Chutes de hauteur : l’OPPBTP lance une campagne nationale
27/05/2024
Dix ans après la campagne “Travaux en hauteur : pas droit à l’erreur” engagée en 2014, l’Office de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) récidive cet été avec une action de sensibilisation nationale centrée autour d’un court-métrage de sept minutes pour lutter contre les chutes de hauteur, première cause d’accidents graves et mortels dans le BTP (hors risque routier et malaises).
Du 21 mai au 5 juillet, l’OPPBTP va lancer une nouvelle campagne de communication pour lutter contre les chutes de hauteur, avec le soutien du ministère du Travail, de la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie), des services de prévention et de santé au travail BTP et interprofessionnels (SPST) et de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Au cœur de la campagne, un court-métrage de sept minutes présenté à la presse le 14 mai lors d’une table-ronde organisée par l’organisme professionnel.
La fiction retrace l’activité d’une TPE familiale du BTP dont la vie des employés ne tient qu’à un fil. Plusieurs thèmes sont abordés, comme le conflit générationnel (le gérant d’un certain âge propose à son jeune employé de se risquer lui-même à l’échelle pour tenir les délais et rechigne à passer à l’échafaudage), l’absence de remontée d’incidents (un employé trébuche sur le matériel de peinture sur un échafaudage sans le notifier outre mesure), l’innovation (un drone examine la toiture pour éviter les risques de chutes) et la satisfaction client (lequel serait plus mature pour préférer payer plus cher la sécurité et la qualité).
“En général, le client ne s’intéresse pas à la sécurité mais l’échafaudage est perçu comme un signe de qualité de l’entreprise, commente Paul Duphil, secrétaire général de l’OPPBTP. Des patrons qui tombent, ça arrive, poursuit-il. Et les signaux faibles, souvent ça passe, jusqu’au jour où ça ne passe pas… ” Séduite par la qualité du film, Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Cnam, résume le message : “Faire de la sécurité et de la prévention un réflexe professionnel”. Quand Christian Morel, médecin du travail du Pôle Santé Travail Métropole Nord, retient le triptyque “prévention, qualité, business”. Formule validée par Paul Duphil qui assure que la qualité et la sécurité ne sont pas des freins au business, bien au contraire.
“En sécurité, on n’a plus qu’à penser la qualité”
“Depuis 2012, on n’a jamais baissé notre intensité de travail”, témoigne Nicolas Morel, chef de l’entreprise Toiture Morel à Belfort (26 salariés), qui a signé cette année-là la charte couvreur « Échafaudage pour tous » initiée par l’OPPBTP. Échaudé par “des moments compliqués en haut des toitures”, le gérant explique ne pas s’être lancé “pour du marketing mais pour la qualité”.
Ce qui ne l’empêche pas de profiter de ce gage de sécurité. D’abord, en posant des affiches sur ses échafaudages. “On voit mes échafaudages partout”, plaisante-t-il. Ensuite, pour le recrutement. “La charte m’aide énormément à l’embauche, j’ai doublé mon effectif en sept ans. J’ai cinq stagiaires et une architecte qui arrive. Ils savent qu’ils seront en sécurité en venant travailler chez moi. Et les clients ont bien intégré notre façon de faire : s’ils veulent une entreprise sans sécurité, ils ne viennent pas chez moi. En sécurité, on n’a plus qu’à penser la qualité.”
Nous avons donc essayé d’expliquer à celui qui se prend pour Superman la pyramide de Bird
Une éthique encore trop déconsidérée par les PME. D’après le recueil de données des accidents du travail graves et mortels de l’OPPBTP, 3/4 des accidents liés à des chutes de hauteur ont lieu dans des entreprises de moins de 50 salariés. Un profil “type” de la victime se dégage : celui d’un “opérateur en CDI qui travaille dans une TPE/PME, principalement en rénovation chez les particuliers, et sur des travaux courts”, rend compte Paul Duphil. Les chutes de moins de trois mètres seraient les plus courantes.
“C’est un professionnel de son métier qui chute dans son activité habituelle car il a oublié la conscience du risque, précise-t-il. Il estime qu’il ‘sait faire’, que ‘ça n’arrive qu’aux autres’. ” Le secrétaire général évoque aussi les “trompe-la-mort qui existent”. “Dans ce cas, il faut absolument être plusieurs à intervenir, conseille Christian Morel. Il faut souvent agir avec doigté ou fermeté.” Il y a quelques mois, le médecin du travail a été sollicité par deux salariés d’une entreprise. “Ils sont venus me prévenir d’une situation en consultation. Nous avons donc essayé d’expliquer à celui qui se prend pour Superman la pyramide de Bird”, relate-il.
“Parce que ça n’arrive pas qu’aux autres”
C’est pourquoi la campagne 2024 qui reprend le slogan de la campagne de 2014 “Travaux en hauteur : pas droit à l’erreur” s’en distingue par l’ajout du sous-titre “Parce que ça n’arrive pas qu’aux autres”. Car si le risque est connu et identifié, il reste insuffisamment pris au sérieux. “D’importants contrastes entre la perception du risque et la maîtrise de celui-ci sur le terrain par les professionnels” ont ainsi été constatés par l’OPPBTP.
