Les partenaires sociaux cherchent la martingale pour restaurer la démocratie sociale
Marqué par des relations tendues avec les corps intermédiaires, le quinquennat d’Emmanuel Macron s’achèvera-t-il par une réaffirmation de leur rôle par les partenaires sociaux dans un accord national interprofessionnel offensif ? C’est ce dont rêvent plusieurs organisations syndicales et patronales. La question de l’articulation entre démocratie sociale et politique est au coeur d’une nouvelle négociation sur le paritarisme, et qui doit aussi aborder le dialogue social interprofessionnel…
Vendredi 14 janvier, les partenaires sociaux ont eu, en visio, leurs premiers véritables échanges dans la négociation sur le paritarisme ouverte le 5 janvier. Sur l’insistance des organisations syndicales, les premières séances de cette négociation, prévue par l’agenda social autonome des partenaires sociaux, portent sur l’articulation entre démocratie sociale et démocratie politique, et sur les objectifs et conditions des négociations interprofessionnelles. Ce thème recouvre la question de la transposition des accords des partenaires sociaux dans la loi mais aussi la concertation des partenaires sociaux (1) sur les projets du gouvernement (articles L1, L2 et L3 du code du travail créés par la loi Larcher. La révision de l’accord de 2012 sur la gestion paritaire de certains organismes (Apec, Agirc-Arcco) devrait donc être abordée dans un second temps.
Une négo sur la négo
Un document synthétisant les différentes propositions exprimées devrait être envoyé par le Medef d’ici la séance du 11 février, sachant que la prochaine discussion, le 28 janvier, portera sur les conditions de la négociation interprofessionnelle, un sujet sensible déjà effleuré par certains. On sait que la CPME suggère la tenue des négociations nationales interprofessionnelles, qui ont lieu habituellement au siège du Medef, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), plusieurs organisations syndicales souhaitant un lieu neutre.
En visio, nous étions en terrain neutre pour négocier !
“Aujourd’hui, on a déjà négocié en terrain neutre puisque nous étions en visio”, plaisante Gilles Lecuelle, pour la CFE-CGC. Partisan d’une “politique des petits pas”, le négociateur du syndicat des cadres envisage déjà un partage du travail d’écriture des différentes étapes d’un accord professionnel, alors que le Medef tient habituellement le stylo.
Pierre Jardon, pour la CFTC, veut aussi muscler le travail interprofessionnel des organisations syndicales et patronales. “Notre dialogue social interprofessionnel n’est ni organisé ni structuré. Il nous faut mettre en place des règles pour être plus efficace, à la fois dans la fixation de notre propre agenda social, mais aussi dans la conduite des négociations interprofessionnelles, dans le suivi de l’application des accords, avec un travail de promotion à faire dans les branches”, dit le négociateur CFTC en charge du dialogue social.
Agenda social autonome : un peu, beaucoup, passionnément ?
Un volontarisme partagé, mais prudemment, par la CFDT. Sa négociatrice, Marylise Léon, est favorable à un agenda social “ritualisé”, avec des échanges réguliers “permettant un dialogue continu pour anticiper les sujets”, mais il n’est pas question pour la CFDT “d’institutionnaliser” un tel agenda autonome. A ce propos, Michel Beaugas, pour FO, se montre également très mesuré : “Nous n’avons abordé que 3 thèmes (Ndlr : formation, prud’hommes, paritarisme) dans l’agenda autonome fixé en 2021 (2). Il faut du temps pour évaluer, pour travailler et négocier. Et qui doit définir les thèmes de l’agenda ? Comment ?”
Un agenda social autonome ? Fort bien, dit pour sa part Angeline Barth (CGT), “mais pour quoi faire ? Améliorer les droits sociaux ? Faire du normatif ? Depuis 2017, il y a de moins en moins d’accords interprofessionnels et d’accords de branche parce que l’inversion de la hiérarchie des normes privilégie la négociation d’entreprise”.
