Affiliation, indemnisation, seniors : ciel noir sur l’assurance chômage

27/05/2024

Les nuages s’accumulent au-dessus de la tête des chômeurs. Dimanche 26 mai, le Premier ministre Gabriel Attal a dévoilé les contours de la nouvelle réforme de l’assurance chômage en la justifiant par la recherche du plein emploi.

“Si nous ne réformons pas l’assurance chômage aujourd’hui, nous risquons de caler sur la route du plein emploi”, a indiqué Gabriel Attal hier dans la presse dominicale. Le Premier ministre prétend également que “ce n’est pas une réforme d’économie (…), preuve en est : la précédente réforme en 2019, nous l’avions faite quand le définit était à 3 %”. L’allusion aux finances publiques tombe à pic puisque l’agence de notation Standard & Poor’s doit rendre son verdict sur la solvabilité de la dette française cette semaine, le 31 mai…

Comme cela avait été annoncé aux partenaires sociaux par la ministre du Travail Catherine Vautrin la semaine dernière, le gouvernement va durcir la condition d’affiliation, ajouter un nouveau seuil de contracyclicité, augmenter de deux ans les bornes de la filière seniors. A titre de maigre compensation, le bonus-malus de cotisations chômage des employeurs qui embauchent en contrats courts serait étendu à de nouveaux secteurs à l’issue d’une concertation avec les partenaires sociaux.

Condition d’affiliation : 8 mois sur 20 mois

Nouveau coup de rabot sur la condition d’affiliation. Après la réforme de 2019, qui avait introduit une condition de 6 mois d’emploi sur 24 mois au lieu de 4 mois sur 28 mois, les demandeurs d’emploi devront après la réforme avoir travaillé 8 mois sur les 20 derniers mois pour prétendre à une indemnisation.

On le voit, peu-à-peu, il faut avoir travaillé un nombre de mois plus important sur une période de plus en plus courte. De ce fait, la condition d’affiliation devient plus difficile à remplir. Des critères qui pénalisent particulièrement les jeunes qui peinent à accéder au marché du travail. Autres perdants : les personnes en CDD et les intérimaires.

15 mois d’indemnisation au lieu de 18

La période de référence d’affiliation (20 mois au lieu de 24 mois) entraîne également une baisse de la durée d’indemnisation, c’est-à-dire la période pendant laquelle le demandeur d’emploi percevra son allocation chômage. Gabriel Attal “assume” qu’elle soit réduite de 18 à 15 mois et tente l’argument selon lequel “dans le même temps, nous renforçons massivement l’accompagnement avec France Travail”. Une démarche qui, au fil des réformes de l’ANPE puis de Pôle Emploi, a souvent rimé avec plus de contrôle des personnes au chômage. Matignon a indiqué que les règles du différé d’indemnisation ne seraient pas modifiées.

Les seniors mis à l’index

L’accès à l’emploi des seniors constitue l’un des points noirs du chômage français depuis la réforme des retraites. Comment travailler deux ans de plus alors que les politiques des entreprises consistent à favoriser leur départ anticipé ? Comme l’a montré le cabinet d’expertise Syndex, très peu d’accords se penchent sur le maintien et le développement des compétences et l’employabilité des seniors. Ils sont au contraire orientés sur les dispositifs de transition et d’accompagnement vers la retraite. En 2022, selon la Dares, seulement 56,9 % des seniors de 55 à 64 ans étaient en emploi.

Les partenaires sociaux n’ayant pas trouvé d’accord sur le sujet, notamment en raison d’une lettre de cadrage très contraignante, Gabriel Attal annonce trois mesures.

Une modification des bornes d’âge de la filière seniors

Jusqu’à présent, le régime plus favorable des seniors s’articulait autour de deux bornes d’âge : 53 et 55 ans. Une fois la réforme en vigueur, l’assurance chômage des seniors sera régie par un seul pivot : 57 ans. Ainsi, le premier pallier de 53 ans disparaît, le second pallier de 55 ans est reporté de deux ans à 57 ans, en cohérence avec la réforme des retraites qui a repoussé de deux ans l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Il existera donc un droit commun avant 57 ans et un régime spécifique après 57 ans.

