Retraites : l’U2P quitte la table des négociations, fragilisant davantage les discussions

19/03/2025

Michel Picon, président de l’U2P

Après FO, fin février, l’Union des entreprises de proximité (U2P) a annoncé, hier, qu’elle quittait la table des négociations sur la révision de la réforme des retraites, en espérant que ce retrait contribue à une “prise de conscience générale”. La CGT doit se prononcer d’ici à jeudi.

“Un jeu de dupes”. Le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), Michel Picon, a annoncé, mardi 18 mars, qu’il quittait définitivement le cycle de négociations censé se dérouler au moins jusqu’à la fin mai. La plus petite organisation patronale, qui forme aux côtés de la CPME et du Medef, la délégation patronale, considère qu’il n’est pas “sérieux” dans le “contexte de déficits structurels et de projections alarmantes d’imaginer un retour de l’âge de départ à la retraite à 62 ans”, une position défendue par la gauche et les organisations syndicales, notamment la CGT. Ce recul serait même “suicidaire”. L’U2P préfère donc “quitter le match” (*).

L’organisation patronale estime que “toucher à la borne d’âge de 64 ans, clef de voûte de l’équilibre économique du système”, est de nature à mettre en péril le régime des retraites. A ses yeux, des “mesures drastiques” doivent être prises pour aller “au-delà de 64 ans”.

Le risque que les petites entreprises “paient l’addition”

Cette décision couvait déjà depuis quelques temps. Mais elle a été prise, dimanche, non pas après l’intervention de François Bayrou, qui a écarté tout retour de l’âge de départ à 62 ans, mais à l’issue des déclarations des groupes politiques de l’opposition, le RN, le Parti socialiste et de LFI. “Ce qui m’a alerté ce n’est pas de dire que le gouvernement s’immisce dans les discussions” mais les autres réactions. “Je me suis dit que l’on allait se faire plumer”.

L’U2P craint, en effet, que les discussions des organisations syndicales voire des partis politiques de gauche, lors d’un débat parlementaire, ne débouchent sur des dispositions préjudiciables pour les petites entreprises comme, par exemple une suppression des allègements de charges sociales, jugés par certains comme des “cadeaux” accordés aux entreprises. Avec le risque que les petites entreprises “paient l’addition”. “Ce n’est pas acceptable”, a martelé Michel Picon qui rappelle que le coût du travail français est l’un des plus élevés des pays de l’OCDE.

Des positions antagonistes

Ce coup d’éclat confirme la difficulté de l’exercice, voulu par le chef du gouvernement, François Bayrou. Le sujet est hautement inflammable tant les positions sont antagonistes. D’ores et déjà, FO avait claqué la porte dès le premier jour, disant ne pas vouloir “participer à une mascarade” dont le but serait d’allonger la durée du travail. La CGT, qui doit interroger ses instances, sur l’attitude à adopter, devrait s’exprimer d’ici à la fin de semaine.

La réponse de François Bayrou, datée du 14 mars, adressée à sa secrétaire générale, Sophie Binet, qui lui demandait de clarifier l’objectif des concertations, sera-t-elle de nature à faire changer d’avis la confédération de Montreuil ?

Le Premier ministre insiste ici sur la nécessité d’ “assurer la soutenabilité financière” de notre système. A ce titre, “il me semble indispensable de tracer un chemin de retour vers l’équilibre à cet horizon, le seul compatible avec la trajectoire de redressement de nos comptes publics pour retrouver notre souveraineté”.

De source patronale, le Medef hésite également à rester à la table des négociations. Patrick Martin, le président du Medef, se disait d’ailleurs, dans un entretien accordé au Monde, le 27 février, “très pessimiste sur l’issue des négociations”.

La ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet a tenté d’atténuer ce manque d’entrain, en affirmant hier, au micro de RTL, qu’il était “essentiel que ces discussions aillent jusqu’à leur terme”. “Je pense qu’il faut continuer à faire le pari de l’intelligence collective”.