Un comité paritaire permanent du dialogue social
Pierre Jardon semble être le plus offensif pour changer la donne. La CFTC préconise un “comité paritaire permanent du dialogue social”. Ce comité, qui réunirait les partenaires sociaux, serait à la fois l’interlocuteur du gouvernement et du Parlement lors de l’engagement de réformes et de projets de loi, “mais il pourrait aussi être consulté lors de l’extension d’un accord, et lors de la transposition législative des ANI (accords nationaux interprofessionnels), le comité paritaire étant consulté de façon collégiale”.
Ce point-là fait l’objet d’un certain consensus, du moins entre organisations syndicales, lesquelles observent que le Medef, très prudent, ne se dévoile guère. “Les signataires d’un ANI doivent pouvoir expliciter l’accord et présenter les raisons de l’équilibre trouvé, auprès du Parlement mais aussi du gouvernement, car c’est lui qui prépare les décrets”, dit ainsi Marylise Léon (CFDT). Le système d’auditions, organisation par organisation, par l’Assemblée ou le Sénat est jugé insuffisant.
Un rejet d’une consultation de pure forme
L’autre point qui fait consensus, c’est bien le rejet des conditions actuelles de consultation des partenaires sociaux par le gouvernement, dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP). Cette dernière joue un rôle consultatif en matière de droit du travail, d’emploi et de formation professionnelle dès lors que l’exécutif se saisit d’un sujet sur lequel les partenaires sociaux sont parties prenantes.
Le gouvernement se moque de nos avis
“Nous sommes là dans du pur formalisme. L’exécutif ne réunit la commission que parce qu’il est obligé d’avoir un avis pour la poursuite de son projet. Nous rédigeons des avis motivés mais nos questions et suggestions n’ont jamais de réponse ou d’effet. Il faut faire de la CNNCEFP un vrai lieu de débat”, soutient Marylise Léon (CFDT). “Même s’il n’y a plus de vote dans cette commission, nous nous obstinons à rédiger des avis motivés. Mais le gouvernement s’en moque”, renchérit Michel Beaugas (FO).
Le champ de la concertation avant un projet de loi sur les domaines sociaux et du travail n’est d’ailleurs pas assez large, estime le négociateur FO : à ses yeux, il devrait inclure la Sécurité sociale et les travailleurs indépendants, par exemple. Pierre Jardon (CFTC) souhaiterait pour sa part que la concertation des partenaires sociaux soit aussi imposée aux propositions de loi émanant des parlementaires.
Haro sur les lettres de cadrage trop strictes avant une négociation
Les partenaires sociaux critiquent tout aussi fortement la pratique, usitée plusieurs fois lors de ce quinquennat, de lettres de cadrages invitant syndicats et patronal à négocier sur un sujet, mais avec de telles contraintes que l’échec paraît garanti ou du moins le champ de négociation très limité.
Les options fixées dès le départ sont défavorables aux salariés
“Nous voulons des lettres qui restent des documents d’orientation, pas des documents nous enjoignant ce qu’il faut faire comme économies sur l’assurance chômage et comment les faire !” s’exclame Michel Beaugas. “Nous avons tous mal vécu les lettres de cadrage du gouvernement qui ont limité la liberté de négociation. D’autant que les options fixées nous paraissaient dès le départ défavorables aux droits des salariés”, souligne Angeline Barth, pour la CGT.
Des relations “à rééquilibrer” entre législatif, exécutif et partenaires sociaux
“Il faut rééquilibrer les relations entre les partenaires sociaux, le gouvernement et le Parlement, pour que chacun soit respecté dans ses prérogatives. Nous ne voulons pas prendre la place du législateur, mais nous souhaitons que notre capacité à créer du droit (emploi, travail, formation professionnelle, etc.) soit reconnue”, synthétise Pierre Jardon (CFTC).