Selon une enquête préliminaire de perception du risque menée par l’organisme et les services de prévention santé au travail auprès d’entreprises particulièrement exposées* :
- 9 professionnels sur 10 pensent que leur métier est dangereux mais la moitié des répondants affirment travailler sans équipement de sécurité au moins une fois par an ;
- la majorité des répondants estiment que la hiérarchie prévoit les bons équipements en matière de protection contre les chutes de hauteur (et que les protections collectives sont efficaces en cas de chute) mais 40 % des chantiers visités par les conseillers de l’OPPBTP ont été jugés moyens ou insuffisants en termes de sécurité ;
- une majorité des professionnels interrogés considère que les chutes ne sont pas le fait d’un manque d’expérience (6 professionnels sur 10 en moyenne) mais ils sont presque tous convaincus (95 %) qu’une bonne condition physique et mentale contribue à prévenir ces accidents.
Selon l’OPPBTP, ces résultats seront complétés par plus de 5 000 enquêtes auprès de salariés anonymes, réalisées entre mai et juin 2024 par les SPST partenaires, auprès d’un échantillon plus large incluant tous les métiers du BTP.
Lors du lancement de la campagne, une table ronde a réuni (de gauche à droite) Christian Morel, médecin du travail, Nicolas Morel, chef d’entreprise, Pierre Ramain, directeur général du travail, Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels à la Cnam et Paul Duphil, secrétaire général de l’OPPBTP.
“Le niveau de sécurité a augmenté de 25 % depuis 2014”
“Grâce à l’implication de tous, les diagnostics réguliers réalisés auprès des entreprises les plus exposées au risque de chute de hauteur ont permis d’attester que le niveau de sécurité a augmenté de 25 % depuis 2014 dans les entreprises accompagnées par l’OPPBTP [environ 2 000 entreprises] », avance l’organisme professionnel dans son dossier de presse.
Pour autant, interrogé sur le bilan de l’efficacité de la précédente campagne, Paul Duphil concède ne pas avoir de “chiffres représentatifs pour mesurer le lien entre [son] action et le nombre de chutes”. “Nous avons le sentiment d’être sur un plateau, poursuit-il. Le nombre de chutes mortelles varient toujours entre 20 et 30 par an.”
Selon les chiffres de la Cnam, 31 décès par chute ont été recensés pour le BTP en 2021. Parmi les métiers les plus touchés par ces accidents, la charpente – couverture (40 %) et la maçonnerie – gros œuvre (24 %). Selon l’OPPBTP, une chute de hauteur sur deux est liée à une rupture de toiture fragile ou un défaut d’équipement de protection collective.
Paul Duphil espère donc “amorcer un déclic” par cette nouvelle action de sensibilisation “orientée vers l’humain et le témoignage”. Outre le film, cette campagne proposera également trois podcasts, une série de vidéos témoignages, une lettre de prévention BTP adressée par courrier et mail aux entreprises du BTP, un site dédié (déjà ouvert), une sélection d’une cinquantaine de solutions et contenus techniques, des affiches de sensibilisation, un kit de sensibilisation à destination des formateurs CFA, une nouvelle formation sur la perception du risque et une série de webinaires nationaux (entreprises, coordonnateurs de sécurité et de protection de la santé, maitrise d’œuvre et d’ouvrage).
*Du 5 février au 8 mars 2024, 670 professionnels issus de 327 entreprises du BTP ont été interrogés, dont 38 % de couvreurs, 37 % de maçons et 25 % de charpentiers bois, et 239 chantiers ont été observés.
Matthieu Barry
Un burn out peut être constaté par le médecin sans disposer de l’analyse des conditions de travail
31/05/2024
Dans une décision du 28 mai 2024, le Conseil d’Etat décide que “la seule circonstance [qu’un médecin] ait fait état de l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l’article R. 4127-28 du code de la santé publique”.
Dans cette affaire, un médecin avait délivré à un salarié un avis de prolongation d’arrêt de travail dont le volet destiné au médecin-conseil de l’assurance maladie portait, dans la rubrique “éléments d’ordre médical”, la mention “burn out”. L’entreprise du salarié avait porté plainte contre le médecin devant les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins “au motif qu’elle aurait, en établissant ce document, méconnu l’obligation déontologique fixée par l’article R. 4127-28 du code de la santé publique”.
Le médecin s’est pourvu en cassation contre la décision par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins avait rejeté son appel formé contre la décision de la chambre disciplinaire de première instance du Grand Est de l’ordre des médecins qui lui avait infligé un avertissement.
La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins estimait que pour motiver la prolongation de l’arrêt de travail par l’existence d’un “burn out”, le médecin ne pouvait se fonder sur les seules déclarations du salarié qui avait déclaré que son stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle, sans disposer de l’analyse de ses conditions de travail émanant notamment du médecin du travail.
Le Conseil d’Etat rejette cette analyse et annule la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins.
Source : actuel CSE