Des propositions en avril

L’U2P ne compte pas pour autant se retirer du jeu. L’organisation a annoncé qu’elle ferait des propositions au cours de la première quinzaine d’avril. Elle compte, tout d’abord, mettre en avant la nécessité de trouver de nouvelles recettes financières ; les cotisations salariales et patronales ne suffisant plus à financer, à elles seules, le système. D’où la recherche d’autres sources de revenus pour les caisses de retraite. Par exemple, le transfert d’une partie du coût de la protection sociale vers la fiscalité, la CSG, de la TVA sociale voire la “flat tax”, un prélèvement qui s’applique aux revenus de l’épargne et du capital. Parallèlement, l’organisation milite pour un transfert des charges qui n’ont pas de lien direct avec le travail (comme la famille, la maladie et l’autonomie).

“Si on baissait de 10 points les cotisations sociales, c’est 200 euros qui pourraient être utilisés pour revaloriser le salaire”.

Surtout, l’U2P préconise également d’introduire une dose de capitalisation dans le système actuel, dans le but de garantir le financement du système dont la “mécanique s’est grippée”.

En porte-à-faux également avec le Medef

Reste que l’U2P pourrait, en quittant le “conclave”, se priver de l’opportunité de peser dans le débat concernant les carrières longues et l’usure professionnelle. Car l’U2P en est convaincue : “il faudra néanmoins permettre un départ anticipé pour toutes les personnes exposées à une forme d’usure professionnelle et bénéficiant d’une espérance de vie plus faible au moment de leur départ”. Elle s’est d’ailleurs déclarée en porte-à-faux avec le Medef, qui s’était prononcé par la voix de Diane Milleron-Deperrois, cheffe de file de la négociation, pour un durcissement des conditions d’accès au dispositif carrières longues, arguant que le dispositif s’éloignait de sa “cible initiale” ; 22 % des départs à la retraite se faisant actuellement dans le cadre de ce mécanisme.

“Nous ne souhaitons pas remettre en cause le système, mais valoriser les carrières longues et les accompagner au mieux”, indique Michel Picon qui a précisé qu’aucune concertation n’avait eu lieu avec les autres organisations patronales, en amont des pourparlers.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’U2P fait cavalier seul. Après l’échec des négociations sur le pacte de la vie au travail, en avril dernier, la petite organisation patronale avait créé la surprise en décidant de renouer directement le dialogue avec les organisations syndicales pour débattre du compte épargne-temps universel et des reconversions professionnelles. Ces négociations avaient abouti à deux accords, sans l’aval du Medef et de la CPME.

En cas d’échec des négociations, le Premier ministre a prévenu : c’est la réforme actuelle qui continuera de s’appliquer.

(*) L’U2P représente l’artisanat, le commerce de proximité et les professions libérales.

Anne Bariet

Branche des casinos : face aux projets de réforme, l’inquiétude reste de mise

19/03/2025

La branche des casinos ne représente que 15 000 salariés mais craint toujours les projets de réforme. Les salariés savent qu’ils ont échappé à différents projets gouvernementaux : entre les casinos en ligne, l’expérimentation des clubs de jeux et la défiscalisation fragile des pourboires, les représentants syndicaux se disent inquiets.

Ils travaillent dans les casinos des groupes Lucien Barrière, Joa ou Partouche. A des adresses prestigieuses comme Enghien-les-Bains, Biarritz ou Dinard. Leur univers fait rêver les amateurs de cinéma américain : tapis rouges et verts, machines à sous, as de pique… Mais entre les films et la réalité, et malgré les sommes astronomiques brassées chaque année, les revenus des salariés ne sont pas mirobolants. 

L’arrivée des machines à sous avait déjà perturbé le versement de leurs pourboires. Voici que le numérique pourrait bien les fragiliser au travers des projets de casinos en ligne. Sans compter la menace d’une pérennisation des clubs de jeux, pour l’instant écartée mais qui reste dans les tiroirs des ministères. Autre écueil : les salaires. En raison de ses minimas conventionnels insuffisants, la branche a échappé de peu à une fusion avec les Hôtels Cafés Restaurants ou les Espaces de Loisirs. Un accord salarial de 2023 a sauvé la situation… pour l’instant.

Pas de doute, la petite branche est secouée par de gros enjeux, financiers en premier lieu. À lui seul, le groupe Partouche a perçu en 2023 701 millions d’euros de produits bruts des jeux. Alors que des négociations se tiennent cette semaine, les trois premiers syndicats de la branche nous ont confié leur perplexité pour l’avenir et leur inquiétude pour l’emploi.

