Consultation du CSE sur le document unique : opportunités et difficultés à contourner

06/02/2024

Dans cette chronique, Daphné Lecointre et Julien Picard, de PNL Conseil – un cabinet spécialisé dans l’accompagnement des instances de représentation du personnel – reviennent sur le document unique d’analyse des risques professionnels, le DUERp. Voici les conseils qu’ils donnent aux élus de CSE pour la consultation de l’instance au sujet du document unique.

Le document unique, clé de voûte de la prévention des risques

La loi du 31 décembre 1991, issue d’une directive européenne, oblige l’employeur à évaluer les risques professionnels et à mettre en œuvre des actions de prévention. Cette loi marque une rupture parce qu’elle impose à l’entreprise une évaluation portant sur tous les risques potentiels et pas seulement avérés. Cette loi a ainsi introduit un nouveau type de responsabilité de l’employeur, fondée sur la précaution.

Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), instauré par un décret du 5 novembre 2001, concrétise cette évolution : l’employeur est tenu d’y transcrire son évaluation des risques. Il représente l’outil à partir duquel il doit structurer une véritable politique de prévention, avec des objectifs, un programme de travail, des moyens et des échéances. Désormais, il ne peut plus se contenter d’actions au coup par coup.

Le DUERP procède généralement à l’évaluation à l’aide de deux critères : la fréquence d’exposition au risque (ex. : improbable, peu fréquent, fréquent, très fréquent) et la gravité du dommage (ex. : faible, moyen, grave, très grave).

Sauf exception, les DUERP sont beaucoup plus complexes que ne le laisse supposer le schéma ci-dessus. Ils consistent en un tableau Excel massif (peu lisible à l’écran), avec autant de lignes que de risques identifiés et des colonnes supplémentaires si l’entreprise souhaite pondérer sa notation du fait des actions de prévention déjà mises en œuvre.

Pour simplifier le document, et éviter les redondances d’une présentation postes par postes, le DUERP doit répartir le personnel en “unités de travail”, en regroupant les opérateurs qui partagent une même réalité de travail et des risques similaires.

La consultation sur le DUERP : un moment fort pour le CSE, malgré des obstacles

La loi du 2 août 2021, et les nouveaux articles L. 4121-3 et L. 4121-3-1 du code du travail, confortent la place centrale du DUERP qui doit désormais être conservé au moins 40 ans.

Cette loi :

  • élargit expressément l’obligation d’évaluation à l’organisation du travail, pointant ainsi les risques psychosociaux (RPS) comme thème essentiel du document unique ;
  • officialise l’obligation de consultation du CSE sur ce document et sur ses mises à jour.

La consultation du CSE sur le DUERP est de première importance. Les élus du personnel ne peuvent ignorer les enjeux de la santé professionnelle, puisque leur mission première est d’assurer une “expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts” (article L. 2312-8 du code du travail). Ils doivent ainsi s’opposer à l’employeur lorsque ses objectifs de rentabilité menacent la santé du personnel.

 La consultation sur le DUERP est l’occasion de faire remonter les problèmes du terrain

La consultation offre l’opportunité de mettre en avant le vécu de terrain.  Le CSE joue à ce niveau un rôle irremplaçable : il représente le maillon qui permet aux salariés de s’impliquer et de faire valoir leur point de vue. Ceci est essentiel, car la prévention ne se réduit pas à une affaire de spécialistes : elle doit s’appuyer sur ceux qui sont proches de la réalité des risques et donc aptes à faire émerger des recommandations pertinentes.

Pour autant, la prise en compte par le CSE du sujet santé-sécurité ne va pas de soi.

L’emploi est au premier rang des préoccupations du personnel, ce qui peut inciter les élus à prioriser les sujets économiques. Ce danger est d’autant plus grand que, depuis les ordonnances Macron, ils sont moins nombreux et ont forcément des difficultés à mener de front toutes leurs missions. Facteur aggravant, les élus de culture CHSCT sont souvent très minoritaires dans le CSE.

