“Abordez la question de l’intelligence artificielle lors de la consultation sur les orientations stratégiques”

09/12/2024

À l’occasion de la parution d’un guide Agir de Secafi sur l’intelligence artificielle, nous avons demandé à deux de ses auteurs d’apporter quelques conseils aux représentants du personnel sur la façon d’appréhender ces nouvelles technologies et leurs effets sur le travail et l’emploi. Les réponses, dans cette interview, des experts Clémentine Bienenfeld, spécialiste des sujets économiques et sociaux, et Vincent Jacquemond, spécialisé dans les expertises sur les changements d’organisation et les conditions de travail.

Où en est-on aujourd’hui, dans les entreprises françaises, en matière d’intelligence artificielle (IA) ? 

Clémentine Bienenfeld et Vincent Jacquemond : Selon Eurostat, seulement 6% des entreprises d’au moins 10 salariés en France utilisent l’IA. C’est assez peu. C’est d’ailleurs pour cela que les élus du personnel doivent s’emparer dès aujourd’hui de ce sujet. Car l’IA va se développer et s’étendre, un peu à la manière du télétravail : cela peut prendre du temps, aller plus ou moins vite selon les entreprises, mais on ne reviendra pas en arrière. Restons toutefois prudents face aux fantasmes sur l’IA. En 2022, la présentation de ChatGPT avait provoqué une phase de grand engouement dans les entreprises mais aussi chez certains salariés.

Seulement 6% des entreprises françaises utilisent l’IA 

On nous promettait un grand big bang des organisations, comme si cette technologie allait tout changer. Depuis, il y a eu comme une série d’allers-retours entre cet enthousiasme débridé et des retours d’expérience réels plus mitigés, avec des questionnements, notamment sur sa rentabilité. Car on l’oublie parfois, mais cette technologie s’avère très coûteuse. Ces coûts de fonctionnement suscitent d’autant plus d’attentes en termes de gains de productivité, que ces attentes soient publiquement exprimées ou non lorsque l’entreprise “vend” l’IA auprès de ses salariés. Dans les analyses que nous conduisons pour les représentants du personnel au sujet de l’IA, la partie économique de ces projets est très importante.

 Une recherche IA consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google

Parler des objectifs de gains de productivité, c’est pouvoir enclencher un débat non seulement sur le partage de la valeur mais aussi sur les conséquences sur le travail. Ajoutons aussi que la question écologique et climatique liée à l’utilisation de ces outils va se poser de plus en plus : une recherche sur ChatGPT consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche avec Google. C’est aussi un élément à soulever auprès des directions d’entreprise.

En quoi l’IA est-elle une technologie différente des autres ? 

L’IA n’est pas une technologie comme les autres dans la mesure où c’est une technologie qui évolue au fur et à mesure des données qui l’alimentent. Donc, lorsque l’on la déploie, on ne connaît pas les conséquences qu’elle produira sur l’organisation économique de l’entreprise et sur celle du travail.

Ses conséquences ne sont pas prévisibles 

Par exemple, Amazon a voulu utiliser un outil IA pour présélectionner les CV selon les offres d’emplois proposées. L’entreprise s’est rendu compte, au bout de quelques mois, que l’outil discriminait les candidatures en privilégiant les hommes, plutôt âgés, ingénieurs. Comme le dit le règlement européen (IA Act), l’IA est une technologie complexe et opaque qui agit en interaction avec les organisations au sein desquelles elle est installée, et qui sert à prendre des décisions. 

Quand on est représentant du personnel mais qu’on ne travaille pas soi-même sur un outil d’IA, comment appréhender le sujet ?

Vous savez, certains élus utilisent déjà l’IA pour leur mandat, par exemple pour faire des synthèses ou des traductions ! Attention toutefois au problème de confidentialité : c’est une des raisons qui font que, nous-mêmes, nous n’utilisons pas ces technologies pour nos missions dès lors que nous sommes en présence de données sensibles. Mais revenons à votre question. Nous donnerions deux conseils. Le premier, c’est de se documenter : il y a de nombreuses choses à lire et à écouter (*).

 Allez écouter les salariés qui travaillent avec l’IA

Il faut aussi ne pas hésiter à mettre les mains dans le cambouis de ces IA génératives (IAg). Le plus simple consiste à utiliser, pour les tester, les outils type ChatGPT, Claude, Mistral ou autre. C’est une façon de commencer à les connaître, de voir leurs possibilités et leurs limites. On a d’autant plus peur de ces outils qu’on ne les connaît pas, comme l’a montré une étude de Yann Ferguson. Cela dit, les représentants du personnel n’ont pas vocation à devenir des spécialistes des outils IA. Notre deuxième conseil, c’est d’aller voir les salariés qui travaillent avec ces outils, de leur demander l’intérêt qu’ils y trouvent, la façon dont ils travaillent et ce que cela produit, s’ils ont des craintes pour leur métier et leur emploi, s’ils savent comment l’outil fonctionne, etc. 

