[Loi seniors] Les nouvelles obligations sont peu “engageantes pour les branches professionnelles”

12/11/2025

Le Club des branches du cabinet Barthélémy a organisé, jeudi 23 octobre 2025, une matinée d’actualité. Parmi les sujets abordés, les nouvelles missions attribuées aux branches professionnelles par la loi seniors du 24 octobre 2025. Emmanuel Andréo, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy, a détaillé les trois sujets essentiels : les nouvelles obligations de négocier, le CVE et l’aménagement des fins de carrière.

Quelques jours avant la publication de la loi seniors au Journal officiel, le Club des branches du cabinet Barthélémy a organisé une matinée d’actualité ; l’occasion de revenir sur les dispositions qui intéressent directement les branches professionnelles. Emmanuel Andréo, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy, relève trois thématiques principales. 

Une obligation de négocier sur les travailleurs expérimentés “peu engageante”

La loi seniors ajoute de nouveaux thèmes obligatoires de négociation aux branches professionnelles. “Lorsqu’on connaît les enjeux, répondre par une simple obligation de négocier peut paraître insuffisant, s’étonne Emmanuel Andréo. Même si cette négociation entre dans un dispositif d’ordre public, elle reste une faculté. Il n’y a aucune obligation de conclure, comme dans toute négociation”.

L’avocat rappelle qu’à défaut d’accord d’adaptation, l’obligation de négocier interviendra par roulement triennal. Les branches professionnelles doivent au préalable établir un diagnostic. “La question se posera de savoir qui établit ce diagnostic. Il n’y a pas souvent des remontées de sources et des données au niveau des entreprises. Ce sera un premier enjeu pour les branches de pouvoir diagnostiquer et recueillir l’ensemble de ces sources de la part des entreprises du champ d’application de la branche pour pouvoir les traiter, rédiger un rapport et le partager au niveau des partenaires sociaux”, souligne-t-il. 

Le contenu supplétif, imposé par la loi à défaut d’accord d’adaptation, porte sur le recrutement des salariés expérimentés, le maintien dans l’emploi, l’aménagement des fins de carrière et la transmission des savoirs et des compétences. “Quand vous regardez ces thèmes imposés, il n’y a rien de nouveau. Ce sont des choses qui existent déjà, dont les partenaires sociaux se sont emparés depuis des années”, déplore Emmanuel Andréo qui cite notamment le contrat de génération “qui même s’il était différent dans son approche, comportait une substance relativement identique et similaire à celle qui existe aujourd’hui”.

Bien sûr, rappelle-t-il, les partenaires sociaux pourront ajouter d’autres thèmes comme le développement des compétences et l’accès à la formation “mais il existe déjà une obligation de négocier sur la formation professionnelle au niveau des branches – c’était d’ailleurs le rare cas où était abordé le sujet des salariés de 55 ans et plus -, les effets des transformations technologique et environnementale, les modalités du management du personnel – dont on peut s’interroger sur ce que recouvre cette thématique ou au moins son déploiement au niveau d’une branche – l’organisation des conditions de travail et l’aménagement du temps de travail, qui est déjà un thème de négociation”.

“On est sur une démarche relativement légère, peu engageante pour les branches. Si elles s’emparent du dispositif d’accord de branche d’adaptation, le contenu de la négociation pourra être encore plus allégé. On peut imaginer par exemple que la branche n’aborde absolument pas le recrutement mais uniquement le maintien dans emploi. Tout l’enjeu va être de savoir si les branches vont en faire une simple obligation formelle et administrative ou si il y aura une véritable réponse à l’enjeu démographique”, s’interroge l’avocat.

Les branches auront par ailleurs la possibilité d’élaborer un plan d’action-type pour les entreprises de moins de 300 salariés qui ne sont pas concernées par cette obligation de négociation, rappelle-t-il. “Si les entreprises de moins de 300 salariés s’aventuraient à négocier volontairement sur le champ – ce à quoi on peut les inciter – à défaut d’accord conclu en cas d’échec des négociations, elles pourraient prendre une décision unilatérale après information-consultation de leur CSE et information par tous moyens de leurs salariés pour décliner le plan d’action-type qui serait mis en place au niveau des branches”.