En dernier lieu, la création de la commission santé sécurité conditions de travail (CSSCT, obligatoire à partir de 300 salariés) sème par ailleurs la confusion. De fait, les directions l’utilisent fréquemment pour déposséder le CSE de ses attributions, alors que juridiquement seul celui-ci hérite des prérogatives du CHSCT : tous ses membres ont donc vocation à traiter les questions de santé-sécurité, même s’ils ne siègent pas à la CSSCT. C’est d’ailleurs pourquoi ils bénéficient tous (suppléants compris) de 5 jours de formation en santé au travail.

L’apport de l’expert nommé lors de la consultation sur la politique sociale

Pour la consultation sur le DUERP, le CSE peut solliciter l’expert prévu à l’article L. 2315-91, dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise. Pour se faire une opinion, celui-ci n’aura pas besoin de procéder à une analyse exhaustive du document : il lui suffira de se focaliser sur les risques considérés comme les plus importants par le CSE et de dresser un diagnostic rapide par le biais de cinq axes de questionnement.

Vérifier que le document unique prévoit bien des actions concrètes de prévention 

Premier axe : le DUERP intègre-t-il des actions concrètes de prévention ou, au contraire, des mesures factices destinées à remplir le document ? Ce point est primordial, puisque “l’évaluation des risques trouve sa raison d’être dans les actions de prévention qu’elle va susciter” (circulaire ministérielle du 18/04/2002). Or beaucoup de DUER se contentent d’énoncer des mesures vagues, sans impact direct et tangible sur les risques. Exemples : “former l’encadrement”» (sans précision de contenu et de calendrier), “sensibiliser les salariés” (en laissant supposer que le risque leur est imputable), “créer un groupe de travail” (formule reproduite chaque année, sans autre proposition), etc.

Deuxième axe : les notations “fréquence” et “gravité” du DUERP sont-elles bien documentées ? L’expert appréciera si l’employeur dispose d’une série longue des taux de fréquence et de gravité des accidents survenus dans l’entreprise et si ceux-ci sont ventilés (par métiers, tranches d’âge, sexe, etc.) pour affiner l’analyse. D’autres sources sont-elles utilisées (ex. : statistiques sectorielles des accidents du travail) ?

Troisième axe : les risques psychosociaux (RPS) sont-ils traités dans le DUERP ? Une omission totale serait anormale, aucune entreprise ne pouvant se prétendre épargnée par ces risques. Par ailleurs, l’évaluation doit être déclinée par type de troubles (stress, burn-out, harcèlement, agression du public, etc.), chacun appelant une prévention spécifique : on ne combat pas le stress de la même manière que le harcèlement moral.

Quatrième axe : le DUERP est-il cohérent avec le rapport et le programme annuel de prévention, documents qui renvoient à l’article L. 2312-27 du code du travail ? Rappel : les accidents du travail (AT) recensés dans le rapport annuel permettent d’actualiser les fréquences et gravités inscrites dans le DUERP. Pour sa part, le programme annuel de prévention porte, par définition, sur les actions de prévention qualifiées de prioritaires par le document unique.

Cinquième axe : les “unités de travail” sont-elles correctement définies ? C’est avant tout à l’aide d’entretiens avec les représentants du personnel que l’expert pourra répondre à cette question.

L’avis rendu par le CSE

La consultation sur le DUERP doit se tenir au plus près du risque, et donc au niveau du CSE d’établissement s’il existe. En effet, selon l’article R. 4121-1, “l’évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement.”

L’employeur peut être tenté d’utiliser la consultation sur le DUERP pour le faire avaliser par le CSE, quelles que soient ses imperfections. Les élus refuseront tout vote réducteur ou binaire (oui ou non, pour ou contre), d’autant que la prévention des risques est un processus continu, jamais achevé.

Sur le DUERP, rendez un avis motivé, argumenté 

L’avis rendu sera “motivé”, c’est à dire argumenté à partir des cinq axes de questionnement susmentionnés. Si possible, il s’accompagnera de propositions concrètes de prévention, car la consultation doit avant tout se fixer comme finalité l’amélioration des conditions de travail.

