SANTÉ SÉCURITÉ CONDITION DE TRAVAIL

La mesure d’expertise prise par l’employeur n’empêche pas une expertise du CSE pour risque grave

La décision de l’employeur de confier à un cabinet externe une mission d’analyse des risques psychosociaux n’empêche pas le CSE de voter une expertise pour risque grave.

Par délibération du 2 septembre 2021, l’un des CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de La Poste vote une expertise pour risque grave. A la demande de la direction, le tribunal judiciaire annule cette délibération.

Pour le juge, l’expertise du CHSCT n’avait pas lieu d’être car l’employeur justifiait avoir apporté des réponses pertinentes au risque grave invoqué, notamment par la désignation d’un cabinet externe missionné pour mener une mission d’analyse en vue de la mise à jour du volet RPS (risques psychosociaux) du document unique. De plus, c’est sans attendre le résultat de cette mission que le CHSCT a ordonné une expertise recouvrant, pour partie, les mêmes faits.

Heureusement, la Cour de cassation ne partage le point de vue du tribunal judiciaire.

Des prérogatives légales

Ainsi, comme le rappelle l’arrêt du 28 septembre 2022, en présence d’un risque grave identifié et actuel, “la mesure d’expertise prise par l’employeur ne saurait en soi faire échec à l’exercice par le CHSCT de ses prérogatives légales”, et donc le priver de la possibilité de se faire assister par un expert.

Cette décision n’est pas une première. Quasiment dans les mêmes termes, il a déjà été jugé que des mesures d’investigation et d’enquête décidées par l’employeur ne saurait faire échec à l’exercice par le CHSCT de ses prérogatives légales. Ici aussi, il était question d’expertise pour risque grave et d’enquête externalisée par l’employeur (Cass. soc., 6 mars 2019, n° 17-28.388).

De même, d’après une jurisprudence du 13 février 2019, le fait que l’entreprise soit dotée de deux organes de prévention spécifiques ne s’oppose pas à ce que le CHSCT décide de recourir à une expertise (Cass. soc., 13 févr. 2019, n° 17-15.530).

Cela s’applique bien évidemment au CSE, qui peut lui aussi décider d’une expertise en cas de risque grave (article L. 2315-94 du code du travail).

Frédéric Aouate

Précisions sur la mise à disposition du registre d’alerte santé publique et environnement

Dans une entreprise dotée d’un seul CSE, l’employeur n’a pas l’obligation de mettre en place un registre d’alerte en matière de risque grave pour la santé publique ou l’environnement dans chacun des magasins de la société. La tenue de ce registre au siège de l’entreprise suffit.

Le représentant du personnel au CSE qui constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave pour la santé publique ou l’environnement en alerte immédiatement l’employeur (article L.4133-2 du code du travail). Cette alerte est consignée sur un registre spécial, tenu sous la responsabilité de l’employeur, à la disposition des représentants du personnel au CSE (articles D.4132-1 et D.4132-2 du code du travail).

Mais où ce registre doit-il être mis en place lorsque l’entreprise est composée de plusieurs établissements ? C’est à cette question que cet arrêt du 28 septembre 2022 répond pour la première fois.

Plusieurs magasins mais un seul CSE

Dans cette affaire, en sa qualité de membre du CSE, un salarié saisi la juridiction prud’homale selon la procédure accélérée au fond pour obtenir notamment la mise en place d’un registre du droit d’alerte en matière de risque grave pour la santé publique ou l’environnement au niveau de tous les magasins.

Il est débouté par la cour d’appel au motif que l’employeur n’a pas l’obligation mettre en place ce registre dans chacun de ses magasins, ceux-ci n’étant pas des entités légales indépendantes, ni des établissements distincts au sens du CSE.

Un seul CSE, un seul registre

La Cour de cassation donne raison aux juges du fond. Elle commence par constater que la société n’est dotée que d’un seul CSE et que le registre spécial est bien tenu au siège de l’entreprise, à la disposition des représentants du personnel. Elle en déduit que la société n’a pas l’obligation de mettre en place un registre d’alerte dans chacun des magasins de la société.

Il semble se déduire de cette décision que si l’entreprise comporte plusieurs établissements distincts, un registre doit alors être tenu dans chacun d’eux, à la disposition des représentants du personnel au CSE d’établissement. Faudrait-il alors mettre également en place un registre spécial au niveau du CSE central d’entreprise ? La Cour de cassation ne répond pas à cette question.

Cette solution devrait d’après nous s’appliquer également au registre des dangers graves et imminents dans le cadre du droit d’alerte correspondant (articles L.4131-2 et D.4132-1 du code du travail), les mécanismes étant similaires. A noter à cet égard que la circulaire DRT n° 93-15 du 25 mars 1993 (BO ministère du travail, n° 93/10, 5 juin) prévoit, concernant ce registre, que “quand plusieurs comités distincts auront été créés, il sera établi un registre par comité”. Cette circulaire est réputée abrogée mais il nous semble que la règle reste valable, d’autant qu’elle va dans le même sens que l’arrêt du 28 septembre 2022.

Séverine BAUDOUIN