“Nos conseils sur la prévention des risques ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval !”

12/02/2024

L’Institut national de recherche et sécurité (INRS) fonctionne depuis de longs mois avec un budget réduit, ce que devraient dénoncer, ce lundi 12 février lors d’une visite sur le site nancéien de l’INRS, le député insoumis François Ruffin et le député socialiste Dominique Potier. Une situation qui inquiète les personnels de cet organisme dont l’activité vise, par la recherche scientifique et la formation, à améliorer les conditions de travail dans les entreprises ainsi que la prévention des maladies et accidents professionnels. L’interview du délégué syndical central CFDT de l’INRS, Christian Darne.

Un mot sur vous : vous êtes préventeur et délégué syndical ?

J’ai une formation de biologiste, je suis en chercheur en toxicologie, j’évalue le danger des substances. Je suis délégué syndical central CFDT mais je ne suis pas détaché, je travaille toujours comme préventeur. Notre syndicat représente plus de 60% des voix aux élections professionnelles. Nous avons deux CSE à l’INRS, l’un à Paris (environ 200 salariés), l’autre à Nancy (379 salariés), où sont basées les activités de recherche.

Rappelez-nous le rôle et le fonctionnement de l’INRS : quelle est l’originalité de cet institut ?

C’est une association loi 1901 qui date de 1947, et qui fête donc ses 77 ans ! Ses missions visent la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Nous effectuons des recherches scientifiques, sur le site de Nancy, pour évaluer le danger des substances et des machines, et pour apporter des solutions qui améliorent les conditions de travail des salariés afin d’éviter accidents et maladies. Nous nous appuyons sur quatre composantes : la recherche scientifique comme je le disais, l’assistance aux entreprises et aux salariés, la formation des préventeurs employés dans les entreprises et dans les Carsat (caisses d’assurance retraite et santé au travail) et l’information et la communication. 

Votre gouvernance est paritaire, non ?

En effet, la gouvernance de l’INRS est paritaire. Le conseil d’administration est présidé alternativement par un représentant des organisations syndicales ou patronales, et cela tourne tous les deux ans. Nous avons pour tutelle le ministère du travail et de la santé et le ministère des finances. 

Quelles sont les ressources de l’INRS ?

Nous sommes exclusivement financés par le FNPAT, le fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, c’est-à-dire par les cotisations des entreprises au titre des AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles), sachant que les entreprises voudraient bien voir diminuer ces cotisations. Tous nos moyens dépendent d’une convention d’objectifs et de gestion (COG) que doivent négocier et conclure la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie) et nos ministères de tutelle (santé, travail et économie). Notre problème actuel, c’est que depuis 2022, nous fonctionnons avec un budget provisoire faute de nouvelle convention. Nous n’avons, pour ainsi dire, pas de budget officiellement, ce qui nous empêche de fonctionner normalement.

Comment s’explique cette situation ? 

Normalement, une nouvelle convention aurait dû être négociée pour prendre le relais en 2023 de la précédente COG qui couvrait la période 2018-2022. Les objectifs et les moyens auraient dû être redéfinis, mais rien ne s’est passé. Donc faute de nouveau budget prévu par une convention, la Cnam nous alloue 80% du budget de la précédente convention, qui avait fixé un budget annuel de 79 millions d’euros et une enveloppe correspondant à 579 postes.

Nous avons 32 millions de moins que le budget demandé par le conseil d’administration pour 2024 

Nous n’avons donc reçu en 2022 que 63 millions d’euros de ressources. Cette affectation par défaut permet d’éviter l’arrêt total des activités, c’est comme un mécanisme de sauvegarde. Mais cela engendre un fonctionnement dégradé. L’institut ne peut pas faire d’investissements ni recruter, même pour remplacer les départs en retraite, et nous avons dû demander une rallonge pour payer les salaires. Et cette année, comme il n’y a toujours pas eu de nouvelle convention, la Cnam nous a dit qu’on repartait sur le même principe : débrouillez-vous avec 63 millions d’euros. Sachant que le budget demandé par le conseil d’administration de l’INRS pour 2024 est de 95 millions d’euros. Cela fait quand même 32 millions qui manquent ! Nous pouvons fonctionner et payer les salaires jusqu’au mois de juillet, mais après ? 