Notons que la procédure d’information-consultation ne s’arrête pas avec l’avis rendu par l’instance : l’article L. 2312-15 précise que l’employeur doit apporter une réponse motivée aux vœux et observations des élus. Ceux-ci ont donc intérêt à densifier leur avis : l’employeur devra répondre de façon motivée sur chacun des points exprimés.

L’avis sert par ailleurs des objectifs de communication à destination des salariés mais aussi, si nécessaire, des tiers extérieurs. Il peut en particulier être utile d’en envoyer une copie à l’inspecteur du travail, au médecin du travail et à la Carsat (caisse d’assurance retraite et de santé au travail) et à la Cramif (caisse régionale d’assurance maladie), s’il s’avère que le DUERP ne répond aucunement aux exigences légales et révèle des carences graves dans la politique de prévention de l’entreprise.

En dernier lieu, nous avons précédemment insisté sur le faible intérêt de la CSSCT, qui n’a pas le droit d’agir en justice et qui ne peut pas lancer une expertise. Sachant que cette commission ne peut pas être une coquille vide (voir l’article L. 2315-38 du code du travail), il peut être judicieux, selon nous, de profiter de la consultation pour la recentrer exclusivement sur des réunions paritaires avec les divers responsables dont l’objectif serait l’amélioration du DUERP.

►  Note de la rédaction : Daphné Lecointre et Julien Picard travaillent pour PNL Conseil, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement des instances de représentation du personnel (expertises, assistance et formations). 

Daphné Lecointre et Julien Picard

Un manque de sommeil peut suffire à faire reconnaître une faute inexcusable de l’employeur

06/02/2024

Un salarié, engagé comme chauffeur-livreur, est victime d’un accident de la circulation avec son véhicule de livraison. L’accident est reconnu comme accident du travail et est pris en charge comme tel par la sécurité sociale. Le salarié demande alors la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Pour convaincre les juges, le salarié invoque un article du code du travail qui prévoit que le bénéfice de la faute inexcusable est de droit lorsque le salarié, ou un membre du CSE, avait signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé (article L.4131-4). Or, dans cette affaire, notre chauffeur-livreur avait effectivement informé l’employeur au moment de sa prise de service qu’il “était fatigué à cause d’un souci personnel de son enfant”. Une ordonnance des urgences pédiatriques de la veille pour son enfant, et des attestations de deux collègues, corroborées par une attestation produite par l’employeur, justifiait effectivement de ce qu’il avait alerté “de son état de fatigue important lié à l’absence de repos durant la nuit, signalant ainsi à l’employeur un risque auquel il se trouvait exposé au regard de son poste de chauffeur”.

L’argument fait mouche !

Pour les juges, il était bien prouvé que le salarié, “dont le poste de chauffeur nécessite un état de vigilance particulièrement soutenu, avait signalé à son employeur une situation de fait de nature à le mettre en danger”. Et d’en déduire qu’il y avait effectivement un “lien entre la fatigue signalée et les fautes de conduite de la victime à l’origine de l’accident”. D’où la reconnaissance automatique de la faute inexcusable de l’employeur.

L’employeur a bien essayé de tirer argument du fait que le salarié avait été condamné par le tribunal correctionnel “pour violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité“. Et pour cause, puisquil avait effectué “un dépassement sans visibilité suffisante à l’approche d’un virage, franchissant à cet effet une ligne continue, et le tout à une vitesse excessive et égard aux circonstances en l’espèce : chaussée mouillée et virages”. A cet égard, la solution peut paraître sévère.

Source : actuel CSE

Dangers de la silice : que peut faire un CSE ou un syndicat ?

