CSE

Climat : les grandes entreprises ne sont pas sur la bonne voie

06/03/2023

Négligeant une partie de leurs activités ou misant de manière excessive sur les mécanismes de compensation, vingt-quatre grands groupes industriels sont pointés du doigt par une étude. Au-delà de ces cas particuliers, définir une politique climatique sincère demande à être vigilant sur ses émissions indirectes et sur la confiance dans des technologies qui n’ont pas fait leurs preuves et qui ne verront peut-être jamais le jour (techno-solutionnisme).

Les résultats ne sont pas bons. Dans un rapport publié lundi 13 février, les groupes de réflexion New climate institute et Carbon market watch ne sont pas tendres avec les vingt-quatre entreprises multinationales dont elles ont analysé les engagements climatiques. Et qui représentent 4 % des émissions mondiales si l’on tient compte de leur empreinte indirecte (que l’on qualifie de Scope 3 dans le jargon carbone).

Le rapport dénonce des « engagements ambigus » et « un manque de crédibilité » de politiques qui sont pourtant présentées comme exemplaires par ces mêmes entreprises. Toutes promettent sur le papier d’atteindre des niveaux d’émissions compatibles avec l’accord de Paris. Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient. De l’industrie à la tech et à la grande distribution, aucun secteur n’est épargné.

Scope 3 oublié

Davantage que les bons et mauvais points que délivre le rapport, son intérêt est d’attirer l’attention sur des problématiques que l’ensemble des structures engagées vers la neutralité carbone doivent apprendre à mieux prendre en compte. Attention en particulier à ne pas reporter à demain les engagements les plus structurants sous prétexte qu’il faut avancer pas à pas. Si dans le panel des vingt-quatre, les entreprises se fixent des objectifs à 2030, elles ont trop tendance à minorer leurs enjeux, insiste l’étude. Se focalisant beaucoup trop, en particulier, sur leurs émissions directes. Or le Scope 3 représente 90 % des émissions de gaz à effet de serre de la plupart des entreprises étudiées.

Quelques calculs montrent que la somme des engagements permettra de réduire de 15 à 21 % des émissions sur la chaîne de valeur étudiée entre 2019 et 2030 s’ils sont tenus. Il faudrait atteindre -43 voire -48 % à l’échelle mondiale afin de plafonner la température de la planète à 1,5 degré au-dessus des températures qui étaient celles de l’ère préindustrielle.

Bonnet d’âne pour Carrefour

Plus ennuyeux encore, la majorité des entreprises ne semblent pas se donner les moyens de décarboner leur activité. À l’instar de Carrefour ou Walmart, 17 groupes sont accusés d’afficher des ambitions malhonnêtes sur le long terme. Le géant français de la grande distribution est notamment pointé du doigt car non seulement il exclut de ses calculs sa chaîne d’approvisionnement en produits et en emballages, mais surtout 80 % de ses sites ! En France, seuls 11 % des 5 799 magasins apparaissent ainsi dans le périmètre du groupe. Les autres sont considérés comme des franchises indépendantes et priés de faire leurs propres calculs.

Si le cas est extrême, le rapport souligne un autre écueil bien plus répandu : la grande place laissée aux technologies de séquestration du carbone (CCUS pour Carbon Capture, Utilization and Storage), et plus globalement aux mécanismes de compensation. Le rapport émet des doutes sur l’additionnalité des mesures envisagées par les uns et les autres et qui pourraient laisser croire que les objectifs peuvent être tenus sans grands efforts d’atténuation.

Bons élèves

A contrario, le rapport met en exergue cinq groupes qui affichent des ambitions à la hauteur des attentes afin de réduire sensiblement leurs émissions d’ici 2030 et d’en effacer 90 % en 2040 de l’amont à l’aval de leur activité… montrant ainsi que le combat n’est pas perdu d’avance. Même les entreprises qui n’ont pas encore pris la mesure des enjeux ont heureusement encore la possibilité de rattraper en suivant leur exemple !