C’est bien là, dans cette délicate articulation entre démocratie sociale et démocratie politique, que réside le nœud du problème. Pas question pour la CGT de se poser en législateur bis : “Le Parlement est le représentant de l’intérêt général, il doit bien sûr mettre sa patte, y compris après des accords interprofessionnels, mais il devrait y avoir un meilleur dialogue avec les organisations syndicales, qu’elles soient ou non signataires”, souhaite Angeline Barth (CGT). “Nous ne voulons pas devenir des co-législateurs. L’intérêt général est défendu par les parlementaires, l’intérêt des salariés par les organisations syndicales”, insiste Michel Beaugas (FO).
Non aux comités d’experts !
Approuvée par d’autres OS, la négociatrice CGT estime à propos de l’extension des accords que la décision ne devrait pas se faire en fonction de l’avis émis par des comités d’experts avançant des motivations économiques, “mais selon la violation ou non de règles légales”, et cela vaut aussi pour l’évolution du Smic selon elle.
Mais pour Gilles Lecuelle (CFE-CGC), il ne faut pas seulement se montrer exigeant à l’égard des pouvoirs publics, il convient aussi de balayer devant sa porte.
Prenons l’initiative, ne nous limitons pas aux seuls sujets énoncés par le gouvernement
Nous n’avons pas utilisé ce que la loi Larcher prévoit, souligne le négociateur du syndicat des cadres : “La loi Larcher a été vidée de son sens avec des lettres de cadrage irréalisables, c’est vrai, mais les articles L.2 et L.3 du code du travail nous donnent déjà la possibilité d’interpeller le gouvernement et de lui rendre compte des négociations en cours ou des sujets que nous aimerions traiter. Cela, nous ne l’avons pas fait”. Et Gilles Lecuelle d’ajouter : “Réunissons-nous régulièrement, organisations patronales et syndicales, et allons au-devant des préconisations du gouvernement pour suggérer des sujets à traiter”.
Une telle négociation a-t-elle des chances d’aboutir, au vu d’un calendrier serré et d’un contexte politique pour le moins sensible ? “Nous n’avons pas intérêt à échouer, répond Pierre Jardon (CFTC), il nous faut faire preuve d’ambition. On sera d’autant plus crédibles face aux détracteurs du paritarisme”.
(1) L’article L.1 du code du travail prévoit que tout projet de réforme envisagé par le gouvernement et qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales et patronales représentatives. Selon le même article, le gouvernement doit afficher ses intentions dans un document d’orientation communiqué aux partenaires sociaux, lesquels peuvent alors décider d’ouvrir eux-mêmes une négociation sur le sujet. Ce n’est qu’en l’absence d’une telle négociation, ou pour un cas d’urgence, que le gouvernement peut prendre la main seul.
(2) Cette question des sujets à traiter prochainement dans l’agenda social devrait faire l’objet prochainement d’une rencontre entre les numéros 1 des organisations syndicales et patronales. Le Medef propose de négocier rapidement sur deux thèmes, la gouvernance des groupes de protection sociale et les personnes éloignées de l’emploi. Outre ces thèmes et ceux de la formation professionnelle (discussions en cours), des prud’hommes et du paritarisme (négociation en cours), l’agenda social autonome proposé par le Medef début 2021 prévoit d’aborder la mobilité sociale au travail, la transition climatique, l’intelligence artificielle et le paritarisme AT-MP.
Bernard Domergue
La Cour de cassation précise les conditions de contestation du référendum de validation d’un accord collectif
La contestation du déroulement d’un référendum de validation d’un accord collectif minoritaire formée dans les 15 jours suivant la consultation des salariés est recevable en dépit de la contestation du contenu de l’accord dans une autres instance et la mise en œuvre de certaines de ses clauses.
Dans un arrêt du 5 janvier 2022, la Cour de cassation se prononce sur les conditions de contestation d’un référendum de validation d’un accord collectif. Elle rappelle que doivent être consultés l’ensemble des salariés de l’établissement qui remplissent les conditions pour être électeurs dans l’entreprise.
Conditions de validité d’un accord collectif d’entreprise minoritaire : bref rappel
La validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au CSE, quel que soit le nombre de votants. Toutefois, si les organisations syndicales signataires n’atteignent pas le seuil de 50 % mais ont recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives aux élections susvisées, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages peuvent demander une consultation des salariés visant à valider l’accord (article L.2232-12 du code du travail).