07/02/2024

Cash Investigation, sur France 2, a consacré une enquête et un débat aux maladies professionnelles en France. A l’heure où l’exécutif multiplie les discours vantant la simplification des normes, l’émission est venue rappeler, à l’inverse, le caractère protecteur, pour la santé des travailleurs, de ces normes lorsqu’elles sont définies rigoureusement, ainsi que l’efficacité d’une politique de prévention. Focus sur la silice, reconnue cancérogène, avec les conseils donnés aux CSE et syndicats d’entreprise par plusieurs professionnels et représentants syndicaux.

Il n’est pas si fréquent de voir la télévision proposer, à une heure de grande écoute, une émission parlant conditions de travail, santé au travail et maladies professionnelles, avec des enquêtes conclues par un débat (*). Bravo donc à France 2, même si l’on peut se montrer agacé par une certaine scénarisation de l’information, avec par exemple ces images récurrentes assimilant la reconnaissance ou non des maladies professionnelles à un filtrage à l’entrée des boites de nuit…

La silicose toujours bien vivante !

Quoi qu’il en soit, les enquêtes diffusées, si elles n’ont rien apporté de très nouveau aux spécialistes et praticiens, ont touché au cœur du sujet. En matière de prévention, tout d’abord. A nos yeux, la silicose est une maladie appartenant au passé, notamment au monde des mines, cette poussière de charbon ayant abrégé l’espérance de vie de très nombreux travailleurs des galeries de charbon. Funeste erreur ! Les maladies respiratoires d’origine professionnelles sont toujours présentes.

Après les mines et l’amiante, la poussière de silice apparaît comme un risque majeur 

La catastrophe sanitaire de l’amiante est proche de nous : d’anciens travailleurs meurent encore chaque année de cette maladie, la France ayant beaucoup tardé à interdire cette fibre à l’origine de cancers du poumon (“mésothéliomes”) et à reconnaître ceux-ci en maladie professionnelle. Dans cette affaire, pour laquelle les victimes n’ont toujours pas obtenu de procès pénal, on a pu voir combien les intérêts économiques et le souci du maintien des emplois allaient à l’encontre des préoccupations de santé des travailleurs et pouvaient retarder des décisions publiques. 

Et que dire de la silice ? Cette poussière, présente notamment dans les sites de production de béton et dans les chantiers du BTP, préoccupe aujourd’hui les experts et médecins. Dans une étude datant de mai 2019, sur laquelle est revenu Cash investigation, l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire (Anses) alerte sur les dangers de la “silice cristalline”. Ce minéral, présent dans la croûte terrestre, est utilisé dans de multiples applications, que ce soit pour la construction avec le béton (Cash investigation évoque les centrales béton de Lafarge), mais aussi dans la chimie, la fonderie, les peintures, caoutchoucs, comme on le voit dans le schéma “filière” ci-dessous. 

Si ses poussières microscopiques sont inhalées, ce matériau représente un danger pour l’homme : depuis 1997, la silice cristalline est classée cancérogène pour l’homme par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) car elle provoque un cancer des bronches, mais elle peut aussi favoriser l’apparition d’autres pathologies (**).

1 million de salariés exposés ! 

Pour l’Anses, il s’agit là d’un sujet majeur pour la santé publique et la santé au travail. L’Agence estimait en 2019 que 365 000 travailleurs seraient exposés par inhalation à la silice cristalline, en particulier au quartz” parmi lesquels de “23 000 à 30 000 travailleurs seraient exposés à des niveaux excédant la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) de 0,1 mg.m-3 (0,1 milligramme par mètre cube) actuellement en vigueur en France (voir l’article R. 4412-149 du code du travail), et plus de 60 000 à des niveaux excédant la VLEP la plus basse proposée au niveau international établie à 0,025 mg.m-3″.

En janvier 2023, Santé Publique France a été plus alarmante encore en évaluant à un million le nombre de travailleurs exposés à la silice cristalline. Pas de quoi surprendre Frédéric Mau, de la CGT du BTP : “Dans notre secteur, tout le monde est confronté à la poussière minérale, que ce soit en perforant du béton, du fait de la circulation des camions, ou dans les chantiers routiers”.