Il en résulte les conséquences suivantes :

  • La période de référence d’affiliation passe à 30 mois au lieu de 36 mois à compter de 57 ans ;
  • La durée maximale d’indemnisation sera de 15 mois pour les moins de 57 ans et de 22,5 mois pour les + de 57 ans (après application du coefficient multiplicateur de 0,75 %) ;
  • Les seniors seront exemptés de dégressivité de leur allocation à compter de 57 ans comme aujourd’hui ;
  • La condition d’affiliation sera de 8 mois sur 20 mois avant 57 ans, et 8 mois sur 30 mois après 57 ans.

Matignon n’est cependant pas en mesure de déterminer ce qu’il adviendra de l’allongement de la durée d’indemnisation des plus de 53 ans en formation, “un dispositif très isolé sur lequel on vous reviendra”, a-t-on dit à la presse dimanche midi.

“Bonus emploi seniors”

Un dispositif de “bonus emploi seniors” complétera l’indemnisation d’un senior au chômage s’il accepte un poste moins bien rémunéré que celui qu’il occupait avant de perdre son emploi, et ce pendant un an. Selon Matignon, il s’agit de s’inspirer du dispositif d’activité réduite permettant déjà de cumuler jusqu’à 30 % de l’allocation avec le revenu d’une activité professionnelle. Le” bonus emploi seniors” permettra de mobiliser jusqu’à 60 % de l’indemnisation chômage. Selon Matignon, ce bonus serait applicable indépendamment du motif de licenciement et de l’entrée dans un dispositif tel que le CSP. 

CDI et index

Un CDI seniors (dans les mêmes termes que celui qui fût recalé par le Conseil constitutionnel au moment de la réforme des retraites pour cause de cavalier législatif) sera instauré. De même, l’index seniors devrait refaire surface sur le même modèle que l’index d’égalité professionnelle hommes-femmes et serait adopté dans le cadre de la future “loi travail 2” à l’automne prochain.

Gabriel Attal confie à Catherine Vautrin le soin de mener des concertations après l’été sur le CDI seniors et une extension du bonus-malus de cotisations chômage des employeurs à de nouveaux secteurs de l’économie. Ce dernier dispositif est aujourd’hui limité à 7 secteurs.

Pour l’instant, les mesures sur les contrats saisonniers restent à l’étude, notamment selon Matignon “le relèvement de 6 à 8 mois de leur condition d’affiliation”.

Contracyclicité, quand tu nous tiens

Le gouvernement a essuyé les critiques sur l’application de la contracyclicité dans le seul sens qui pénalise les chômeurs. Le dispositif adopté sous l’empire d’Élisabeth Borne était censé réduire l’indemnisation en cas d’embellie du marché du travail et l’améliorer en période de morosité. Pour l’instant, la durée d’indemnisation est réduite de 25 % en cas de taux de chômage inférieur à 9 % ou s’il ne progresse pas de plus de 0,8 point sur un trimestre. La réforme Attal introduirait un nouveau seuil : en cas de taux de chômage inférieur à 6,5 %, la durée d’indemnisation serait réduite de 40 %.

Or, Selon l’Insee, le taux de chômage s’établit en légère hausse (+ 0,3 point par rapport au 1er trimestre 2023) mais de manière “stable” au 1er trimestre 2024 à 7,5 %. Matignon estime au contraire que la réforme “prépare la reprise économique de 2025, où la croissance reprendra et le chômage diminuera”.

Pour l’heure, les services du Premier ministre ne sont pas en mesure de chiffrer combien de demandeurs d’emploi basculeront au RSA du fait de ces nouveaux paramètres.

Que reste-t-il de l’accord paritaire de 2023 ?

Les partenaires sociaux avaient négocié en novembre 2023 un projet d’accord que le gouvernement n’a pas agréé. Il en reprendra cependant les mesures relatives à la mensualisation de l’indemnité et au régime des créateurs d’entreprise. En revanche, le futur décret laisserait de côté les clauses prévoyant une baisse des cotisations patronales.

Le décret à paraître le 1er juillet s’appliquera aux nouveaux demandeurs d’emploi à compter du 1er décembre 2024. Pour mémoire, la Dares a chiffré que la dernière réforme a fait baisser de 17 % le nombre d’ouvertures de droits. Selon l’Unédic, organisme paritaire de gestion de l’assurance chômage, cette réforme 2024 devrait entraîner une baisse de 15 % du nombre de demandeurs d’emploi.

