Valérie Perot : “Faites un agenda social annuel pour organiser le travail du CSE et de la CSSCT”

13/03/2024

Experte en santé, sécurité et conditions de travail auprès des CSE, Valérie Perot, qui dirige le cabinet Aepact, réagit à l’étude de l’Ires concernant l’action des CSE et des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Elle nous fait part de sa pratique et livre quelques conseils aux élus, notamment pour une bonne approche des questions de santé au travail et de l’articulation entre la commission SSCT et le CSE.

Valérie Perot a réagi à notre article rendant compte de l’étude de l’Ires sur la prise en compte par le CSE et la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) des enjeux liés à la sécurité et aux conditions de travail, et nous avons souhaité prolongé son commentaire par cette interview. Depuis 2007, Valérie Perot dirige Aepact, un cabinet d’expertise habilité auprès des CSE pour des missions sur la santé, la sécurité et les conditions de travail, qu’il s’agisse d’expertises inscrites dans le cadre légal (risque grave, projet important, accompagnement des organisations syndicales pour l’accord sur l’égalité professionnelle) ou d’expertises dites libres pour le comité social et économique (type questionnaire télétravail en vue d’une renégociation de l’accord). Ce cabinet, qui forme aussi les élus sur ces aspects, travaille en partenariat avec un cabinet d’expertise comptable pour des missions liées aux PSE (plans de sauvegarde de l’emploi) et pour les expertises liées aux consultations annuelles sur la politique sociale. Aepact compte 4 salariés et réalise de 8 à 14 expertises par an, dans tous les secteurs et sur toute la France. 

Constatez-vous, comme l’étude de l’Ires, une baisse du nombre d’expertises en matière de santé, sécurité et conditions de travail depuis la création du CSE ?

Les expertises ne représentent pas toute notre activité. Mais, clairement, nous en faisons moins qu’auparavant. Avec le co-financement que doit supporter le CSE (*), des établissements ayant un petit budget de fonctionnement font beaucoup moins appel à l’expert lorsqu’ils ont des informations-consultations sur des réorganisations. Au début du cofinancement, nous arrivions encore à faire prendre en charge 100% de l’expertise par l’entreprise, mais c’est devenu plus difficile.

 Il y a moins d’expertises, mais nous tentons toujours de négocier leur prise en charge par l’employeur

Parfois, sur de petites missions, nous essayons encore de négocier cette prise en charge en disant à l’entreprise : une consultation sans expertise, c’est un mois, avec une expertise, c’est deux mois, donc si vous prenez en charge totalement l’expertise, nous la ferons en un mois et demi. C’est du marchandage, du donnant-donnant. D’ailleurs, c’est l’autre grosse tendance : non seulement nous faisons moins d’expertises, mais les budgets-temps ont beaucoup baissé, nous sommes sous contrainte. Nous ne pouvons plus comme avant faire de l’artisanat, nous devons aller plus vite, mener en une heure un entretien auquel nous aurions autrefois consacré une heure et demie, voire mener des entretiens collectifs. 

La baisse de la durée des expertises est-elle liée à la création du CSE ? 

C’est d’abord lié aux délais préfixes, qui existaient avant le CSE. Et ces délais pour rendre un avis sont particulièrement courts dans le cas des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) : pour un PSE de moins de 100 licenciements, le délai est de 2 mois,  au-delà de 100, 3 mois, à partir de 250, 4 mois. Mais que vous interveniez pour 90 ou 110 licenciements, l’investissement est le même ! Pour rencontrer les gens, comprendre la situation, procéder à une analyse, il faut du temps, il ne suffit pas d’ajouter davantage de consultants sur une mission. 

Justement, comment se passent vos missions auprès des CSE, par rapport à la situation antérieure avec le CHSCT ? 

Nous intervenons dans des établissements de taille variable. D’ailleurs, je peux vous dire que si le seuil du CSE de plein exercice était relevé de 50 à 250 salariés, cela concernerait la plupart des entreprises en France ! Du temps du CHSCT, les élus CE ne comprenaient pas grand-chose aux questions traitées par le CHSCT. C’est toujours le cas dans certains CSE à dominante économique.

Certains CSE ont investi leurs prérogatives sur la santé au travail 

Mais il y a aussi des CSE, avec ou sans commission santé, sécurité et conditions de travail (**), qui ont investi ces questions. Via les consultations annuelles ou les consultations récurrentes, les élus peuvent traiter les remontées des salariés sur leurs conditions de travail. Le problème par rapport aux premiers mandats CSE, c’est que les élus expérimentés en matière de santé au travail sont partis. Il y a de très nombreux nouveaux élus, dont le rapport au mandat et différent, et qui ont parfois à l’égard des experts des attentes un peu “hors-cadre”.