Les seuils français sont jugés trop peu protecteurs 

Plus des deux tiers de ces niveaux d’expositions concernent le secteur de la construction, le restant touchant les secteurs de la fabrication des produits minéraux non métalliques, de la métallurgie et des industries extractives. L’Anses avait déduit de son étude la nécessité de revoir la valeur limite d’exposition professionnelle à la silice cristalline quelle que soit sa forme, les seuils français étant jugés “insuffisamment protecteurs”. L’Agence suggérait aussi une meilleure surveillance médicale pour favoriser le dépistage des pathologies (silicose, tuberculose, pathologies rénales…) ainsi qu’une révision des tableaux de maladies professionnelles en lien avec la silice cristalline.

Le tableau des maladies professionnelles évolue lentement 

Le tableau des maladies professionnelles concernant la silice est le tableau n°25. Il n’a pas été modifié depuis 2003 malgré les recommandations de l’Anses (**). Cela n’étonne pas Michel Ledoux, un avocat qui connaît bien le problème pour travailler depuis des années sur les dossiers amiante des mineurs de Lorraine : “La modification des tableaux de maladies professionnelles peut prendre beaucoup de temps. C’est lié aux réticences des employeurs qui financent les risques AT-MP. Via leurs organisations professionnelles, ils freinent les demandes d’évolution des organisations syndicales. Par exemple, il a fallu attendre 2023 pour la reconnaissance officielle du lien entre le cancer de l’ovaire et l’amiante, un lien qui faisait pourtant consensus depuis une quinzaine d’années chez les médecins”.

Les préconisations de la Haute autorité de la santé et de la médecine du travail

Si le tableau n’a pas été mis à jour, en revanche, un médecin du travail peut suivre les préconisations émises en 2021 par la Haute autorité de la santé et de la société française de médecine du travail pour la surveillance médicoprofessionnelle des travailleurs exposés ou ayant été exposés à la silice cristalline.

Ce document comprend aussi des méthodes de prévention primaire établies par l’INRS afin d’éviter ou limiter l’exposition aux poussières dangereuses. Citons quelques recommandations pour les chantiers du BTP, qu’on retrouve sur le site de l’Organisme de prévention du secteur, l’OPBTP :

  • humidification des zones de travail ;
  • mise à l’étanchéité des broyeurs ;
  • captage à la source des poussières (aspiration) ;
  • appareils de protection respiratoire (l’INRS conseille, en fonction de l’exposition attendue et de la durée des travaux, un appareil filtrant à ventilation libre ou assistée, équipé de filtre antiparticules de classe 3 type FFP3 ou un appareil isolant) ;
  • combinaison à capuche jetable de type 5 ;
  • lunettes, etc.

L’enquête de Cash investigation tendait à montrer que tous les sites exposant leurs salariés à l’inhalation de poussières de silice ne prenaient pas forcément les mesures de prévention appropriées ou recommandées par les organismes de prévention (lire notre encadré).

Quel rôle pour le CSE  ? 

Dans le débat succédant aux enquêtes de Cash Investigation, plusieurs intervenants, comme François Desriaux (rédacteur en chef de Santé & travail et vice-président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’Andeva) et Sophie Binet (la secrétaire générale de la CGT), ont souligné combien les ordonnances travail de 2017, qui ont fondu le CHSCT dans le CSE, avaient affaibli la capacité d’agir des élus du personnel en matière de conditions de travail, de santé et de sécurité. Seule la députée Renaissance Charlotte Parmentier-Lecocq, présidente de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée, a défendu l’apport de l’instance unique de représentation du personnel. 

Quoi qu’il en soit, que peut faire un syndicat d’entreprise ou un CSE, qui dispose des prérogatives de l’ancien CHSCT, lorsqu’il soupçonne que des salariés soient confrontés à des pollutions dangereuses via des poussières de silice ?