Comment l’IA fait-elle son apparition dans les entreprises ?

Les outils d’intelligence artificielle entrent souvent en entreprise sans que cela soit débattu en amont, et parfois les salariés utilisent eux-mêmes ces outils sans en parler à leur hiérarchie ou à leur employeur.

 L’IA est souvent introduite et déployée sans débat préalable

S’agissant des politiques d’entreprise, dans le meilleur des cas, ce sont des projets ou des formes d’expérimentation avouées, et, dans le pire des cas, des déploiements d’outils sans débat. On peut toujours discuter du fait que l’on se situe ou non dans le cadre d’un projet important qui ouvre droit à une consultation du CSE voire à une expertise, cela dépend de l’importance du projet. Quoi qu’il en soit, je crois qu’il faut mettre sur la table les conditions d’un dialogue social sur le sujet : comment va-t-on discuter de l’IA en CSE, dans quel cadre et selon quel planning ?

Je vous renvoie la question : comment les élus CSE et délégués syndicaux peuvent-ils aborder l’IA pour en faire un sujet de dialogue social ?

Le sujet de l’IA peut être inscrit dans les ordres du jour du CSE, notamment lors des informations-consultations récurrentes comme les orientations stratégiques. A l’occasion de cette consultation sur l’avenir de l’entreprise, nous conseillons aux élus de poser cette question : quelle est la stratégie de l’entreprise vis à vis de l’IA ? Peu d’entreprises répondront qu’elles n’y recourront jamais ! Une fois actée qu’il y a bien une stratégie d’IA envisagée ou déjà définie, on peut ensuite voir les impacts sur la politique sociale, les emplois et la formation, et s’intéresser précisément à la mise en œuvre : quels outils seront utilisés ? Les a-t-on expérimentés ? Si oui, avec quelles leçons ? Qui va les avoir en main ? Quels effets cela va produire ? Car l’IA peut modifier à terme le modèle économique d’une entreprise.

Ensuite, nous préconisons la mise en place d’un comité IA qui associe les représentants de la direction, les représentants du personnel avec des juristes et un délégué éthique, si possible sous la forme d’une commission du CSE. Ce comité permettra de suivre sur le long terme les développements de l’IA et son impact dans l’organisation de l’entreprise.

Demandez la tenue d’un registre sur les IA de l’entreprise 

 Nous partageons aussi les préconisations du Dial-IA (**) quant à l’idée d’un registre IA, sur le modèle du registre du règlement général des données (RGPD). Il s’agit d’un document listant les outils IA utilisés et envisagés dans l’entreprise, avec leurs caractéristiques, leur coût et le retour sur investissement qui en est attendu, les formations apportées au personnel, etc. De cette façon, les discussions entre la direction et les représentants du personnel pourront se faire sur la base d’éléments concrets. 

Le CSE peut-il lancer une expertise sur l’IA ?

Dans le cadre des orientations stratégiques, oui, cela peut s’inscrire dans l’évaluation des projections d’emploi (gestion prévisionnelle des emplois et compétences, GEPP) et de la stratégie numérique, afin que les élus disposent d’une vision d’ensemble, notamment lorsque l’entreprise n’a pas encore mis sur la table sa stratégie IA. La question du rapport au travail impacté par l’IA, et donc des conditions de travail, peut aussi justifier une expertise. Cela nécessite d’obtenir une information-consultation sur le projet d’introduction de l’IA, qui entre dans le champ des projets d’introduction de nouvelles technologies, et dont les impacts sur les conditions de travail doivent être discutés en CSE.

Privilégiez la consultation sur les orientations stratégiques pour lancer le débat sur l’IA 

C’est l’importance du projet et de ses impacts sur les conditions de travail qui peut justifier une expertise, il y a une appréciation à faire. S’il s’agit de la mise à disposition de Copilot à cinq cadres dirigeants, je ne vais pas recommander une expertise pour un projet important ! Mais s’il est prévu ensuite de déployer cet outil à un grand nombre de salariés, ce peut être différent.

En quoi l’IA pose-t-elle un problème spécifique lié au travail ?

L’argument souvent avancé en faveur de l’IA est en effet celui d’une simplification du travail. En gros, l’IA va vous éviter d’effectuer certaines tâches et donc vous permettre de passer ce temps gagné sur d’autres tâches à plus forte valeur ajoutée. Mais si vous devez utiliser le temps gagné sur ces tâches à gérer des missions plus complexes, cela signifie une intensification de votre travail, et cela pose aussi d’autres problèmes.

