Une intersyndicale propose de supprimer la limitation à 3 mandats des élus de CSE
20/03/2024
Dans le cadre de la négociation en cours sur le “pacte de la vie au travail” (lire notre article dans cette même édition), la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC et la CFTC ont fait connaître hier 10 propositions communes. Parmi elles, la suppression de la limitation à 3 mandats des élus de CSE instaurée en 2017 avec la fusion des instances de représentation du personnel par les ordonnances Macron. Les 5 syndicats proposent de “renforcer le dialogue social pour améliorer l’emploi des seniors en mettant en place un bilan social de branche fixant un objectif quantitatif et qualitatif en la matière, en rendant obligatoire la négociation d’entreprise sur cet enjeu et en renforçant le rôle des représentants des salariés par la suppression de la limite à 3 mandats”.
L’une des dernières séances de négociation sur le pacte de la vie au travail avait en effet laissé apparaître une “maturité syndicale” à ce sujet reste à voir si le patronat fera sienne cette idée, ou s’il la négociera comme une contrepartie à un autre dispositif qui lui serait favorable.
Les autres propositions communes sont les suivantes :
- un système de pénalité lorsque les objectifs d’amélioration du taux d’emploi des seniors ne seraient pas atteints ;
- un véritable droit à la reconversion professionnelle qui repose sur un dispositif avec maintien de la situation professionnelle du salarié ;
- un renforcement par la négociation collective de la prévention de l’usure professionnelle en rendant obligatoire la cartographie des métiers à risque et fort taux de sinistralité dans les branches et les entreprises ;
- un droit à la retraite progressive opposable 4 ans à partir de 60 ans avec une prise en charge des cotisations retraites à 100% ;
- le maintien des cotisations retraites à 100% lorsque le salarié passe à temps partiel dans sa dernière partie de carrière ;
- l’opposition au CDI seniors ;
- l’ouverture à la négociation obligatoire des plans de développements des compétences dans les entreprises de plus de 1 000 salariés ;
- un droit effectif au conseil en évolution professionnelle pour l’ensemble des salariés ;
- un pilotage dans un lieu paritaire commun de la stratégie nationale de la reconversion.
Source : actuel CSE
Défense du paritarisme : les partenaires sociaux font bloc
21/03/2024
Ils ont parlé d’une seule voix. Réunis par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) mercredi 20 mars, les huit représentants patronaux et syndicaux ont débattu des menaces qui pèsent sur le paritarisme. Tactiques à mettre en œuvre, gestion de l’assurance chômage, négociations paritaires, ils ont exposé leur stratégie pour défendre leur place dans le système social, face aux déclarations d’un exécutif toujours plus menaçant.
On ne compte plus les dernières déclarations publiques du ministre de l’Économie sur une “reprise en main” de l’assurance chômage par l’État, ou encore sur “la fin de l’État protecteur”. Sans jamais être démenti par Emmanuel Macron dont on sait qu’il veut borner les syndicats au monde de l’entreprise, ces propos de Bruno Le Maire tentent en filigrane d’habituer l’opinion publique à l’idée de la fin du paritarisme. Cette institution qui date majoritairement de l’après-guerre confie aux partenaires sociaux syndicaux et patronaux une place dans la gestion du système social. Ainsi, l’assurance chômage est gérée de manière paritaire via l’Unédic. Il en va de même des retraites complémentaires administrées au sein de l’Agirc-Arrco ou encore d’Action Logement et des groupes de protection sociale autour de la santé et de la prévoyance. Les syndicats de salariés et de patrons sont donc étroitement associés à ces fondements du système social français et gèrent 235 milliards d’euros de manière paritaire.
Mais depuis quelques temps, en particulier sur l’assurance chômage, le gouvernement se montre de plus en plus présent dans les négociations des accords, et de plus en plus agressif sur la gestion paritaire des régimes. La fin du paritarisme signifierait que les salariés seraient privés de représentants de leurs intérêts dans les institutions paritaires, et que l’État déciderait seul de leurs orientations, notamment financières. Une inflexion grave dans la protection sociale et dans l’usage des cotisations issues des salaires.
Alors qu’en pensent les partenaires sociaux ? Quelles stratégies sont-ils prêts à nouer pour conserver leurs prés carrés alors que la mobilisation contre la réforme des retraites leur a apporté un regain de vitalité et de légitimité dans l’opinion publique ? Restent-ils mobilisés en faveur d’un accord sur le pacte de la vie au travail dont les négociations arrivent dans leur dernière ligne droite ? L’Ajis a reçu mercredi 20 mars pendant deux heures Marylise Léon (CFDT), Sophie Binet (CGT), Frédéric Souillot (FO), François Hommeril (CFE-CGC), Cyril Chabanier (CFTC), Patrick Martin (Medef), François Asselin (CPME) et Michel Picon (U2P), afin de poser les fondamentaux de la défense du paritarisme.