Informer les salariés du risque, faire modifier le plan de prévention, demander des équipements de protection 

L’avocat Michel Ledoux suggère trois actions classiques : “Un, demander à l’employeur de sensibiliser les salariés et de les informer sur le risque, et de les former sur le sujet. Deux, demander à l’entreprise de revoir le plan de prévention, en actualisant le document unique d’évaluation des risques (DUERP). Je rappelle qu’un ancien salarié d’une entreprise doit pouvoir remonter jusqu’à 40 ans en arrière pour voir à quels risques il a été exposé. Il est donc essentiel, pour assurer sa traçabilité, de bien écrire ce document unique et de l’actualiser. Dans les chantiers BTP faisant appel à plusieurs entreprises, je rappelle également qu’un coordinateur doit établir un plan de prévention global (***).Trois, demander à l’employeur de fournir aux opérateurs les équipements de protection individuels (EPI) adaptés, et veiller à ce que l’encadrement s’assure du fait qu’ils sont bien utilisés”.

Or ce n’est pas toujours le cas, notamment parce qu’un salarié peut ne pas avoir conscience d’un danger qui ne cause souvent aucune blessure apparente immédiate. Michel Ledoux cite l’un de ses dossiers : “Dans un chantier, les salariés ont inhalé du gaz carbonique alors qu’ils avaient des masques à disposition mais ils ne les portaient pas. Ils ont été hospitalisés…”

Dans les chantiers, les travailleurs portent des gants, mais pas de lunettes ni de masques 

Préventrice dans le BTP à Reims, Anne Gallois, déléguée syndicale CFDT, partage ce constat : “Quand on visite les chantiers, on s’aperçoit que le port des gants est entré dans les usages, mais pour le reste, pour les lunettes et les masques, c’est encore très rare. Les salariés nous disent : “Mais on ne va pas mettre ça, on va ressembler à des cosmonautes !” Et c’est encore pire dans les centres d’apprentissage : les jeunes ne sont pas prêts du tout. Quand on leur explique les effets sur la santé de la poussière de silice, alors là seulement ils se mettent à réfléchir”.

A ses yeux, le CSE doit déjà, pour commencer à agir, s’approprier le sujet, et le partager à tous les élus : “Il faut que chacun soit conscient de l’importance du sujet et du risque pour la santé. Ensuite, ils pourront sensibiliser les salariés”.

Une présence syndicale très faible dans les centrales à béton 

Il faut dire que les cancers du poumon ne se révèlent parfois qu’après des dizaines d’années d’exposition. “Or dans le BTP, les tâches sont diverses, les chantiers souvent à ciel ouvert, les travailleurs peuvent ne pas sentir la menace, et surtout ils bougent d’un chantier à l’autre. Et dans les centrales à béton, peu de salariés sont employés, avec une présence syndicale très faible”, constate Michel Ledoux. Et l’avocat de conseiller aux CSE, par exemple en cas de mauvais équipements de protection mis à disposition, de saisir la Carsat, la caisse d’assurance retraite et santé au travail. 

Si l’employeur conteste l’existence même d’un risque, le CSE peut non seulement faire appel à la Carsat pour demander un contrôle et une analyse, mais aussi recourir, en cas de risque grave, à une expertise (****). A l’occasion de celle-ci, il peut, par exemple, faire réaliser des prélèvements qu’un laboratoire analysera pour démontrer la réalité de la pollution et donc du risque d’inhalation de particules dangereuses. “Contrairement à ce qu’on imagine, nous dit un expert CSE, c’est extrêmement simple et peu onéreux (de l’ordre de 40€), et le budget de l’instance peut prendre en charge son coût. Si ces prélèvements sont répétés à des dates régulières afin de faire la démonstration de récurrence de cette pollution, cela peut apporter un début de preuve devant une juridiction”. 

Quel rôle pour le syndicat ? 

Pour faire bouger les choses, Frédéric Mau, responsable santé travail à la fédération CGT du bâtiment, mais aussi délégué syndical CGT d’Eurovia, une entreprise de construction des routes, ne compte pas sur le CSE mais sur le syndicat d’entreprise. “D’une part, le CSE a surtout repris les prérogatives des délégués du personnel et du comité d’entreprise, moins celles du CHSCT, et nous avons moins d’élus et de moyens. Comme beaucoup de militants n’ont pas rejoint le CSE, nous avons perdu l’expertise des élus CHSCT”, nous explique-t-il.