Les contestations relatives à la liste des salariés devant être consultés et à la régularité de la consultation, de la compétence du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort, sont introduites, s’agissant d’une contestation portant sur la liste des salariés devant être consultés, dans un délai de 3 jours suivant la publication de la liste et, s’agissant d’une contestation portant sur la régularité de la consultation, dans un délai de 15 jours suivant la consultation (article 2232-5 du code du travail).
Rappel des faits
Dans cette affaire, une entreprise convoque, le 25 octobre 2019, les organisations syndicales représentatives de l’entreprise pour négocier un protocole préélectoral portant sur l’organisation d’un référendum aux fins de validation de deux accords collectifs minoritaires :
- un accord relatif à la détermination de l’enveloppe consacrée à la reconnaissance des compétences individuelles, des expertises et des prises de responsabilité ;
- un accord relatif au droit d’expression des salariés.
Un procès-verbal de désaccord ayant été établi le 15 novembre 2019, l’entreprise fixe unilatéralement les modalités d’organisation du référendum qui se déroule entre le 10 et le 12 décembre 2019.
Le 17 décembre (soit moins de 15 jours après la proclamation du scrutin), un syndicat non-signataire des accords soumis à référendum conteste sur le plan formel, les conditions de déroulement de cette consultation et réclame en justice son annulation ; et, sur le fond, l’exclusion illégale des salariés en CDD de la liste des électeurs.
Le tribunal (d’instance à l’époque des faits – remplacé aujourd’hui par le tribunal judiciaire) :
- déclare sa demande d’annulation irrecevable au motif que le référendum a déjà eu lieu, que le contenu des accords était contesté dans le cadre d’une instance distincte et que certaines clauses des accords ont été déjà mises en œuvre ;
- s’agissant de l’exclusion des salariés en CDD, juge les griefs du syndicat non fondés au motif que ces salariés n’étaient pas concernés par l’accord portant sur la détermination de l’enveloppe consacrée à la reconnaissance des compétences individuelles (il s’appliquait exclusivement aux salariés en CDI).
Le syndicat se pourvoit en Cassation et la chambre sociale lui donne raison.
Conditions de recevabilité d’une demande d’annulation
Pour la Cour de cassation, le syndicat a agi dans les délais légaux, à savoir dans les 15 jours suivant la consultation. La contestation était donc recevable. Peu importe à cet égard “que le contenu des accords soit par ailleurs contesté ou que certaines de ses clauses en aient déjà été mises en œuvre”. En déclarant cette demande irrecevable, le tribunal a violé les dispositions des articles R. 2232-13 et R. 2314-24 du code du travail.
► Problème : l’article R. 2232-13 concerne l’approbation des accords par les salariés pour les entreprises de moins de 11 salariés et dans les entreprises de 11 à 20 salariés dépourvues de représentant élu au CSE. La chambre sociale s’est vraisemblablement trompée d’article ; elle aurait dû viser l’article R. 2232-5 qui reprend les mêmes termes que ceux de l’article R. 2232-13 mais s’applique aux accords collectifs minoritaires. Cette confusion ne devrait pas porter à conséquence, les termes des deux articles étant les mêmes.
Salariés appelés à participer au référendum : rappel jurisprudentiel
L’article L. 2232-12 alinéa 5 du code du travail dispose que participent à la consultation les “salariés des établissements couverts” par l’accord tandis que l’article D.2232-2 alinéa 2 du même code prévoit que le protocole conclu entre l’employeur et les organisations syndicales pour fixer les modalités de la consultation détermine la liste des “salariés couverts” par l’accord au sens du 5e alinéa de l’article L.2232-2 et qui, à ce titre, doivent être consultés.
Quels sont précisément les salariés qui doivent participer à la consultation ? Tous les salariés de l’établissement couvert par l’accord ou bien seulement les salariés concernés (“couverts”) par l’accord ? Autrement dit, au 5e alinéa de l’article L.2232-12, l’adjectif “couverts” se rapporte-t-il aux “salariés” ou aux “établissements” ?
