La négociation sur l’emploi des seniors toujours marquée par de nombreux désaccords

06/11/2024

Lors de la troisième séance de négociation, le CDI senior a cristallisé les tensions. Les organisations syndicales ont épinglé le système d’exonération de cotisations d’assurance chômage ainsi que le cumul renforcé de l’allocation d’aide au retour à l’emploi et de la rémunération, proposés par le patronat.

Les partenaires sociaux sont encore loin du but. Si l’ultime séance de la négociation est prévue le 14 novembre, plusieurs points durs restent à déminer pour ce prochain rendez-vous. Car la troisième réunion, qui s’est tenue au Medef le 4 novembre, n’a pas permis de dégager de consensus. L’avant-projet d’accord, transmis quelques heures avant la rencontre aux organisations syndicales, a suscité de nombreuses critiques.

“Il n’y a pas eu de grandes avancées. C’est un tour pour rien”, a résumé Frédéric Belouze, le négociateur pour la CFTC. “C’était une séance de transition, a renchérit Olivier Guivarch, chef de file des pourparlers pour la CFDT. On n’a pas atteint un équilibre général pour signer”.

La nouvelle version qui devrait être finalisée, le 12 novembre au matin, permettra-t-elle de lever les blocages ?

Comme au printemps dernier, le CDI senior, baptisé “contrat de valorisation de l’expérience”, suscite toujours autant de controverses. Si le camp patronal estime que ce contrat facilitera le recrutement des demandeurs d’emploi sexagénaires, en “[crantant] dans le paysage que le travail doit prévaloir à l’inactivité”, selon Hubert Mongon (Medef), les organisations syndicales restent dubitatives sur l’impact réel de cette mesure. Ce contrat “ne nous va pas depuis le début”, a tranché Patricia Drevon (FO).

Des modifications à la marge

Pour remporter leurs adhésions, le camp patronal a apporté quelques retouches par rapport au texte initial : l’avant-projet d’accord ne fait plus référence à la création d’un CDI senior dédié aux intérimaires. Autre concession : ce contrat, accessible à partir de 60 ans (ou 57 ans s’il existe un dispositif de branche) ne pourra pas concerner un demandeur d’emploi ayant été employé en CDI non seulement dans la même entreprise mais aussi dans le même groupe au cours des six derniers mois.

Surtout, le camp patronal a tiré un trait sur l’obligation de demander au nouvel embauché un document de l’assurance retraite attestant sa date prévisionnelle de départ à la retraite. “Une avancée notable” a estimé la CFTC qui précise que désormais, ce sera au senior de communiquer lui-même son relevé de carrière au moment de l’embauche.

Points de blocage : le cumul des ARE et de la rémunération…

Mais la création de ce contrat dérogatoire au droit commun n’est pas le seul motif de divergence. S’ajoutent désormais deux points de crispation. Le premier porte sur la prise en charge d’une partie du salaire du nouvel embauché par l’assurance chômage s’il perçoit une rémunération inférieure d’au plus 30 % à celle obtenue dans son emploi précédent.

“Comment valoriser une personne si elle garde un pied dans le chômage ? s’interroge la CFTC. C’est quand même un message assez négatif envoyé aux personnes que l’on souhaite recruter”. “Et que se passe-t-il quand la personne n’a plus que sept mois de droit au chômage au moment de la conclusion de son contrat ? C’est l’employeur qui doit compléter ou alors le salarié perd ses 30 % ?” remarque, de son côté, la CGT.

… Et les exonérations de cotisations

Le second, le plus dur, concerne l’exonération progressive des cotisations d’assurance chômage, à raison d’un point par an à partir de 60 ans, prévue par le patronat pour l’employeur qui recruterait un salarié via ce contrat. “On ne peut pas d’un côté expliquer qu’il faut arrêter de discriminer les seniors (…) et de l’autre nous expliquer que c’est tellement difficile d’embaucher des personnes de plus de 60 ans qu’il faut beaucoup d’aides”, a indiqué Olivier Guivarch qui craint que cette “brèche” puisse “déboucher demain sur d’autres cas d’exonérations”.

Du côté de la CGT, Sandrine Mourey a redit son “incompréhension” de voir maintenue cette mesure dans le texte patronal.

La partie patronale argue, elle, que “les entreprises aussi doivent avoir des contreparties à l’accord” : “Tout le monde doit y trouver son compte. Ce n’est pas simple d’embaucher des seniors”.

Une voie de passage

Éric Chevée (CPME) assure que le patronat “ne lâchera pas l’idée”. Hubert Mongon a toutefois concédé que “les modalités de mise en œuvre du principe sont parfaitement ouvertes”. “Des contre-propositions sont possibles, mettons-les sur la table”, a-t-il insisté.