La menace des casinos en ligne

Le 6 novembre 2024, le gouvernement Barnier a lancé un cycle de concertations mêlant l’Autorité nationale des jeux, les ministères de l’Économie, du Tourisme, de l’Intérieur, de la Santé, les opérateurs de jeux en ligne comme la Française des Jeux, l’association des maires de France… mais pas les syndicats des salariés de casinos. Ces derniers auraient pourtant aimé avoir leur mot à dire ! La réunion a acté l’ouverture de travaux sur les casinos en ligne, par opposition aux casinos physiques où travaillent les salariés de la branche. Un projet d’amendement au budget 2025 avait été déposé en octobre 2024 dans ce sens.

Trois groupes de travail devaient se pencher sur la prévention des addictions au jeu, la protection des personnes et les atteintes à l’ordre public ainsi que les impacts économiques du projet. D’une voix unanime, les syndicats de la branche ont demandé à participer, sans succès via un courrier intersyndical (FO, CGT, CFTC (18,57 %), CFE-CGC 7,06 %)) du 7 novembre.

Selon Claude François, secrétaire fédéral de la section casinos à la fédération des employés et cadres de Force Ouvrière (majoritaire dans la branche avec 31,37 % de représentativité), “les syndicats n’ont pas été conviés aux groupes de travail, nous n’étions d’ailleurs pas présents lors de la réunion du 6 novembre. Heureusement, avec la censure du gouvernement Barnier, le projet est tombé et les réunions ont été suspendues”. Et l’amendement retiré du projet de budget.

Dominique Dorgueil, secrétaire fédéral FO, ajoute que “les casinos en ligne renvoyaient au projet “JÀDE” (Jouons à Distance Ensemble), prévu pour expérimenter les jeux en ligne et remontant à 2022, l’idée étant de créer des casinos en ligne en miroir des casinos réels”. Quoi qu’il en soit, selon Kevin Lafon, délégué syndical et élu au CSE du casino de Biarritz, “on ne veut pas de ce projet, cette suspension nous va très bien”.

Un point de vue partagé par la CFDT, deuxième organisation de la branche (22,64 %), mais qui est cependant prête à négocier. Serge Piccone, référent CFDT a mis en avant les milliers d’emplois menacés et exigé une concertation sociale de fond sur ce projet. Le délégué syndical dans les casinos du groupe Partouche dit cependant avoir obtenu des réunions avec les chefs de file des groupes de travail : “On leur a dit qu’on ne voulait pas des casinos en ligne, mais que si on y vient, il faudra intégrer un volet social. Il vaut mieux négocier et obtenir des garanties. Mais en tout cas, si ce projet reste à l’arrêt, cela nous va bien”.

À la CGT, troisième organisation syndicale de la branche (20,37 %), Michaël Da Costa craint cependant que l’enterrement du projet ne dure pas. Élu au CSE du casino d’Enghien, délégué syndical national et secrétaire fédéral, il explique que “le bilan social serait dévastateur mais les associations de jeux en ligne font du lobbying à un moment où l’État cherche de l’argent. Ils risquent de revenir à l’assaut, malgré l’opposition des maires de France, car les casinos en ligne existent dans d’autres pays”. Selon lui, il faudra alors des opérateurs français aux risques de voir arriver sur le marché les Américains et les Chinois. Les casinos nationaux perdront alors leur délégation de service public et les salariés leur emploi.

Clubs de jeux : une expérimentation reconduite jusqu’en 2027

Les casinos connaissent par ailleurs un concurrent inquiétant : les clubs de jeux, sans structure juridique bien définie, tantôt associations, tantôt sociétés commerciales. Le gouvernement a réfléchi à expérimenter leur statut. L’article 34 de la loi du 28 février 2017 (et le décret du 9 mai de la même année) a abrogé l’ancien régime des “cercles” de jeux au profit des “clubs” et engagé une expérimentation d’un an. Depuis, elle ne cesse d’être reconduite et le statut devait tomber le 31 décembre 2024.

Dernière étape récente : un amendement au projet de loi de finances pour 2025 prévoyait l’exploitation des clubs parisiens et une évaluation de leur régime fiscal dans le cadre d’une pérennisation. Une fois de plus, la chute du gouvernement Barnier a entraîné le rejet du texte. L’expérimentation est finalement poursuivie jusqu’à fin 2027. Les sept salles parisiennes fonctionnant au statut expérimental vont donc poursuivre leur activité pendant deux ans.

