Télétravail

Télétravail : les points clés de la négociation

03/06/2021D. Lecointre et J. Picard, de PNL Conse

La pandémie a mis le télétravail sur le devant de la scène, mais c’est son instauration dans la durée qui est désormais visée par les employeurs de nombreux secteurs (banques, assurances, mutuelles, spécialistes de la relation clients, etc.). Aussi faut-il regarder de près certains éléments clés de cette négociation, expliquent, dans ce point de vue, Daphné Lecointre et Julien Picard (1), co-fondateurs de PNLConseil, cabinet spécialisé dans le conseil, l’expertise et la formation auprès des représentants du personnel.

Pour les entreprises, les principaux avantages du télétravail sont connus : diminution des coûts immobiliers et des frais de fonctionnement courants, gains de productivité. Peu évoqué, mais néanmoins important pour les directions, le télétravail marginalise de fait les syndicats et le CSE, puisqu’ils n’ont plus directement accès aux salariés. Il individualise ainsi la relation de travail.

Les employeurs disposent d’un véritable effet d’aubaine pour signer à bon compte des accords généralisant le télétravail. En effet, le personnel l’a forcément bien accueilli, puisqu’il réduit l’exposition au Covid-19, tout en gagnant en temps de transport. Les entreprises mettent aujourd’hui cet atout à profit ; ainsi une mutuelle affirme sans ambages que son projet est motivé par “l’ambition d’instaurer, pour l’avenir, un rapport différent au travail et d’améliorer l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle”.

Indemnisation : les précisions de l’Urssaf et de la jurisprudence

Le télétravail ne déroge pas à la règle selon laquelle “les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle, et dans l’intérêt de l’employeur, doivent être remboursés” (Cour de Cassation, 9 janvier 2001, 98-44833, société Médicale de France).

Si ce principe est peu contesté, il n’en reste pas moins que les directions tentent trop souvent de minimiser les indemnités versées au télétravailleur. Pour disposer de points d’appui, les négociateurs syndicaux ont donc grandement intérêt à consulter le site de l’Urssaf :

Une allocation forfaitaire, exonérée d’impôts et de cotisations sociales, peut être allouée au télétravailleur, selon un barème qui équivaut à 2,50 € par jour, soit un montant annuel pouvant aller jusqu’à 550 €; 

L’exonération peut concerner le remboursement des loyers et frais connexes (taxe d’habitation, assurance), évalués au prorata de la superficie utilisée à des fins professionnelles.

L’allocation forfaitaire susmentionnée n’est pas un maximum. Sur justificatifs, le télétravailleur peut se faire intégralement rembourser les frais engagés : fournitures informatiques, cartouches d’encre, ramettes de papier, etc. Il peut en outre demander la prise en charge des frais d’adaptation ou d’aménagement des lieux (mise en conformité de l’électricité, installation de prises spécifiques, mobilier ergonomique, etc.).

Se référer à la jurisprudence est également utile. En particulier, la Cour de cassation considère que le travail à domicile, à la demande de l’employeur, constitue une sujétion particulière et une immixtion dans la vie privée donnant lieu à une indemnité spécifique (7 Avril 2010, 08-44865, Nestlé Waters).

Santé-sécurité et obligations de l’employeur

Comme pour tout projet important, avant de pérenniser le télétravail l’entreprise doit évaluer les risques professionnels induits et définir des actions de prévention.

Sont en particulier en jeu les problématiques propres à l’isolement : RPS (risques psychosociaux) dus à la rupture du lien social, risque d’addiction, risque de débordement horaire, etc. Concernant ce dernier point, rappelons que plusieurs études montrent que le télétravail conduit fréquemment à une augmentation du temps de travail. Par ailleurs, il aggrave les risques de TMS (troubles musculo-squelettiques), en privant des occasions de s’extraire de la position assise : le lieu de travail, c’est aussi les sollicitations des collègues (pause-café, déjeuner en commun, discussions, réunions, etc.).

Autant que nous puissions le constater, les projets d’accord présentés par les directions sont d’une pauvreté déconcertante en matière de santé-sécurité :

Sauf rares exceptions, ils font une impasse totale sur la prévention;

Ils se contentent généralement de mentionner le droit à la déconnexion et de préciser que les dispositions légales relatives à la santé au travail sont applicables aux télétravailleurs.