Lesquels ?

Ces tâches accomplies par l’IA, le salarié pouvait y trouver un intérêt, elles pouvaient nourrir sa réflexion. Or, quand on demande à l’IA de penser à la place du salarié, pour préparer une synthèse ou un tableau, cela lui fait gagner du temps, certes, mais cela escamote parfois tout un temps de préparation mentale nécessaire.

Le temps gagné grâce à l’IA peut aussi s’avérer un problème lorsque le salarié n’a plus le temps de réfléchir à une solution ou une stratégie suggérée automatiquement

Si le salarié doit aller voir le client avec cette synthèse préparée par l’IA sans avoir eu le temps de réfléchir à son dossier, il risque d’être plus en difficulté que s’il avait lui-même préparé la synthèse en s’appropriant le dossier ou la proposition. Ce mécanisme d’intensification du travail, on l’a déjà connu avec l’automatisation de certaines tâches physiques. Enlever de la pénibilité au travail, c’est positif, à condition que le temps ne soit réduit pour l’exécution d’autres tâches. Par exemple, on peut considérer que le temps mis à aller chercher un produit à un autre endroit, c’est de la perte de temps pour le salarié, et qu’on gagne en productivité en lui permettant tout à disposition sous la main. Sauf que pendant ce déplacement, le salarié pouvait souffler, et réfléchir à son travail. Il y a aussi un enjeu de transparence sur les modalités de fonctionnement de l’IA. C’est un point important que nous avons vu chez les conseillers clientèles dans la banque. Ils se retrouvent à conseiller leurs clients sur la base de suggestions venant de l’IA, mais s’ils ignorent comment l’outil d’intelligence artificielle a procédé pour dégager ces suggestions, ils peuvent être en difficulté pour continuer à jouer leur rôle de conseillers.

C’est ce que vous appelez un “conflit de logique” ?

C’est cela ! Dans les entreprises, un projet d’IA est souvent justifié, nous le constatons dans nos interventions, par des arguments sur la simplification apportée par l’outil d’intelligence artificielle. Ce qui revient souvent, c’est l’idée d’une amélioration des conditions de travail grâce à l’IA et l’attente, par les directions, de gains de productivité importants. Sauf que c’est la manière de mettre en œuvre l’outil qui va s’avérer déterminante.

La mise en place d’outils IA prend-il en compte les besoins des salariés ou est-ce à ceux-ci de s’adopter à ces outils ?  

Le projet et l’outil seront-ils acceptés parce qu’ils prennent en compte les besoins des salariés dans leur activité de travail, en analysant comment l’outil peut leur faciliter des tâches, ou, au contraire, seront-ils mal acceptés, voire rejetés, parce qu’ils ont été déployés sans cette réflexion ? Si le projet de l’entreprise est partie de l’outil et de ses possibilités pour en déduire ensuite la part de travail qui reste à faire faire aux salariés, il va inévitablement se heurter à conflit de logique et de valeurs. Les changements annoncés seront rejetés, car en décalage avec la vision du travail que peuvent avoir les salariés. C’est très important. Il faut être vigilant par rapport à des formes de domination par la machine ou par des outils numériques, comme avec les scripts  imposés à des opérateurs de centres d’appels, par exemple. C’est souvent la dernière étape avant le remplacement de l’opérateur de l’IA. Un autre écueil est celui de la responsabilité. 

La responsabilité ? Que voulez-vous dire ?

L’outil automatique dépolitise les décisions. Si l’IA prévoit le remplacement de telle pièce mécanique d’un moteur à telle date mais que le moteur tombe en panne parce que la pièce est défectueuse avant la date de remplacement prévue, à qui la faute ? Au fabriquant de la pièce, à l’ingénieur, au concepteur de l’IA ou au mécanicien ? Le risque est fort de rendre ce dernier responsable…

(*) À lire par exemple : le laborIA, le rapport de l’Ires sur le travail et l’emploi à l’épreuve de l’IA, le manifeste de Dialia, etc. A écouter : le podcast du Labor IA, le podcast “les dames de l’algorithme”, etc.

(*) Le projet Dial IA réunit des représentants des confédérations CFDT, CGT, FO et CFE-CGC pour pousser l’intelligence artificielle sur le chemin du dialogue social (lire notre article)

► Le guide de Secafi “Agir pour une intelligence artificielle au service du travail”, long de 32 pages, a été écrit par Clémentine Bienenfeld, Vincent Jacquemond et Ludovic Ponge. Il est téléchargeable ici.