Signer des accords, soigner la gestion
Si l’État place le paritarisme de gestion sur la sellette, le paritarisme de négociation, lui, se porte plutôt bien. Grâce à leur agenda social autonome, les partenaires sociaux décident de leur ordre du jour et signent régulièrement de nouveaux accords nationaux interprofessionnels. On l’a vu ces dernières années avec la formation professionnelle, la santé au travail, la transition écologique, le partage de la valeur, le paritarisme lui-même. Sur les retraites complémentaires et l’assurance chômage, l’État tente de placer son ombre permanente en évoquant de manière récurrente des ponctions dans les réserves de l’Agirc-Arrco ou de l’Unédic. Face à ces attaques, les huit numéros un mettent sur la table leur aptitude à signer des accords comme marqueur d’un paritarisme bien vivant et s’imposant aux appétits de l’exécutif.
Pour Frédéric Souillot, dont l’organisation, Force Ouvrière, a eu un rôle majeur dans la fondation de l’Unédic, “On doit sauver le paritarisme et on ne se laissera pas faire. On se défend en signant des accords, notamment sur l’Agirc-Arrco ou Action Logement. Le sujet est toujours le même : à chaque crise ou besoin de financement, l’État se tourne vers nos réserves. Elles nous ont permis de continuer à verser 18 millions d’euros de prestations par mois pendant le Covid sans avoir à emprunter. Donc défendre le paritarisme, c’est montrer une gestion inattaquable”.
Le rôle de la presse et des contre-pouvoirs
Cette légitimité des partenaires sociaux, Marylise Léon (CFDT) l’explique par la connaissance que détiennent les partenaires sociaux du monde du travail, et leur capacité à fixer les règles des organismes qu’ils gèrent : “Le paritarisme est vivant, il n’est pas figé car nous essayons de nous adapter, et les organisations syndicales et patronales sont des contre-pouvoirs. Nous avons démontré notre aptitude à gérer des structures en responsabilité et je ne conçois pas la gestion d’un organisme d’une autre manière”.
Cyril Chabanier (CFTC) pointe également le rôle de la presse dans l’information des citoyens sur le rôle des syndicats dans la gestion du système social. “Certes, les Français ont parfois de fausses idées en tête et sans doute qu’ils ne se mobilisent pas suffisamment. Peut-être que les réactions seraient plus fortes si l’État voulait reprendre en main l’Agirc-Arrco plutôt que l’assurance chômage, rien n’est fait au hasard. Il faut donc créer le rapport de force, montrer comment on gère et mobiliser l’opinion publique”.
Un enjeu démocratique
Pour Sophie Binet (CGT), à travers le paritarisme sont en jeu non seulement la démocratie sociale mais aussi la nature des prestations fournies aux salariés : “Les organisations patronales l’ont dit : si l’État reprend la main sur l’assurance chômage, le patronat ne voudra plus payer de cotisations chômage. La prestation versée devra donc changer. La tribune que nous avons publiée lundi dans Le Monde montre la construction de fronts larges et clairs”.
Réagissant sur ce même texte élaboré en commun, François Hommeril (CFE-CGC) met en doute la crédibilité des propos de Bruno Le Maire sur les nécessaires réformes de l’assurance chômage : “Il n’existe pas un seul élément documenté sérieux allant dans le sens de ce qu’il prétend. C’est très grave quand on méconnaît à ce point la production scientifique sur ces sujets sensibles”.
Le paritarisme n’est pas « une vieillerie »
Patrick Martin (Medef) a quant à lui “la conviction que le paritarisme que certains voudraient faire passer pour une vieillerie est au contraire performant, gage de modernité et d’équilibre des pouvoirs. Les démocraties illibérales, ça existe, il faut garder cet élément en tête. Charge à nous d’être convaincants et efficaces dans notre gestion. Action Logement est la première foncière d’Europe, on gère un million de logements sociaux Ne nous laissons pas enfermer dans la caricature d’une chose ringarde : nous n’avons pas à rougir”.
Pour Michel Picon (U2P), “la responsabilité des partenaires sociaux est de trouver des voies de passage, c’est la meilleure façon de protéger le paritarisme. Les lois Larcher* permettent encore d’agir. Je ne veux pas focaliser sur Bruno Le Maire mais nous sommes des empêcheurs de tourner en rond…”.