C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu dans un arrêt du 9 octobre 2019. Pour elle, en présence d’un accord intercatégoriel, tous les salariés de l’entreprise ou de l’établissement doivent participer au référendum de validation de l’accord minoritaire, y compris ceux n’entrant pas dans son champ d’application et n’étant donc pas bénéficiaires des mesures qu’il prévoit. Le protocole spécifique destiné à organiser le référendum ne peut donc pas exclure ces salariés du scrutin, s’ils remplissent les conditions pour être électeurs.
L’arrêt rendu le 5 janvier 2022 rappelle le dispositif de cette jurisprudence. C’est donc à tort que le tribunal (d’instance) a jugé légitime l’exclusion des salariés de l’entreprise en CDD. Même non concernés par le contenu de l’accord, ils remplissaient les conditions pour être électeurs. Leur exclusion était donc illégale.
L’affaire sera rejugée par un autre tribunal judiciaire
Géraldine Anstett
Eric Chevée, CPME : “Les partenaires sociaux doivent réaffirmer leur rôle”
Selon Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), les partenaires sociaux doivent utiliser l’actuelle négociation interprofessionnelle sur le paritarisme de gestion et de négociation pour moderniser leurs pratiques de négociation au plan interprofessionnel mais aussi interpeller les candidats à la présidentielle et le futur gouvernement sur le rôle et la place de la démocratie sociale. Interview.
Vous êtes vice-président de la CPME. En quelques mots, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis chef d’entreprise à Chartres. J’ai eu jusqu’à quatre magasins, et je n’en possède plus qu’un, ce qui me laisse du temps pour m’investir dans la CPME. J’ai une formation en sciences politiques et j’ai suivi un parcours assez classique dans le syndicalisme territorial en Centre-Val-de-Loire. Ce parcours m’a conduit à la présidence du CESER (conseil économique, social et environnemental régional) à Orléans. Puis, à la demande de François Asselin, je suis devenu vice-président de la CPME où je suis chargé des questions sociales, parce que j’ai notamment beaucoup œuvré dans le domaine de la formation à la CPME et au sein de l’opérateur de compétences OpcoEP. J’ai par exemple conduit la délégation de la CPME sur la réforme des retraites et je conduis les négociations “sociales” comme le télétravail, la santé au travail, l’encadrement, etc.
Vous êtes le chef de file de la CPME dans la négociation sur le paritarisme de gestion et de négociation qui vient de s’ouvrir. Comment abordez-vous ces discussions ? Quel est votre objectif ?
Dès son premier mandat à la tête de la CPME, François Asselin a posé le constat d’un paritarisme à bout de souffle en France. Soixante-dix ans après l’invention du paritarisme après-guerre, ce modèle commence à peiner sérieusement, menacé par les coups de boutoir répétés des gouvernements successifs qui veulent reprendre à leur main la gestion des affaires sociales, mais aussi du fait des appréciations divergentes des différents protagonistes du paritarisme, qui manque d’objectifs et d’unité.
François Asselin a proposé de rénover le paritarisme dès 2019
François Asselin a donc proposé en 2019 de rénover le paritarisme. Il a mis sur la table trois principes pouvant guider cette rénovation : transparence, indépendance et responsabilité. Au sujet de la transparence, il s’agissait de répondre aux critiques historiques sur le financement jugé trop peu transparent des syndicats salariés ou patronaux. Nous avons donc créé l’AGFPN (association de gestion du financement du dialogue social), qui assure la transparence des flux financiers et la bonne utilisation des fonds attribués aux organisations du paritarisme. Sur le principe d’indépendance, il s’agit pour les partenaires sociaux gestionnaires d’organismes paritaires d’être indépendants de l’Etat. Nous nous proposons de refuser toute garantie financière de l’Etat sur les sujets dont nous avons la responsabilité.
Y compris sur l’assurance chômage ?
