Projet de loi de finances pour 2022 : les mesures sociales adoptées par les députés en première lecture
19/11/2021
Après plusieurs semaines de discussions et plus riche d’une centaine d’articles, le projet de loi de finances pour 2022 a été adopté mardi en première lecture par l’Assemblée nationale. Retour sur les mesures sociales pouvant intéresser les RH.
Parmi les mesures sociales du projet de loi de finances pour 2022 qui ont retenu notre attention, l’on trouve la défiscalisation et l’exonération sociale temporaires des pourboires, l’allongement de la durée du statut de jeune entreprise innovante (JEI), la prolongation de certains dispositifs d’exonérations géographiques, la pérennisation de certaines mesures relatives à l’activité partielle mises en œuvre durant l’état d’urgence, l’adaptation des règles de financement de la formation professionnelle et de l’OETH (obligation d’emploi des travailleurs handicapés) ou bien encore l’instauration du contrat engagement jeune.
Des pourboires défiscalisés et exonérés de charges sociales en 2022 et 2023
Le pourboire est une rémunération n’existant que dans les établissements en contact avec la clientèle. En principe, cet accessoire de salaire versé en contrepartie ou à l’occasion du travail, doit être soumis à cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu.
Pour augmenter l’attractivité des emplois salariés en contact avec la clientèle fortement mise à mal par la crise sanitaire (notamment dans le secteur des hôtels café restaurant, HCR), le projet de loi de finances prévoit de défiscaliser et d’exonérer de charges sociales les pourboires remis aux salariés du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023, qu’ils soient versés, directement par la clientèle ou indirectement, en argent comptant ou par paiement électronique ou bancaire (PLF, article 3 bis).
Si elle est adoptée définitivement, cette mesure temporaire bénéficiera à l’ensemble des professions salariées en contact avec la clientèle.
► L’amendement additionnel initial adopté par la commission des affaires sociales limitait cette exonération aux pourboires remis en 2022 aux salariés du secteur des HCR. Des limites qui n’ont pas été reprises en séance publique car jugées beaucoup trop restrictives.
Attention ! Les députés ont instauré un plafond de rémunération : le dispositif d’exonération sera accordé seulement aux salariés percevant, au titre des mois civils concernés, une rémunération n’excédant pas un Smic majoré de 60 % (même plafond de rémunération que pour le bénéfice de la réduction générale de cotisations sociales). Les pourboires ne sont pas pris en compte pour l’appréciation de ce plafond
► Initialement, la commission n’accordait les exonérations que dans la limite de 20 % de la rémunération annuelle brute du salarié.
L’exonération sociale portera sur les cotisations suivantes :
- les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle ;
- la contribution unique à la formation professionnelle et à l’alternance ;
- la contribution supplémentaire à l’apprentissage ;
- la contribution dédiée au financement du CPF (compte personnel de formation) pour les titulaires d’un CDD (contrat à durée déterminée) ;
- la participation patronale à l’effort de construction ;
- le versement mobilité et la contribution au Fnal (fonds national d’aide au logement) .
Exonérations géographiques
Certains dispositifs d’exonérations régionales arriveront à échéance le 31 décembre 2022. C’est le cas, par exemple des bassins d’emploi à redynamiser (BER) dans lesquels l’entreprise doit, pour bénéficier de l’exonération de charges patronales dues au titre de l’emploi de certains salariés, s’implanter entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2022, ou bien encore des zones de revitalisation rurales dont le régime transitoire prend fin au 31 décembre 2022.
Seraient notamment prolongés jusqu’au 31 décembre 2023 les ZRR (zone de revitalisation rurale), les BER mais aussi les zones franches urbaines – territoires entrepreneurs (SFU-TE), les zones de développement prioritaires (ZDP), les zones d’aide à finalité régionale (AFR) et les bassins urbains à redynamiser (BUD) (PLF, article 29 D).
Jeunes entreprises innovantes
Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit d’ouvrir le bénéfice de l’exonération au titre du dispositif de JEI (jeune entreprise innovante) aux entreprises créées depuis moins de 11 ans et non plus de moins de 8 ans (PLF, article 4 quater). La durée du bénéfice de ce statut était jugée trop courte au regard de la durée d’obtention des résultats des activités de R&D.
► Le statut de JEI ouvre droit à des avantages sociaux mais aussi à des exonérations de cotisations sociales patronales.