Pacte de la vie au travail, congés payés, seuils des CSE, Smic… |
Au cours de cette rencontre, les journalistes ont posé aux partenaires sociaux de multiples questions d’actualité. ► Au premier rang de ces sujets, la négociation en cours sur le pacte de la vie au travail. Les huit représentants syndicaux et patronaux se sont montrés optimistes (à l’exception de Cyril Chabanier) sur l’issue de ces discussions malgré l’opposition du patronat qui dénonce le coût du compte épargne-temps universel (Cetu). François Asselin (CPME), dont l’organisation a défendu la réforme des retraites, a assuré que les négociations allaient continuer, rappelant qu’elles furent difficiles également sur le partage de la valeur mais qu’un accord avait bien été conclu. ► Patrick Martin (Medef) a également mis en parallèle le coût du Cetu avec les effets de la réforme actant la possibilité de cumuler des congés payés pendant un arrêt maladie. Argument auquel Frédéric Souillot (FO) a répondu que le sujet était déjà connu en 2008/2009 mais que le patronat avait freiné les discussions en arguant d’une absence de priorité. Depuis, la Cour de cassation et la directive sur la transparence des rémunérations ont imposé le sujet à tous, “au final, quelqu’un prend la décision pour nous et cela ne convient à personne”. ► Les partenaires sociaux sont bien conscients par ailleurs de l’importance de la négociation en cours sur les groupes de protection sociale (GPS), alors que le dossier Ag2R La Mondiale agite la polémique. ► Si le sujet de la limitation à 3 mandats pour les élus de CSE figure dans les propositions intersyndicales de cette négociation, il reste à voir ce que le patronat en dira. L’agenda autonome prévoyait également une négociation sur la valorisation des parcours syndicaux. Tous ont confirmé l’importance de ce thème et leur volonté d’ouvrir des débats, ainsi que sur l’intelligence artificielle. ► Sur la future réforme du droit du travail, Marylise Léon a indiqué « n’avoir ni son ni image » de la part du gouvernement. Un silence pesant que tous ont confirmé, le dossier pouvant être renvoyé à l’automne. Patrick Martin ne s’est pas montré favorable au rapport sur la simplification (proposant de réformer les seuils de CSE et de supprimer la base de données économiques, sociales et environnementales, la BDESE, en deçà d’un effectif de 1 000 salariés) : “Nous sommes très favorables à la simplification mais elle ne doit pas être prioritaire sur le droit du travail”, a-t-il indiqué. ► Cyril Chabanier a également exprimé son opposition à l’éventualité d’une désindexation du Smic par rapport à l’inflation : “Nous avons demandé que le groupe d’experts sur le Smic disparaisse et soit intégré au Haut conseil sur les rémunérations. Depuis 20 ans, quelle que soit la conjoncture ou l’inflation, nous avons la même réponse (pas de coup de pouce au Smic, ndlr). Ils veulent même aller plus loin à savoir supprimer l’indexation et ils proposeront bientôt de supprimer les salaires”… Patrick Martin s’est quant à lui dit “très prudent sur le sujet : tout ce qui renverrait à une fixation du Smic par branche ou territoire serait épouvantable”. |
* : Les lois Larcher (2007) sont à l’origine des articles L1 à L3 du code du travail. Ils prévoient notamment une concertation avec les partenaires sociaux en présence de “tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle”.
Marie-Aude Grimont
Pacte de la vie au travail : les partenaires sociaux s’octroient une séance supplémentaire pour trouver un accord
22/03/2024
De gauche à droite, en haut, Yvan Ricordeau (CFDT), Michel Beaugas (FO); Jean-Christophe (CGC)
Le rendez-vous de mercredi n’a pas permis d’aplanir un certain nombre de désaccords entre les organisations patronales et syndicales. Même si l’U2P a défendu l’idée du compte épargne-temps universel. Une dernière séance est prévue le 8 avril, en plus de la réunion du 26 mars.
Une séance pour rien ? Malgré les sept heures de discussions, la réunion qui s’est déroulée, mercredi 20 mars, au siège du Medef, n’a pas permis de débloquer la situation. Organisations patronales et syndicales ont campé sur leurs positions, si bien qu’une séance a été ajoutée au calendrier prévu, le 8 avril, en plus de celle du 26 mars, annoncée initialement comme conclusive, pour tenter de sceller un compromis. Cette nouvelle date ne sera pas superflue tant les sujets de crispation sont nombreux. Catherine Vautrin, la ministre du travail, a aussitôt regretté ce “décalage de calendrier”, dans un tweet posté hier.