Oui. Il faudrait d’ailleurs revoir le régime pour distinguer ce qui relève de la solidarité nationale de ce qui ressort d’un régime assurantiel. Aujourd’hui, c’est un régime dévoyé qui bascule de plus en plus sur la solidarité alors que nous voulons conserver un régime d’assurance fondé sur des recettes propres. Dans ce régime comme ailleurs doit s’appliquer notre troisième principe, le principe de responsabilité. Pour y parvenir, nous mettons au coeur du débat la proposition d’une “règle d’or”. Elle consiste à équilibrer systématiquement tout ce que nous avons en gestion propre.
Cette règle interdit-elle les déficits annuels ?
Ce n’est pas zéro déficit en fin d’année, c’est plutôt une règle de bonne gestion. Elle est à définir outil de gestion par outil de gestion.
Pas forcément, mais elle doit prévoir des règles de retour à l’équilibre
Quand vous avez des mécanismes de réaction contra-cycliques (Ndlr : comme l’assurance chômage), il est bien sûr évident que vous pouvez parfois recourir à l’emprunt. Mais la règle d’or doit alors prévoir les dispositifs de recours à l’équilibre. L’Agirc-Arcco (Ndlr : retraites complémentaires) fonctionne d’ailleurs déjà avec une règle d’or : elle doit toujours disposer de 6 mois de réserves à échéance de 15 ans, pour pouvoir assurer le paiement intergénérationnel des pensions. Au moment de la crise sanitaire, l’Agir-Arcco a puisé dans ces réserves mais les partenaires sociaux ont ensuite adopté des mesures correctrices comme la sous-indexation des pensions. Dans le cadre de cette négociation sur le paritarisme, nous devons aussi nous interroger sur la relation des partenaires sociaux avec l’Etat.
Faites-vous référence à l’article L.1 du code du travail qui prévoit une concertation des partenaires sociaux sur certains sujets sociaux avant tout projet législatif du gouvernement ?
La question porte en effet sur les échanges entre, d’un côté, les partenaires sociaux, et, de l’autre côté, l’exécutif et le parlement.
Nous pourrions proposer de revoir les articles de la loi Larcher
Nous pourrions proposer au futur gouvernement de rediscuter ces articles L1, L2 et L3 du code du travail au vu de l’expérience passée (lire notre encadré). L’objectif des discussions que nous avons en ce moment entre organisations patronales et syndicales, c’est de nous mettre d’accord sur ce que nous demanderions collectivement au futur exécutif.
Mais vous touchez là aux prérogatives politiques…
Sur ce point, nous ne serions pas sur un accord national interprofessionnel (ANI), mais sur une position commune, un peu comme nous l’avons fait sur les prud’hommes où nous avons envoyé à la chancellerie une lettre d’intention contenant l’analyse et les demandes des partenaires sociaux. Cette question va de pair avec la modernisation de notre processus de négociation. Ce processus conditionne l’élaboration de l’agenda social autonome des partenaires sociaux et son articulation avec l’agenda social du gouvernement.
Concernant l’organisation des négociations interprofessionnelles, que propose la CPME ?
Sur ce point, nous visons un accord national interprofessionnel. Il faudrait que nous nous accordions sur une écriture des pratiques de la négociation interprofessionnelle. Aujourd’hui, il y a des usages, mais pas de règles écrites. A la CPME, nous avons par exemple suggéré dès 2009 que les négociations interprofessionnelles se tiennent au CESE (conseil économique, social et environnemental).
Un accord sur les pratiques de négociation vous semble-t-il possible ?
Difficile de vous répondre pour l’instant. Mais cette négociation consiste aussi à réviser l’accord de 2012 sur le paritarisme de gestion et nous aimerions, comme je le disais, introduire ces notions de règle d’or et d’indépendance.
