“Nous avons envoyé un courrier sur le danger du sous-effectif à 200 inspections du travail”
09/11/2023
Guillaume Escudié, élu CSE de Compass France (un groupe de restauration collective) et secrétaire de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CRSSCT) de la région Sud, nous explique dans cette interview détaillée comment il traite ces sujets en utilisant tous les leviers possibles.
Pouvez-vous nous préciser vos différentes casquettes ?
Guillaume Escudié : J’ai quasiment tous les mandats. J’ai le mandat de représentant de proximité et celui d’élu du CSE Medirest (ndlr : le groupe Compass compte 3 segments : la restauration d’entreprise avec Eurest, la restauration scolaire avec Scolarest et le segment de la santé avec Medirest). Je suis aussi secrétaire du CRSSCT (commission régionale santé, sécurité et conditions de travail) de la région Sud (qui compte toute la zone au sud d’une ligne qui irait de Biarritz à Annecy). Ensuite, je suis aussi au CSE central, qui gère les 3 segments. Cette segmentation correspond aux stratégies du groupe Compass France. Enfin, j’ai aussi le mandat européen avec un autre collègue de Paris. Dans ce mandat, nous traitons uniquement de questions transnationales, comme la santé au travail. Jongler avec ces différents mandats demande beaucoup d’organisation mais ce qui me plaît, c’est qu’au travers de ces instances, on va de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Cela me permet, entre autres, d’avoir les interlocuteurs nécessaires pour faire avancer mes dossiers et ceux des collègues.
Comment les questions de santé sécurité remontent-elles en CSE ?
Ce qui est bien, c’est que nous avons gardé la formation de l’ancien CHSCT (comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail) que nous avions en entreprise à l’époque. Nous l’avons rebaptisé CSSCT générale au niveau du CSE central. Mais les commissions les plus efficientes, ce sont celles des régions, chaque segment ayant son CRSSCT. Chacun œuvre sur son segment, visite les établissements, fait des rapports d’expérience sur la sécurité au travail et tout ça est remonté en réunion trimestrielle au niveau de la région. Tous les 3 mois, j’organise une réunion de CRSSCT avec la direction, où nous traitons un ordre du jour sur la santé au travail de la région (basé sur les rapports de visite des élus). Ensuite, la direction se fait fort de remonter certains sujets traités en région au niveau national (tous les 3 mois, il y a une CSSCT nationale). Nous avons un bon dialogue et nous arrivons à apporter les sujets directement.
Il n’y a donc pas de différence sur la place de la santé au travail par rapport au fonctionnement précédent en CHSCT ?
La différence se fait sur le nombre d’élus. Nous étions un nombre d’élus assez conséquent à l’époque. Il a été fortement réduit, quasiment de moitié. Et nous ne sommes pas bien répartis géographiquement donc certains sites, par exemple dans le sud-est, sont peu visités par des élus. Notre employeur respecte la loi, mais, ce que je lui dis toujours, c’est que ce n’est pas parce que la loi limite à ça que l’entreprise ne peut pas prendre la décision d’aller plus loin si elle veut vraiment se donner les moyens de traiter la sécurité au travail.
Sur une région donnée, comme le Sud-Ouest, comment se passe la relation entre CSSCT et CSE ?
Un élu CRSSCT Medirest ne peut pas circuler sur un établissement Scolarest, à cause de la segmentation. Par contre, grâce à mon mandat de délégué syndical national, j’ai la liberté de circulation sur les sites. Si je vois un danger dans un établissement, je peux tout à fait le faire remonter et faire intervenir les CRSSCT. Cela m’est arrivé déjà de coordonner une action du CRSSTT Scolarest, par exemple. Cela peut aider dans la mise en place des actions, car le problème c’est qu’on a beaucoup d’élus qui ne sont peut-être pas formés correctement.