En France, un accord sur mille fait référence à l’IA
Dans un quatre pages publié en octobre 2024, le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEE) s’intéresse aux accords d’entreprise qui mentionnent l’IA. 

Depuis 2017, constate le CEE, un peu moins d’un accord sur mille, en France, fait référence à l’IA. “Le caractère émergeant des systèmes d’IA et les difficultés de négocier sur les usages des technologies expliquent en partie cette faible occurrence dans les accords d’entreprise. Si cette modeste proportion contraste avec l’importante médiatisation de cette technologie, il convient de remarquer qu’entre 2018 et 2023, la proportion d’accords d’entreprise signés qui évoquent l’IA a été multipliée par 2,5”, souligne l’étude. 

La mention de l’IA dans les accords d’entreprise est plus fréquente dans les secteurs comme l’information-communication, la finance, l’industrie, le transport, comme on le voit ci-dessous : Autre enseignement : lorsque l’IA est mentionnée dans un accord, c’est le plus souvent en lien avec le thème de l’emploi, loin devant les thèmes de discrimination, de formation et de télétravail et déconnexion, comme on le voit sur le graphique ci-dessous : 

Autre enseignement : lorsque l’IA est mentionnée dans un accord, c’est le plus souvent en lien avec le thème de l’emploi, loin devant les thèmes de discrimination, de formation et de télétravail et déconnexion, comme on le voit sur le graphique ci-dessous : 

Bernard Domergue

Les perdants et les gagnants d’une absence de vraies lois budgétaires

09/12/2024

Les spéculations sur les conséquences de la censure du gouvernement Barnier sur les dispositions sociales et fiscales qui s’appliqueront début 2025 vont bon train.

Certains, à l’instar de Michel Barnier dans son dernier discours à l’Assemblée, ont souligné qu’une absence de lois de finances en bonne et due forme pourrait entraîner une augmentation de l’impôt sur le revenu de nombreux ménages : “En l’absence de budget, a dit le Premier ministre démissionnaire, le barème de l’impôt sur le revenu ne pourrait pas prendre en compte l’inflation. En conséquence, près de 18 millions de foyers verraient leur impôt augmenter, tandis que 380 000 foyers français supplémentaires seraient éligibles à l’impôt sur le revenu”.

À l’inverse, les mesures d’économie et de restriction prévues par les projets budgétaires pour faire baisser le déficit prévisible des comptes publics en 2025, et qui pèseraient donc sur le pouvoir d’achat des ménages, tomberaient également (moindres remboursements par la sécurité sociale, jours de carence imposés aux fonctionnaires, moindre revalorisation des retraites en janvier, etc.).

Concernant les entreprises, celles-ci pourraient aussi, paradoxalement, bénéficier de la situation. Les grandes entreprises échapperaient à 8 milliards de contribution fiscale exceptionnelle. Les employeurs échapperaient aussi à la remise à cause, à hauteur de 1,6 milliard d’euros, des allègements de cotisations sociales patronales que prévoyait la version CMP du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.

En outre, le gouvernement de Michel Barnier avait prévu d’étaler sur trois ans la suppression progressive des impôts de production (CVAE, ou cotisation sur la valeur ajoutée) pesant sur les entreprises. En l’absence de budget, cet étalement ne s’appliquerait pas. En conséquence, davantage d’entreprises échapperaient dès 2025 à la CVAE et d’autres bénéficieraient d’une baisse plus importante que prévue de cet impôt. Selon les Echos, cela pourrait représenter 1,1 milliards d’euros de “gain” pour les entreprises. 

Mais tout ceci reste très hypothétique.

Dans son intervention jeudi 5 décembre, Emmanuel Macron a, de façon assez surprenante puisqu’il s’agit là d’une prérogative de chef de gouvernement, annoncé qu’une loi de finances spéciale serait votée d’ici la fin de l’année, avec des dispositions a minima permettant la continuité de l’Etat sur la base des lois de finances appliquées en 2024.

Ce ne serait qu’en début d’année 2025 que seraient votées de véritables lois de financement, sans qu’on sache bien sûr s’il s’agira d’une reprise des textes actuels (avec donc des économies et des augmentations de recettes à la clé) ou d’une refonte importante, tout dépendant de l’orientation politique du nouveau Premier ministre et de son assise parlementaire.  