Si nous trouvions un accord global, cela renforcerait la place des partenaires sociaux
Cela forme un tout. Nous souhaitons mettre ces sujets sur la table des présidentielles de 2022 et interpeller les différents candidats. Si nous parvenions à un accord global, qui porte sur ce que nous demanderions au futr exécutif concernant les articles L.1, L.2 et L.3, sur la façon dont nous rénoverions le paritarisme de négociation et de gestion des outils paritaires, il me semble que nous serions plus forts auprès des candidats puis du futur gouvernement, ce qui redonnerait une place essentielle aux partenaires sociaux dans le champ du travail.
Pensez-vous être suivis par le Medef et la CFDT ?
Mais le Medef et la CFDT ne constituent pas à eux seuls le paysage syndical français ! Depuis la dernière mesure de la représentativité, la CPME s’est affirmée comme le plus gros syndicat de France pour le nombre d’employeurs, avec des entreprises qui représentent 4 millions de salariés. Nous entendons jouer un rôle à la mesure de notre poids. Et des convergences sont possibles avec les organisations syndicales. Le Medef doit réfléchir à sa responsabilité, très grande, dans le champ futur du paritarisme. On ne peut pas vivre le paritarisme au rythme des changements de majorité au sein du Medef.
Les organisations syndicales ont jugé insuffisant le plan proposé par le gouvernement pour accompagner CSE et entreprises. Elles demandent des “corrections” aux ordonnances de 2017. Qu’en dit la CPME ?
J’ai entendu récemment cette réflexion : “Il y a 40 ans, les salariés ont eu les lois Auroux. Il y 4 ans, les employeurs ont eu les ordonnances Travail”. Après les lois Auroux, il y avait besoin d’un rééquilibrage, et il a été opéré grâce aux ordonnances Travail. Ces textes ont changé le modèle des relations sociales et bousculé les syndicats, c’est vrai. Mais il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Il faut laisser vivre le modèle qui a été mise en place.
Les articles L.1, L.2 et L.3 du code du travail |
Selon l’article L.1 du code du travail, introduit par la loi Larcher du 31 janvier 2007, tout projet de réforme envisagé par le gouvernement et qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle doit faire l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales et patronales représentatives. Selon le même article, le gouvernement doit afficher ses intentions dans un document d’orientation communiqué aux partenaires sociaux, lesquels peuvent alors décider d’ouvrir eux-mêmes une négociation sur le sujet. Ce n’est qu’en l’absence d’une telle négociation, ou pour un cas d’urgence, que le gouvernement peut prendre la main seul. L’article L.2 traite de la procédure de concertation et de négociation des projets de loi et de décrets auprès de la commission nationale de la négociation collective. L’article L.3 prévoit que le gouvernement présente chaque année les orientations de sa politique concernant les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle, avec le calendrier envisagé, un rapport devant être remis au Parlement. Inversement, les partenaires sociaux doivent présenter au gouvernement l’état d’avancement des négociations interprofessionnelles en cours. |
Bernard Domergue
Signature d’un accord collectif par l’employeur : le pragmatisme des juges
Dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, la Cour de cassation revient sur les modalités de signature d’un accord collectif par l’employeur.
Dans cette affaire, un avenant à un accord collectif relatif à la représentation du personnel d’un Institut portait un paraphe pour signature au nom du président du directoire, représentant l’employeur. Mais ce paraphe ne correspondait pas à la signature de l’intéressé et avait été apposé par un tiers manifestement par un système de copie. Il ne s’agissait donc ni d’une signature originale, ni d’une signature électronique.
Un des syndicats représentatifs dans l’Institut saisit la justice aux fins d’annulation de l’avenant et invoque, notamment, à l’appui de cette demande d’annulation, la violation des articles L.2231-3 et L.2232-12 du code du travail. Selon ces articles, pour être valable, l’accord collectif doit être un acte écrit comportant la signature des parties qui l’ont conclu et sa validité est subordonnée, notamment, à sa signature par l’employeur (ou son représentant).
Le tribunal judiciaire déclare toutefois l’accord valable. Cette signature avait été apposée par un tiers sur ordre du président du directoire, ce que celui-ci avait expressément reconnu.
La Cour de cassation donne raison aux juges du fond.