Le combat n’est pas perdu, mais il n’est pas gagné non plus. Parmi ces bons élèves, le spécialiste des textiles H&M demeure ainsi très dépendant à des paris technologiques visant à maximiser l’efficacité des matériaux utilisés dans la fabrication d’habits, ainsi qu’à sa capacité à mobiliser une grande quantité de biomasse pour atteindre ses objectifs de production d’énergie décarbonée. Or en matière de transition, tout est question d’équilibre. La forêt est une source d’approvisionnement durable en bois si elle est utilisée raisonnablement. Elle ne l’est plus lorsque tout le monde retient les mêmes options et que la consommation bondit au-delà du raisonnable.

Olivier Descamps

De retour de congés ? Petit récap, bonus !

06/03/2023

Si vous rentrez ce lundi de vacances, vous pouvez vous reporter à notre précédente synthèse de l’actualité de ces dernières semaines pour “rattraper” l’essentiel de ce que vous avez manqué. Il faut y ajouter, pour la semaine dernière, les infos suivantes :

Notre article sur les amendements à la réforme des retraites souhaités par la commission des affaires sociales du Sénat (avec notamment l’idée d’un contrat de travail spécifique à partir de 60 ans) : la Haute assemblée poursuit l’examen du texte jusqu’au 11 ou 12 mars. 

Notre article sur l’initiative de 5 grandes fédérations syndicales de la CGT (cheminots, énergie, ports, chimie, verre-céramique). Elles vont plus loin que l’intersyndicale contre la réforme des retraites qui appelle à mettre la France à l’arrêt le 7 mars. Ces fédérations lancent des actions coordonnées et reconductibles en vue “d’une semaine noire” afin de pousser le gouvernement à abandonner son projet de loi. Est prévue notamment une grève reconductible à la SNCF et à la RATP dès ce lundi soir et dans les raffineries. 

Nos articles sur la jurisprudence : l’action en justice au nom de l’intérêt collectif de la profession, la requalification en CDI de CDD à la demande d’un syndicat et ses effets sur les seuils sociaux, etc. 

Notre article sur le projet visant à renforcer l’action de groupe contre les discriminations dans l’emploi.

L’interview de la négociatrice CFE-CGC qui analyse le contenu de l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur ajoutée et sa portée.

Nous vous conseillons d’aller voir le film La syndicaliste, en salles depuis le 2 mars. Il s’inspire de faits réels, Isabelle Huppert incarnant l’ancienne secrétaire du comité de groupe européen d’Areva, Maureen Kearney, victime d’une agression et d’un viol dont les auteurs n’ont jamais été arrêtés. Pour avoir une idée des faits et du film, lire notre article paru vendredi. Ce film focalise l’action sur le personnage de la syndicaliste et peut donner à penser que celle-ci était isolé, ce qui n’est pas le cas (lire notre interview qui développe un regard critique de la représentation de l’action collective et syndicale notre interview qui développe un regard).

Source : actuel CSE

Transition écologique : la DGE publie deux guides pour les TPE/PME

06/03/2023

La Direction générale des entreprises (DGE) a mis en ligne deux guides présentant les dispositifs d’accompagnement et de soutien disponibles pour aider les TPE/PME et les PME industrielles dans leur transition écologique :

guide présentant les principaux dispositifs destinés à toutes les TPE/PME ;

guide présentant l’ensemble des offres adaptées aux PME industrielles.

Ces guides répertorient les solutions utiles pour mesurer la maturité écologique de l’entreprise, définir les actions prioritaires à mettre en œuvre, bénéficier d’un accompagnement, de prêts ou encore de subventions.

Source : actuel CSE

L’investissement climatique de l’UE à la traîne

08/03/2023

“L’investissement climatique de l’Union européenne (UE) a rebondi après avoir chuté au cours de la pandémie, mais les investissements doivent considérablement augmenter si l’Europe veut atteindre ses objectifs de neutralité carbone [objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050]”, alerte la Banque européenne d’investissement (BEI) dans son rapport 2022-2023 publié le 28 février, sur la base d’un échantillon de 12 500 entreprises européennes.

Selon la BEI, environ 1 040 Mds€ d’investissement par an sur la période 2021-2030 seraient nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne (UE) de 55 % d’ici 2030. Soit 357 Md€ de plus par an que les investissements consacrés entre 2011 et 2020 (683 Mds€).

