Emploi des seniors : la négociation de la “deuxième chance”

24/10/2024

Si les partenaires sociaux ont affirmé, mardi, leur intention d’aboutir à un compromis sur l’emploi des seniors au cours de cette négociation express qui doit s’achever le 14 novembre, plusieurs points d’achoppement sont apparus. Aux premiers rangs desquels la création d’un droit opposable à la retraite progressive.

Bis repetita. Les partenaires sociaux se sont retrouvés, mardi 22 octobre, au siège parisien de l’Unedic, pour renouer le dialogue sur l’emploi des seniors, en parallèle des nouvelles négociations sur l’assurance chômage, deux champs sur lesquels le nouveau gouvernement semble vouloir redonner la main aux partenaires sociaux. Avec la volonté, selon Hubert Mongon, chef de file des discussions pour le Medef, de “trouver des points de convergence” après l’échec des pourparlers d’avril dernier. Quatre thèmes ont été retenus à l’issue de cette première séance : le dialogue social ; les entretiens professionnels à mi-parcours ; la question du travail des seniors demandeurs d’emploi et celle de l’aménagement des fins de carrière. “Un exploit”, résume Eric Chevée (CPME) qui rappelle que “tout le monde mesure l’importance de cette négociation de la deuxième chance”. 

Les partenaires sociaux ne partent pas d’une page blanche. Plusieurs sujets avaient d’ores et déjà été balayés, à l’instar des entretiens professionnels, à réaliser à des moments clés de la carrière, quelle que soit l’ancienneté du salarié ou des aménagements de fin de carrière. Mais “si les choses sont bien en place, tout reste à faire”, a reconnu Yvan Ricordeau (CFDT).

Vers un assouplissement de la retraite progressive

Car les points durs subsistent. A commencer par la retraite progressive, un dispositif qui permet à un salarié de passer à temps partiel tout en touchant une fraction de sa pension. Mais qui peine à décoller.  Au 31 décembre 2020, seulement 23 000 assurés du régime général profitaient de ce dispositif, selon le PLFFSS pour 2022.

Plusieurs explications sont avancées pour justifier ce peu d’engouement, parmi lesquelles la baisse de revenus et des cotisations retraite causées par le passage à un travail à temps partiel (sauf à surcotiser aussi bien dans le régime de base que dans le régime complémentaire Agirc-Arrco), le risque de ne pas valider quatre trimestres par année mais aussi l’obligation d’avoir l’accord préalable de l’employeur pour franchir le pas.

Si tous les partenaires sociaux sont d’accord pour assouplir ce dispositif, la méthode pour y parvenir diffère : plusieurs organisations syndicales, à l’instar de la CGT, de FO ou de la CFE-CGC, demandent la création d’un droit opposable à la retraite progressive. Or, le Medef et la CPME y sont farouchement opposés, arguant que l’employeur doit pouvoir conserver la possibilité de refuser ce droit à un salarié qui en ferait la demande.  

La CGT, par la voix de Sandrine Mourey, demande en plus une compensation financière liée à la perte de salaire, à fortiori sur les “petits” salaires. “À 1 200 euros par mois vous ne pouvez pas vous permettre d’avoir une perte de droits et de salaire”, insiste-t-elle.

Patricia Devron (FO) plaide, elle, pour modifier les conditions d’accès à ce dispositif, en proposant qu’il soit accessible dès 60 ans (et non 62 ans) aux personnes justifiant de 150 trimestres d’assurance. Une revendication également partagée par la CFDT.

Le CDI senior suscite toujours des critiques

L’autre point de crispation porte sur le CDI senior, renommé “contrat de valorisation de l’expérience” expérimental lors de la précédente négociation. Un contrat de travail dérogatoire au droit commun destiné à faciliter l’embauche de chômeurs sexagénaires.

La proposition d’Eric Chevée, à savoir, la possibilité pour l’employeur d’être exonéré de la contribution d’assurance chômage en contrepartie de l’embauche d’un senior, passe mal. D’autant que ce contrat soulève encore de nombreuses critiques. La CGT craint, en effet, que ce contrat “licenciement senior” encourage les employeurs à licencier un salarié avant 60 ans pour le réembaucher via ce contrat plus flexible ; l’employeur pouvant y mettre un terme dès que ce dernier cumule l’ensemble des trimestres requis pour partir à la retraite.

Jean-François Foucard (CFE-CGC) parle, lui, d’un “Delalande à l’envers” en référence à la contribution ad hoc, imaginée, en 1987, par le député RPR Jean-Pierre Delalande, et destinée à pénaliser financièrement les entreprises qui licenciaient des personnes de plus de 50 ans.

Au-delà, les organisations syndicales souhaitent remettre sur la table l’obligation de la négociation de branche ou d’entreprise dédiée spécifiquement aux seniors ; le rétablissement des quatre critères de pénibilité supprimés en 2018 ou encore l’élaboration d’une cartographie des métiers pénibles. Deux branches seulement, dont celle des industries électriques et gazières (IEG), y ont déjà réfléchi.