Activité partielle/APLD : pérennisation de certaines mesures d’urgence
Le projet de loi pérennise un certain nombre d’améliorations relatives au dispositif d’activité partielle classique mis en œuvre dans le cadre de la crise sanitaire relative à l’épidémie de Covid-19, à savoir (PLF, article 56) :
- la prise en compte des heures d’équivalence dans le calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle et pour le calcul du nombre d’heures indemnisables ;
- l’intégration des heures supplémentaires structurelles dans le calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle et l’appréciation de la réduction de l’horaire de travail pour les salariés sous convention de forfaits en heures ;
- les modalités de détermination du nombre d’heures prises en compte pour l’indemnité et l’allocation d’activité partielle des salariés sous convention de forfait-jours ;
- les modalités de calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle des salariés non soumis aux dispositions légales ou conventionnelles relatives à la durée du travail ;
- l’extension du dispositif aux cadres dirigeants dans les seuls cas de fermeture temporaire de leur établissement ou partie d’établissement ;
- les règles d’indemnisation applicables aux apprentis et aux salariés en contrat de professionnalisation.
Le projet de loi prolonge également d’une année (soit au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2022) l’éligibilité au régime d’activité partielle de certains employeurs et salariés soumis à un statut spécifique (PLF, article 59) :
- salariés de droit privé de certaines structures publiques ou parapubliques ;
- salariés de firmes étrangères employant des salariés en France mais ne disposant pas d’établissement en France et cotisant au centre national des firmes étrangères ;
- salariés des régies dotées de la seule autonomie financière et qui gèrent un service public à caractère industriel et commercial de remontée mécaniques, de pistes de ski ou de cure thermale.
Enfin, le projet de loi habilite, jusqu’au 31 juillet 2022, le gouvernement à adapter par ordonnance les dispositions relatives au dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD). Ainsi, par exemple, si la mesure est adoptée définitivement, le gouvernement pourra permettre aux entreprises ayant conclu un accord APLD ou disposant d’un document unilatéral homologué, avant le 30 juin 2022, de pouvoir conclure des avenants ou modifier le document unilatéral après cette date (PLF, article 34 duovicies).
► Cette autorisation était initialement inscrite dans le projet de loi de vigilance sanitaire mais a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Financement de la formation professionnelle
Plusieurs mesures du projet concernent le financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Certaines d’entre elles ont retenu notre attention.
Quelques corrections de bon sens
Les parlementaires ont procédé à quelques ajustements et corrections de bon sens.
Ainsi, à compter du 1er janvier 2022, les établissements de santé, médico-sociaux et sociaux relevant de la fonction publique hospitalière, les groupements de coopération sanitaire mentionnés aux articles L. 6133-1 et L. 6133-4 du code de la santé publique et les groupements de coopération sociale et médico-sociale mentionnés à l’article L. 312-7 du code de l’action sociale et des familles seraient exonérés des contributions de formation professionnelle et de la taxe d’apprentissage (PLF, art. 32 octies, I, 2°).
En outre, Les modalités de calcul de l’effectif des entreprises du BTP pour l’assujettissement à la cotisation au comité de coordination de l’apprentissage et à la contribution à la formation professionnelle sont harmonisées : cet effectif sera calculé sur la base des effectifs déclarés auprès des Urssaf (PLF, article 32 octies, I, 5°).
Mesures relatives au travail temporaire
Aujourd’hui, les entreprises de travail temporaire (ETT) de 11 salariés et plus contribuent au financement de la formation professionnelle à hauteur d’un taux légal fixé à 1,3 % (contre 1 % en droit commun) (article L.6331-5 du code du travail). A compter du 1er janvier 2022, les ETT seront soumises au taux légal de droit commun (soit 1 %) (PLF, article 32 octies, I, 4°).
► Les ETT de moins de 11 salariés contribuent au financement de la formation professionnelle à taux légal fixé à 0,55 %.
Mais les ETT ne feront pas l’économie des 0,3 % supprimés du taux légal puisque le projet de loi instaure une obligation de contribution conventionnelle fixée à un taux minimal de 0,3 % étendue à toutes les ETT, quel que soit leur effectif (PLF, art. 32 octies, I, 7°).