Qu’est-ce qui bloque ?

Je commencerai par une réflexion personnelle, ou plutôt par un agacement profond : la convention d’objectifs et de gestion de l’AT-MP est toujours la dernière à être votée, et souvent avec des réductions de moyens. Donc, l’AT-MP, qui est la seule branche de la sécurité sociale à dégager des excédents tous les ans (2 milliards d’euros l’an dernier quand même !) est toujours la dernière à être financée par le gouvernement.

C’est un manque de respect du gouvernement vis-à-vis des acteurs de la branche AT-MP  

Pour moi, ça témoigne d’un manque d’intérêt du gouvernement au sujet des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le gouvernement a lancé récemment une campagne de communication sur les accidents du travail, mais qu’y a-t-il derrière, en réalité ? Pour moi, c’est un manque de respect vis-à-vis des acteurs de la branche AT-MP. Mais je reviens à l’historique. La dernière convention signée l’avait été en septembre, soit 9 mois de retard par rapport au début du budget ! Nous avons donc espéré qu’il ne s’agissait que d’un retard, cette fois encore, mais non. Depuis un an et demi, un nouveau prétexte est avancé tous les 3 mois pour expliquer l’absence de convention et donc de budget pour l’INRS…

Pourtant, il y a eu un accord des partenaires sociaux sur la branche AT-MP en 2023…

Oui, en mai 2023, l’accord national interprofessionnel des partenaires sociaux sur l’AT-MP a été signé par tous les partenaires sociaux. Cet accord prévoit un renforcement des moyens pour la prévention (Ndlr : l’accord prévoit notamment + 20% d’ingénieurs et de contrôleurs sécurité dans les Carsat) avec 100 millions d’euros supplémentaires pour la branche dans les années à venir, ainsi qu’un volet gouvernance et une partie sur la réparation.

Le gouvernement a remis en question l’accord des partenaires sociaux 

Mais le gouvernement a remis en question plusieurs éléments de cet Ani : d’abord le renforcement des moyens des Carsat, puis le volet gouvernance, puis il y a eu la polémique sur l’article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale sur le volet réparation. Et récemment, la direction de la Sécurité sociale invoquait le changement de gouvernement comme cause de l’absence de convention sur le budget de l’INRS. Bref, j’ai comme l’impression qu’il y a des discussions parallèles.

Quelles discussions parallèles ?

En théorie, la convention d’objectifs et de moyens de l’INRS est conclue par la Cnam et le gouvernement, mais il y a aussi les relations que peuvent entretenir les partenaires sociaux avec la Cnam d’un côté et avec le gouvernement de l’autre au sujet du gouvernement de la branche. A mes yeux, c’est un bras de fer engagé par le gouvernement. Les partenaires sociaux sont d’accord pour augmenter les moyens mais le gouvernement refuse. Et ça fait 13 mois que ça dure ! Et je ne parle même pas du Fipu, le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle prévu par la dernière réforme des retraites. Aucun argent de ce fonds, doté d’un milliard d’euros sur 5 ans et de 200 millions d’euros en 2024, n’est prévu pour l’INRS, qui est pourtant un acteur essentiel de la prévention des risques en France !

C’est la raison de la venue sur le site de l’INRS de Nancy de deux députés ce lundi 12 février ?

Ce lundi, pour tenter d’alerter la presse et l’opinion et de faire bouger les choses, nous avons invité à Nancy les députés Dominique Potier (PS) et François Ruffin (Insoumis). Dominique Potier est député de Meurthe-et-Moselle, donc de la région, et il est membre de la commission des affaires économiques, et François Ruffin, membre de la commission des affaires sociales, est rapporteur de la thématique accidents du travail dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

 Nos brochures et nos conseils sur la prévention ne sortent pas du sabot d’un cheval ! 