Source : actuel CSE

“Vu l’énorme enjeu de pouvoir d’achat, l’accord sur le partage de la valeur peut paraître limité”

09/03/2023

Pour l’expert auprès des CSE Guillaume Etiévant, du cabinet JDS experts (1), l’accord trouvé par les partenaires sociaux sur le partage de la valeur contient des dispositions intéressantes mais qui ne semblent pas à la hauteur de l’enjeu actuel sur le pouvoir d’achat des salariés. Interview.

De façon générale, que pensez-vous, en tant qu’expert des CSE, de l’accord trouvé par les partenaires sociaux sur le partage de la valeur et que la Première ministre s’est engagée à retranscrire dans une loi ? 

Face aux enjeux énormes de pouvoir d’achat, dans la période que nous traversons, ce type de dispositions qui amendent à la marge ce qui existe ou qui incitent à certaines négociations paraît quand même très limité.

C’est toujours ça de pris… 

Je comprends bien la stratégie des organisations syndicales d’avoir recherché un accord national interprofessionnel pour obtenir quelques avancées, c’est toujours ça de pris ! Il me semble en effet évident que les organisations patronales ne souhaitaient pas lâcher grand-chose et qu’on ne pouvait pas non plus attendre du gouvernement qu’il prenne des initiatives de progrès social pour les instances représentatives. Pour autant, il faut se replacer dans la perspective de l’an dernier : il y a eu de nombreux débats sur le partage de la valeur, suite au projet d’Emmanuel Macron de dividende salarié et surtout en raison des profits très importants générés dans les secteurs du transport et de l’énergie et des très bons résultats, en général, des groupes du CAC 40. Ces niveaux de rémunération élevés du capital, avec les dividendes et les politiques de rachats d’action, ont suscité un véritable débat public compte tenu de l’inflation et des grandes difficultés de pouvoir d’achat des Français : ne faudrait-il pas mieux répartir les choses pour récompenser les efforts des salariés ?

D’où la revendication de certains syndicats, en début de négociation, de revoir la formule légale de participation ?

En effet, certains ont avancé l’idée qu’il fallait revoir la formule légale de participation pour qu’elle bénéficie davantage aux salariés. C’était une piste intéressante car cette formule, très ancienne, peut être améliorée. Dans cette formule, le capital est en effet rémunéré trois fois avant qu’il ne reste éventuellement quelque chose pour les salariés ! Pour résumer la formule, on prend le bénéfice fiscal, on déduit 5% des capitaux propres, on divise par deux,  et on multiplie par la part des salaires  dans la valeur ajoutée. Cela résulte de compromis passés à l’Assemblée nationale il y a bien longtemps mais aujourd’hui, économiquement, ça n’a plus aucun sens.

Pourquoi cette formule ne vous paraît plus adaptée aujourd’hui ?

Depuis les années 70 et la mise en place de cette formule, les niches fiscales pour les entreprises se sont multipliées, or la participation part du résultat fiscal, qui minore donc les résultats réels. D’autre part, le capitalisme s’est mondialisé : les entreprises françaises sont d’abord des filiales de groupes souvent internationaux, qui font en sorte de laisser un minimum de marge en France par des mécanismes d’optimisation fiscale qui réduisent donc la participation.

La formule de la participation date des années 70 

On aurait pu réfléchir à une évolution de cette formule pour prendre davantage en compte le résultat comptable lui-même avant toutes les déductions des niches fiscales : sinon, non seulement l’entreprise est défiscalisée sur une partie de ses résultats mais en plus elle ne paie pas de participation dessus. Du fait de ces montages fiscaux, des milliers de salariés ne touchent pas de participation.

Mais l’accord ne prévoit pas cela…

Non, l’accord ne traite pas cela. Cela dit, il prévoit une communication, dans la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales du CSE) de la déclaration fiscale de l’entreprise pays par pays (Ndlr : lire notre encadré). Cette déclaration permettra aux salariés d’une filiale française d’un groupe international d’avoir, pour chaque filiale détenue par la même holding, des éléments sur le chiffre d’affaires, ses bénéfices et ses impôts. C’est intéressant, cela va donner des ordres de grandeur sur les marges réelles des filiales et donc cela peut donner quelques arguments aux représentants des salariés. Mais il faudra toujours faire appel à un expert pour calculer comment est faite la marge en France. Car l’expert a accès à la même documentation que le commissaire aux comptes, c’est-à-dire aux éléments tels que les prix de transferts. 

