Les pistes des députés pour réajuster le volet formation de la loi Avenir professionnel
Pas de gros bouleversements mais quelques ajustements : tel est le bilan dressé par la mission d‘évaluation parlementaire du titre 1 de la loi Avenir professionnel. Parmi les préconisations, la lutte contre les fraudes au Compte personnel de formation (CPF) via l’interdiction du démarchage téléphonique ou encore la simplification des démarches d’abondement. Les députés se refusent à toute régulation du CPF.
Voilà un rapport qui ne devrait pas laisser insensible le ou la future ministre du Travail. Les rapporteurs de la mission d’évaluation de la loi Avenir professionnel, Catherine Fabre (LREM), Gérard Cherpion (LR), Sylvain Maillard (LREM) et Michèle de Vaucouleurs (Dem), ont rendu, mercredi 19 janvier à l’Assemblée nationale, leurs conclusions sur cette réforme phare du quinquennat Macron, lancée voilà trois ans (voir notre article sur les suggestions concernant l’index F/H).
Quelques préconisations sont faites à la ministre du Travail. Certaines sont d’ordre réglementaire. Mais d’autres seront d’ordre législatif et ne pourront probablement être pas être actées avant la fin de la mandature. Mais globalement, les avis sont plutôt positifs. “On a réussi le big bang, résume Catherine Fabre. Il y a eu un vrai consensus”.
Lutter contre la fraude au CPF
Les motifs de ce satisfecit ? Pour les rapporteurs, “le compte personnel de formation (CPF) a rencontré son public” : 984 000 formations ont été suivies en 2020, soit “un quasi-doublement” par rapport à 2019. Et ce dynamique se poursuit. Le nombre de dossiers validés en 2021 équivaut à celui de l’ensemble de l’année précédente.
Côté profil, les femmes, bien que “plus nombreuses en temps partiel”, répondent à l’appel. Le CPF a aussi bénéficié aux professions intermédiaires (+87 %), aux ouvriers (+73 %) et aux employés (+53 %), témoignant d’une “démocratisation” du dispositif.
Cette montée en puissance est toutefois entachée par un accroissement des “fraudes”, un sujet sensible dû aux démarchages par téléphone, SMS ou mails. Avec l’objectif pour les escrocs de mettre la main sur le trésor de guerre que constitue le compte personnel de formation, c’est-à-dire de soutirer le crédit des personnes contactées.
Selon Le Parisien, 10 000 CPF auraient été piratés en 2020. Ils ont même été 14 600 depuis 2019, année où le crédit a été comptabilisé en euros, attisant ainsi les convoitises des fraudeurs qui ont détourné 16 millions d’euros.
Les rapporteurs demandent donc de compléter l’arsenal juridique existant par l’interdiction de démarchage téléphonique des organismes de formation. Catherine Fabre a, d’ailleurs, précisé qu’un “travail [était] en cours”, côté gouvernement.
Des pratiques d’abondement très “faibles”
L’autre hic ? Les pratiques de co-construction du CPF restent faibles. Fin novembre dernier, seuls 6 000 employeurs avaient abondé le CPF de leurs salariés (soit un montant total de 49 millions d’euros). D’où la nécessité pour la mission de simplifier la procédure d‘abondement notamment pour les actions collectives sur le site et l’application “mon compte formation”.
Une logique de “guichet ouvert”
La mission recommande également de renforcer la communication sur le conseil en évolution professionnelle (CEP), peu connue du grand public.
Les députés se refusent, en revanche, à toute régulation du dispositif dont le coût est estimé à plus de deux milliards par an. Une approche qui irait, selon eux, à “l’encontre de la philosophie de la réforme de 2018” qui visait “précisément à en faire un droit à la seule main des salariés”.
Pas question donc de suivre les préconisations de l’Igas et de l’IGF (inspection générale des finances) qui préconisaient dans un rapport conjoint, publié en septembre 2020, d’instaurer un ticket modérateur pour plafonner la quote-part de la formation pouvant être financée via le CPF pour certaines formations comme le permis de conduire. Ou encore d’abaisser le montant du crédit annuel de 500 euros à 400 euros qui décourageraient, selon les députés, le recours à des formations plus longues et donc coûteuses.
“Cette logique de « guichet ouvert » est un choix politique assumé très fort qu’il ne s‘agit en aucun cas de remettre en cause”, martèlent-ils.
Accueil positif de Qualiopi
Les députés se montrent en revanche critiques sur le nouveau système de mutualisation des petites entreprises ; la réforme ayant écarté les entreprises de 50 à 299 salariés du bénéficie de ce fonds de formation. S’agissant de Pro-A, encore “difficilement évaluable”, ils recommandent d’élargir les critères d’accès au dispositif afin qu’ils soient plus en lien avec le projet qu’avec les compétences initiales de la personne.
La réforme Qualiopi, bien que retardée par la crise, reçoit, elle, un accueil positif. Cette certification qualité est désormais indispensable pour pouvoir bénéficier des fonds publics ou mutualisés des financeurs de la formation (Opco, ATPro, Caisse des dépôts et consignations, Pôle emploi…).
Apprentissage : la mission recommande un financement partagé entreprises-universités pour les formations post-bac |
Coté apprentissage, là encore le constat est sans ambages : “La révolution copernicienne a bien eu lieu”, note le rapport parlementaire. “Nous avons pourtant assisté à une levée de boucliers dans l’hémicycle il y a trois, rappelle Catherine Fabre. Certains députés, présidents de régions [qui ont perdu leurs prérogatives sur l’apprentissage], nous prédisaient que la libéralisation du système de formation aller déséquilibrer l’offre de formation. Or, on ne constate absolument pas cela. Les régions conservent la possibilité d’investir dans de nouveaux CFA et les établissements se répartissent de manière équilibrée sur tout le territoire. On est en train de devenir un pays d’apprentissage”. 700 000 jeunes suivent actuellement une formation en alternance, contre 550 000 il y a deux ans. Par ailleurs, 60 CFA d’entreprises ont été créés. Parmi les recommandations, les députés demandent toutefois de prévoir une révision pluriannuelle du coût-contrat tous les trois ans pour assurer une meilleure visibilité aux CFA. Et d’assurer une sortie progressive du dispositif d’aide exceptionnelle par des dispositifs transitoires. Pour éviter l’emballement des dépenses, les députés pencheraient pour un financement partagé pour les formations post-bac, par exemple, une prise en charge reposant à la fois sur les entreprises mais aussi sur les universités ; le financement spécifique des entreprises pouvant “se substituer à la prise en charge de la formation sur les budgets publics de financement”. Via, par exemple, une modulation des coûts-contrats pour les établissements qui bénéficient par ailleurs de financements publics et notamment de l’éducation nationale. Ils souhaitent également lever les contraintes qui pèsent sur la mobilité européenne. “Les apprentis ne peuvent pas partir à l’étranger plus de quatre semaines, explique Gérard Cherpion. Une disposition perçue comme contraignante par les entreprises qui doivent au-delà de cette limite suspendre le contrat de travail”. Selon Sylvain Maillard, le groupe LREM devrait déposer une proposition de loi pour débloquer cet obstacle. Mais elle ne pourra être adoptée qu’à condition de trouver un texte de loi pour faire passer la disposition d’ici la fin de la législature, le 27 février. |
Anne Bariet