Conférence sociale : les retraites dominent les débats

08/12/2025

Jean-Pierre Farandou au CESE, vendredi 5 décembre 2025

Vendredi 5 décembre, dès l’ouverture de la conférence sociale par le ministre du travail Jean-Pierre Farandou, la réforme des retraites de 2023 est arrivée dans l’hémicycle du Conseil économique social et environnemental (CESE), alors que le sujet n’était prévu que dans l’après-midi. Pour les syndicats, le spectre de la capitalisation revient.

En octobre 2023, Elisabeth Borne tenait une conférence sociale, également au CESE, avec pour intention de calmer la mobilisation sociale contre le relèvement de l’âge de départ à 64 ans. Deux ans plus tard, les syndicats et l’opposition ont arraché à Sébastien Lecornu une suspension de la réforme Borne. Dans ce contexte, Jean-Pierre Farandou, le nouveau ministre du travail, espère sans doute gagner du temps et raccorder le plus grand nombre d’organisations syndicales et patronales, quelques mois après l’échec du “conclave”, tenu sans la CGT, sans FO et sans l’U2P, et qui s’était terminé sans accord.

Cette fois-ci, c’est sans le Medef qu’a démarré la conférence sociale. Les retraites étaient donc dans tous les esprits, et se sont installées y compris lors des débats relatifs aux mutations du travail et aux parcours professionnels. Dès les premières minutes de son discours d’introduction, le ministre du Travail Jean-Pierre Farandou a positionné la journée de cette conférence TER (Travail Emploi Retraites) sous l’optique d’une réforme de 2023 menée sans parler du travail.

Farandou veut-il “prendre les choses par le bon bout” ?

“En 2023, on n’a pas parlé travail, mais si on veut avancer sur les retraites, il faut parler travail et emploi. Travail et retraites, ce sont les trois maillons d’une chaine”, a indiqué le ministre du travail, reprenant ainsi un argument déployé maintes fois pendant la mobilisation contre le report de l’âge légal à 64 ans.

La représentante de Force Ouvrière, Patricia Drevon, s’est félicitée de ces propos : “Nos organisations syndicales le disaient dès le départ : en 2023 il aurait fallu parler d’abord du travail. Si on augmentait de 10 % l’emploi des seniors, on résoudrait le problème des retraites. Donc, il est temps de se rendre compte que c’est par là qu’il fallait commencer : prendre les choses par le bon bout”.

Le président du CESE, Thierry Beaudet, a lui aussi souligné l’importance de rénover le travail pour réformer les retraites : “L’allongement de la vie active ne peut être pensé sans amélioration des conditions de travail. Le recul de l’âge de départ entraîne un vieillissement de la population active. Il faut donc anticiper l’accentuation du défi”.

Répartition contre capitalisation

Dès le début de la journée, François Hommeril (CFE-CGC) n’entendait en tout cas pas laisser le débat partir sur la piste d’une évolution du système vers la capitalisation : “On ne peut pas rentrer dans ce débat en disant que le système par répartition est foutu et qu’il faudrait tout miser sur la capitalisation”.

Sophie Binet (CGT) a aussi rappelé que pour son organisation, la conférence sociale devait consolider le système par répartition, “qui est notre trésor national et qui nous a permis de passer toutes les crises”.

L’objectif de la CGT était donc de mettre en avant toutes les pistes de financement, dans le cadre actuel du système de retraites par répartition, afin d’obtenir l’abrogation de la réforme de 2023. “Nous voulons aussi rouvrir l’horizon de la retraite à 60 ans et parler de pénibilité, de la prise en compte des années d’études et de l’égalité femmes-hommes”, a -t-elle assuré.

Son espoir sur l’issue de la conférence sociale : pouvoir organiser des référendums sur les sujets abordés. Le fait que la conférence sociale ne doive déboucher sur aucun accord (contrairement au conclave il y a quelques mois) permet selon elle une perspective plus ouverte. Elle ne craint pas cependant que la conférence remette sur le tapis la retraite par points : “Si ce projet a été abandonné, ce n’est pas pour rien. Il faut que les gouvernements et les acteurs sociaux apprennent à tirer les leçons des échecs passés et ne remettent pas sur la table des propositions dont on a la preuve de la nocivité”.

