secteur du BTP, les employeurs peuvent bénéficier du dispositif “intempéries”.
actuEL CE