Trois séances de négociation

Ce qui est sûr, c’est que les trois séances supplémentaires, prévues le 29 octobre, le 4 novembre et le 14 novembre, ne seront pas superflues pour déminer ces sujets. Mais sans attendre l’issue des négociations, Jean-François Foucard, secrétaire confédéral de la CFE-CGC, se montre peu optimiste, indiquant que “l’accord ne risque pas d’être révolutionnaire” et surtout à “la hauteur des enjeux”. A l’inverse, Hubert Mongon s’est montré plus confiant : il juge possible qu’un premier projet d’accord puisse être présenté aux partenaires sociaux la semaine prochaine.

Mais le Medef a posé, dès mardi, ses exigences en cas de réussite : que cet accord soit retranscrit dans une loi “dans les conditions d’une fidélité absolue”, en vertu de l’article 1 du code du travail et confirmé par l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le paritarisme du 14 avril 2022, sur la priorité donnée à la démocratie sociale et à la négociation. Y compris si certains dispositifs nécessitent des “coûts supplémentaires”. Voilà désormais Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre du travail, prévenue.

Anne Bariet

Réforme des IRP dans la fonction publique : le nombre d’instances a moins baissé que prévu

25/10/2024

L’administration a imité, en quelque sorte, le privé en réformant les instances représentatives du personnel en 2019. Avec quel résultat ? La Cour de compte livre un bilan assez…comptable de cet impact. Le dialogue social n’a pas assez été simplifié à ses yeux, ni assez recentré sur les questions stratégiques. Au passage, les magistrats proposent d’alléger l’équivalent de la base de données économiques et sociales et d’en finir avec les moyens syndicaux dérogatoires. L’occasion d’un petit comparatif public-privé.

La Cour des comptes consacre un rapport à l’analyse de la mise en œuvre de la réforme des instances représentatives du personnel (IRP) dans la fonction publique. Cette réforme lancée par la loi du 6 août 2019, qui s’inspire de ce qui a été fait dans le privé avec le CSE, visait notamment une baisse du nombre d’instances, une économie des moyens et une simplification du dialogue social.

Deux ans après les ordonnances de 2017 prévoyant le regroupement au sein du CSE du comité d’entreprise (CE), des délégués du personnel (DP) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le secteur public entamait en effet le mariage, au sein d’une instance unique, des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité, tandis que les commissions administratives paritaires (CAP) voyaient leur mission recentrée sur les décisions disciplinaires. L’équivalent du CSE dans le public s’appelle, dans la fonction publique d’Etat, le CSA (conseil social d’administration), dans la territoriale, le conseil social territorial (CST), et à l’hôpital, le conseil social d’établissement (CSE), comme on le voit ci-dessous.

Qu’a produit ce changement dans le secteur public, dont le taux de syndicalisation est deux fois plus important que dans le privé ? D’abord, une réduction effective du nombre d’instances de dialogue social : 4 000 en 2023 au lieu de 5 000 en 2019, la baisse la plus forte concernant les ministères de l’économie et des finances.

Une baisse, très inégale, du nombre d’instances

Mais cette baisse a été moins forte qu’escomptée car elle a été “en partie compensée par la hausse du nombre de formations spécialisées en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (FSSCT)” dès lors que l’effectif dépasse les agents. C’est un peu moins que la barre imposant dans le privé aux employeurs de doter le CSE d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) à partir de 300 salariés.

On peut aussi s’interroger, ce que ne fait pas la cour des comptes, sur le caractère réel de la simplification opérée  : dans le privé, de multiples retours et enquêtes montrent que les CSE et leurs CSSCT peinent encore à se saisir de ces prérogatives autrefois attribuées au CHSCT.

Dans le public, n’en va-t-il pas de même ? L’application de la réforme a été différente selon la fonction publique. Au sein de l’Etat, cette “simplification” a créé, dans les ministères économiques et financiers, davantage de commissions sécurité (211) que n’existaient de CHSCT (117). A l’inverse, dans la fonction publique territoriale, la réduction d’instances a pu être forte : les agents territoriaux de la Savoie disposaient de 44 CHSCT, aujourd’hui n’existent plus que 5 commissions spécialisées. 

Conclusion générale sur ce point de la Cour des comptes : la baisse du nombre d’instances a eu lieu, mais dans des proportions moindres que prévu : “Dans certaines administrations et collectivités, [il existe toujours] un nombre parfois très élevé d’instances sociales spécialisées, quelquefois en nombre supérieur à la situation antérieure à la réforme de 2019. Au total la réduction du nombre d’instances est moindre que prévue et la simplification attendue marque le pas”.

Moins de moyens alloués aux syndicats dans la fonction publique d’Etat

Les économies attendues par l’Etat de cette simplification ont-elles été au rendez-vous ? La Cour des comptes semble déplorer le maintien ici et là d’un niveau antérieur des heures de représentation syndicale “pour gérer la transition”. Elle se félicite néanmoins d’une baisse de 6%, dans la fonction publique de l’Etat, des décharges et autorisations d’absence. 