Que sont les prix de transfert ? 

Ce sont les prix fixés pour des marchandises ou des prestations vendues par une filiale à une autre, appartenant au même groupe, dans des pays différents. Par exemple, la filiale basée dans un pays étranger va vendre une prestation informatique à une filiale française : le prix qu’elle va mettre sur ses prestations va être déterminant.

Ce sont les prix pour les marchandises et prestations vendues par une filiale à une autre 

Plus elle va vendre cher sa prestation, plus la filiale française, qui devra supporter ces charges, aura du mal à générer des bénéfices. Tout ceci se fait sur la base de règles internationales fixées par l’OCDE mais leur respect n’empêche pas l’optimisation fisclae (2). De nombreux groupes se servent ainsi de ces flux internationaux pour transférer la marge générée en France vers leur holding ou leurs filiales basées dans des pays à moindre imposition.  

Pour généraliser le partage de la valeur, l’accord oblige les petites entreprises à mettre en place un dispositif de partage. Qu’en dites-vous ? 

L’accord fait en effet obligation aux entreprises entre 11 et 49 salariés de mettre en place au moins un dispositif légal de partage de la valeur dès qu’elles réalisent un bénéfice net fiscal positif d’au moins 1% du chiffre d’affaires durant trois années consécutives (années 2022, 2023, 2024).

L’obligation paraît assez légère 

Ce dispositif, qui serait obligatoire à partir de 2025, pourra prendre la forme de l’intéressement, de la participation, mais aussi d’un abondement à un plan d’épargne d’entreprise ou d’une prime de partage de la valeur. C’est donc une obligation assez légère faite aux petites entreprises car un abondement ou une prime Macron peuvent avoir un montant faible. 

L’accord permet aussi aux entreprises de moins de 50 salariés de déroger à la formule légale de calcul de la participation….

Dans les entreprises de 50 salariés et plus, les directions peuvent déjà négocier un accord avec les organisations représentatives pour déroger à la formule légale, mais pour cela, il faut que le résultat ainsi obtenu soit meilleur pour les salariés que celui obtenu par la formule légale. C’est plutôt rare, mais nous avons déjà aidé des CSE à obtenir ce type d’accord, par exemple pour neutraliser l’effet des flux intra-groupe ou de certaines niches fiscales ou pour baser le résultat sur le résultat comptable et non fiscal.

Cela me semble dangereux pour l’avenir. Les employeurs pourraient réclamer que cela s’applique aussi au-delà de 50 salariés

Là, ce qui est proposé pour les entreprises de 11 à 49 salariés est tout à fait différent puisqu’on permet aux entreprises de déroger, par accord de branche ou d’entreprise, à la formule légale, y compris pour qu’elle soit moins-disante que le code du travail, donc moins favorable aux salariés (3). Cela me semble très dangereux, d’autant que dans les petites entreprises, il y a moins d’élus du personnel et moins de représentation syndicale. Pour obtenir d’autres choses de leur employeur, certaines équipes seront tentées d’accepter des formules moins-disantes sur la participation. Et je crains surtout à l’avenir que ce dispositif ne soit étendu aux entreprises de 50 salariés et plus, sur le thème : “Pourquoi les salariés des grands groupes seraient-ils avantagés ou davantage protégés que les salariés des PME ?” 

Pourquoi avez-vous cette crainte ?

Ces dernières années, les conditions de mise en place de la participation se sont dégradées. Depuis 2019, il faut ainsi 5 ans consécutifs pendant lesquels une entreprise dépasse les 50 salariés pour bénéficier de la participation, et encore, la présence d’un accord d’intéressement reporte de 3 ans supplémentaires la mise en place de la participation. Autant dire que les salariés pouvaient attendre longtemps une participation ! L’accord des partenaires sociaux maintient les 5 ans consécutifs mais supprime la règle des 3 ans. 