À FO, Claude François souligne que les clubs de jeux ne peuvent pas exploiter les mêmes machines que les casinos et ne sont pas soumis aux mêmes agréments : “Les cahiers des charges des casinos sont plus lourds. Pour l’instant, les clubs sont limités aux jeux de cartes et au BlackJack, mais ils pourraient accéder aussi aux roulettes anglaises. On craint qu’à terme ils ne soient transformés en casinos”. De fait, les clubs de jeux concurrencent les casinos situés à proximité mais leurs 200 salariés sont également défendus par les syndicats de la branche. FO a notamment alerté sur leur situation au moment où l’expérimentation risquait de prendre fin et les clubs de fermer. la répartition des différentes formes de jeux entre les casinos et les clubs permet de tenir l’équilibre entre la défense des salariés des uns et des autres.

À la CFDT, Serge Piccone s’est également prononcé pour la poursuite de l’expérimentation. Selon lui, la concurrence des clubs sur les casinos physiques est limitée : “A Paris, il existe un tel réservoir de clientèle qu’il y a du travail pour tout le monde”.

Michaël Da Costa (CGT) craint aussi la concurrence des clubs de jeux : “Nous avons demandé la poursuite de l’expérimentation avec la seule possibilité d’utiliser les jeux de cartes, sinon c’est alors un casino et il faut une délégation de service public”. La CGT défend cependant les salariés des clubs de jeux : la fédération des commerces et services a adressé deux courriers aux députés lorsque les clubs menaçaient de fermer faute de poursuite de l’expérimentation.

Des pourboires défiscalisés en complément de faibles salaires

Autre serpent de mer pour les organisations syndicales : la défiscalisation des pourboires. Le régime des salariés des casinos est aligné sur celui des restaurants. Pas d’impôt donc sur ces sommes distribuées par les clients mais aujourd’hui rétrocédées aux salariés par les employeurs. Historiquement remis en liquide, ils sont désormais intégrés au salaire.

Selon Dominique Dorgueil (FO), “c’est aussi le résultat d’un cercle vicieux utilisé par les employeurs depuis l’arrivée des machines à sous. Ils ont fait miroiter aux salariés les pourboires non déclarés au regard de bas salaires par rapport aux contraintes du travail en casinos comme les horaires de nuit, le tout, sous leur contrôle, ce qui est d’une hypocrisie extraordinaire”.

Force Ouvrière craint donc que la défiscalisation ne dure qu’un temps. Une situation risquée pour les salariés et un “casse-gueule” syndical : les pourboires défiscalisés ne sont pas non plus soumis aux cotisations, et ils permettent aux salariés de doper leurs revenus. Dans certains casinos, chez Lucien Barrière notamment, un accord permet de protéger les salariés par une garantie de salaire, mais ce modèle reste exceptionnel. Un accord non signé par la CFDT qui a considéré qu’il pouvait défavoriser les salariés.

Michaël Da Costa (CGT) souligne que l’Urssaf n’a pas manqué de mettre son nez dans le sujet des pourboires défiscalisés, raison pour laquelle ils doivent désormais être déclarés.

En parallèle, les salaires restent assez faibles au rapport des masses financières générées par les casinos. La branche a été menacée de fusion par l’ancien ministre du travail Olivier Dussopt, en raison de minimas conventionnels inférieurs au Smic. Les syndicats ont dû se mettre autour de la table et un avenant salarial a été signé par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC en 2023, sauvant temporairement la branche.

Si la CFDT revendique une intégration des pourboires dans la réserve spéciale de participation, elle défend aussi l’avenant salarial : “Pour un salarié travaillant de nuit, nous avons obtenu sur la base d’un salaire de 2 000 euros bruts une majoration de 75 euros, ainsi qu’une augmentation de 2,3 % à compter du 1er février 2025 puis 1,3 % en juillet 2025″.

Pour la CGT et FO, ces revalorisations restent insuffisantes. Le premier niveau de la grille figure à 1 800 euros bruts. Pour Michaël Da Costa (CGT), “la fusion était une clé de bras pour obliger les syndicats à négocier n’importe quoi. De plus, avec les indexations automatiques du Smic, il faut recommencer régulièrement car la grille est toujours rattrapée”.

Les syndicats espèrent en tout cas que ce qu’ils qualifient de “modèle français” des casinos perdure et que les gouvernements successifs s’abstiendront d’aligner leur régime sur d’autres pays.

Marie-Aude Grimont