Les magistrats chiffrent à 874 M€ le coût du dialogue social dans les trois fonctions publiques, ce qui représente 154€ par agent. C’est une estimation “minimale”, précise la cour, car elle n’inclut pas les frais de mise à disposition des locaux et de matériels. La Cour aimerait que ce montant soit abaissé, notamment de 14,6 millions d’euros, estimation d’un surcoût lié au maintien de droits dérogatoires dans certains ministères [Ndlr : si le rapport évoque le financement public des syndicats du privé via l’AGFPN à hauteur de 144 millions d’euros en 2022, difficile ici de tenter une comparaison public-privé. On se souvient  du reste des déboires du rapport Perruchot sur le sujet, d’autant que présenter comme un coût le paiement des heures de délégation peut quand même poser question…].

Cela n’empêche pas la Cour de déplorer la sous-consommation de la mutualisation des temps syndicaux permise dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière : “La sous-consommation des heures globalisées est patente. Ainsi, pour le département de l’Isère, le CHU de Grenoble indique que seules près de 10 % de ces heures globalisées ont été consommées en 2022”. Il faudrait disposer de chiffres pour faire une comparaison avec le privé, mais il n’est pas impossible que la mutualisation possible des crédits d’heures soit aussi sous-utilisée par les membres des CSE.

Peu d’accords collectifs

La rénovation du dialogue social, censée être favorisée par la loi de 2019, a-t-elle été au rendez-vous ? Là encore, le bilan n’est pas sans rappeler les exhortations de la direction générale du travail (DGT) vis à vis des partenaires sociaux afin de se saisir de toutes les possibilités d’accords d’entreprise : le bilan est variable, mais on observe souvent que c’est le caractère obligatoire de telle ou telle disposition qui entraîne un regain de négociation.

Dans le public, la possibilité donnée aux employeurs et syndicats de conclure des accords-cadres et des accords de méthode, a donné très peu de fruits : seulement 200 accords collectifs avaient été signés fin 2022 dans les trois fonctions publiques, un chiffre à rapporter aux 85 000 accords collectifs du secteur public en 2023 ! Et très peu d’accords concernent la continuité des services publics.

On peut ici rapprocher cette observation du faible nombre d’accords collectifs originaux sur le CSE dans le privé, comme si les acteurs avaient projeté dans le fonctionnement de la nouvelle instance celui de l’ancien CE.

Un autre point de comparaison public privé peut être fait s’agissant de la base d’informations mise à la disposition des représentants du personnel. Dans le privé, il existe encore de nombreux cas où la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales) n’est pas disponible, mal renseignée, peu actualisée ou peu digeste, et il n’est pas rare d’entendre des représentants patronaux réclamer une simplification de cet outil : au printemps, un rapport parlementaire suggérait carrément de ne la rendre obligatoire que dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés !

Dans le public, les magistrats jugent que cette base de données sociales (BDS) contient trop d’indicateurs, avec un contenu est “trop disparate” pour constituer une information susceptible de nourrir le dialogue social. Les ministères sont censés renseigner 200 indicateurs : “Une diminution de leur nombre et leur ciblage sur des données vraiment utiles, notamment budgétaires, sont nécessaires, pour également alléger la charge administrative des services gestionnaires”. 

Les habitudes résistent ! 

Par ailleurs, les magistrats s’étonnent du maintien de pratiques antérieures aux nouvelles règles fixées par la loi. Par exemple, “nombre de collectivités locales ont maintenu la consultation préalable des élus du personnel pour les actes de gestion de carrière, quand bien même l’article 10 de la loi de transformation de la fonction publique prévoit que les commissions administratives paritaires (CAP) ne sont plus compétentes en ce domaine”.

Commentaire aigre doux de la Cour des comptes : “La nécessité de ménager une période transitoire peut expliquer cette attitude, celle aussi de maintenir des échanges estimés propices à la bonne gestion des ressources humaines. Ces considérations sont légitimes mais elles ne doivent pas aboutir à vider de portée la réforme prévue par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, en maintenant un dialogue social axé sur les situations personnelles, constituant souvent de facto une forme de cogestion des ressource humaines”. 

Les 5 recommandations du rapport

En conclusion de ses travaux dont elle propose une synthèse de 15 pages,  la Cour des comptes émet cinq recommandations : 

  • Adapter les systèmes d’information pour produire des données relatives aux moyens consacrés au dialogue social au sein de la fonction publique ;
  • Mettre un terme aux dispositifs accordant des droits syndicaux dérogatoires (comme au ministère du travail, de la santé et des solidarités) ; 
  • Diminuer le nombre des indicateurs de la Base de données sociales (BDS) et les centrer sur des informations stratégiques utiles au dialogue social ; 
  • Développer le recours aux accords-cadres ;
  • Renforcer l’offre de formation initiale et continue partagée en faveur des représentants de l’administration et des agents publics.

Bernard Domergue