Dès lors, fort de son implantation dans sa société, lui a choisi de miser sur l’action syndicale et il recommande aux autres syndicats d’entreprise de sa fédération d’en faire autant. “Je lance une alerte estampillée CGT, et ça a plus de poids, ça fait peur. Pareil si j’ai besoin de faire intervenir la Carsat pour faire faire un prélèvement”, raconte-t-il. 

Le délégué syndical peut demander par exemple l’humidification d’un chantier, ou la fin de l’emploi de tel ou tel matériau pour le chantier d’une route. “Nous sommes souvent confrontés à l’emploi de mâchefer, un mélange de résidu de déchèteries et de matériaux. Mais les ordures sont parfois mal brûlées, et comprennent des déchets médicaux”, lâche-t-il. Si l’employeur ne bouge pas, Frédéric Mau va jusqu’à le menacer de publier des photos et d’alerter la presse, “car l’image publique d’une entreprise, c’est sensible”. 

Un exemple de prévention obtenue dans la brique

On l’a vu au début : la pollution à base de silice ne concerne pas seulement le BTP mais aussi l’industrie. Désormais retraité depuis deux ans, Alain Orazio, qui a travaillé pendant 42 ans dans l’industrie de la brique et qui était secrétaire du CE européen, a pour sa part contribué à faire évoluer les choses dans son entreprise, Imerys. “Plusieurs sites du groupe, dont Colomiers où je travaillais (Ndrl : l’activité a depuis été rachetée par Bouyer Leroux), avaient une activité de rectification des briques. Une fois cuites, celles-ci devaient passer dans des meules afin d’être égalisées pour pouvoir être assemblées par colle sur les chantiers. Cette rectification produisait beaucoup de poussière”, nous raconte ce militant CFDT.

Au début des années 2010, une mobilisation syndicale met en avant la dangerosité de ces poussières. “Nous avons fait intervenir l’inspection du travail, et fait réaliser des mesures”, témoigne Alain Orazio. Résultat : les postes de travail sont équipés d’aspirateurs, et les machines régulièrement nettoyées, les ouvriers portent des masques. “Malgré l’étanchéité et l’aspiration, nous observions encore de la poussière rouge sur les postes de travail, mais beaucoup moins qu’avant. Nous étions passés sous les seuils d’exposition”, se souvient Alain Orazio. 

(*) Cliquer ici pour accéder au replay de l’émission

(**) Sur le tableau 25 et les maladies liées à la silice, voir les explications données par le docteur Lucien Privet pour l’Andeva, l’association des victimes de l’amiante.

(***) Selon la définition du site de prévention dans le BTP, l’OPBTP, un plan de prévention (PDP) est “un document d’évaluation et de prévention des risques réalisé lorsqu’une ou plusieurs entreprises extérieures doivent intervenir au sein d’une entreprise utilisatrice et qu’il y a donc co-activité entre les collaborateurs des deux structures”.

(****) Pour le risque grave, voir l’article L. 2315-94 du code du travail. Voir aussi la notion de danger grave et imminent (DGI), qui donne la possibilité à un élu du personnel d’alerter l’employeur et d’inscrire cette alerte dans un registre spécial (articles L. 4131-2 et L. 4132-2 du code du travail). L’employeur alerté doit immédiatement ouvrir une enquête avec l’élu et prendre les mesures pour faire cesser le danger