► En l’absence d’accord collectif de branche non étendu, le projet prévoit un versement obligatoire plancher de 0,3 %. L’utilisation de ce pourcentage devra être définie par une décision du conseil d’administration de l’Opco agréé pour gérer cette contribution de branche.
Solde de la taxe d’apprentissage en 2022 : mise en place d’un régime transitoire
Pour faciliter la transition entre les anciennes et nouvelles périodicités de recouvrement du solde de la taxe d’apprentissage (le nouveau calendrier de recouvrement de ce solde dû au titre de 2022 par les Urssaf s’appliquant à compter du 1er semestre 2023), il est nécessaire de garantir en 2022 aux établissements qui en sont bénéficiaires le versement en 2022 par les entreprises assujetties d’un montant équivalant au solde de taxe d’apprentissage.
Pour ce faire, l’imposition à la taxe d’apprentissage est rétablie, à titre provisoire (sur la masse salariale 2021), pour les entreprises qui, sans ce régime transitoire, ne seraient plus assujetties à cette taxe (PLF, article 32 octies, V et article 32 quaterdecies).
Transfert du recouvrement des contributions de formation professionnelle et de la taxe d’apprentissage dans certains départements et régions d’outre-mer
A Saint-Pierre-et-Miquelon, le recouvrement des contributions de la formation professionnelle et la taxe professionnelle doit être transféré à la Caisse de prévoyance sociale, dans les mêmes conditions que celles s’appliquant à la métropole. Or, des différences de législation sociale entre la métropole et cette collectivité d’outre-mer en matière de détermination des effectifs d’une entreprise, de calcul d’assiette et de plafond, rendent difficile la mise en œuvre effective de ce transfert. Dans l’attente des adaptations techniques nécessaires à cette mise en œuvre, une période transitoire s’appliquera jusqu’au 31 décembre 2023 : seule la contribution de formation professionnelle sera recouvrée, pas la taxe d’apprentissage (PLF, article 32 octies, I, 8° et VII).
Le projet de loi aligne également les modalités de calcul et de recouvrement des contributions de formation professionnelles et de la taxe d’apprentissage par la caisse de sécurité sociale de Mayotte sur celles de la métropole à compter du 1er janvier 2022 (PLF, article 32, IV).
L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH)
Les mannequins et les salariés mis à disposition par une association intermédiaire bientôt exclu de l’effectif entrant dans le calcul de l’OETH
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a uniformisé les règles d’assujettissement et de calcul de l’OETH applicables aux principales structures dédiées à la mise à disposition de personnel auprès de tiers (ETT, entreprises de portage salariale, groupements d’employeurs, entreprises adaptées de travail temporaire). Elle a exclu les salariés mis à disposition ou portés du calcul de l’effectif entrant dans le calcul de l’OETH.
Certaines structures n’étaient pas concernées par cette uniformisation : les associations intermédiaires et les agences de mannequins qui, pourtant, ont une activité de mise à disposition onéreuse de personnes. Le projet de loi corrige cet oubli (PLF, article 32 quinquies).
Période à retenir pour le calcul de l’effectif annuel : celle de l’année au titre de laquelle la contribution est due
En outre, le projet de loi modifie la période à retenir pour le calcul de l’effectif annuel en matière d’OETH.
Aujourd’hui, les textes renvoient à l’article L.130-1 du code de la sécurité sociale qui aboutit à retenir la moyenne des effectifs de l’année précédente (exemple : 2020 pour la déclaration 2021 qui sera effectuée en 2022). Or, l’OETH a toujours été calculé par rapport à la moyenne de l’année au titre de laquelle la contribution est due (exemple : OETH 2020 calculée par référence à la moyenne des effectifs de l’année 2020 déclarée en 2021).
Le législateur n’ayant jamais voulu changer cette année de référence, le projet de loi prévoit que, par dérogation à l’article L.130-1 précité, la période à retenir pour l’appréciation du nombre de salariés dans le cadre de l’OETH est l’année au titre de laquelle la contribution est due (PLF, article 32 sexies).
Instauration du contrat engagement jeune
Dans la continuité du plan “1 jeune, 1 solution” mis en place en juillet 2020, le projet de loi instaure, à compter du 1er mars 2022, un accompagnement individualisé et renforcé sous la forme d’un contrat d’engagement jeune proposé aux jeunes de 16 à 25 ans révolus (29 ans pour ceux ayant la qualité de travailleur handicapé) présentant des difficultés d’accès à un emploi durable et qui ne sont pas étudiants et ne suivent aucune formation (PLF, article 57).