Les élus d’un premier mandat doivent pourtant bénéficier d’une formation de 5 jours en matière de SST…
Oui, nous avons eu cette formation et nous avons choisi de passer par un organisme extérieur, différent d’un syndicat, en l’occurrence la Croix Rouge. Pour moi la formation, c’est comme une mayonnaise, on est tous des ingrédients différents et, comme on va travailler pendant 4 ans ensemble de façon plutôt coordonnée, c’est plutôt intéressant d’avoir été formé dans le même moule.
La formation suivie ensemble nous a permis de nous connaître et de faire équipe
Cette formation nous a aussi permis de nous connaître et on n’a pas du tout abordé les étiquettes syndicales. Nous avons vraiment constitué une entité sécurité au travail. Quand je parlais de la formation, je pensais davantage à la pratique. Nous avons beaucoup de premiers mandats et certains ont des difficultés à s’exprimer devant la direction parce que c’est impressionnant (*). Surtout au début. Le positionnement face à la direction peut être assez perturbant. Il faut travailler la confiance en soi, s’affirmer, puis oser porter les problématiques. Et surtout savoir insister et, parfois, être pugnace parce qu’il ne faut pas se contenter d’un non. C’est pour ça que j’aime bien être présent, aider et accompagner mes collègues parce que ça me permet de lancer les sujets, puis d’appuyer, de relancer, etc.
Quels sont vos principaux enjeux en santé au travail ?
Il y a quelques années, le gros sujet qu’on a rencontré sur le sud-ouest, ça a été le management et les risques psychosociaux, les RPS. C’est un sujet qui remonte très fréquemment et quand j’ai pris mes mandats, nous avions quand même un no man’s land du management, avec des pratiques très nocives.
Le management et les risques psychosociaux
J’ai vraiment lutté sur ce sujet-là. Depuis, il y a eu des changements au niveau de la ligne managériale. Il existe maintenant des formations de managers, de “leadership for action”. La situation s’est améliorée. Aujourd’hui, quand nous remontons un point sur ce sujet des RPS, il est pris en compte rapidement. Mais, pour en arriver là, je me suis beaucoup appuyé sur la loi. Dans notre métier de la restauration collective, les salaires sont très bas. En tant que syndicaliste, c’est très compliqué de mobiliser les gens pour une action, à cause de la perte de salaire. J’ai vite compris que le seul truc qui pouvait me faire franchir les montagnes c’était la loi. Avec l’objectif de coller à la loi, je me suis formé en autodidacte sur la législation. J’essaie d’avoir des arguments qui me permettent d’avancer les sujets, sans compter sur une mobilisation mais en comptant sur la loi.
Les élus sont-ils alertés rapidement en cas d’accident du travail ?
Lorsqu’un accident de travail arrive, il est déclaré sur un système informatique par le gérant, avec tous les détails. Nous avons accès à toutes les informations : le nom, l’heure de l’accident, la petite phrase d’explication de des circonstances. L’analyse de sa cause est réalisée à partir d’une grille entre le gérant et la personne accidentée. A ce moment-là, au niveau de la recherche de solutions, nous ne sommes pas systématiquement informés. Par contre, à toutes les réunions, nous passons en revue chaque accident de travail les uns après les autres. Pour les accidents graves, nous déclenchons des enquêtes. Je pense au cas d’une personne qui s’est tranchée trois doigts avec une trancheuse. Nous sommes allés 48 heures sur site et nous avons rédigé un rapport que nous avons transmis à l’inspection du travail.
Avez-vous déjà mis en œuvre votre droit d’alerte ou votre droit d’inspection ?
Oui, en tant que référent au harcèlement, il m’est arrivé de lever une alerte (en joignant l’inspection du travail) et de déclencher une enquête interne qui a duré deux mois. Avec la RH, une assistante RH et un autre élu, nous avons auditionné 16 personnes lors d’entretiens confidentiels d’une heure. Je demandais systématiquement l’autorisation d’enregistrer les personnes de façon à pouvoir faire un compte-rendu. On avait prévu l’eau, les mouchoirs, tout. Le harcèlement a été démontré et le manager qui procédait à cette pratique a été licencié. Le fait qu’on ait levé une alerte conformément au droit du travail, c’est à dire en joignant l’inspection du travail, cela a permis de “crever le plafond de verre”.
