Grande Sécu : les frais de gestion des organismes complémentaires de l’assurance maladie sont-ils si coûteux ?
Une note du 3 février publiée par l’Institut Sapiens et le cabinet Asterès revient sur la question des frais de gestion des organismes complémentaires de l’assurance maladie (OCAM) qui a alimenté les débats suscités par le rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM). Ces frais de gestion servent de justification aux partisans du scénario de la Grande Sécu. Des frais qui ne seraient finalement pas si coûteux comparé à ceux de la sécurité sociale.
Le 14 janvier dernier, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) rendait son rapport final sur l’articulation de la prise en charge des frais de santé entre l’assurance maladie obligatoire (AMO) et l’assurance maladie complémentaire (AMC). Quatre scénarii d’évolutions possibles y étaient présentés, parmi lesquels celui dit de la Grande Sécu, piste de réforme généralisant le système des affections de longue durée (ALD) à l’ensemble des patients et des prises en charge. Pour justifier cette prise en charge intégrale des frais de santé par la sécurité sociale, ses partisans dénoncent les frais de gestion excessifs des organismes complémentaires de l’assurance maladie (OCAM), dans un débat très politique.
Dans une note publiée le 3 février, Josette Guéniau, experte en économie et santé-prévoyance de l’Institut Sapiens, think tech indépendant dont l’objectif est d’éclairer le débat économique et social, et Guillhaume Moukala Same, chargés d’études économiques chez Asterès, cabinet d’études économiques et de conseil, démontrent pourtant que ces frais de gestion revêtent une réalité plurielle et complexe à appréhender difficilement comparables avec ceux de la sécurité sociale, pour conclure que les OCAM seraient plus efficaces à périmètre comparable.
Que recouvre exactement la notion de frais de gestion dans l’AMC et dans l’AMO ?
Comme le rappelle la note, la notion de frais de gestion englobe une réalité comptable plus complexe qu’en apparence.
Les frais de gestion comprennent trois types de frais différents :
- les frais d’acquisition, c’est-à-dire ceux liés à la commercialisation ;
- les frais administratifs, c’est-à-dire ceux liées à la gestion administrative des contrats, des adhésions, des cotisations et des autres charges techniques ;
- les frais de gestion des sinistres, c’est-à-dire ceux liés à la gestion des prestations de frais de soins, hors remboursement de frais de soins eux-mêmes.
L’assurance maladie obligatoire (AMO) ne supporte pas de frais d’acquisition (puisqu’ils sont inhérents à la concurrence entre entreprises à laquelle l’AMO n’est pas soumise) et les frais de gestion administrative ne sont pas assumés par les caisses d’assurance maladie puisqu’ils ne comprennent que les frais de recouvrement des cotisations et de contentieux gérés par les Urssaf. En outre, la dette de la sécurité sociale entraîne des frais financiers non comptabilisés, alors que la réglementation en vigueur impose aux OCAM de toujours disposer des fonds nécessaires pour honorer leurs engagements auprès de leurs adhérents.
Les OCAM assument aussi d’autres frais que n’assument pas la sécurité sociale : coût de la conformité aux exigences prudentielles et réglementaires (contrat responsable, 100 % santé, lisibilité des garanties, résiliation à tout moment, RGPD, directive sur la distribution d’assurance, etc.), de l’action sociale, des réseaux de soins, de la prévention.
Il existe donc de notables différences de périmètre entre les OCAM et la sécurité sociale.
Seuls les frais de gestion des prestations des OCAM correspondent globalement aux frais de gestion de la sécurité sociale, même si l’on peut relever tout de même quelques différences.
Les OCAM seraient plus efficaces à périmètre comparable
Après avoir mis en lumière les différences notables existant entre les frais de gestion assumés par les OCAM et ceux assumés par la sécurité sociale, l’étude s’essaie à une comparaison.
► Pour ce faire, les auteurs de l’étude ont retenu l’année 2018 (données complètes collectées par la Drees) et utilisé deux méthodes de comparaison : en euros par patient et en part des recettes.
Elle s’attaque d’abord à la comparaison des frais de gestion des prestations (frais les plus comparables). Les OCAM semblent tirer leur épingle du jeu puisque, en 2018, les frais de gestion de leurs sinistres se sont élevés à 1,5 milliards d’euros (contre 7,3 milliards pour l’AMO), soit environ 4 % des recettes et un coût pour l’assuré de plus de 23€ par an (contre 3 % des recettes et un coût par assuré d’environ 115€ par an pour l’AMO).
L’étude tente de comparer ensuite les frais d’administration des contrats, se limitant toutefois aux frais de recouvrement des cotisations. Le coût de recouvrement des cotisations de l’AMO (assumé, rappelons-le, par les Urssaf) est estimé à 650 millions d’euros, soit 10€ environ par assuré. La part allouée par les complémentaires au recouvrement des cotisations n’étant pas disponible, l’étude présente le coût d’ensemble des frais d’administration des OCAM, soit 3 milliards d’euros (environ 47 euros par assuré). Cette comparaison n’est donc pas pertinente.
Sortir d’une comparaison comptable pour un débat sur l’articulation AMO/AMC plus pertinent
Compte tenu des développements précédents, le débat sur les frais de gestion ne peut donc s’en tenir à une simple comparaison comptable.
L’étude finit même par la défense du contenu des frais de gestion des OCAM, “vecteurs de l’amélioration du système de santé, que ce soit au travers de solutions innovantes de couverture ou de services de prévention, d’accompagnement ou d’accès aux soins, de téléconsultation ou d’incubation de startups en santé”.
Ces frais de gestion permettraient donc d’innover et de mieux protéger les usagers ? La conclusion de cette note n’engage que l’Institut Sapiens et le cabinet Asterès mais l’étude a le mérite de mettre en lumière un contenu de frais de gestion des OCAM bien différent de celui assumé par la sécurité sociale.
Florence Mehrez