L’accord évoque la prise en compte des résultats exceptionnels, qu’en pensez-vous ?

L’article 9 de l’accord ne donne pas une définition précise et comptable de ce qu’est un résultat exceptionnel, le résultat exceptionnel sera celui “présentant un caractère exceptionnel tel que défini par l’employeur”. On est ici un peu dans le domaine du bon vouloir de l’employeur. Si toutefois l’employeur reconnaît une situation de résultat exceptionnel, il aura l’obligation, nous dit l’accord, de procéder au versement automatique d’un supplément de participation ou d’intéressement dont les modalités sont définies par accord, ce qui semble intéressant, soit de renvoyer un nouveau versement à une nouvelle discussion.

Des résultats exceptionnels pourront donner lieu à une PPV, qui n’est pas proportionnelle 

Cette discussion pourra traiter de la participation, de l’intéressement, d’une forme d’abondement au plan d’épargne d’entreprise ou encore de la prime de partage de la valeur (PPV). Or cette PPV n’a pas de minimum légal, elle peut ne pas être proportionnée aux résultats exceptionnels. Sur la PPV, par ailleurs, l’accord donne la possibilité de la placer dans un plan d’épargne d’entreprise, ce qui permet de la valoriser par les taux d’intérêt. 

L’accord écarte l’idée d’un dividende salarié voulu par Emmanuel Macron…

Les partenaires sociaux expliquent bien dans l’accord pourquoi ils n’en veulent pas, et c’est une bonne chose ! Je trouve que cette expression, dividende salarié, entraîne beaucoup de confusion. On risquerait d’oublier ce qui distingue la participation du dividende. 

Qu’est-ce qui différencie dividende et participation ?

Le dividende, c’est la rémunération du capital investi dans l’entreprise. La participation, c’est l’attribution aux salariés d’une partie du profit de l’entreprise au nom de leur contribution à la création de ce profit. Donc, la participation rémunère le travail des salariés, c’est bien différent du dividende. Si on confond ces notions, ça peut être dangereux. Le risque, c’est de confondre l’intérêt des actionnaires et l’intérêt des salariés.

L’intérêt des actionnaires et l’intérêt des salariés sont contradictoires 

Or ces intérêts sont contradictoires et entrent en conflit sur le partage de la valeur créée. Si on appelle tout ça dividende, dans l’état d’esprit général, on brouille les cartes. J’observe d’ailleurs que l’accord traite aussi de l’actionnariat salarié. Mais aujourd’hui, l’enjeu me paraît plutôt être celui d’une valorisation du travail que celui d’un meilleur revenu via des dividendes en tant qu’actionnaire. A terme, je crains même que l’idée d’une fusion des dispositifs de l’intéressement et de la participation ne finisse par faire son chemin.

Rappelez-nous les différences entre participation et intéressement…

La participation, c’est une obligation légale de partage des profits avec une formule minimum. L’intéressement est un dispositif complètement facultatif et sans formule légale : son contenu est très libre.

L’intéressement ne passe pas forcément par des objectifs comptables 

L’intéressement peut être basé sur des objectifs de profits, sur des indicateurs d’activité, d’innovation ou de qualité (type satisfaction client), etc. Il ne s’agit pas forcément d’objectifs comptables. La seule contrainte qui s’impose aux partenaires sociaux qui négocient un accord d’intéressement, c’est que cet accord ne peut pas aboutir à chaque fois au même montant versé aux salariés. La participation et l’intéressement correspondent donc à deux systèmes très différents. Si l’on commence à laisser les entreprises déroger à la formule légale de la participation dans un sens moins-disant, je crains que dans quelques années on se dise qu’un seul grand dispositif suffirait, avec le risque que ce soit un outil a minima.

(1) JDS experts (expertises économiques et sociales du CSE) fait partie de l’ensemble JDS qui regroupe JDS avocats et Alteo (cabinet d’expertise des conditions de travail).