Non sans arrière-pensée, certains textes indiquent : “Il est rappelé qu’il incombe à chaque salarié de prendre soin de sa sécurité et de sa santé”, en référence au 1er alinéa de l’article L. 4122-1 du Code du travail. Mais ils prennent soin d’occulter la fin de l’article, à savoir : “Les dispositions du 1er alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur”…

Les actions de prévention : un sujet majeur de négociation

La négociation d’un accord sur le télétravail est le moment idéal pour définir des actions de prévention dignes de ce nom, sans rapport avec les mesures factices qui servent trop souvent à donner de l’épaisseur au document unique. Les trois points ci-après permettront de mieux comprendre l’intérêt de se placer sur un terrain concret et opérationnel : 

Le travail isolé rend impossible les secours en cas de malaise, ce qui doit conduire à envisager la mise en place de dispositifs PTI (protection du travailleur isolé). À tout le moins, ils devraient concerner les salariés présentant des fragilités particulières (handicap, antécédents cardiaques, etc.).

Pour un télétravail non occasionnel, l’employeur ne peut se contenter “d’actions de sensibilisation des salariés” en matière de prévention des TMS. Celle-ci implique en premier lieu de doter le personnel d’un mobilier ergonomique. Le projet d’accord d’un des leaders de la gestion de la relation client (900 salariés, filiale d’un grand groupe) illustre les butoirs dans ce domaine : il propose “généreusement” aux salariés un prêt de 140 €, remboursable en 5 mensualités !

Tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que l’isolement social pose problème. Les représentants du personnel peuvent à ce niveau jouer un rôle déterminant, notamment en revendiquant un libre accès à l’intranet de l’entreprise, ainsi que l’instauration de panneaux d’affichage virtuels pour les communications du CSE et des organisations syndicales.

L’intérêt de se saisir de l’article L2315-1 du Code du travail

En lien avec le point précédent, l’article L2315-1 doit impérativement être pris en compte lorsque le télétravail se généralise. Selon cet article, “les conditions de fonctionnement du CSE doivent permettre une prise en compte effective des intérêts des salariés exerçant leur activité hors de l’entreprise ou dans des unités dispersées.”

Au plan pratique, cet article signifie que l’éloignement des salariés rend plus difficile le mandat des membres du CSE et qu’ils doivent, pour cette raison, bénéficier de moyens supplémentaires : heures de délégation, nombre d’élus, représentants de proximité, etc.

Pour des raisons évidentes, cette perspective recueillera difficilement l’adhésion des employeurs. Mais s’ils ne donnent pas aux élus les moyens de contribuer à rompre l’isolement qui menace lourdement les télétravailleurs, ils risquent fort de ne pouvoir se prévaloir d’aucun levier de prévention crédible sur ce sujet…

(1) Les auteurs de ce point de vue, Daphné Lecointre et Julien Picard, sont co-fondateurs du cabinet PNL Conseil, spécialisé dans l’intervention à destination des CSE. Ils ont contribué à la rédaction de l’ouvrage : “CSE : prérogatives des ex-DP et représentants de proximité” (éditions Gereso, voir ici). 

Déconfinement : 78 % des salariés souhaitent pouvoir pérenniser le télétravail un à trois jours par semaine

31/05/2021

Le septième baromètre d’Empreinte humaine, réalisé entre le 30 avril et le 19 mai 2021, révèle que beaucoup de salariés ne souhaitent pas revenir au bureau “comme avant”. Ils aspirent à des nouveaux modes managériaux et à une organisation du travail favorisant le travail hybride.

Alors que le retour au bureau se profile avec la progression de la vaccination, et l’assouplissement des règles sur le télétravail prévu à partir du 9 juin, les DRH et les représentants du personnel devraient être confrontés à un autre défi : les nouvelles attentes des salariés confinés depuis près d’un an. C’est ce que dévoile la septième étude réalisée par Opinon Way pour Empreinte humaine, société de conseil en qualité de vie au travail et en prévention des risques psychosociaux. Réalisée auprès d’un échantillon de 2 000 personnes représentatives des salariés français, entre le 30 avril et le 19 mai, elle révèle que 53 % ne souhaitent pas revenir au bureau “comme avant”. “Les salariés sont marqués par plus d’un an de crise qui est devenue une crise du travail”, affirme Christophe Nguyen, co-fondateur du cabinet.