Source : actuel CSE

L’administration refuse d’homologuer le PSE de Flunch

09/12/2024

L’enseigne Flunch, qui fait partie de “l’empire Mulliez” (voir notre article sur la grève chez Decathlon dans cette même édition), projette de supprimer 85 à 90 emplois dans quatre de ses restaurants, à Rosny-sous-Bois, Mantes-la-Jolie, Orléans et Cavaillon. Mais l’administration du travail vient de refuser la version du PSE unilatéral présentée par l’entreprise. La CFDT s’en félicite, le syndicat ayant demandé notamment un renforcement des mesures de reclassement, même si ce point n’est pas visé par les observations de la Drieets. “L’entreprise connaît de réelles difficultés économiques, nous ne nous voilons pas la face, mais l’administration estime qu’elle pourrait prendre des mesures plus favorables pour les salariés compte tenu des moyens du groupe”, nous explique Grégory Dubois, DSC CFDT.

Source : actuel CSE

Pas de consultation du CSE sur les mesures ponctuelles ou individuelles sans incidence sur les conditions de travail

10/12/2024

Dès lors que la réorganisation envisagée par l’employeur ne se traduit que pas des mesures individuelles ou ponctuelles, le comité social et économique (CSE) n’a pas à être consulté.

Même si le code du travail donne une compétence consultative très large au CSE par rapport à tout ce qui touche à la vie de l’entreprise et aux conditions de travail des salariés, il serait faux de croire que tout changement envisagé par l’employeur doit donner lieu à consultation du comité social et économique.

L’article L. 2312-8 du code du travail prévoit bien que le CSE doit être informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Mais attention, comme cela a déjà été précisé, l’information/consultation du comité ne s’imposent à l’employeur que si les mesures qu’il envisage de prendre sont importantes et ne revêtent pas un caractère ponctuel ou individuel (par exemple, Cass. crim., 13 janv. 1998, n° 96-81.478).

C’est justement ce que vient nous rappeler une nouvelle jurisprudence du 27 novembre 2024.

Une demande de consultation sur une réorganisation

Estimant que le projet de réorganisation envisagée au sein d’une association de services d’aide à domicile aurait dû donner lieu à une consultation, le CSE de l’unité économique et sociale à laquelle était intégrée cette association décide de porter l’affaire en justice. Sans surprise, il demande la suspension du projet tant qu’il n’aura pas été mis en mesure de rendre un avis consultatif sur le projet.

À l’appui de son action, il invoque notamment une réorganisation des locaux, un changement de logiciel, des nouvelles fiches de postes, des modifications au processus de recrutement et à l’organisation des astreintes, ainsi qu’une diminution de huit salariées administratives.

La demande du CSE est rejetée.

Pour les juges, qui ont passé en revue les différents éléments de fait invoqués par le comité social et économique, il n’y avait vraiment pas de quoi imposer à l’employeur une consultation des élus du personnel.

Les points examinés

S’agissant de la réorganisation des locaux, la création d’un open-space n’était pas démontrée et les attestations de 17 salariés établissaient qu’il n’y avait pas eu de modification de leurs conditions de travail par la réorganisation des locaux.

Quant au changement de logiciel, il ressortait des attestations du responsable informatique au sein du groupe et de plusieurs salariés et des plaquettes de documentation des logiciels que le nouveau logiciel avait les mêmes fonctions que l’ancien. D’où l’absence d’impact sur les conditions de travail des salariés.

En ce qui concerne les modifications des fiches de postes, du processus de recrutement et de l’organisation des astreintes, les différents éléments produits par l’employeur montraient que les nouvelles fiches de postes n’avaient pas entraîné “un changement important dans l’organisation du travail”, que les responsables de centre et de secteurs participaient déjà au processus de recrutement des aides à domicile, et qu’il n’y avait eu aucune modification des astreintes.

Enfin, en ce qui concerne la prétendue diminution de huit salariées administratives invoquée par le CSE, il s’agissait de mesures purement individuelles : des mutations, des promotions, un passage à temps plein et un licenciement.

Pas d’incidence importante sur l’organisation, pas de consultation

Conclusion des juges : compte tenu des éléments de fait et de preuve apportés par le comité social et économique, il n’y avait là que de “mesures ponctuelles ou individuelles sans incidence sur l’organisation, la gestion et marche générale de l’entreprise ni de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs au niveau de l’entreprise”.

► Remarque : dans son arrêt, la Cour de cassation apporte une précision un peu plus technique mais qu’il est important de connaître en cas de contentieux. Ainsi, lorsque l’employeur n’a pas respecté son obligation de consulter le CSE sur un projet, le juge des référés peut se contenter d’ordonner la suspension du projet et la reprise de la procédure d’information/consultation. Il n’est pas obligé de faire droit à la demande du CSE réclamant une provision sur dommages-intérêts.

 Frédéric Aouate

Accord national interprofessionnel sur le CSE et le dialogue social : la question de la transposition et du suivi

10/12/2024

Nous revenons sur l’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 novembre 2024 relatif à l’évolution du dialogue social. Cet accord prévoit la suppression dans le code du travail de la limitation du nombre de mandats successifs au CSE et l’ouverture en 2025 d’une négociation sur la valorisation des parcours syndicaux.