Pour le ministre du travail, le débat est l’occasion de “faire un inventaire de ce qui existe dans notre système par répartition : est-ce que ce système fonctionne et comment ? Faut-il le compléter ou l’ajuster ? Ce sujet prolonge le débat engagé sur la réforme de 2023”. Des propos qui signent plutôt une ouverture à une dose de capitalisation.

Lors de la table ronde des experts, on a vu s’affronter par exemple Franck Von Lennep, président du Comité de suivi des retraites, à l’économiste Henri Sterdyniak.

Le premier a souhaité alerter sur la hausse de la part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB) d’ici 2040. Au contraire, pour Henri Sterdyniak, “le système actuel par répartition est toujours soutenable” pour peu qu’on accepte d’augmenter les cotisations. Il a également appelé à protéger les retraites de l’appétit des assureurs qui selon lui “veulent augmenter leur champ d’action en obligeant les salariés à épargner alors que l’épargne des ménages est déjà satisfaisante”. L’économiste Hippolyte d’Albis a aussi relevé les nombreux bienfaits d’un point supplémentaire d’emploi des seniors sur le financement du régime et la baisse des déficits publics.

Pour l’instant, Marylise Léon (CFDT) considère en tout cas que la capitalisation “n’est pas un totem, donc on en débattra, mais on a toujours dit que ce ne serait pas une solution miracle”.

Les retraites, un sujet de campagne présidentielle ?

Jean-Pierre Farandou était parfaitement conscient que les retraites sont toujours dans tous les esprits, a fortiori quand la suspension de la réforme de 2023 se trouve en discussion au Parlement dans le cadre du PLFSS pour 2026.

À midi, au milieu de la conférence sociale, il évoquait déjà le sujet, alors que ce troisième thème ne devait être traité dans l’hémicycle du CESE qu’à partir de 15 heures. “Le sujet des retraites et du financement de la Sécurité sociale seront au cœur de la campagne présidentielle. Ce travail de qualité que nous engageons donc aujourd’hui sera très utile pour des débats de haut niveau le moment venu”, a-t-il affirmé.

Cette focale a été très rapidement contrariée par le discours en tribune de Patricia Drevon. Si la cheffe de file de FO a rappelé que chaque jeune et chaque senior en emploi “est un cotisant supplémentaire, c’est un pilier du système de solidarité”, elle a aussi pointé que cette conférence devait constituer un levier de négociation dans le respect de l’agenda autonome des partenaires sociaux. En conclusion : “C’est dans ce cadre-là que nous sommes présents aujourd’hui, pour notre organisation syndicale. Le rôle des organisations [syndicales], c’est la négociation et la pratique contractuelle et conventionnelle, pas d’alimenter le débat de l’élection présidentielle”.

Au contraire, Sophie Binet (CGT) a pu affirmer l’après-midi que “si les candidats à la présidentielle veulent piocher dans cette conférence, ce sera avec plaisir”. Jean-Pierre Farandou espère en tout cas que les partenaires sociaux “s’emparent des travaux de cette conférence et (peut-être) arrivent à converger sur le sujet des retraites”.

Les retraites sous le prisme de la démographie

En introduction du débat consacré aux retraites, Monika Queisser, cheffe de la division des politiques sociales de l’OCDE,  a comparé les âges effectifs de départ en retraite au sein des pays membres de l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Si le ratio du nombre de retraités de plus de 65 ans par rapport au nombre d’actifs devrait s’améliorer, les Français quittent en moyenne le travail autour de 62 ans au lieu de 64,7 en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Pas question pour autant de renoncer à la revendication de l’abrogation des 64 ans chers à la CGT. Dans son intervention, Sophie Binet a noté que les âges de départ entre pays restent proches et que la France détient “le bonnet d’âne” sur l’emploi des seniors. Elle relève également qu’après l’annonce du décalage de la réforme par Sébastien Lecornu, “il n’y a pas eu de faillite boursière comme on nous l’avait annoncé”. Puis appelé le patronat au dialogue : “Messieurs les patrons, si vous voulez un dialogue apaisé, commencez par ranger la tronçonneuse”. Elle a aussi invité le ministre du travail à s’inspirer des accords signés… à la SNCF, entreprise que dirigeait il y a peu Jean-Pierre Farandou. Enfin, son discours fut l’occasion de rappeler son opposition au système de retraites par capitalisation “qui ne résout rien au financement du système”.

