Les représentants de proximité se contestent là où leur désignation prend effet
08/02/2023
Les contestations relatives aux conditions de désignation des représentants de proximité (RP) doivent être formées devant le tribunal judiciaire (TJ) statuant sur requête, et sont dispensées de la constitution d’avocat. Elles sont de la compétence du TJ du lieu où la désignation est destinée à prendre effet, peu important les modalités de cette désignation.
La jurisprudence relative aux représentants de proximité (RP), nouveaux représentants du personnel issus de l’ordonnance relative au CSE, n’est pas encore très volumineuse. Et pour cause, le législateur a laissé une place prépondérante à la négociation. C’est un accord qui crée les RP, c’est encore cet accord qui prévoit leur nombre, leurs attributions, leurs moyens, leur fonctionnement ainsi que leurs modalités de désignation. La seule précision étant que les RP sont membres du CSE ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité (C. trav., art. L. 2313-7).
Dans cet arrêt du 1er février 2023, la Cour de cassation apporte quelques précisions sur la contestation de la désignation des représentants de proximité.
Accord de mise en place d’un CSE unique et de représentants de proximité
Dans cette affaire, un accord “portant sur la représentation du personnel au sein de l’enseigne Fnac” est signé. Il prévoit la mise en place d’un CSE unique, ainsi que de représentants de proximité au niveau de chaque site de plus de 11 salariés.
Le CSE est élu. Dans l’un des sites, bénéficiant de 4 RP en raison de son effectif, tous attribués à des candidats de la CFTC, un représentant de proximité démissionne. Par réunion tenue en visioconférence, le CSE désigne en remplacement un candidat sans appartenance syndicale. La CFTC conteste cette désignation arguant du non-respect des règles prévues par l’accord collectif, et des avis de la commission de suivi et d’interprétation de cet accord.
Compétence du tribunal judiciaire du lieu de désignation des RP
La première question qui se pose ici est celle du tribunal territorialement compétent pour juger de la contestation de la désignation d’un représentant de proximité. Le CSE considère qu’est compétent le tribunal judiciaire du lieu de la désignation, c’est-à-dire celui du siège du CSE, et ce peu important que la réunion ayant donné lieu à la désignation du RP remplaçant ait eu lieu par visioconférence.
Mais pour la Cour de cassation, c’est le tribunal judiciaire du site dont relève le RP qui est compétent. La Cour de cassation s’appuie sur les dispositions de l’article L. 2313-7, 3° qui prévoit que c’est l’accord d’entreprise qui met en place les RP qui définit ses modalités de désignation. La chambre sociale ajoute qu’au regard de la finalité de l’institution des RP, “lesquels représentants ont vocation à exercer leur mandat de représentation des salariés au niveau du périmètre du site sur lequel ils sont désignés par le comité social et économique selon des modalités définies par l’accord d’entreprise qui les met en place, il y a lieu de juger que les contestations relatives aux conditions de désignation des représentants de proximité sont de la compétence du tribunal judiciaire du lieu où la désignation est destinée à prendre effet, peu important les modalités de cette désignation”.
Le magasin en question se situe dans le quartier de Bercy de la capitale, c’est donc bien le tribunal judiciaire (TJ) de Paris qui est compétent. Ainsi, si lors d’un CSE plusieurs RP sont désignés et que l’employeur ou un syndicat souhaite contester, il faudra saisir autant de tribunaux judiciaires que de sites dont relèvent les différents RP concernés !
► Remarque : cette solution n’est pas des plus simples mais elle est logique et conforme à la jurisprudence relative à la contestation des conditions de désignation des délégués syndicaux (Cass. soc., 7 oct. 1998, n° 97-60.303). Il apparaît en outre que si ce sont les règles de cette désignation qui sont en cause, c’est l’accord ou du moins la ou les clauses de l’accord ayant institué les RP qu’il faudra contester. Ainsi, un syndicat peut demander la nullité de l’accord ou de la clause s’ils sont contraires à la loi ou à l’ordre public dans les 2 mois de sa notification ou de sa publication (C. trav., art. L. 2262- 14). D’autre part, le CSE ou un syndicat non-signataire de l’accord, sans condition de délai, peuvent soulever une exception d’illégalité mais il faudra alors prouver que la clause porte atteinte à ses prérogatives propres (Cass. soc., 2 mars 2022, nos 20-16.002 et 20-18.442). |
Tribunal judiciaire statuant sur requête, sans constitution d’avocat
Un autre point soulevé par le CSE était que l’employeur contestant la désignation des RP aurait dû agir par voie d’assignation et non de requête, et qu’il aurait dû être représenté par un avocat. En effet, aucun article d’aucun code ne vise la contestation de la désignation des RP. La Cour de cassation s’appuie donc sur les textes relatifs aux contestations des élections du CSE (code du travail, art. L. 2314-24 et code de l’organisation judiciaire, art. R. 211-3-15, 1°) et des délégués et représentants syndicaux (C. org. jud., art. R. 211-3-16), lesquels prévoient que le tribunal judiciaire est saisi sur requête de ces recours, lesquels sont dispensés de la constitution d’avocat (C. pr. civ., art. 761, 2°).
Ainsi, conclut la Cour de cassation, “il résulte de l’application combinée de ces textes que la contestation des désignations de représentants de proximité, qui sont membres du comité social et économique ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus, doit être formée devant le tribunal judiciaire statuant sur requête, les parties étant dispensées de constituer avocat”.
Mêmes règles applicables pour le remplacement du RP que pour sa désignation
Le dernier point en litige dans cette affaire relève de l’interprétation des dispositions de l’accord relatives à la désignation des RP. Il nous apprend cependant quelques règles intéressantes. Ainsi, la question se posait de savoir si les modalités de désignation prévues par l’accord devaient s’appliquer pour le remplacement du RP, cela n’étant pas précisé expressément par l’accord. Une commission paritaire conventionnelle avait été mise en place, et celle-ci avait considéré, dans un avis, que “les sièges de représentants de proximité appartenaient aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site en question et que le comité social et économique devait désigner le candidat choisi par l’organisation syndicale, y compris en cas de remplacement d’un représentant de proximité”.
La Cour de cassation précise dans ce contexte que “si l’interprétation donnée par une commission paritaire conventionnelle du texte d’un accord collectif n’a pas de portée obligatoire pour le juge, ce dernier peut, après analyse du texte, faire sienne l’interprétation de la commission”. Puis elle valide cette interprétation. Les RP sont donc remplacés selon les règles et modalités prévues par l’accord pour leur désignation. Dans cette affaire, il fallait donc désigner un RP issu de la CFTC, et non un candidat libre.
Séverine Baudouin