Car si certains ont hâte de retrouver leur bureau, ils sont nombreux à ne pas vouloir revenir en arrière. Depuis plus d’un an, les salariés ont adopté une nouvelle organisation du travail et ne comptent pas faire une croix du jour au lendemain sur ces nouvelles conditions de travail qu’ils ont apprivoisées progressivement. “Certains ont trouvé un équilibre”.

Retrouvailles avec les collègues

Certes, 7 salariés sur 10 pensent qu’il est nécessaire de revenir au bureau pour la cohésion d’équipe. Et plus de la moitié affirme que leurs collègues leur manquent. Mais la crise a fait naître de nouvelles aspirations. “La qualité du travail, des relations managériales et de l’organisation du travail post crise sera décisive”, explique l’expert.

Le travail hybride est déjà dans toutes les têtes. 78 % souhaitent pouvoir pérenniser ce mode de travail un à trois jours par semaine. 12 % souhaitent même continuer à temps plein.

Ils veulent également plus de flexibilité et notamment plus d’adaptation par rapport à leurs contraintes personnelles.

Le retour au bureau, source de “craintes”

Car les craintes du retour sont palpables. Les salariés en activité partielle ont peur d’être oubliés. Pour les autres, cette appréhension n’est pas à minorer non plus puisque 66 % d’entre eux ont peur des retrouvailles avec leurs collègues après l’éloignement physique. “Les tensions apparues pendant la crise vont être un frein au retour”, poursuit Christophe Nguyen. Or, en enterrant les conflits, sans discussion sur les sujets houleux, les risques psychosociaux couvent. Et sur ce sujet, le psychologue constate un déficit des entreprises en matière de prévention des risques psychosociaux (RPS). Au point où l’étude révèle quelques signaux alarmants : 3 sondés sur 10 craignent un drame humain. Et parmi ceux qui sont en télétravail, 4 sur 10 le redoutent.

L’insécurité de l’emploi n’arrange rien, notamment pour les salariés en chômage technique.

Les relations avec les états-majors distendus

La crise est passée par là. Et à la veille d’un retour progressif au bureau, les salariés se retrouvent en petite forme. Les indicateurs de l’état psychologique des salariés demeurent “très inquiétants” avec 44 % des salariés en détresse psychologique (- 1 point par rapport à mars 2021) dont 17 % élevée (identique). Dans ce même laps de temps, les liens avec les états-majors se sont distendus : 6 salariés sur 10 estiment que leur direction “ne se rend pas compte de l’état psychologique des salariés et n’agit pas en fonction”.

La détresse psychologique est un indicateur de santé mentale, validé internationalement et utilisé pour diagnostiquer les troubles mentaux.

Autre enseignement de cette enquête : les burn-out ou épuisements professionnels “explosent”. “Leur taux a doublé en un an, culminant à deux millions de personnes en burn-out sévère”, constate Christophe Nguyen. Le burn-out “concerne 1,5 fois plus les managers”, précise-t-il, estimant qu'”avec de tels chiffres, dans un contexte de retour dans les bureaux, on peut s’attendre malheureusement à une nouvelle explosion des arrêts maladie dans les prochains mois”.

D’ailleurs, 58 % des salariés craignent de ne pas pouvoir être capables de faire les mêmes amplitudes horaires et de tenir les cadences. Parmi les catégories les plus exposées, les DRH, les managers qui souhaitent “voir la taille de leur équipe réduite” mais aussi les parents salariés qui ont dû jongler avec le travail et la garde des enfants.  

A charge pour les DRH de décrypter ces tendances afin de réajuster leur feuille de route. Avec parmi, les priorités, la nécessité de “de prendre le temps de dialoguer pour apprendre ce que ne veulent plus faire les salariés”. L’”atterrissage d’après-crise devra se faire progressivement dans les entreprises”, avertit le psychologue du travail.

Anne Bariet