Là encore, l’avocat avoue son scepticisme. “On sait d’expérience qu’il y a une certaine frilosité des branches pour engager les entreprises via un plan d’action. On peut pressentir que ce type de contenu laissera un champ assez large aux entreprises pour le déployer ou pas. D’autant plus que cette thématique de négociation fait partie du bloc 3. En présence de stipulations d’un accord de branche, les stipulations d’un accord d’entreprise dans une entreprise de plus de 300 et même dans une entreprise de moins de 300 primeront et prévaudront sur celles de l’accord de branche”.

Un nouveau CDI pour les seniors “à horizon CDD”

La loi seniors crée un nouveau CDI pour les salariés expérimentés, le contrat de valorisation de l’expérience (CVE), mis en place à titre expérimental pour une durée de cinq ans. Pour Emmanuel Andréo, “ce dispositif vient sensiblement changer la donne [notamment en comparaison du CDD senior]”. Ce CDI concerne les demandeurs d’emploi inscrits à France Travail de 60 ans et plus mais “un accord de branche étendu pourra élargir le champ d’application de ce dispositif légal pour les demandeurs d’emploi de 57 ans et plus”, note-t-il. Cette possibilité représente selon lui “un élément intéressant dont les branches devraient se saisir” et s’interroge sur l’opportunité d’abaisser l’âge d’éligibilité à ce dispositif d’autant que “c’est uniquement la branche qui a le monopole de cet élargissement”. La branche “devrait également préciser en contrepartie de cet abaissement de l’âge quelles seraient les missions, les champs, les attentes, les conditions d’emploi attendus des entreprises pour pouvoir recourir à ce CVE en d’abaissement de l’âge”, recommande Emmanuel Andréo. 

L’avocat estime “le mécanisme de ce nouveau contrat assez intelligent” puisqu’il s’agit d’un CDI “mais à horizon CDD”. L’entreprise embauche un salarié senior “mais à un horizon de retraite, celui du salarié, qui devra, en vue de son recrutement dans le processus de candidature, remettre au futur employeur un document établi par la Carsat indiquant quelle serait la date prévisionnelle d’atteinte de l’âge et surtout des trimestres d’assurance pour liquider sa retraite à taux plein”.

“Le dispositif remet au gout du jour la mise à la retraite du salarié [possible seulement à partir de 70 ans en dehors du CVE], se félicite Emmanuel Andréo, sans avoir à recueillir son accord dès lors qu’il remplit les conditions pour liquider sa retraite à taux plein. Au surplus il est prévu dans la loi, une exonération de la contribution patronale de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite pour une durée de trois ans”. 

Tous ces éléments mis bout à bout devrait permettre au CVE “de connaître un certain succès”, pronostique l’avocat. 

Une consécration légale des dispositifs d’aménagement conventionnel des fins de carrière

“Le dernier thème qui est à la main des branches est l’aménagement des fins de carrière”, indique Emmanuel Andréo. Il s’agit d’une “consécration légale de ce qui existe déjà en pratique”, à savoir “permettre le versement anticipé de l’indemnité de départ à la retraite lorsque le salarié décide de passer à temps partiel ou en forfait annuel jour réduit hors système de retraite progressive”. Le salarié pourrait ainsi compenser la baisse de rémunération liée au passage à temps partiel ou à forfait jours réduit en bénéficiant de tout ou partie de l’indemnité de départ à la retraite en accord avec son employeur. “La difficulté c’est que l’indemnité de départ à la retraite légale comme celle prévue par les accords de branche n’est pas nécessairement très élevée. On pourrait considérer que mathématiquement ce montant d’indemnité de départ à la retraite peut ne pas être suffisant pour opérer cette compensation. Il faudra peut-être que les partenaires sociaux de branche inventent d’autres mécanismes incitatifs ou de majoration permettant à ce dispositif de temps partiel de fin de carrière de prendre plus d’ampleur”. 

Florence Mehrez