À l’issue de la négociation des deux accords nationaux interprofessionnels (ANI) relatifs à l’emploi des seniors et à l’assurance chômage, un 3e ANI a vu le jour le 14 novembre dernier. Ce texte très court, prévoit, d’une part, l’ouverture d’une négociation sur la valorisation des parcours syndicaux, et d’autre part, la suppression dans le code du travail de la limitation du nombre de mandats successifs au CSE.

► Remarque : Toutes les organisations syndicales représentatives de salariés ont signé cet ANI. Du côté du patronat, seule la CPME a refusé. Reste à savoir, avec la chute du gouvernement Barnier, ce qu’il va advenir de ce texte qui, pour s’appliquer, doit être transposé par le Parlement.

Fin de la limitation du nombre de mandats successifs au CSE

C’était l’un des nombreux points contestés de l’ordonnance Macron relative à la création du CSE : un salarié ne peut pas être élu pour plus de 3 mandats consécutifs au CSE (C. trav., art. L. 2314-33). Cette disposition ne concerne pas les entreprises de 11 à 49 salariés, et peut être écartée via le protocole préélectoral dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

Cependant, après un premier renouvellement du CSE, il est apparu de grandes difficultés à recruter des candidats. Les autres enjeux consistent à capitaliser sur l’expérience des élus et favoriser la transmission des compétences entre élus dans les CSE.

La question de la suppression de cette règle avait déjà été abordée lors de la négociation sur le “Pacte de vie au travail”, mais cette négociation s’est soldée par un échec au printemps dernier. Sous l’impulsion du syndicat Force Ouvrière (FO), le sujet est revenu sur le tapis lors des négociations relatives au chômage et à l’emploi des seniors. Il fait finalement l’objet d’un véritable ANI, à part.

Application de l’ANI

L’ANI prévoit que “les organisations signataires demandent la suppression dans le code du travail de la limite du nombre de mandats successifs des membres de la délégation du personnel du comité social et économique”. Puis l’article 3 de l’accord précise que la disposition “nécessite une transposition législative simultanément à celle de l’Accord national interprofessionnel du 14 novembre 2024 relatif à l’emploi des salariés expérimentés”. Il apparaît donc qu’une transposition législative est nécessaire. 

► Remarque : la suppression de la limitation du nombre de mandats successifs ne devrait donc pas s’appliquer avant cette transposition législative. Dans tous les cas, la portée de cette question reste limitée. En effet, d’une part, la CPME est la seule organisation n’ayant pas signé cette ANI, l’organisation patronale des PME ne souhaitant pas remettre en cause la moindre disposition de l’ordonnance relative au CSE. D’autre part, c’est seulement pour un 4e mandat consécutif que les élus se verraient écartés d’une nouvelle élection du CSE. Or, si la réforme est entrée en application le 1er janvier 2018, selon les cas, avec les possibilités de prorogation prévues par l’ordonnance (article 9), beaucoup de CSE ont été mis en place pour la première fois en 2020. Ainsi, même dans les entreprises ayant réduit le mandat de 4 à 2 ans (limite minimum), la plupart de ces 4e renouvellements du CSE ne devraient intervenir qu’à partir de 2026.

Comité de suivi de transposition

L’article 3 de l’ANI sur le dialogue social renvoie à l’accord sur l’emploi des seniors du 14 novembre 2024.

Il précise que les transpositions de ces deux ANI, sont opérées “simultanément”, suivant les dispositions de l’article 5 de l’ANI emploi des seniors.

Cet article précise que les parties signataires “s’engagent à demander la transposition législative et réglementaire de l’accord et à défendre son respect fidèle dans le cadre de cette transposition”.

À cet effet, un “comité de suivi de la transposition de l’accord par les pouvoirs publics” est constitué jusqu’à publication de l’ensemble des textes législatifs et réglementaires nécessaires. Il est composé des organisations patronales et syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel “signataires du présent accord”. Il semble ainsi que ce comité de transposition sera commun aux 2 ANI. Or, l’article créant ce comité figure dans l’ANI emploi de seniors. Quels sont donc les « signataires » habilités à y siéger ? Seulement ceux de l’ANI emploi des seniors ? C’est ce que pense la CGT, laquelle n’est pas signataire de l’ANI emploi de seniors. C’est pourquoi, le syndicat a signé l’ANI dialogue social en émettant “des réserves au vu de l’article 3 de cet ANI relatif au dialogue social qui exclut la CGT du comité de suivi du présent accord”. La CGT considère cette clause “illégale”.