Des attentes “hors-cadre” ?!

Je veux parler de demandes qui ne rentrent pas dans le cadre légal, que nous n’avons pas le droit de faire, comme un besoin de solutions ou d’outils. Nous ne sommes ni des outils ni des solutions clés-en mains ! Il faut dire que de nombreux nouveaux élus s’inscrivent presque dans une logique d’accompagnement des projets de la direction. 

Votre expertise, vous en rendez compte devant la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ou devant le CSE ? 

S’il y a une CSSCT, je demande à ce que nous puissions présenter nos travaux devant la commission, avant de le faire devant le CSE. D’autant que tous les élus de la CSSCT ne sont pas forcément au CSE, il y a parfois des suppléants en CSSCT qui ne siègent pas au CSE. Par rapport à ça, à l’occasion d’un PSE, il est d’ailleurs très important de prévoir dans un accord de méthode que tous les suppléants à la commission SSCT qui vont travailler sur la santé et la sécurité au travail doivent être invités au CSE afin qu’ils aient une bonne connaissance du projet.  

Quelles sont les bonnes pratiques que vous observez dans les CSE ?

Dans le secteur industriel, vous aviez des CHSCT qui fonctionnaient bien et qui ont reproduit ce fonctionnement avec des CSSCT, avec parfois un temps d’adaptation pour appréhender leur nouveau cadre : certains ont mis un an ou deux avant de comprendre que ce n’était pas la commission qui était consultée mais le CSE ! Tous les élus, de la commission comme du comité, doivent par exemple pouvoir comprendre le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), d’autant que la loi permet une formation à la santé sécurité de tous les élus, pas seulement ceux de la CSSCT. D’ailleurs, je forme depuis un an de très nombreux CSE afin que tous leurs élus soient en mesure de comprendre le DUERP.

Par exemple, lorsque le secrétaire du CSE mandate la CSSCT pour réaliser un travail préparatoire 

La bonne pratique que j’observe, c’est lorsque le rapporteur de la CSSCT (qui est souvent le secrétaire adjoint du secrétaire du CSE) est mandaté par le secrétaire du CSE pour travailler sur un sujet, lié par exemple à une information-consultation : l’analyse des plans d’un projet de déménagement, ou bien la réalisation de visites et d’inspections. Ensuite, le rapporteur de la CSSCT revient devant le CSE pour présenter son rapport, son analyse et son avis qui vont alimenter l’avis que rendra le CSE. Ça, c’est une bonne dynamique qui soulage aussi le CSE.

Cette articulation CSSCT-CSE doit-elle être formalisée ?

Il faut fixer des règles dans le règlement intérieur du CSE, par exemple sur la question des comptes-rendus de la commission au CSE.

Faites un agenda social annuel pour vos réunions 

Une autre bonne pratique, que je recommande, c’est d’établir un agenda social annuel afin de positionner dans le calendrier les 4 réunions annuelles devant traiter des questions de santé au travail, et de programmer en amont les réunions de travail des commissions santé sécurité. Si le CSE veut voir, à l’occasion de ces réunions, l’inspecteur du travail, le médecin du travail ou la Carsat (caisse d’assurance retraite et santé au travail), encore faut-il que ces acteurs soient informés en amont, afin qu’ils puissent anticiper. 

Le rapport de l’Ires évoque le fait que la CSSCT n’a pas de budget autonome, ce qui ne permet pas de faire rédiger à un prestataire le PV…

J’entends moi-aussi cette critique, mais c’était déjà le cas du CHSCT ! J’ajoute que tous les CSE sont loin de passer par un prestataire pour rédiger leurs comptes-rendus et leurs procès-verbaux, beaucoup de secrétaires les font encore. Cela dit, cela peut-être intéressant d’avoir un prestataire notamment dans le cas d’une information-consultation importante sur une restructuration, qui va mobiliser les élus. Ce recours peut être prévu dans le règlement intérieur du CSE ou dans un accord de méthode en essayant, par exemple dans le cas d’un PSE où les élus doivent produire un PV dans les trois jours suivant la réunion, de faire prendre en charge par l’employeur le coût de ce prestataire (***). 

Avez-vous des missions en lien avec des risques graves ?

Oui, mais le problème avec les risques graves, c’est qu’il faut les caractériser de façon assez précise et étayée : on ne vote pas à la légère une telle expertise. Même en prenant ces précautions, ces expertises sont souvent contestées par les employeurs. Donc il faut dire aux élus des CSE qui envisagent une telle action de prendre conseil auprès d’experts, en amont de toute décision. 