Les informations données par l’organisme de prévention du BTP
“Au vu des niveaux de concentration relevés en silice cristalline lors des mesurages sur les chantiers, la mise en œuvre de mesures de protection collective associées au port d’un appareil de protection respiratoire adapté permet de limiter l’exposition des opérateurs à des niveaux de concentration inférieurs à la VLEP dans les situations observées” : c’est la conclusion de la campagne de mesure de l’empoussièrement à la silice sur les chantiers, appelée “Cartosilice”, conduite de 2017 à 2020 par l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (l’OPBTP), avec la fédération nationale des travaux publics (FNTP), la fédération française du bâtiment (FFB) et les artisans de la Capeb. Autrement dit, le respect des seuils d’exposition dépend de façon cruciale du port d’équipements de protection. Il résulte de cette campagne de nombreuses fiches d’information, disponibles sur le site de l’OPBTP, correspondant à des situations de travail comme des travaux en extérieur, le percement de béton, la découpe de carrelage, le nettoyage de chantiers, etc.  “Depuis le 1er janvier 2021, les travaux exposant à la poussière de silice cristalline alvéolaire issue de procédés de travail sont classés comme agent cancérigène (arrêté du 26 octobre 2020 fixant la liste des substances, mélanges et procédés cancérogènes au sens du code du travail). Dès lors qu’un salarié est exposé dans le cadre de son activité professionnelle à de la silice cristalline alvéolaire, l’employeur doit désormais respecter la réglementation spécifique aux agents CMR (cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques) (articles R4412-59 à R4412-93 du code du travail)”, rappelle l’OPBTP.

Bernard Domergue

La SMT et la CGT vent debout contre une sanction infligée à un médecin du travail

07/02/2024

Dans un communiqué du 18 janvier, l’association Santé et médecine du travail (SMT) demande à l’État de « faire cesser par tous les moyens à sa disposition » une condamnation d’un médecin du travail du BTP par la chambre disciplinaire régionale de l’ordre des médecins de Paris. En cause : des « certificats médicaux de complaisance suite à des inaptitudes médicalement constatées rendant impossible le maintien au poste compte tenu des conditions de travail », selon la CGT.

Interdit d’exercice pour un an dont six mois avec sursis pour avoir rédigé des « avis d’inaptitude litigieux […] de nature à léser de manière directe et certaine », comme le rapporte le syndicat dans un communiqué du 26 janvier, le médecin du travail -qui détient plusieurs mandats nationaux à la CGT- a fait appel de cette décision.

Dans son communiqué, la SMT dénonce un « abus de juridiction », en ce que, selon elle, « la contestation des avis d’inaptitude ne relève pas de l’ordre des médecins » et appelle à « la suppression des chambres disciplinaires ». Elle estime par ailleurs la plainte « dilatoire et de circonstance » relevant que l’entreprise plaignante devant l’ordre des médecins n’a pas saisi les prud’hommes. Et déplore enfin qu’« aucun salarié [concerné] n’a été entendu par l’ordre des médecins ».

« Que l’employeur puisse saisir directement l’ordre des médecins, sans par ailleurs saisir le conseil des Prud’hommes de peur d’avoir à s’étendre sur les conditions de travail de ses salariés, est une grave atteinte à la protection de ces derniers », estime de son côté la CGT, qui considère que « ce n’est ni à l’employeur, ni à l’ordre des médecins, de statuer sur la légitimité ou non d’un arrêt d’inaptitude ».

« C’est l’action des médecins du travail en faveur exclusivement de la santé au travail des salariés qui est en jeu », alerte la SMT, quand la CGT s’inquiète d’une sanction « de nature à créer un précédent extrêmement dramatique à l’encontre de la protection de la santé des travailleurs ».

Source : actuel CSE

Des recommandations pour gérer l’épilepsie au travail

08/02/2024

La Société française de santé au travail vient de publier ses recommandations pour gérer les salariés victimes de crise d’épilepsie et sur la conduite à tenir dans le cadre d’une décision concernant l’adéquation entre l’état de santé et le poste de travail. 

Elle y recense les idées reçues sur l’épilepsie et le travail, les caractéristiques de l’épilepsie permettant d’évaluer les risques d’une crise et les répercussions dans le cadre professionnel, les paramètres du travail à prendre en compte pouvant impacter l’épilepsie, les facteurs dans l’organisation du travail pouvant aggraver ou atténuer l’impact des crises, etc.

Source : actuel CSE