Nous voulons montrer que les brochures et la documentation que vous voyez sur notre site internet ne sortent pas du sabot d’un cheval ! Elles ne sont que le résultat apparent de tout un travail de fond réalisé par les 579 salariés de l’institut, grâce à des équipements de recherche, des personnels, des programmes, etc. 

Et si rien ne bouge ?

On verra ! En 2013 et 2018, on avait déjà eu des soucis de moyens. Nous avions fait une course à vélo puis à pied de Nancy à Paris pour alerter les médias avec des actions symboliques. Aujourd’hui, ce sont des emplois qui sont en danger, et notre mission de service public auprès des entreprises et des salariés est menacée. Comment se satisfaire du bilan français en matière d’accidents du travail mortels et de journées de travail perdues du fait des maladies professionnelles ?

Qu’en est-il d’un éventuel regroupement des organismes de prévention (Anact, INRS, OPBTP) au sein d’un “France santé travail” ?

Quand on voit ce qui se passe pour le secteur de la surveillance du nucléaire ou pour France Travail, cette idée pourrait bien revenir ! Nous sommes vent debout contre cette idée, qui faisait partie des recommandations du rapport de Charlotte Lecocq de 2018. Nous travaillons déjà ensemble, l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et l’OPBTP (office de prévention du secteur du BTP), et nous sommes complémentaires (*). Nous fusionner dans une agence d’Etat, ce serait vouloir une seule approche dans la prévention des maladies et accidents professionnels, et la pensée unique donne rarement de bonnes choses ! De plus, ce serait aller vers un pilotage très politique, éloigné des besoins du terrain et des problématiques des entreprises. Et avec le risque de voir l’Etat donner la priorité à une baisse progressive des moyens de la prévention.  

(*) En 2019, un rapport préconisait toujours un service universel de la santé au travail regroupant Anact et INRS mais il en excluait l’OPBTP. Une perspective déjà combattue par les représentants du personnel. Déplorant la stagnation de la sinistralité en France, la Cour des comptes a estimé, dans un rapport en 2022, que des actions efficaces en santé au travail exigeaient “un effort de coordination entre les acteurs institutionnels concernés” et un meilleur pilotage de ceux-ci. Signalons par ailleurs qu’une fusion de l’Anact et des Aract a eu lieu en 2022.  

Vers une reprise des négociations pour une convention ?
Interrogé par la presse sur les raisons de l’absence d’une convention d’objectifs et de gestion pour l’AT-MP et donc de budget pour l’INRS, le cabinet de la ministre du travail, de la santé et des solidarités indique que Catherine Vautrin entend bientôt relancer la négociation pour parvenir à une convention rapidement, si possible dans les prochaines semaines.

Bernard Domergue

“Notre mission est loin d’être finie, elle évolue car le travail se transforme”

13/02/2024

Caroline Gadou, la directrice générale de l’Anact, revient, à l’occasion des 50 ans de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, sur le rôle et les missions de l’institution qui accompagne 3 000 entreprises chaque année. Interview.

Quelles étaient à l’origine les ambitions de l’Anact ? 

La création de l’Anact s’inscrit dans le contexte post 68, une période marquée par de fortes revendications sociales. L’Etat et les partenaires sociaux ont alors faire part de leur volonté d’”humaniser” le travail, avec l’ambition de sortir du taylorisme, de se pencher sur les nouveaux modèles productifs et de prendre davantage en compte l’avis des salariés pour définir l’organisation du travail. C’est pour répondre à ces objectifs que l’Anact a été créée, sous forme d’agence publique tripartite dont la gouvernance est portée par l’Etat, les organisations syndicales et professionnelles. Aujourd’hui, 290 salariés y travaillent.

Comment les entreprises se sont-elles appuyées progressivement sur votre expertise ?

Si au départ, l’Anact s’est concentrée sur des missions de veille, chargée de produire des études et de diffuser de bonnes pratiques, l’agence a développé, à partir des années 80, des interventions auprès des entreprises, principalement des PME/TPE qui ont particulièrement besoin d’aide.