► Le bénéfice de ce contrat est conditionné au respect d’exigences d’engagement, d’assiduité et de motivation qui seront précisées par décret.
Principalement mis en œuvre par les missions locales et Pôle emploi, il est élaboré par le jeune et adapté à ses besoins identifiés lors d’un diagnostic. Il doit conduire le jeune à une mise en activité systématique et régulière visant à l’orienter vers l’emploi ou l’alternance.
Concrètement, le jeune bénéficiera un programme intensif d’accompagnement de 15 à 20 heures par semaine minimum avec une mise en activité systématique et régulière pouvant aller jusqu’à 12 mois (18 mois sous conditions). Cette activité peut prendre différentes formes : préparations pour entrer en formation, formations qualifiantes ou pré qualifiantes, missions d’utilité sociale (exemple : service civique), stages ou immersions en entreprise, alternance.
Le contrat est assorti, si besoin, d’une allocation mensuelle dégressive en fonction des ressources. Cette allocation, incessible et insaisissable, n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu et à la CSG/CRDS.
► A priori, l’allocation serait servie aux jeunes vivant hors du foyer parental ou vivant au sein de ce foyer sans recevoir de soutien financier ou en ne percevant qu’un soutien financier parental limité. Son montant devrait être fixé par décret (a priori 500 euros mensuels maximum) ; ce montant devrait tenir compte de l’âge, de la situation du jeune et du niveau de soutien de ses parents.
Géraldine Anstett
PLFSS 2022 : adoption en première lecture par le Sénat
19/11/2021
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 poursuit son parcours parlementaire ; il vient d’être adopté en première lecture par le Sénat le 16 novembre dernier.
Les amendements adoptés par les sénateurs n’apportent aucun changement significatif aux dispositions intéressant les entreprises. Du reste, ils ont été majoritairement adoptés contre l’avis du gouvernement. Ils ont donc peu de chance de figurer dans le texte définitif.
La commission mixte paritaire n’ayant pas trouvé de compromis sur ce projet, il sera examiné une nouvelle fois par les députés le 22 novembre, puis par les sénateurs le 26 novembre, avant une lecture définitive prévue le 29 novembre.
actuEL CE
Assurance chômage : les conditions d’affiliation et de dégressivité se durcissent au 1er décembre 2021
23/11/2021
Un arrêté du 18 novembre, paru au Journal officiel du 21 novembre, fixe au 1er décembre 2021 la fin de l’application des dispositions transitoires du décret du 14 avril 2020 au sujet des règles de l’assurance chômage. L’arrêté constate en effet que les conditions posées par le décret pour l’arrêt de ces dispositions transitoires, dispositions plus favorables pour les salariés et décidées le temps de la crise sanitaire, sont réunies, à savoir :
- sur une période de 4 mois consécutifs, un nombre supérieur à 2,7 million de déclarations préalables à l’embauche pour des contrats de plus d’un mois hors intérim. En effet, selon l’Acoss (agence centrale de la Sécurité sociale), le nombre cumulé de juin à septembre 2021 de ces déclarations d’embauche atteint 3,27 millions.
- au cours des 6 derniers mois, une baisse d’au moins 130 000 du nombre des demandeurs d’emploi (inscrits auprès de Pôle Emploi dans la catégorie A ) tenus d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi. Cette baisse, d’avril à septembre 2021, atteint 239 1000 demandeurs, selon la Dares, les mois de mai et juin ayant été “neutralisés” du fait des restrictions sanitaires existantes.
La réalisation de ces deux critères implique l’application des “clauses de retour à meilleure fortune”. Cela signifie que pour le gouvernement, l’amélioration de la situation de l’emploi justifie la poursuite de l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance chômage.
