Frédéric Souillot : “Notre stratégie aux élections CSE est la même que dans la fonction publique”

23/05/2024

Élu en juin 2022, le secrétaire général de Force Ouvrière arrive à mi-mandat. Après la mobilisation contre la réforme des retraites et les multiples projets de l’exécutif dans le domaine social, Frédéric Souillot pose le bilan de ces deux années passées à la tête de Force Ouvrière, notamment sur le front des élections CSE et sur les négociations interprofessionnelles. Il sera par ailleurs candidat à sa réélection au prochain congrès de la confédération, en 2026.

Comment avez-vous vécu ces deux premières années de mandat ?

Très bien. Après mon élection, j’ai lancé très vite la campagne électorale dans la fonction publique : 175 meetings, des actions sur le terrain et des visites de sites à la rencontre des agents. Pour la première fois de son histoire, FO devient la deuxième organisation syndicale sur les trois versants, aussi bien dans la fonction publique d’Etat que dans la territoriale et l’hospitalière. C’était un beau challenge.

Avec ces bons scores dans la fonction publique, qu’attendez-vous des résultats de FO aux élections CSE dans le secteur privé ?

Notre objectif est non seulement de progresser dans les entreprises où nous sommes présents mais aussi de nous implanter ailleurs. C’est ce qui se passe puisque les premiers résultats indiquent une hausse de nos implantations. A titre d’exemple, pour l’instant nous restons premiers chez Airbus avec 32,4 % des voix et nous devenons syndicat majoritaire chez Mecachrome avec 52 %.

Quelles actions menez-vous quand de mauvais résultats aux élections CSE vous sont communiqués ?

Tout d’abord on anticipe ces situations, on n’attend pas que de mauvais résultats tombent. Quand des indices de conflits ou de mercato syndical nous parviennent, on contacte tout de suite les militants concernés. Ce qui les intéresse, c’est qu’on leur donne les moyens de mieux représenter les salariés. Ensuite, ils travaillent sur le fond des dossiers, la situation des entreprises et les attentes du personnel.

Aux derniers cycles électoraux, FO avait remporté 17,93 % en 2013-2016 et 17,64 % en 2017-2020 en poids relatif. Comment analysez-vous cette légère baisse ?

Sur le précédent cycle, l’affaire interne autour de Pascal Pavageau avait divisé les équipes. Et quand elles sont divisées, les équipes ne se consacrent pas assez à la campagne électorale. Cela a bridé la création des listes et la négociation des accords préélectoraux.

Quelle est votre stratégie pour les élections CSE ?

Anticiper, être sur le terrain, négocier les protocoles

Notre stratégie est la même que dans la fonction publique : anticiper les situations, être présents sur le terrain et négocier les protocoles d’accords. Auparavant, les équipes décidaient de se présenter ou pas uniquement avec les moyens des unions départementales. En juillet 2023, la confédération a apporté son soutien en recoupant dans des fichiers les données relatives à nos implantations, les taux de participation et la présence d’autres organisations syndicales. Nous sommes allés négocier les protocoles dans les entreprises où il y avait matière à gagner des points. Nous appliquerons également cette stratégie aux élections TPE qui doivent se tenir en 2024.

Dans la fonction publique, vous revendiquez le retour au vote papier. Est-ce que le vote électronique nuit aussi aux élections CSE selon vous ?

Dans la fonction publique, le vote électronique a réduit le taux de participation, mais il est surtout néfaste dans les TPE dépourvues de syndicats. Dans les entreprises de taille moyenne, les équipes syndicales en place appellent à voter et suivent le déroulement des opérations, donc le problème se pose moins. Quelles que soient les modalités de vote, nous utilisons de longue date un cahier du votant qui recense les coordonnées des salariés. Grâce à cet outil, on accompagne les adhérents FO, on les incite à voter voire on les aide s’ils rencontrent des difficultés avec les mails ou les codes d’accès. Chez Orange, on a perdu la représentativité à 55 voix près, notamment à cause des conditions d’organisation du vote électronique, et malgré un bon taux de participation.