Autre piste évoquée, celle des transitions douces entre emploi et retraite par la voix de Pascale Coton. La vice-présidente de la CFTC y voit le moyen d’apaiser le débat, ce qui n’est pas le cas de l’âge légal de départ. En premier chef, le dispositif des retraites progressives à 60 ans issu de l’accord national interprofessionnel de novembre 2024 sur les seniors : “Il permet de réduire le temps de travail et de percevoir une fraction de sa pension de retraite”, a-t-elle rappelé.

Côté patronal, en l’absence du Medef, le représentant de la CPME, Amir Reza-Tofighi, n’était pas convié à s’exprimer sur les retraites. Mais son intervention du matin sur le financement de la protection sociale par les seuls salaires, le coût du travail et la complexité du code du travail a fortement agacé les syndicats. Laurent Boulangeat (U2P) a appelé à appuyer le débat sur des faits, en partie les études démographiques, qui montrent une baisse de la natalité et le vieillissement de la population.

Positionner cette conférence sociale avant la fin des débats parlementaires sur le PLFSS a en tout cas permis au gouvernement de montrer patte blanche aux partenaires sociaux, aux partis d’opposition et donc de gagner du temps. La fin des travaux étant prévue en juillet, beaucoup d’eau politique peut couler sous les ponts d’ici là. Il restera à voir fin juillet si Jean-Pierre Farandou, s’il reste ministre et si son gouvernement n’est pas censuré, utilisera les résultats des travaux pour les transformer en réforme concrète. Il espère en tout cas que les partenaires sociaux puissent profiter des discussions pour esquisser un projet d’accord. En attendant, il a conclu la journée en filant la métaphore ferroviaire : “La conférence TER est mise sur de bons rails”.

Retour du CHSCT : “N’allons pas trop vite”
En marge de la conférence sociale, nous avons pu interroger le ministre du Travail sur la hausse des accidents du travail depuis la suppression du CHSCT par les ordonnances Macron en 2017. Serait-il le ministre qui porterait ce retour de l’ancienne instance ? “Il n’y a pas de tabou. Si une organisation syndicale veut aborder le sujet, elle le fera et ce sera examiné. Il y a eu des évaluations sur ces ordonnances. Mais n’allons pas trop vite, entendons les points de vue qui s’expriment et traitons-les avec sérieux”, nous a-t-il répondu.

Marie-Aude Grimont

PLFSS : les députés adoptent la partie recettes et rétablissent la suspension de la réforme des retraites

08/12/2025

Les députés ont poursuivi l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. Ils ont adopté le vendredi 5 décembre la deuxième partie du texte concernant les recettes (166 voix pour, 140 contre).

Cette partie recettes a vu notamment se dessiner un compromis sur la CSG, portée de 9,2 % à 10,6 %, une augmentation qui ne touchera pas les plans d’épargne logement, les plans d’épargne populaire, les assurances-vie (voir l’amendement).

Dans la partie suivante sur les dépenses, les députés ont rétabli la suspension de la réforme des retraites. Le débat reprendra demain à l’Assemblée. 

Les députés ont voté : 

  • un amendement supprimant le gel des prestations sociales pour 2026 ;
  • un amendement “refusant catégoriquement toute sous-indexation des pensions de retraite” ;
  • un amendement du gouvernement rétablissant l’article 45 bis supprimé par le Sénat. 