   L’agence a développé, à partir des années 80, des interventions auprès des entreprises

Chaque année, 3 000 entreprises sont accompagnées sur toute la France grâce à la création, toujours dans les années 80, d’antennes régionales, devenues depuis janvier 2023, des entités à part entière de l’Anact implantées dans chaque région ainsi que dans une partie de l’outre-mer (Martinique, Guadeloupe et La réunion).

Quels ont été les faits marquants concernant l’amélioration des conditions de travail ?

Dès les années 80, nous nous sommes impliqués dans les questions du temps de travail afin de venir en appui à la fois aux entreprises et aux salariés, qu’il s’agisse des temps de pause, des congés, des horaires décalés, de la réduction du temps de travail.

L’Anact a démontré qu’ il y avait bien un lien de cause à effet entre TMS et organisation du travail 

Puis, dans les années 2000, nous nous penchés sur les troubles musculosquelettiques qui restent encore aujourd’hui une maladie professionnelle très importante. L’Anact a démontré que, contrairement à l’avis de nombreux experts, il y avait bien un lien de cause à effet, entre maladie et organisation du travail. C’est-à-dire que les TMS ne relevaient pas d’une dimension physiologique individuelle mais étaient liés à certaines formes d’organisation du travail, par exemple, le travail répétitif, l’absence de pause, le manque de formation. Nous pouvions donc répondre à ce problème en travaillant sur l’organisation du travail, à l’échelle d’une équipe. Autre sujet d’importance : les risques psychosociaux. Là encore, nous avons mis en évidence, avec d’autres organismes, que le stress n’était pas uniquement une faiblesse individuelle mais qu’il se développait dans un contexte de fortes contraintes sur lequel le salarié n’avait pas de prise. Enfin, l’Anact a porté les sujets de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), en s’appuyant sur l’accord national interprofessionnel (Ani) de 2013, puis la loi du 2 août 2021. Nous avons développé des actions dans le domaine des secteurs sanitaires, médico-sociaux et dans l’agro-alimentaire.

Justement, le concept de qualité de vie au travail (QVT), tel que défini dans l’Ani de 2013, a été complètement dévoyé, avec des actions sans aucun lien avec le travail ou l’organisation du travail (cours de yoga, baby-foot, sieste…). L’agence n’a pas réagi. Pourquoi ? La loi du 2 août 2021 a dû d’ailleurs renommer QVT en QVCT pour le rappeler et montrer qu’il s’agit d’abord de parler du travail.

Il y a des pratiques qui sont diverses. Notre objectif est de former les partenaires sociaux à ces démarches et de mener des actions de sensibilisation auprès d’acteurs régionaux (branches professionnelles, conseils régionaux, organismes de prévention…). C’est par ces relais que nous faisons connaître ce qu’est une véritable démarche QVCT, notre méthodologie et surtout par ce biais que nous pouvons démystifier le sujet, encore trop souvent considéré comme complexe et chronophage.

Il y a énormément de documents et guides sur le site de l’Anact. Si un préventeur ou un professionnel RH se demande par où commencer sur la mise en place d’une vraie démarche de QVCT, que préconisez-vous ?

Sur la QVCT, nous avons produit un document pédagogique au début de l’automne 2023 le référentiel qualité de vie et des conditions de travail qui vise à accompagner des PME. Il n’y pas de modèle unique mais nous donnons ici un cadre d’action afin de permettre à chaque entreprise, en fonction de son contexte et de ses besoins, de mettre en place son propre référentiel.

De nombreuses enquêtes font état du mal-être des salariés. Comment expliquez toutefois, après 50 ans d’existence de l’Anact, l’état des santé des travailleurs aujourd’hui ? 

La mission de l’Anact n’est pas de contrôler, ni de produire des textes réglementaires. Nous n’avons pas non plus de moyens de sanctionner.

Notre rôle n’est pas de contrôler, mais d’accompagner 

Notre rôle est d’accompagner les entreprises qui ont le souhait de travailler sur les conditions de travail. Or, rien n’est simple. Les entreprises peinent à appréhender la démarche dans sa globalité, elles n’ont pas forcément les clefs pour entreprendre concrètement des améliorations. Notre mission reste d’actualité pour apporter en permanence des solutions qui correspondent à leurs besoins, via la prise en compte du travail réel et les relations professionnelles, tout en identifiant les sujets de demain. Nous devons avoir ce rôle d’anticipation. Notre mission est loin d’être finie, elle évolue car le travail se transforme.