Les résolutions du congrès de 2022 revendiquent l’abrogation des ordonnances Macron sur le CSE et un retour au CHSCT. Au contraire, un rapport parlementaire a proposé de rehausser les seuils des CSE. Comment avez-vous combattu ce projet ?

Pour l’instant, le projet semble enterré

Effectivement nous l’avons contrecarré et il ne figure pas dans le projet de loi sur la simplification. Nous avons fait du lobbying auprès de parlementaires Renaissance, Liot et quelques Républicains en leur demandant de réfléchir aux priorités : est-il préférable de relever ces seuils ou bien de préserver le dialogue social et la représentation du personnel ? J’ai aussi été auditionné par les rapporteurs Louis Margueritte et Anne-Cécile Violland. Pour l’instant le projet semble enterré, je ne pense pas que l’exécutif souhaite se risquer à le réintroduire dans la loi travail de l’automne car il ne dispose pas de la majorité absolue à l’Assemblée. A ma connaissance, la ministre du Travail Catherine Vautrin n’y est d’ailleurs pas favorable.

A la suite de ce rapport, un expert des CSE, Julien Sportès, a suggéré une négociation interprofessionnelle sur la représentation du personnel. Qu’en pensez-vous ?

Une ordonnance régit déjà les CSE. Je ne vois donc pas l’utilité d’une négociation. En revanche, je défends un déplafonnement de la limitation à trois mandats des élus et le retour des CHSCT dotés de la personnalité morale, même sous l’appellation de “commission” qui en sont actuellement dépourvues.

En mars 2024, au moment de la négociation sur le “Pacte de la vie au travail”, un consensus syndical s’est dégagé pour supprimer cette limitation à trois mandats. Aucun accord n’ayant été trouvé entre patronat et syndicats, l’idée s’est arrêtée là. Pour autant, reste-t-elle dans les cartons des partenaires sociaux ?

En effet, l’un des objectifs de cette négociation était de trouver les moyens de maintenir les seniors en entreprise. Nous avions ajouté les trois mandats dans la même optique : augmenter la présence des représentants du personnel. L’U2P avait donné son accord très rapidement, le Medef ensuite et la CPME. Ensuite, le ministère du Travail et Matignon s’étaient engagés à retranscrire la mesure dans la loi. Le sujet reste d’actualité mais pour l’instant, on ne sait pas par quel biais nous pourrions le mener à terme. Face à l’exécutif, je continue en tout cas de dénoncer qu’on impose ce plafonnement des mandats aux élus de CSE mais pas aux parlementaires…

Depuis votre élection, FO a signé les accords interprofessionnels sur le paritarisme, les retraites complémentaires, l’assurance chômage, les accidents du travail-maladies professionnelles, le partage de la valeur et les reconversions. Êtes-vous satisfait de ce bilan ?

La question n’est pas le nombre d’accords signés mais les avancées qu’ils portent pour les salariés. Sur l’Agirc-Arrco, le gouvernement attaquait les retraites complémentaires, il fallait s’y opposer. Quant au partage de la valeur, tout est parti de l’idée de Thibault Lanxade qui suggérait de créer un dividende salarié en prônant une meilleure répartition des profits avec les actionnaires. Évidemment, nous n’en voulions pas mais nous sommes quand même allés négocier. Au final, l’accord sur le partage de la valeur dégage des avancées dans les entreprises de moins de 50 salariés. Sur les accidents du travail, il y avait un vrai sujet : passer à plus de prévention que de réparation. Il reste certes l’article 39 du projet sur la faute inexcusable de l’employeur que nous continuons de discuter mais sur le reste, on a plutôt obtenu un bon accord.

Et sur l’assurance chômage et le Cetu ?

Il s’agissait de répondre à une lettre de cadrage très serrée tout en donnant des avantages supplémentaires aux demandeurs d’emploi mais le gouvernement n’a pas agréé l’accord. Enfin, nous nous opposions au compte épargne temps universel, car nous pensons qu’il aura les mêmes effets que les 35 heures, à savoir un blocage des négociations salariales et un gel des conditions de travail dans les entreprises pendant 10 ans.