A compter du 1er décembre 2021 s’appliqueront donc les nouvelles règles, décidées par l’Etat :
- la durée minimale d’affiliation. Alors qu’il faut actuellement avoir travaillé 4 mois pour ouvrir des droits à l’indemnisation, à compter du 1er décembre, il faudra avoir travaillé 6 mois pour ouvrir ces droits, 6 mois au cours des 24 mois précédant la perte de son emploi (ou des 36 mois si le demandeur est âgé d’au moins 53 ans);
- la dégressivité de l’indemnisation. A compter du 1er décembre, la dégressivité, qui s’applique déjà à partir du 9e mois d’indemnisation, s’appliquera dès le 7e mois d’indemnisation. Autrement dit, les salariés se retrouvant au chômage en décembre 2021 verront leur allocation baisser dès juin 2022. Cette mesure concerne les demandeurs d’emploi de moins de 57 ans dont l’allocation journalière est supérieure à 85,18 €, qui ont donc perçu pendant leur période d’emploi une rémunération d’au moins 4 500 € brut mensuel.
Rappelons que les autres dispositions de la réforme de l’assurance chômage sont, elles, déjà entrées en vigueur, comme le nouveau calcul du salaire journalier de référence, en vigueur depuis le 1er octobre 2021, ou la période d’observation du bonus-malus et les compteurs de la dégressivité, appliqués depuis le 1er juillet 2021.
Les organisations syndicales critiquent fortement ces dispositions. Elles ont saisi le Conseil d’Etat, qui a repoussé leur demande d’annulation en référé mais qui ne s’est pas encore prononcé sur le fond.
actuEL CE
[Les autres en parlent, on vous explique] Le projet d’une “grande Sécu”
Le débat public a été relancé autour d’une “grande Sécu”, à la suite de fuites concernant un rapport en cours d’élaboration par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), un rapport qui contient aussi des propositions sur les accords de branche en matière de prévoyance. De quoi s’agit-il ? Nos explications.
A quelques mois de la présidentielle et des législatives, les spéculations vont bon train sur l’avenir de notre protection sociale, qui constitue aussi un marché financier considérable. L’enjeu politique est d’importance : d’une part, l’évolution politique des dernières années a consisté, au nom de l’emploi et du pouvoir d’achat, à faire basculer le financement de la protection sociale des cotisations sociales vers l’impôt (CSG notamment); d’autre part, la crise sanitaire a montré l’importance de la Sécu comme filet de sécurité. Ces spéculations ont été avivées par des fuites concernant un projet de rapport du Haut conseil pour l’assurance maladie, projet que nous avons pu consulter. Notre questions-réponses sur ce dossier.
Qu’est-ce que le HCAAM, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie ?
C’est une instance de réflexion et de propositions créée en 2003. Son rôle : contribuer à une meilleure connaissance des enjeux, du fonctionnement et des évolutions envisageables des politiques d’assurance maladie. Le Haut conseil comprend 66 membres. Ils représentent les acteurs du champ de l’assurance maladie et de notre système de soins : organismes, institutions, syndicats, fédérations et associations. Le HCAAM peut choisir lui-même les sujets qu’il traite (on dit qu’il “s’autosaisit”) mais il peut être aussi saisi par le gouvernement. C’est le cas ici : le ministre de la Santé a demandé au Haut Conseil un rapport pour la fin 2021 concernant l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. Il reste au moins deux réunions de travail au HCAAM pour boucler son rapport, qui n’en est donc qu’au stade de projet.
Qu’est-ce que la mission confiée à l’IGF et à l’IGAS ?
Le travail du Haut conseil coïncide avec une double mission confiée le 1er avril dernier par le gouvernement à l’inspection générale des finances (IGF) et à l’inspection des affaires sociales (IGAS) en vue d’un rapport au 1er semestre 2021 (sic). Les ministres de la Santé, des Comptes publics et secrétaire d’Etat chargé des Retraites demandent aux deux inspections générales de préparer un diagnostic et une réflexion en vue de la négociation des conventions d’objectifs et de gestion qui lient l’Etat aux caisses nationales du régime général de la Sécurité sociale. En effet, les conventions de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles prennent fin le 31 décembre 2022.
Les points visés concernent “la relation usager” et “l’implantation territoriale”, l’organisation du réseau, la stratégie immobilière, les systèmes informatiques, les ressources humaines. La lettre de mission évoque par exemple les pistes de “mutualisation” et les indicateurs de qualité et de performance. Tous ces sujets dépendent évidemment de l’organisation future de notre système de santé, sujet du rapport du Haut Conseil. De là à imaginer qu’il s’agit d’un tir groupé en vue de nourrir la campagne présidentielle…Disons que certains acteurs du secteur jugent que le tempo est mal choisi pour lancer une réflexion de fond sur ces sujets en pleine campagne présidentielle. En revanche, certains politiques le jugent particulièrement opportun. D’aucuns supposent aussi quelques arrières pensés politique dans cette initiative : repenser notre système de santé pour en faire un système de santé « universel pour tous », c’est-ce pas une façon de faire oublier qu’en matière de réforme des retraites (le grand big bang du quinquennat), le gouvernement a fait pschiiiiit ?!