Quels sont ces nouveaux enjeux ?

Nous concentrons une partie de nos travaux sur les transitions, à la fois numériques avec l’intelligence artificielle générative, mais aussi écologiques avec le dérèglement climatique et la décarbonation. Ces mutations changent notre façon de produire mais aussi de travailler. Nous nous interrogeons aussi sur la question du sens au travail. Nous encourageons les acteurs des entreprises, dirigeants et salariés, à travailler ensemble pour repenser les organisations du travail bousculées par ces évolutions.

Quel est votre analyse sur la mise en place en place du travail hybride ? 

C’est une nouvelle forme de travail qui a des effets positifs mais qui doit être accompagnée.

 Le télétravail doit être un sujet de dialogue social et professionnel

Il est primordial que le télétravail soit un sujet de dialogue social mais aussi de dialogue professionnel dans l’entreprise pour se donner des marges de manœuvre. Il est également important d’adapter le management ; des difficultés peuvent survenir pour les encadrants et avoir des répercussions sur les salariés. Attention également aux collectifs de travail ; il faut savoir garder des temps conviviaux, de professionnalisation grâce aux échanges avec les collègues et faciliter l’intégration des nouvelles venues. Bien encadré, le télétravail peut ainsi permettre de concilier les temps de vie, de fidéliser les salariés, d’accompagner les fins de carrière ou encore de prévenir l’usure professionnelle en constituant des équipes de binômes ou de trinômes.

Quelle est aujourd’hui votre feuille de route ?

Nos sujets d’étude portent actuellement sur la QVCT, le dialogue social, l’égalité professionnelle, l’accompagnement des transitions, la prévention de l’usure professionnelle et le maintien dans l’emploi. Des sujets plus que jamais d’actualité avec l’allongement de la vie active. Ces thèmes sont au coeur de notre contrat d’objectifs et de performance conclu avec l’Etat, pour la période 2022-2025.

Anne Bariet

Bernard Thibault (CGT) auteur d’un livre sur les coulisses des Jeux Olympiques

13/02/2024

L’ancien secrétaire général de la CGT de 1999 à 2013 a rendu ses mandats mais a repris la plume. Auteur de plusieurs livres, il s’apprête à publier un ouvrage intitulé “Dans les coulisses des JO” aux éditions de l’Atelier (lire la présentation sur le site de l’éditeur). Bernard Thibault siège en effet dans les comités d’organisation des jeux olympiques et paralympiques de paris 2024. L’ensemble des confédérations représentatives au niveau national (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, mais aussi U2P, CPME et MEDEF) ont d’ailleurs été sollicitées pour élaborer une charte sociale des jeux. S’exprimant dans le quotidien régional Ouest France, Bernard Thibault dévoile “voir avalé quelques couleuvres” sur le travail du dimanche ou les métiers de la sécurité. Le livre serait publié le 16 février.

Source : actuel CSE

Forfait jours : les mesures supplétives sur le suivi de la charge de travail s’imposent à l’employeur

14/02/2024

En cas de manquement de l’employeur aux obligations supplétives, édictées pour pallier l’absence de dispositions conventionnelles sur le suivi de la charge de travail, la convention de forfait des salariés concernés est frappée de nullité.

En principe, l’accord collectif instaurant le forfait jours doit comporter des dispositions précisant les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail des salariés. Il doit aussi prévoir les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, et sur l’organisation du travail dans l’entreprise (article L.3121-64 II du code du travail).

En l’absence de ces dispositions conventionnelles ou si elles sont incomplètes, le législateur a prévu un dispositif dérogatoire, un dispositif dit de “rattrapage” ou “de béquille”, codifié à l’article L.3121-65 du code du travail. Ces dispositions sont qualifiées de “mesures supplétives”. Ce dispositif permet à l’employeur de conclure tout de même des conventions individuelles de forfait en jours, mais à la condition de mettre en place unilatéralement les mesures nécessaires pour pallier les lacunes de l’accord relatives au suivi de la charge de travail.