(2) L’OCDE est l’Organisation de coopération et de développement économique. Sa mission est de promouvoir des politiques améliorant le bien-être économique et social partout dans le monde. Sur les prix de transferts et l’OCDE, voir ici

(3) Selon l’accord, “les organisations d’employeurs et de salariés dans chaque branche professionnelle ouvrent, avant le 30 juin 2024, une négociation visant à mettre à disposition des entreprises de moins de 50 salariés un dispositif de participation facultatif, dont la formule peut déroger à la formule de référence de la participation, dite « formule légale », et donner un résultat supérieur comme inférieur à celui de la formule de référence de la participation. Les entreprises de moins de 50 salariés ont la possibilité de mettre en place : le dispositif de branche par accord collectif ou par décision unilatérale, ou, par accord collectif, une autre formule dérogatoire de participation pouvant donner un résultat supérieur comme inférieur à celui de la formule de référence de la participation, dite « formule légale »”.

Informations fiscales à verser dans la BDESE : extrait du chapitre 2 de l’accord (article )
“Lorsqu’elle existe, les entreprises insèrent dans la BDESE la déclaration publique « pays-par-pays » telle que prévue par la Directive (UE) n°2021/2101 du parlement et du Conseil du 24 novembre 2021 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les revenus des sociétés. Afin de développer le débat sur la stratégie fiscale de l’entreprise et du groupe auquel elles appartiennent, les informations sur la politique fiscale au sein du groupe peuvent être transmises le cas échéant au comité de groupe pour l’application de l’article L 2332-1 du code du travail et au comité d’entreprise européen pour l’application de l’article L.2343-2 du code du travail. Des informations sur la politique fiscale de l’entreprise peuvent être mises à disposition du CSE en vue de la consultation sur la situation économique et financière prévue à l’article 2312- 25 du code du travail. Lorsqu’en application de l’article L.2312-20 du code du travail un accord de groupe prévoit que la consultation sur les orientations stratégiques est effectuée au niveau du comité de groupe les informations transmises à ce dernier en vertu de l’article L.2332-1 du code du travail peuvent inclure une note sur la stratégie fiscale au sein du groupe. Par ailleurs, il est rappelé l’obligation pour l’employeur de présenter au CSE, dans les six mois suivants la clôture de chaque exercice, un rapport relatif à l’accord de participation. Ce rapport comporte notamment les éléments servant de base au calcul du montant de la réserve spéciale de participation des salariés pour l’exercice écoulé ainsi que des indications précises sur la gestion et l’utilisation des sommes affectées à cette réserve. Il est rappelé que le CSE peut recourir à un expert-comptable dans les conditions prévues par le code du travail”.

Bernard Domergue

[RSE] Devoir de vigilance de TotalEnergies : ce qu’il faut retenir de la décision du juge des référés

09/03/2023

Le 28 février, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a déclaré irrecevables les demandes des ONG dans le litige les opposant à TotalEnergies, concernant les projets pétroliers Tilenga et EACOP en Ouganda et en Tanzanie. Dans sa décision, le juge donne pour la première fois une définition de la RSE et appelle le gouvernement à préciser les contours de la loi sur le devoir de vigilance.

« C’est la première décision en application de la loi sur le devoir de vigilance », souligne Antonin Lévy, avocat conseil de la société Total dans le litige opposant le groupe pétrolier à plusieurs ONG concernant les projets Tilenga et EACOP en Ouganda et en Tanzanie.

Dans deux jugements rendus le 28 février par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, les assignations des ONG « Les Amis de la Terre France », « Survie » et quatre associations ougandaises (AFIEGO, CRED, NAPE, Les Amis de la Terre Ouganda et NAVODA) mettant en cause le devoir de vigilance de TotalEnergies concernant les projets Tilenga et Eacop en Ouganda et en Tanzanie ont finalement été rejetées. Pour rappel, les associations avaient demandé au tribunal d’enjoindre à TotalEnergies de :

« mettre en conformité son plan de vigilance avec la loi, en y faisant figurer tous les risques d’atteintes graves associés aux projets » ;

mettre en œuvre de manière effective des « mesures de vigilance raisonnable », y compris des mesures d’urgence telles que « le versement immédiat des compensations et des distributions de nourriture pour les communautés privées de leurs moyens de subsistance » ;

« suspendre les travaux afférents aux projets ».