Pensez-vous avoir “crever ce plafond de verre” grâce à votre casquette de référent harcèlement ?
Oui, mais plus largement, la prévention des RPS permet de faire remonter des sujets très concrets. Par exemple, il y a quelques années, nous avions des problèmes sur le paiement des heures supplémentaires, notamment en cuisine. C’était un peu “capillotracté” comme approche, mais j’ai remonté ce sujet en CRSSCT en le liant au risque psychosocial, avec le stress généré par ce non-paiement des heures. Au début, la direction s’est battue en disant que ce n’était pas un sujet de santé au travail. Mais à l’époque, un inspecteur du travail venait à toutes nos réunions trimestrielles et il est intervenu en disant que si, ça impactait la santé des salariés au quotidien. Cela nous a permis de régler énormément de problèmes.
Avez-vous un autre exemple concret ?
Aujourd’hui, je mets en avant le sujet des sous-effectifs. Comme nous sommes dans un contexte économique difficile avec l’inflation, le secteur de la restauration collective essaie de faire des économies, notamment sur le personnel (les clients ne payent pas ce qu’ils devraient payer par rapport au contexte actuel inflationniste, ndlr). Nous avons fait un courrier au niveau national, que nous avons envoyé à plus de 200 inspections du travail, et autant de SPST ( ) .
Nous avons envoyé un courrier sur le danger du sous-effectif à 200 inspections du travail
Nous expliquions que ce sous-effectif induisait une mise en danger des collaborateurs puisqu’ils sont soumis à la précipitation (du fait d’être moins pour faire les mêmes choses, il faut aller plus vite). Or, selon l’article L. 4121 du code du travail, c’est le travail qui doit être adapté à l’homme et non l’inverse. Nous avons signé ce courrier seulement avec des noms d’élus, sans étiquette syndicale. La direction a ainsi vu que les gens s’unissaient les uns aux autres. Cette action “coup de poing” a permis de débloquer du personnel intérimaire l’été, ce qui nous avait été refusé auparavant.
Depuis la loi sur la santé au travail, êtes-vous davantage impliqué dans l’évaluation des risques professionnels (DUERP) ?
Nous sommes sollicités pour valider les documents uniques des régions. Mais je ne veux évidemment pas valider un document unique d’un établissement à Nice sur lequel je n’ai jamais mis les pieds. Là-dessus, il y a des progrès à faire. Par contre, ce qui est positif, c’est que les gérants sont responsabilisés sur leur rôle en matière de santé au travail par la direction. Ce sont eux qui doivent faire l’évaluation des risques avec une trame Excel. J’ai été agréablement surpris parce que je pensais que les gérants allaient remplir le DUERP comme un document lambda. Or ce n’est pas le cas, ils ne le remplissent pas en diagonale.
Ce n’est pas exactement dans l’esprit de la loi qui indique que les élus doivent participer à l’évaluation du risque, et pas seulement être consultés…
Tout à fait, mais nous avons un retour terrain des élus grâce aux différents rapports de visite. Lorsque je fais des visites, je scrute tout, je note tout dans le “micro-détail”. À la fin du rapport, j’ajoute une page sur le risque psychosocial avec une division en 6 catégories. Cela me permet de remonter tous les problèmes, comme des plannings qui ne respectent pas le code du travail. Je m’aperçois que cette page s’avère plutôt plébiscitée par la direction.
Que pensez-vous du rôle de vos gérants en matière de SST ?
La direction joue le jeu parce qu’elle les responsabilise beaucoup sur la gestion de la sécurité de leur établissement. Aujourd’hui, un gérant chez Compass ne peut honnêtement pas faire fi des risques. Par exemple, il y a quelque temps, nous avions demandé la mise en place des gants anti-coupure parce qu’il y avait beaucoup d’accidents. Il y a eu une consigne nationale. Aujourd’hui, c’est au gérant de remettre des gants anti-coupure à la personne avec un papier de remise et il doit aussi veiller au port des gants et à la sécurité sur site.
Propos recueillis par Clémence Andrieu