Que dit le projet de rapport du Haut Conseil ?
Le constat de départ distribue bons et mauvais points. Un très bon point pour notre système de santé : il assure le reste à charge moyen des dépenses de santé “le plus faible des pays de l’OCDE”. Bémol : notre système ne supprime pas les risques de restes à charge “importants” sur des soins essentiels (séjours hospitaliers), des restes à charge parfois imprévisibles. Ces restes à charge, ajoute le Haut Conseil, sont en outre élevés pour les risques plus lourds liés à l’incapacité temporaire (indemnités journalières et leurs compléments), l’invalidité, le décès ou encore le…chômage. Pour le Haut Conseil, la prévoyance, domaine des partenaires sociaux, ne s’est pas développée à la hauteur des enjeux qu’elle porte, à savoir “couvrir des sinistres très coûteux qui peuvent plonger le salarié, comme sa famille, dans des situations de vulnérabilité, voire dans certains cas de forte précarité”.
Un très mauvais point : “Le système actuel est devenu illisible” et “coûteux”, avec “des frais d’administration se situant au deuxième rang après les Etats-Unis”. En 2019, les charges de gestion ont représenté 6,9 milliards d’euros pour l’AMO (assurance maladie obligatoire) et 7,6 milliards pour l’AMC (assurance maladie complémentaire), d’où la mission confiée aux inspections des finances et des affaires sociales (voir plus haut).
► N’oublions pas que l’AMC collectent les cotisations (ce qui peut expliquer des frais de gestion plus lourds même s’ils sont, il est vrai, très élevés) et que l’AMO n’en collecte pas, c’est l’Urssaf qui le fait et qui assume donc les frais de gestion y afférent.
Le rapport cible clairement ici les régimes complémentaires, qui forment un système jugé onéreux, inégal et complexe : “Conçues au départ comme un espace de liberté, les couvertures complémentaires se sont trouvées prises dans une dynamique de généralisation et d’hyper-réglementation. En outre, la généralisation s’est opérée de manière segmentée, et il en résulte des disparités qui n’ont pas forcément été voulues, interrogeant notamment la soutenabilité à l’avenir des cotisations des personnes âgées pour leur complémentaire”.
Enfin, le rapport établit 4 scénarios.
Quels sont les 4 scénarios d’évolution établis par le Haut conseil ?
1er scénario : améliorer le système sans changer son organisation.
Il s’agit d’améliorer la couverture par l’Assurance maladie obligatoire “en proposant des règles plus simples, plus justes et permettant une meilleure allocation des remboursements entre les assurés sociaux de manière à renforcer les solidarités entre malades et bien portants”. Cela passe par une baisse des primes d’assurance complémentaires pour les plus âgés. Sur l’assurance complémentaire, ce scénario entend “lisser certaines différences liées au statut d’emploi, améliorer la situation des actifs les plus précaires ou à remettre à plat les subventions publiques et prélèvements obligatoires associés aux complémentaires santé”.
L’employeur devrait prendre en charge le cofinancement d’une couverture santé individuelle
Dans le détail, par exemple, le Haut conseil envisage de supprimer (article 4 de la loi Évin) “l’obligation faite à l’organisme assureur de maintenir les garanties collectives dans un contrat nouvellement conclu avec le sortant du groupe pour la remplacer par une obligation de proposer à toute personne sortant de l’entreprise un contrat responsable « sortie de groupe » à des conditions tarifaires avantageuses (de type contrat de sortie à tarif réglementé, tel celui adopté pour la couverture complémentaire santé solidaire)”.
Pour les salariés ne bénéficiant pas d’une couverture collective, l’employeur devrait prendre en charge “une obligation de cofinancement d’une couverture santé individuelle” sous la forme d’un “versement santé” dont le mode actuel de calcul pourrait être révisé “pour mieux tenir compte des réalités tarifaires du marché”.