Que constatez-vous dans les entreprises concernant la santé au travail ?

Après la période Covid, il y a eu une intensification du travail pour rattraper le temps perdu. Il y a aussi le problème des métiers en tension avec des postes non pourvus, ce qui entraîne une augmentation de la charge de travail des salariés. Aujourd’hui, au lieu de faire la chasse à l’absentéisme, il faudrait se demander pourquoi les salariés sont fatigués, sous tension permanente, avec un accroissement des risques psychosociaux (RPS).

 Les entreprises préfèrent vendre de la “qualité de vie au travail” plutôt que de parler des risques

Or les entreprises ne font toujours pas ce qu’il faudrait concernant l’anticipation et l’évaluation de ces risques, elles préfèrent “vendre” de la qualité de vie au travail (QVT) plutôt que de parler risques. Lors d’un PSE, quand une entreprise fait, parce qu’elle y est obligée et parce que l’administration est très vigilante là-dessus, une évaluation des RPS, il y a rarement des zones classées en rouge…Alors que ce n’est pas grave de mettre du rouge, dès lors qu’on prend des mesures pour faire baisser le niveau des risques !

Avez-vous beaucoup de missions liées à des PSE ?

Depuis le mois de juillet, je n’arrête pas de les enchaîner. Dans certains cas, c’est parce que les résultats financiers ne sont pas à la hauteur espérée : même si l’entreprise ne va pas mal, elle supprime des emplois pour dégager davantage de marges. Dans d’autres secteurs, il y a des difficultés réelles, je pense par exemple au commerce de l’habillement concurrencé par le numérique, ou à l’immobilier. Cela vient après toute une vague, en 2022 et 2023, de réduction des coûts immobiliers avec les déménagements, l’essor du flex-office et du télétravail. 

Observez-vous, comme l’Ires, certains désaccords dans l’établissement de l’ordre du jour du CSE, entre élus et employeur ? 

Derrière cela, il y a la question de connaître ou non ses prérogatives. Quand je forme les élus, je leur dis bien que dès lors qu’ils exercent leur mandat, il n’y a plus de lien de subordination.

Il n’est pas normal de voir des ordres du jour avec des minutages par question 

Ce qui me fait parfois hurler, c’est de voir certains ordres du jour avec un minutage par thème (5 minutes pour ceci, 15 minutes pour cela, etc.) et une durée de réunion prévue a priori, par exemple de 10h à 12h. J’ai même vu un directeur général partir alors même que nous devions restituer une expertise ! Si l’employeur ne consacre pas le temps qu’il faut aux questions à l’ordre du jour, faites une suspension de séance.

Vos missions servent-elles à quelque chose pour les élus et les salariés ?

Dans les missions déménagement, par exemple, je peux vous dire heureusement que nous étions là, nous avons limité les dégâts. Personne ne connaissait les normes ni les règles, beaucoup de plans étaient quasi vides, alors qu’il s’agissait quand même de l’environnement de travail futur des salariés. Autre exemple, sur une mission télétravail, nous pouvons apprendre aux élus à faire un questionnaire adressé aux salariés, à traiter les résultats, etc. Cela va les aider à négocier un accord. Nous sommes des facilitateurs du dialogue social, nous posons un cadre qui peut servir aux deux parties. 

Un dernier conseil aux élus CSE ?

Revenez à la source, lisez les articles de base du code du travail sur le CSE et ses prérogatives pour la santé, la sécurité, les conditions de travail ! Prenez conseil, auprès des experts, mais aussi auprès de l’inspecteur du travail, du médecin du travail, de la Cramif (Caisse régionale d’assurance maladie)  et de la Carsat (Caisse d’assurance retraite et santé au travail), contactez-les pour savoir quel est votre interlocuteur…

(*) L’employeur prend totalement à sa charge les frais d’expertise concernant : la consultation sur la situation économique et financière, la consultation sur la politique sociale et l’emploi, la consultation sur un licenciement économique collectif, l’expertise en cas de risque grave et, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, l’expertise en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle mais seulement en l’absence d’indicateur dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). Le CSE doit en revanche prendre en charge 20% du coût de toutes les autres expertises, notamment pour l’expertise en cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de travail, de droit d’alerte économique, sur les orientations stratégiques, ou en cas de négociation d’un PSE   

(**) Hormis dans les sites dangereux, la commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) n’est obligatoire dans les entreprises qu’à partir de 300 salariés.

(***) Le délai pour la réalisation d’un PV est de 15 jours, délai réduit à 3 jours lorsque la réunion porte sur un projet de licenciement collectif pour motif économique, et même à un jour en cas de redressement ou liquidation

Bernard Domergue