S’il est d’usage que la négociation paritaire ne se débloque que dans la dernière ligne droite, les partenaires sociaux sont divisés sur l’issue des discussions. La CFDT semble garder un minimum d’optimisme, en indiquant que “la séance du 14 novembre sera décisive”. Mais pour Jean-François Foucard (CFE-CGC), “cette négociation donnera un accord excessivement politique avec très peu de contenu”.

Les réactions face aux autres propositions du camp patronal
Retraite progressive

Sur ce sujet, les lignes ont bougé : par rapport au début de la négociation, la CFDT et la CFTC ne demandent plus la création d’un droit opposable à la retraite progressive. Même si la centrale chrétienne souhaite des garde-fous, à savoir que l’employeur ne puisse pas refuser sans justification sérieuse. La CGT persiste et signe, en revendiquant un droit effectif, seule possibilité, selon elle, de “rendre ce dispositif accessible à tous les salariés”. Entre ces deux positions, FO suggère une alternative : réserver le droit opposable à la retraite progressive aux bénéficiaires d’un compte personnel de prévention. Cette proposition a toutefois reçu une fin de non-recevoir de la part du Medef.

De nouveaux thèmes de négociation

L’avant-projet d’accord ajoute de nouveaux thèmes de négociation, dans le cadre des négociations d’entreprises ou des branches professionnelles, notamment sur les modalités de retraite progressive. Il liste également parmi les thèmes facultatifs les impacts de la transformation technologique et environnementale sur les métiers, les pratiques managériales responsables, les modalités d’écoute des salariés concernant l’exercice de leurs missions, l’organisation du travail, leurs conditions de travail et les relations sociales. La CFDT voudrait aller plus loin, en y ajoutant les politiques de santé et de prévention des risques professionnels. À défaut d’accord, la CFDT demande la mise en œuvre d’un plan d’action unilatéral. La CGT souhaite, elle, la création d’une commission spécifique au sein du CSE portant sur la retraite progressive et sur les aménagements de fins de carrière aidé.

Cumul emploi/retraite

Le texte supprime le délai de carence de six mois exigé jusqu’ici pour reprendre une activité chez le même employeur tout en continuant à se créer de nouveaux droits. Motif invoqué par le patronat ? “Le délai actuellement en vigueur pénalise à la fois le retraité qui pourrait manquer une opportunité d’emploi, mais aussi l’entreprise qui souhaite proposer un cumul “rapproché” pour permettre une meilleure transition et transmission des savoirs/compétences”.

Temps partiel de fin de carrière

Le texte précise que la perte de revenu résultant du passage à temps partiel peut être compensée “en tout ou partie” par l’employeur selon des modalités définies par accord collectif ou de branche.

Anne Bariet

Un accord collectif à durée déterminée reconductible peut être dénoncé unilatéralement à terme

07/11/2024

Un accord collectif à durée déterminée qui prévoit une reconduction tacite peut faire l’objet d’une dénonciation unilatérale produisant effet à son terme, à condition de respecter le délai de préavis fixé par l’accord avant l’expiration du terme.

En vertu de l’article L.2222-4 du code du travail, une convention ou un accord collectif peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. A défaut de stipulation sur la durée de la convention ou de l’accord, celle-ci est fixée à cinq ans. A l’expiration, la convention ou l’accord cesse de produire ses effets.

La convention ou l’accord prévoit les formes selon lesquelles et le délai au terme duquel il pourra être renouvelé ou révisé (article L.2222-5 du code du travail). Il prévoit également les conditions dans lesquelles il peut être dénoncé, et notamment la durée du préavis qui doit précéder la dénonciation (article L.2222-6 du code du travail).

La dénonciation des accords à durée indéterminée est prévue par les articles L. 2261-9 et suivant du code du travail. En revanche, aucune disposition spécifique n’existe pour la dénonciation d’un accord à durée déterminée. Un tel accord peut-il prévoir une clause de dénonciation ? Telle était la question soumise, en l’espèce, à la Cour de cassation.

Dans son arrêt du 23 octobre 2024, qui sera publié au Bulletin, elle affirme la possibilité de dénoncer un accord à durée déterminée reconductible, sous certaines conditions.

Un accord de mise en place du CSE reconductible conclu à durée déterminée

Dans cette affaire, un accord de mise en place du CSE est signé au sein d’une UES (unité économique et sociale) en février 2019.

L’accord est conclu à durée déterminée mais les parties ont prévu une clause de reconduction tacite de l’accord, sauf révision ou dénonciation.