2e scénario : extension du champ d’intervention de la Sécurité sociale
C’est un véritable séisme qui est envisagé ici. La Sécurité sociale généraliserait à l’ensemble des patients et des dépenses de santé le système de prise en charge existant pour les affections de longue durée (ALD). Les tickets modérateurs seraient donc supprimés et les frais d’hospitalisation, le forfait de 24 euros, le forfait journalier hospitalier et le futur forfait de passage aux urgences de 18 euros seraient pris en charge par la sécurité sociale…
Ce système permettrait, selon ses promoteurs :
- un financement plus équitable (les primes d’assurance complémentaire seraient remplacées par des contributions tenant compte des revenus des personnes);
- un accès plus égalitaire aux soins en offrant à tous une couverture à 100% (moins de renoncements aux soins);
- une augmentation du pouvoir d’achat grâce aux moindres charges de gestion des complémentaires;
- un meilleur système de rémunération des professionnels de santé.
► Pour ses détracteurs, au contraire, ces changements représenteraient un alourdissement de la fiscalité via la CSG (avec un effort contributif reposant sur une petite partie des ménages) tout en n’empêchant pas les plus aisés d’opter pour un régime assurantiel, avec le risque d’un système encore plus inéquitable.
Corollaire de ces évolutions, la gouvernance de cette super Sécu devrait davantage associer les usagers.
Un plan social dans la mutualité et l’assurance ?
Budgétairement, cela suppose de traiter la question des dépassements aux d’honoraires, insupportables dans ce système, sauf à les confier aux complémentaires. Ces dernières verraient donc leur champ d’action se rétrécir “aux dépenses hors du panier couvert par la sécurité sociale et aux dépassements restants après la remise à plat des rémunérations”. Ce changement radical pourrait entraîner un possible plan social dans le monde de la mutualité et de l’assurance. A ce sujet, le Haut Conseil envisage plusieurs options : “le reclassement interne par l’organisme concerné, la reprise volontaire par les organismes de sécurité sociale (même sans obligation juridique de reprise des contrats de travail), l’indemnisation et l’accompagnement des salariés en vue de leur reconversion et de la reprise d’un emploi”.
Mais comment financer les 19 à 22 milliards d’euros entraînés par l’extension du régime général, extension qui, nous dit-on, profiterait à toutes les classes d’âge ? Le Haut conseil table sur les économies de gestion générées par la simplification du système (ndlr : un pari sur l’avenir sachant que ce type d’opérations peut aussi engendrer des coûts pour la mener à bien), par le recours aux cotisations patronales “d’autant que disparaîtrait la participation des employeurs au financement des primes d’Assurance maladie complémentaire), par la mobilisation de la CSG et par d’autres ressources type TVA et taxes. Ce scénario pose aussi la question de la gouvernance d’un tel pilotage par l’Etat.
3e scénario : une assurance complémentaire obligatoire, universelle et mutualisée
A l’inverse du scénario précédent, il s’agit ici de pousser à fond le principe des complémentaires, “en l’étendant aux quelques millions de Français qui n’en bénéficient pas encore”. Les contrats seraient davantage normalisés et leurs garanties étendues. Pour cela, le projet de rapport suggère de recourir au SIEG, service d’intérêt économique général. La complémentaire santé resterait une activité marchande “mais les opérateurs interviendraient désormais dans le cadre d’une mission qui leur serait confiée par l’Etat”. Le panier de soins serait encadré par les pouvoirs publics, qui définiraient aussi un système de péréquation financière entre les acteurs, et l’employeur continuerait à être redevable de l’obligation de prendre en charge le coût de la couverture complémentaire à au moins 50 %.
Mais ce scénario comporte un risque, celui de voir requalifier les primes d’assurance en prélèvements obligatoires
4e scénario : décroisement entre les domaines d’intervention de l’assurance maladie obligatoire et des assurances complémentaires
Ici, l’hypothèse consiste à clarifier les rôles de l’assurance maladie obligatoire des complémentaires. De quelle façon ? “Les soins qui sont aujourd’hui pris en charge de manière majoritaire par les assureurs privés sortiraient du panier de soins public : l’optique, les soins et prothèses dentaires, les audioprothèses, les médicaments à SMR faible ou modéré… En ce qui concerne les médicaments, la notion de taux de remboursement deviendrait obsolète, et la régulation par la sécurité sociale passerait par la définition de la liste de médicaments qu’elle prend en charge. Tous les soins du panier remboursable actuel qui resteraient dans le panier public seraient alors remboursés à 100 % sur la base des tarifs de responsabilité avec suppression de l’ensemble des copaiements actuels”, peut-on lire dans le projet.