Les syndicats dénoncent la réforme à l’unisson
Pour les syndicats, il s’agit de défendre le paritarisme et les demandeurs d’emploi. La CFDT s’est exprimée la semaine dernière sur ce projet de réforme qu’elle qualifie “d’entêtement”, de “posture incompréhensible et inacceptable”. Pour Denis Gravouil (CGT), “c’est la réforme la plus violente que le gouvernement ait fait sur l’assurance chômage. Il y a une économie budgétaire énorme de 3,6 milliards. Un intérimaire qui termine sa mission de 6 mois le 2 décembre n’aura droit à aucune indemnisation, ceux qui se retrouvent au chômage au bout d’un an seront en fin de droits beaucoup plus tôt, d’autres seront en fin de droits pendant plusieurs années avant leur retraite qui est elle-même repoussée”. Sur FranceInfo, Sophie Binet regrette que “ça va pénaliser les plus précaires : les saisonniers, les intérimaires, ceux qui travaillent dans les festivals, l’agriculture, le tourisme, l’hôtellerie restauration”.

Frédéric Souillot (FO) a martelé sur BFM TV qu’ “être au chômage n’est pas un choix” et que cette réforme “consiste encore une fois à taper sur le dos des demandeurs d’emploi”, rappelant au sujet des offres d’emploi non pourvues qu’elles étaient 390 000 en 2019 et 416 000 en 2024. Le delta entre les deux ne sont pas des emplois à temps complet. Aujourd’hui, moins de 40 % des demandeurs d’emploi sont indemnisés. De la détermination, on va en avoir. Nous avions combattu la réforme de 2019 devant le Conseil d’État et elle n’a pu se mettre en place qu’en 2021″. Force Ouvrière contestera donc une nouvelle fois le prochain décret.

François Hommeril accuse quant à lui le gouvernement de “nous faire rentrer de plein pied dans l’ère de la post-vérité. Peu importe que 90 % des chômeurs indemnisés soient en recherche active d’emploi, les précariser va les aider à retrouver du travail. Faux !”

Sur X (Twitter), Laurent Escure (Unsa) indique que “Le gouvernement s’obstine à se tromper de chemin. La route qui mène au plein emploi n’est pas celle qui passe par de nouvelles mesures punitives pour les chômeurs et qui, au fond, visent d’abord à faire des économies sur le dos des plus fragiles”.

Chez Solidaires, on déplore que “le gouvernement Attal ose prétendre agir ainsi pour l’emploi en luttant contre l’assistanat. Le but : parvenir à imposer l’équivalent des lois Hartz allemandes de 2003/2004 obligeant les privés d’emploi à accepter n’importe quoi à n’importe quel salaire (pourquoi pas des jobs à 1 euro ?)”.

Le groupe Liot, qui va pousser une proposition de loi favorable aux chômeurs le 13 juin prochain, a réagi par la voix de son président, le député de la Meuse Bertrand Pancher : “Confirmation de l’intention du gouvernement de durcir encore considérablement les règles d’indemnisation des chômeurs, sans débat au parlement. J’espère que la proposition de loi du groupe #LIOT va passer. Cet acharnement à s’en prendre aux personnes en difficulté est injuste”.

Marie-Aude Grimont

Le chômage pèse sur le moral des demandeurs d’emploi selon l’Unédic

28/05/2024

L’Unédic, organisme paritaire de gestion de l’assurance chômage, publie son nouveau baromètre sur la perception du chômage et de l’emploi. Au lendemain des annonces de Gabriel Attal sur la nouvelle réforme du régime, l’étude réalisée avec Elabe montre un fossé entre la perception des chômeurs par les actifs et la réalité du chômage vécu par les demandeurs d ’emploi. Selon ce document, “le chômage pèse lourdement sur [leur] état d’esprit” : “Les demandeurs d’emploi font de leur quotidien une description sensiblement plus sombre que les actifs en emploi. Lorsqu’on leur demande de jauger leur niveau de bonheur sur une échelle de 0 (pas du tout heureux) à 10 (très heureux), une moyenne de 5,4 sur 10 se dégage. C’est nettement inférieur au niveau déclaré en moyenne par les actifs en emploi (6,9/10)”. Ils ont également un sentiment de “perte de contrôle de leur vie”, ils culpabilisent et craignent de perdre leurs compétences.

Les  chômeurs refusent par ailleurs la “posture de victime” que leur assigne l’opinion publique, peu encline de se mobiliser contre les réformes. Ils ont également “tendance à s’exclure” et ont le sentiment de dépendre de la société. Ils restent cependant combatifs : comme le montre l’extrait ci-dessous, ils sont 79 % à se trouver courageux et 85 % se voient comme persévérants.

Source : actuel CSE