L’article 10.2 de l’accord stipule en effet que “le présent accord est conclu pour une durée déterminée de quatre ans et entrera en vigueur le jour de la proclamation définitive des résultats des élections au comité social et économique de 2019. Il cessera de produire tout effet au terme des mandats, et au plus tard en juin 2023, et sera reconduit par tacite reconduction si l’accord n’est pas révisé ou dénoncé”. L’article 10.3 ajoute que l’accord “pourra être dénoncé, en totalité ou partiellement, par l’une ou l’autre des parties signataires en respectant un délai de préavis de trois mois”.

L’accord est entré en vigueur le 7 juin 2019. Par lettre du 3 mars 2023, reçue le 7 mars 2023, l’UES le dénonce. L’un des syndicats signataires saisit le tribunal judiciaire estimant que la dénonciation n’est pas valable et que l’accord est prolongé de manière tacite.

Les juges du fond le déboutent de sa demande et retiennent que l’accord a cessé de produire ses effets au terme du délai de quatre ans, soit le 7 juin 2023.

Pour eux, en effet, un accord à durée déterminée ne peut pas être dénoncé. Dès lors, les modalités de renouvellement de l’accord à durée déterminée qui prévoient une procédure de dénonciation sont entachées d’irrégularité.

Un accord à durée déterminée prévoyant une reconduction tacite peut être dénoncé à terme en respectant le préavis

Saisie par le syndicat, la Cour de cassation rejette le pourvoi estimant également que l’accord avait pris fin le 7 juin 2023 mais sur un fondement totalement différent de celui retenu par les juges du fond.

Pour la Haute juridiction, un accord collectif à durée déterminée peut prévoir qu’il sera reconduit par tacite reconduction, sauf dénonciation de l’accord produisant ses effets au terme de celui-ci, sous la condition de respecter le délai de préavis fixé par l’accord avant l’expiration du terme.

La Cour admet donc la possibilité de dénoncer un accord à durée déterminée prévoyant une clause de tacite reconduction, sous réserve de respecter le délai de préavis fixé par l’accord et que la dénonciation produise ses effets au terme de l’accord.

► En 2013, la Cour de cassation avait déjà admis la dénonciation par l’employeur, dans le respect du préavis, d’un accord à durée déterminée qui comportait, à son échéance, une faculté de résiliation annuelle en cas de reconduction (arrêt du 13 février 2013). On peut également citer un arrêt, plus ancien, dans lequel un employeur avait entendu dénoncer à son terme un accord conclu pour une durée de deux ans, sans avoir respecté le délai prévu pour la discussion sur le renouvellement de l’accord, fixé à deux mois. La Cour avait jugé que la dénonciation n’était pas valable, dès lors que l’employeur était hors délai pour obtenir le renouvellement de l’accord (arrêt du 26 mai 1983). L’arrêt du 23 octobre 2024 s’inscrit donc dans le droit fil de cette jurisprudence. Il en ressort qu’en principe, la dénonciation unilatérale d’un accord collectif à durée déterminée n’est pas admise. Toutefois, lorsque cet accord est assorti d’une clause de reconduction ou de renouvellement tacite, celle-ci oblige la partie souhaitant empêcher la poursuite des effets du texte conventionnel à prendre l’initiative de dénoncer l’accord en respectant le délai de préavis fixé afin qu’à son échéance l’accord ne soit pas renouvelé, comme le souligne l’avocate générale dans son avis diffusé sur le site internet de la Cour de cassation.

Les règles du code civil en matière de computation des délais doivent être appliquées

Dans le cadre du pourvoi, le syndicat admet la possibilité de dénoncer un accord à durée déterminée contenant une clause de reconduction tout en reprochant au tribunal de ne pas avoir respecté les règles de computation des délais.

Selon le syndicat, la dénonciation produisant ses effets le 7 juin 2023 était tardive. En effet, l’accord, entré en vigueur le 7 juin 2019, expirait le 6 juin 2023.

La Cour de cassation n’est pas de cet avis et considère que le délai de préavis a bien été respecté.

Elle rappelle, à ce titre, les articles applicables en matière de computation des délais :

  • l’article 641 alinéa 2 du code de procédure civile, prévoit que lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai ;
  • selon l’article 642 du même code, tout délai expire le dernier jour à 24h00 ;
  • l’article 668 du code de procédure civile dispose que la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition, et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre.

En l’espèce, l’accord, entré en vigueur le 7 juin 2019, prenait fin le 7 juin 2023 à minuit. L’UES l’ayant dénoncé par lettre réceptionnée le 7 mars 2023, la dénonciation avait bien cessé de produire ses effets avant l’expiration du terme de l’accord.

Julie Castro