“Séance à blanc “
Aux yeux des négociateurs, les prolongations sont, toutefois, nécessaires. Car à l’issue de la discussion, Yvan Ricordeau (CFDT) a estimé “qu’aucun point n’avait avancé”, regrettant une “séance à blanc”. “Nous avons fait une lecture, chapitre par chapitre [du texte patronal], chaque organisation s’est exprimée mais nous sommes repartis sans savoir ce que pensait le Medef et la CPME”, a renchérit Michel Beaugas (FO). “Il reste encore deux chapitres à travailler, sur les reconversions professionnelles et la gouvernance du système”, a pointé Jean-Christophe Repon (CPME).
Les syndicats ne cachent d’ailleurs pas leur énervement. “Il y a une volonté de ne pas avancer sur le texte et de pas travailler de manière sereine”, a commenté Sandrine Mourey, de la CGT.
Les syndicats avaient publié, le 19 mars, une liste de propositions communes pour amender l’avant-projet d’accord transmis, le 18 mars, par le camp patronal, et “rééquilibrer ” le texte en prenant en compte leurs revendications. “Ces propositions méritent que l’on s’y attarde, insiste Sandrine Mourey. Mais elles ont été balayées d’un revers de main, ignorées”.
Tous ont dénoncé une “méthode de négociation archaïque” où tout se joue dans les dernières heures.
Les points bloquants
A ce stade, plusieurs points de crispation subsistent en l’état du texte. Les syndicats s’opposent à la création d’un parcours d’évolution professionnelle (PEP) qui entraînerait une rupture du contrat de travail, dès lors qu’il est à l’initiative du salarié. Par ailleurs, ils réfutent l’idée d’un CDI de “fin de carrière”, même expérimental, assorti d’une exonération de la contribution patronale spécifique de 30 % sur le montant de l’indemnité versée lors de son départ. Ils ne se satisfont pas non plus du volet sur la prévention et l’usure professionnelle, ne comportant “aucune avancée significative”. Ni même de la perspective d’une nouvelle négociation obligatoire sur “l’emploi et les conditions de travail des salariés seniors” dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, estimant ce seuil trop élevé. En deçà, ces discussions devenant facultatives.
Autre point de tension : la mise en place d’un temps partiel, financé via l’indemnité de départ à la retraite qui aurait été due au salarié au moment de son départ afin d’éviter la perte de revenu. Ou encore le compte épargne-temps recentré sur une logique de co-investissement répondant aux besoins des entreprises.
“Tout ce qui figure dans l’accord correspond soit à des réductions de droits des salariés, soit à des exonérations pour les entreprises”, a ainsi résumé Eric Courpotin, secrétaire confédéral de la CFTC.
L’U2P fait cavalier seul sur le Cetu
Reste que les organisations syndicales se sont trouvé un allié de poids dans cette négociation sur le compte épargne-temps universel (Cetu) : il s’agit de l’U2P qui a créé la surprise, en se détachant du Medef et de la CPME opposés à sa création. Car pour Jean-Christophe Repon, vice-président de l’Union des entreprises de proximité, le Cetu favoriserait “l’attractivité des PME”, tout en facilitant la “gestion des fins de carrière”. Quitte à défier les deux autres organisations patronales et à faire cavalier seul ? Si Hubert Mongon (Medef) a confirmé qu’un accord qui “comporterait quelque disposition que ce soit sur le Cetu n’emporterait pas sa signature”, l’U2P n’exclut pas de de passer outre cet avertissement et prévient qu’elle pourrait mener une négociation séparée, sur ce sujet, à laquelle plusieurs organisations syndicales n’ont pas dit non.
A l’exception peut-être de la CGT qui estime que le Cetu n’est pas “l’Alpha et l’Omega de la négociation”. “Il faut d’abord régler les sujets sur les conditions de travail, les trappes à pénibilité, négocier les fins de carrière et faire en sorte que les salariés qui ont des métiers pénibles puissent partir de manière anticipée, a observé Sandrine Mourey. Le Cetu est un sujet connexe”.
Quel serait d’ailleurs la portée d’un tel accord bis ? “Si l’U2P et les organisations syndicales signaient un tel accord, il ne serait applicable qu’aux adhérents de l’U2P”, précise Hubert Mongon. Mais, en cas d’entente, cette position commune pourrait être étudiée de près par l’exécutif qui reprendra la main pour transcrire ce texte dans un futur projet de loi Travail présenté à l’automne.
Un séminaire gouvernemental brouille les pistes
Sans attendre cette échéance, un séminaire gouvernemental consacré au travail est annoncé pour le 27 mars, selon La Tribune du dimanche. De quoi mettre une pression supplémentaire sur les négociateurs qui ont convenu de rediscuter du sujet mardi prochain. On est encore loin de l’épilogue.
Anne Bariet