« La loi française sur le devoir de vigilance est imprécise »

Alors concrètement, que peut-on en retenir ? Pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement et professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, « cela reste une décision du juge des référés : ce n’est ni une défaite ni une victoire pour l’une ou l’autre des parties. Il ne faut pas la surinterpréter ».

« Pour la première fois, dans une décision de justice, on trouve une définition de la RSE, rattachée aux droits de l’Homme », remarque toutefois le professeur.

« La responsabilité sociale des entreprises, qui participe de cette évolution, désigne un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité. » (Extrait de la décision, p .15)

Sur le devoir de vigilance, le professeur note « deux choses intéressantes. Sur la forme, le juge considère que la loi française sur le devoir de vigilance est imprécise. Celle-ci donne une possibilité au gouvernement de prendre un décret. Le juge fait de cette possibilité une obligation. Sans ce décret, il estime qu’on ne peut pas évaluer le sens et la portée du devoir de vigilance ».

Un « constat que font de très nombreuses entreprises qui sont obligées de définir elles-mêmes la méthodologie et le champ des obligations auxquelles cette loi générale les astreint », estime Antonin Lévy.

Et sur le fond, que nous dit le juge ? « Il considère qu’il n’est pas outillé pour se prononcer sur le contenu du plan de vigilance : il peut seulement se prononcer sur l’existence d’un plan. En l’espèce, le juge relève que formellement, la société TotalEnergies a bien établi ses plans de vigilance », répond Arnaud Gossement.

« Le tribunal indique que le plan de vigilance comporte les 5 items prévus par la loi sur le devoir de vigilance et qu’ils sont suffisamment détaillés pour ne pas être regardés comme sommaires, se félicite sur ce point Antonin Lévy. Il relève par ailleurs que la société a versé de très nombreuses pièces contradictoires au débat, qui démontrent la mise en œuvre effective de son plan de vigilance ».

Développer le plan de vigilance avec les parties prenantes

Le tribunal reproche tout d’abord « aux associations de ne pas avoir exprimé toutes leurs demandes dans la mise en demeure – dont le contenu diffère de celui de l’assignation », analyse Arnaud Gossement. Sur ce point, « les associations requérantes, qui contestent avoir modifié substantiellement leurs demandes, expliquent qu’elles n’ont fait que les préciser et consolider leur argumentaire avec plus de 200 documents de preuves à l’appui. Les pièces du dossier sont nombreuses et proportionnées aux enjeux, et répondent aux besoins d’actualisations liés à la longueur de la procédure, considérablement rallongée par la bataille procédurale engagée par Total en 2019 », précise le communiqué publié sur le site de l’ONG Les amis de la Terre.

Autre reproche, celui de « ne pas avoir suffisamment dialogué avec Total avant d’aller dans le prétoire ». Un argumentaire entendu par Antonin Lévy qui conseille « aux entreprises de développer effectivement leur plan de vigilance avec les parties prenantes : les ONG, les syndicats, les acteurs de la société civile, les personnes concernées… Ceci afin que l’entreprise ne soit pas laissée comme maître et juge de ses obligations ».

Cette décision a-t-elle mis un coup d’arrêt aux projets portés par TotalEnergies ? « Les premiers forages devraient démarrer dans les semaines à venir, indique Pauline Tétillon, co-présidente de l’association SURVIE. Or, pour l’instant, le juge n’a contraint TotalEnergies ni à modifier son plan de vigilance, ni à mettre en place les mesures d’urgence que nous réclamons (distributions de nourriture et dédommagement financier de toutes les personnes impactées) ».

« On ne s’arrêtera pas là »

« Il semblerait par ailleurs que le financement du projet ne soit pas bouclé. Grâce à la mobilisation internationale, les plus grosses banques ont – pour le moment – renoncé à apporter leur soutien financier », se félicite la responsable associative. « Nous n’avons pas encore décidé des suites à donner à l’affaire car cela mérite une analyse approfondie du jugement. Nous allons en discuter avec les 5 autres ONG et les communautés ougandaises afin de décider de la stratégie à adopter. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’arrêtera pas là ».

Leslie Brassac