► Remarque :  ce point mérite éclaircissement : s’agira-t-il d’un même comité commun à la transposition des 2 ANI, composé des signataires de la seule ANI emploi des seniors ? Dans ce cas, la CGT en serait exclue, même pour la partie dialogue social, ce qui pose effectivement question. Ou alors, il y aura 2 comités distincts et c’est la seule CPME qui ne ferait pas partie du comité de transposition de l’ANI dialogue social ? A suivre…

Ouverture d’une négociation sur la valorisation des parcours syndicaux

L’article 1 de l’ANI prévoit que les organisations signataires s’engagent à l’ouverture de la négociation d’un nouvel ANI sur la valorisation des parcours syndicaux en 2025, sans davantage de précision sur le contenu de cette négociation.

On sait toutefois que le passage à l’instance unique (CSE regroupant les anciens CE, DP et CHSCT) a entraîné une complexification du mandat d’élu : des missions beaucoup plus larges avec moins d’élus et moins de temps. En outre, l’exercice de son mandat par un élu ou un représentant syndical peut avoir des conséquences sur sa carrière professionnelle, de même que cela lui permet aussi d’apprendre et d’acquérir de nouvelles compétences.

Rappelons qu’il existe actuellement quelques mesures de valorisation des parcours syndicaux mais elles sont peu connues et peu utilisées.

Ainsi, un élu titulaire (ou représentant syndical) peut demander un entretien de début de mandat que l’employeur ne peut pas lui refuser. Les titulaires de mandats « importants » (heures de délégation représentant au moins 30 % de leur temps de travail) ont aussi droit à un entretien de fin de mandat (C. trav., art. L. 2141-5).

Il existe aussi un dispositif de garantie de l’évolution des rémunérations pour ces titulaires de mandats « importants », sur le modèle de celui applicable aux femmes revenant de congé maternité (C. trav., art. L. 2141-5-1).

Enfin, un dispositif spécifique de validation des acquis de l’expérience des représentants du personnel a été créé (certification des compétences acquises dans l’exercice du mandat) (C. trav., art. L. 6112-4), mais il apparaît qu’il n’a pas eu le succès escompté. Autant de sujets potentiels pour renforcer, élargir ou préciser les droits des salariés décidant de s’engager dans des mandats. 

Séverine Baudouin

Le CSE de la Mutualité française obtient de la Cour administrative d’appel de Paris l’annulation de l’homologation du PSE

11/12/2024

Le 27 juin, le tribunal administratif de Paris, saisi par le CSE de la Mutualité française, avait validé la décision de la direction régionale du travail (Drieets) d’homologuer le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de la fédération nationale de la Mutualité française. Dans une décision du 26 novembre, la Cour administrative d’appel de Paris donne raison au CSE : elle annule cette validation du PSE. Motif invoqué : “Les catégories professionnelles concernées par le licenciement ont été déterminées par l’employeur en se fondant sur des considérations étrangères à celles qui permettent de regrouper, compte tenu des acquis de l’expérience professionnelle, les salariés par fonction de même nature supposant une formation professionnelle commune”.

Le PSE prévoit le licenciement d’un tiers de l’effectif de la Mutualité, une suppression de 80 emplois vivement contestée par le CSE et son expert. “La décision de la Cour administrative d’appel devrait donner aux salariés licenciés des voies de recours supplémentaires. Elle ne remet pas en cause les départs déjà effectués mais pourrait avoir des conséquences sur les salariés visés par le PSE et toujours aux effectifs, que les élus du CSE vont étudier avec leurs conseils. Elle constitue enfin un désaveu de la méthode employée par l’employeur”, a réagi le CSE dans un communiqué. 

Source : actuel CSE

Intelligence artificielle : ce que proposent les commissaires aux comptes

11/12/2024

Créer un «LabIA» au sein de la CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes) pour faire émerger des éléments de positionnement de la profession de commissaire aux comptes en lien avec le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) et ouvrir de nouveaux territoires d’innovation, inscrire la profession dans une démarche collaborative auprès du législateur et des régulateurs sur les enjeux de l’IA, soutenir l’acculturation de la gouvernance d’entreprise sur les sujets d’IA, etc. Telles sont quelques-unes des propositions de la CNCC dans l’objectif de repenser la chaîne de confiance à l’ère de l’intelligence artificielle.

Source : actuel CSE

“L’IA nous fait croire que le travail humain se réduit à des données”

11/12/2024

Un article très critique et très intéressant, paru sur le site Danslesalgorithmes.net, évoque un rapport sur l’intelligence artificielle rédigé par les chercheuses Aiha Nguyen et Alexandra Mateescu, de Data & Society, et peut complèter utilement la lecture de notre récente interview sur le thème de la place du dialogue social dans l’IA. 