N’est-il pas plus difficile de défendre la signature d’accords qui actent moins de droits qu’il y a 30 ans ?

Depuis 30 ans, la société a évolué. A chaque négociation, cela vaut le coup de s’interroger si on signe ou pas dans le but de garder les droits et de les améliorer. Sinon, on se bornerait à camper sur les anciens droits sans tenter de les faire progresser.

Le congrès a acté la défense du paritarisme auquel FO est très attaché. Quelle est votre stratégie face aux attaques de l’exécutif ?

Mettre en avant le paritarisme de gestion et ce qu’il apporte aux salariés. Nous avons par exemple élaboré un guide sur le bulletin de paie, que Bruno Le Maire prétend simplifier. Les cotisations prélevées sur les salaires sont gérées de manière paritaire. Les qualifier de charges relève de l’hypocrisie. Nous organiserons le 27 juin une conférence au Sénat dans le but de réexpliquer le paritarisme au commun des mortels. Pour beaucoup de salariés aujourd’hui, les retraites complémentaires sont un droit. Sauf que si elles ne sont pas administrées via le paritarisme de gestion, au bout d’un moment elles risquent de disparaître.

Les résolutions du congrès s’opposent au “syndicalisme rassemblé” et à “l’intersyndicale permanente” qui “nuisent au pluralisme”. Elles valident cependant l’intersyndicale “si les circonstances l’exigent”. Comment tenez-vous cet équilibre ?

Sur les retraites il ne s’agit pas de syndicalisme rassemblé. Les organisations syndicales se sont mises d’accord sur deux choses : pas de recul de l’âge légal de départ, pas d’allongement de la durée de cotisation. Ensuite, chacune a conservé ses différences, par exemple sur le maintien des régimes spéciaux. L’équilibre est le suivant : nous défendons nos revendications, mais si on partage un point commun avec les autres, on se met d’accord pour combattre ensemble une réforme. L’intersyndicale, c’est un véhicule dans lequel il faut mettre le même carburant.

Quels enseignements avez-vous retenu du mouvement social contre la réforme des retraites en 2023 ?

Nous avons marqué un point face à l’exécutif 

Nous avons redonné de la visibilité et de la lisibilité aux organisations syndicales, et cela s’est traduit par un regain d’adhésions. Quand on porte un sujet et qu’on formule des revendications communes au-delà d’un anti-Macronisme primaire, les travailleurs s’y retrouvent. J’ai surtout retenu qu’en termes de communication, nous avons marqué un point face à l’exécutif en expliquant les réels fondements de cette réforme : réaliser des économies. Il aurait fallu au contraire prendre les choses par le bon bout et trouver des solutions pour les seniors. Quand 50 % de ceux qui liquident leur retraite ne sont plus en emploi et 18% d’entre eux sont au RSA, traiter le problème d’emploi passe avant toute réforme des retraites.

Les résolutions du congrès considèrent les nouvelles adhésions comme “impératives et prioritaires”. Combien de nouveaux adhérents comptez-vous et un mot sur leur profil ?

Nous avons enregistré 57 000 nouvelles cartes. Au congrès de 2022, grâce à une enquête, nous savions que Force Ouvrière comptait 52 % d’adhérentes. Parmi nos 57 000 adhérents supplémentaires, 60 % sont des femmes. Chez les nouveaux, la moyenne d’âge tourne autour de 35 ans, au lieu de 44 sur l’ensemble des adhérents. Un rajeunissement et une féminisation bienvenus qui feront bouger les choses de l’intérieur mais pas en un claquement de doigts bien sûr.

Yves Veyrier avait évoqué “350 000 cartes placées” mais vous parlez de 494 000 adhérents. Quel est le bon chiffre ?

Yves s’était appuyé sur les chiffres d’avant le congrès 2022. Mais au congrès, pour calculer le nombre de votants, on se base sur le nombre de cartes et de timbres. Ce qui nous amenait à 494 000 cartes. Bon, à 6 000 près, je continue de dire 500 000.

En deux ans, vous avez eu affaire à deux ministres du Travail, Olivier Dussopt puis Catherine Vautrin. Comment se passent vos relations ?