Cet article prévoit la suspension, ou le décalage, de la réforme des retraites. L’âge légal de départ en retraite resterait fixé à 62 ans et 9 mois jusqu’au 1er janvier 2028. En complément, la durée d’assurance serait elle aussi suspendue et resterait fixée à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028. Cette mesure, précise l’exposé des motifs, coûterait 300 millions d’euros en 2026 et 1,9 milliards d’euros en 2027. Il s’agit d’un décalage puisque l’âge légal de départ continuerait après le 1er janvier 2028 à être relevé pour atteindre à terme 64 ans. 

Signalons à ce sujet que plusieurs autres amendements ont été votés (voir ici l’amendement du PS) qui visent eux “à abroger la réforme des retraites, et le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l’accélération du calendrier de hausse de la durée de cotisation”. Le texte du PS renvoie aux partenaires sociaux la possibilité de construire une réforme alternative conciliant justice et soutenabilité du financement. Cet amendement, qui annulerait au 1er janvier 2026 les effets de la réforme des retraites, semble donc aller plus loin que le décalage consenti par le gouvernement et intégré par lettre rectificative au PLFFS, mais il s’intègre dans une annexe au PLFSS, ce qui n’aurait selon le rapporteur aucune portée juridique.

Par ailleurs, les députés ont aussi voté :

  • un amendement supprimant l’article 28 bis A qui prévoit l’interdiction du renouvellement des arrêts de travail par télémédecine ;
  • un amendement prévoyant l’entrée en vigueur du nouveau congé de naissance pour les enfants nés à compter du 1er janvier 2026 au lieu du 1er janvier 2027 ;
  • un amendement prévoyant la possibilité de fractionner a minima le congé de naissance en deux périodes d’un mois chacune, les modalités du fractionnement étant renvoyées à un décret ;
  • un amendement créant un “Pass Premiers secours en santé mentale“. Ce Pass se traduirait “par un accès gratuit à la formation aux premiers secours en santé mentale pour les personnes âgées de 16 à 20 ans” ;
  • un amendement supprimant l’article 6 du projet de loi, qui gèle pour l’année 2026 les seuils de revenus fiscaux de référence conditionnant l’application des taux réduits ou nuls de CSG et les autres contributions sociales sur les revenus de remplacement (pensions de retraite, pensions d’invalidité, allocations chômage). 
  • un amendement rétablissant l’augmentation des majorations applicables en cas de redressement pour travail dissimulé ;
  • un amendement décalant au 1er juin 2026 l’entrée en vigueur des taux proposés de majoration des redressements de cotisation et contribution sociale au titre du travail dissimulé, “afin de laisser le temps aux organismes de recouvrement d’opérer les ajustements techniques nécessaires, et notamment de leur système d’information” ;
  • un amendement bloquant les prix des contrats de complémentaires santé pour l’année 2026, “et garantir que la taxe sur les complémentaires santé créée par cet article 7 ne soit pas répercutée sur les assurés” ;
  • un amendement contraignant, avant le 31 mars 2026, le Gouvernement et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie à engager avec l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie “une négociation relative aux conditions tendant à ce que le montant de la contribution instituée par le présent article ne soit pas répercuté sur les cotisations d’assurance maladie complémentaire stipulées au cours des exercices en cours et à venir par les organismes assujettis” ;
  • un amendement supprimant les dispositions introduites au Sénat instaurant un nouveau motif de déblocage anticipé de l’épargne salariale ainsi qu’une réduction du taux de forfait social qui lui serait associée ;
  • un amendement revenant sur l’abaissement à 6 000 euros du plafond d’exemption des compléments de salaire (intéressement, participation, PEE, prime de partage de la valeur) pour les salaires supérieurs à 3 SMIC ;
  • plusieurs amendements (voir celui-ci) revenant sur la suppression totale au 1er janvier 2026 de l’exonération de cotisations salariales des apprentis. L’amendement 226 prévoit de ne pas assujettir aux cotisations sociales la rémunération des apprentis située entre 0 et 0,5 SMIC.

Source : actuel CSE