“La rhétorique de l’IA générative répète qu’elle va améliorer l’efficacité du travail et automatiser les tâches fastidieuses, dans tous les secteurs, du service client aux diagnostics médicaux. En réalité, son impact sur le travail est plus ambivalent et beaucoup moins magique. Ce qu’elle affecte est bien l’organisation du travail. Et cette dichotomie ne propose aux travailleurs aucun choix autre que le renforcement de leur propre exploitation. Le battage médiatique autour de l’IA générative permet de masquer que l’essentiel de ses applications ne seront pas récréatives, mais auront d’abord un impact sur le travail. Il permet également d’exagérer sa capacité à reproduire les connaissances et expertises des travailleurs, tout en minimisant ses limites, notamment le fait que l’intelligence artificielle soit d’abord un outil d’exploitation des zones grises du droit. Mais surtout, l’IA nous fait considérer que le travail humain se réduit à des données, alors même que l’IA est très dépendante du travail humain”, peut-on lire dans cet article qui cite aussi les problèmes concrets provoqués par l’introduction de l’IA :

“Des rédacteurs sont désormais embauchés pour réhumaniser les textes synthétiques, mais en étant moins payé que s’ils l’avaient écrit par eux-mêmes sous prétexte qu’ils apportent moins de valeur. Les chatbots ressemblent de plus en plus aux véhicules autonomes, avec leurs centres de commandes à distance où des humains peuvent reprendre les commandes si nécessaire, et invisibilisent les effectifs pléthoriques qui leur apprennent à parler et corrigent leurs discours. La dévalorisation des humains derrière l’IA occultent bien souvent l’étendue des collaborations nécessaires à leur bon fonctionnement”.

Source : actuel CSE

Selon la Banque de France, les entreprises ont préservé leurs marges en 2023

12/12/2024

Chaque début de mois, l’enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France décrit la situation conjoncturelle du mois précédent et prévoit le produit intérieur brut (PIB) trimestriel, grâce aux réponses de 8 500 dirigeants d’entreprise. Que dit le baromètre du mois de décembre, les chefs d’entreprises ayant été sondés entre le 29 octobre et le 6 novembre ? Quelques éléments de réponse :

  • En décembre, selon les anticipations des entreprises, l’activité se replierait légèrement dans l’industrie et de manière marquée dans le bâtiment ; elle continuerait de progresser modérément dans les services marchands ;
  • La modération des prix de vente se poursuit : seuls 4 % des dirigeants industriels prévoient d’augmenter leurs prix, 5 % dans les services marchands et 3 % dans le bâtiment ;
  • Le produit intérieur brut (PIB) serait stable (-0,2 %) au 4e trimestre 2024 (après + 0,4 % au 3e trimestre ; 
  • Les difficultés de recrutement restent stables et touchent 32 % des entreprises selon leurs dirigeants ;
  • Une forte incertitude sur l’avenir dans tous les secteurs : “Notre indicateur d’incertitude, fondé sur les commentaires des entreprises (..), atteint son niveau le plus haut depuis deux ans dans l’industrie et dans le bâtiment : les réponses mettent surtout en avant le climat d’incertitude sur les orientations de politique nationale”.

Une autre étude de la Banque de France, publiée fin novembre, porte sur la situation financière des entreprises en 2023. Quelques enseignements de cette étude :

  • L’analyse de 1,6 million de liasses fiscales indique que “la situation financière des entreprises françaises a globalement bien résisté en 2023” ;
  • Quelle que soit leur taille, les entreprises ont préservé leur taux de marge, “y compris après la disparition des aides du fonds de solidarité” ;
  • Le maintien de ces taux de marge (voir graphique ci-dessus) s’explique par “la baisse du poids des charges de personnel dans la valeur ajoutée” et par la baisse du poids des impôts de production (CVAE).

Source : actuel CSE

L’AMF publie un rapport sur le reporting de durabilité des sociétés cotées

13/12/2024

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié le 10 décembre un rapport pédagogique de 49 pages sur le reporting de durabilité des sociétés cotées.

Ce document, qui fait un panorama de la nouvelle réglementation, souligne les principaux points d’attention relevés concernant les informations à publier sur les enjeux sociaux et environnementaux (ESG). Il donne également de nombreux exemples de reporting et fait un focus réglementaire sur la CSRD

Le rapport couvre plusieurs domaines de reporting tels que la description du modèle d’affaire, l’analyse de matérialité, la présentation des objectifs et indicateurs de performance, la présentation de politiques et actions, la description de la gouvernance associée aux enjeux de durabilité ou encore le reporting en application de l’article 8 du règlement Taxinomie. 

Source : actuel CSE