Les assurés seraient libres de s’assurer ou non.
Quid de la prévoyance ?
Sur le thème de la prévoyance, le projet de rapport formule des recommandations concernant la négociation collective de branche. Un peu comme s’il s’agissait, indépendamment des scénarios développés plus haut, d’avancer des pistes pratiques montrant que des choses peuvent bouger même dans le cadre actuel. Ces recommandations sont les suivantes :
- imposer aux négociateurs de branche de négocier nécessairement sur les situations invalidantes “lato sensu, c’est-à-dire les situations de santé qui menacent le maintien en emploi”;
- imposer une obligation de financement subsidiaire que les employeurs devraient assumer seuls à défaut d’accord de branche consacré à la prévoyance;
- rendre lisibles et effectives les garanties dans les contrats de prévoyance, y compris via des outils contraignants type nomenclatures, cahiers des charges ou procédés de labellisation des contrats;
- développer des mécanismes de solidarité professionnelle dans les accords de branche sur la prévoyance, etc.
Toutes ces préconisations peuvent-elles rapidement être mises en œuvre ?
Il est trop tard pour intégrer tout ou partie de ces changements, parfois considérables, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, actuellement voté au Parlement. Et l’on voit mal une réforme de cette nature être initiée début 2022, alors que le Parlement n’aura plus de créneau législatif et que les temps politiques seront marqués par la campagne. Mais justement, le contenu de ce rapport peut servir à alimenter les projets en lice pour l’élection présidentielle, à commencer par celui de l’actuel locataire de l’Elysée, s’il est candidat à un nouveau mandat. Cette possibilité, avivée par la forme du rapport, irrite d’ailleurs certains membres du Haut conseil. Plutôt que des scénarios, ils auraient préféré que le Haut conseil se livre à un état des lieux complet assorti d’éventuelles préconisations mais la période, soulignent-ils, ne favorise pas un tel travail transpartisan. En outre, de nombreux observateurs soulignent que ces projets étatiques de “Super Sécu” ne règlent en rien les problèmes réels d’accès aux soins de notre système de santé.
Pour le CTIP, tous les scénarios du Haut conseil convergent vers un affaiblissement du dialogue social
Les mutuelles et assurances privées sont également montées rapidement au créneau pour défendre leur place et leur rôle dans le système actuel de santé. Parfois appuyées par les organisations syndicales, elles ont tout à la fois contesté le chiffrage de certains coûts, souligné le point fort de notre système (un faible reste à charge pour les citoyens) et avancé son caractère démocratique. Fort de 12 millions d’assurés via les institutions de prévoyance qu’il fédère, le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) a déploré que tous les scénarios du Haut conseil “convergent vers un affaiblissement du dialogue social et du contrat colectif”, l’organisme appelant à une approche associant l’ensemble des acteurs”. Dans son 14e baromètre de la prévoyance fait avec le Credoc (1), le CTIP a également souligné “le fort attachement des uns et des autres à la couverture complémentaire collective (…), le taux d’équipement très élevé en prévoyance, le rôle essentiel des accords de branches ainsi qu’un intérêt marqué pour les solutions sur-mesure : aide aux aidants, nouveaux services, etc”.
Assureurs et mutuelles ont aussi commencé à agiter la menace de milliers d’emplois supprimés dans le secteur. Plane également sur ce dossier le précédent de l’assurance chômage, un régime géré par les partenaires sociaux mais que l’exécutif a décidé de réformer en imposant ses choix, une forme d’étatisation décidé au grand dam des partenaires sociaux et notamment des organisations syndicales. Plane aussi l’ombre de la réforme ambitieuse des retraites. La création d’un système à points paraît, dans l’esprit d’Emmanuel Macron, avoir fait place, pour le prochain quinquennat s’il était réélu, à une simple mesure d’âge ou du moins à une réforme moins ambitieuse. De quoi donner un espace, pendant la campagne présidentielle, à la présentation d’un nouveau projet ambitieux, cette fois sur le terrain de la santé ? A suivre !
(1) Enquête menée tous les 2 ans auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 entreprises et 1 000 salariés.
Bernard Domergue