Avec Olivier Dussopt, ça ne passait pas, justement. Il m’a appelé deux fois : après le congrès pour me féliciter de mon élection, puis pour organiser une conférence sociale. Les informations ne circulaient pas, il ne jouait pas le jeu. Avec Catherine Vautrin, on se parle assez souvent, soit directement soit par l’intermédiaire de son cabinet. Elle se place beaucoup plus dans la discussion et la concertation. Bien-sûr, sa mission reste de dérouler le programme présidentiel mais elle semble avoir à cœur de la remplir en respectant la démocratie sociale.

Quelles sont vos priorités pour les deux ans de mandat à venir ?

Les priorités sont sans conteste de continuer à nous développer. Si l’on veut peser dans le rapport de force, FO doit montrer sa solidité, c’est le seul moyen de réussir. L’autre priorité : reprendre notre place aux élections TPE et devancer L’Unsa.

Pensez-vous déjà au prochain congrès ?

J’y pense un peu…

Serez-vous de nouveau candidat au poste de secrétaire général ?

Oui, je serai candidat.

Marie-Aude Grimont

La CGT organise des États généraux de l’industrie et de l’environnement la semaine prochaine

23/05/2024

“Mettre fin au dumping fiscal et social, rompre avec les politiques d’austérité néolibérales, dépasser les contradictions entre social et environnemental”. Tels seront les mots d’ordre des États généraux de l’industrie et de l’environnement (EGIE) organisés par la CGT le 28 mai prochain au siège de la confédération à Montreuil (Programme et inscriptions sur le site de la CGT). Après deux tables rondes (“Réindustrialiser pour répondre aux besoins et défis environnementaux” et “Permettre aux salariés de reprendre la main sur la finalité de leur travail”), la confédération interpellera les candidats aux élections européennes (*) sur ses propositions, car selon Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, “ces états généraux sont organisés en lien avec les élections car le dumping fiscal et social est organisé à l’échelle européenne, il faut donc harmoniser les normes par le haut”. Il sera donc question lors de ces États généraux de réindustrialisation des enjeux stratégiques et environnementaux, des secteurs de la métallurgie, de la chimie, du rail ou encore du papier-carton, et de la place des salariés et de leurs représentants sur ces sujets. A cette occasion sera également présenté le Radar environnement, outil développé par la fédération des cadres Ugict-CGT. 

Selon Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral en charge de l’organisation des EGIE, “ces états généraux marqueront le lancement du plan d’action syndical décidé par le comité confédéral national en novembre 2023. Son principe est de partir du travail et de donner la parole aux premiers experts, les salariés, afin de limiter l’impact de l’entreprise sur l’environnement”. Cette “construction revendicative” sera déployée et coordonnée entre fédérations et unions départementales avec l’appui des comités régionaux de la CGT”. La confédération revendique également une “sécurité sociale professionnelle” sous la forme d’un fonds mutualisé et permettant un maintien du contrat de travail avec obligation de reclassement pendant la transition et la formation du salarié.

La CGT communique également une “liste noire des plans de licenciement depuis septembre 2023, 130 entreprises où l’emploi est mis à mal” et menacent plus de 33 000 emplois. Selon Sophie Binet, “cette situation confirme un triple échec de la stratégie du Président de la République : celui de la spécialisation productive, le fait d’avoir laissé les clés de la politique industrielle aux grands groupes, et le fait de miser la reconquête industrielle sur une hypothétique compétitivité-coûts en multipliant les aides publiques aux entreprises”.

(*) Seront reçus les candidats suivants :

  • Manon Aubry (La France Insoumise),
  • François-Xavier Bellamy (Les Républicains),
  • Christophe Clergeau / Raphaël Glucksman (Place Publique – Parti socialiste),
  • Léon Deffontaines (Parti Communiste Français et Gauches Unies),
  • Marie Toussaint (Europe Écologie),
  • Pascal Canfin (Renaissance).

La CGT n’a pas souhaité inviter de candidat représentant le Rassemblement National.

Source : actuel CSE