Plus précisément, en l’absence de stipulations conventionnelles sur le contrôle de la charge de travail, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue si l’employeur prend les mesures supplétives suivantes (article L.3121-65, I du code du travail) :

  • l’employeur établit un document de contrôle du nombre de jours travaillés faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
  • l’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
  • l’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.

Il est prévu également des mesures supplétives en labsence de clause conventionnelle sur le droit à déconnexion, mais ce point n’était pas visé dans le litige.

La Cour de cassation ne s’était toutefois pas encore prononcée sur le sort de la convention individuelle de forfait jours si l’employeur ne respecte pas ces dispositions supplétives. Elle vient de le faire dans un arrêt du 10 janvier 2024. Dans cet arrêt, prévu pour être publié au rapport annuel de la Cour de cassation, elle déclare, pour la première fois à notre connaissance, que cette convention est alors frappée de nullité.

Elle précise clairement qu’en cas de manquement à l’une des obligations précitées, l’employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l’article L.3121-65 (c’est-à-dire l’instauration des mesures supplétives conformes à l’article L.3121-65) et il en résulte que la convention individuelle de forfait en jours conclue sur la base d’un accord collectif incomplet est nulle.

La convention individuelle de forfait en jours est nulle lorsque l’employeur ne respecte pas les dispositions supplétives

En l’espèce, un salarié avait été embauché avec un contrat de travail stipulant une convention de forfait en jours. Suite à son licenciement, il conteste la validité de sa convention de forfait et il demande le paiement d’heures supplémentaires en raison de la nullité de sa convention de forfait. La cour d’appel suivie de la Cour de cassation lui font droit.

Tout d’abord, il est relevé que la convention collective permettant le recours au forfait jours n’était pas conforme aux dispositions de l’article L.3121-64 du code du travail. En effet, cette convention collective ne contenait aucune disposition relative, ni aux modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail du salarié, ni aux modalités de communication sur celle-ci, et elle n’avait pas été révisée pour être en conformité avec la loi Travail du 8 août 2016.

Dans un deuxième temps, il est relevé que le dispositif dérogatoire permis par l’article L.3121-65 et auquel l’employeur avait eu recours n’était pas conforme aux exigences de ce texte. En effet, la cour d’appel avait relevé que :

  • les tableaux de suivi des journées et demi-journées travaillées ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important à cet égard que ceux-ci aient été renseignés ou non par le salarié, ou validés par lui, dès lors qu’ils devaient l’être sous la responsabilité de l’employeur. Il en résultait qu’il paraissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
  • l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation déclare que la convention individuelle de forfait en jours est nulle lorsque l’employeur ne respecte pas les dispositions supplétives prévues à l’article L.3121-65 du code du travail.

Dans le cas où laccord collectif est valide mais que lemployeur ne la pas respecté, la Cour de cassation prive la convention individuelle de forfait en jours deffet à compter de la défaillance de l’employeur et jusqu’à régularisation (arrêt du 2 juillet 2014 ; arrêt du 22 juin 2016). La sanction de la nullité est en effet à distinguer de celle de la privation d’effet. Lorsque la convention est privée d’effet, il est possible de la régulariser, alors qu’en cas de nullité, la convention n’existe plus et cela, de manière rétroactive. Lorsque la sanction est la privation d’effet, le salarié peut demander un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires uniquement pour la période qui court à compter de la défaillance de l’employeur et jusqu’à régularisation par celui-ci. Dans le cas de la nullité, le forfait est supposé n’avoir jamais existé ; le salarié peut donc demander un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires depuis la conclusion de la convention, dans la limite du délai de prescription (arrêt du 27 mars 2019) qui est de trois ans (arrêt du 30 juin 2021). En contrepartie, du fait de la nullité de la convention de forfait, l’employeur peut demander de son côté le remboursement des jours de repos octroyés.

Carole Chriqui et Nathalie Lebreton