“Nous passons d’une simple préconisation à une obligation réglementaire qui s’appuie sur les vigilances météo grandes chaleur”

16/06/2025

Mohamed Trabelsi, de l’OPPBTP

Lors d’une conférence au salon Préventica, mardi 10 juin à Paris, Mohamed Trabelsi, en charge des enjeux climatiques à la direction technique de l’OPPBTP (l’office de prévention spécialisé du secteur du BTP), a invité les entreprises à anticiper afin de prévenir les risques pour la santé des travailleurs en cas de fortes chaleurs. Le décret et l’arrêté parus récemment sur le sujet vont-ils changer la donne ? Les réponses de ce spécialiste et notre rappel du rôle du CSE.

Lors de votre conférence à Préventica, vous avez livré un tableau alarmant sur les effets sur la santé des fortes températures tout en remarquant que Santé publique France n’a comptabilisé “que” 7 décès professionnels liés aux grandes chaleurs. N’est-ce pas contradictoire ?

Non, pas vraiment. Les fortes chaleurs constituent une préoccupation de plus en plus forte avec des épisodes climatiques de plus en plus intenses, de plus en plus longs et précoces. Cette année, nous avons eu des pics de forte chaleur dès le mois de mai. J’observe une prise de conscience des employeurs. Nous le voyons avec l’outil “DU” que nous proposons aux entreprises, sur le site de l’OPPBTP, pour mettre à jour le document unique d’évaluation des risques (DUERP). Depuis deux à trois ans, nous avons constaté une augmentation des mises à jour des DU afin d’intégrer le risque “fortes chaleurs”. Concernant la sinistralité, nous savons qu’elle augmente avec la température (+ 5 % à + 7 % au-delà de 30°, + 10 % à + 15 % au-delà de 38 °) et Santé publique France mentionne pour l’été 2024 plus de 3 700 décès attribuables à une exposition à la chaleur. Mais nous manquons de finesse en France dans l’analyse des malaises mortels causés par les coups de chaleur. On ne peut pas réellement être sûrs du nombre de malaises mortels dus aux épisodes de forte chaleur. Des réflexions et des travaux sont en cours sur ce sujet pour affiner les causes de la sinistralité au travail et parvenir à des chiffres factuels faisant le lien entre les fortes chaleurs et les malaises mortels.   

A  la chaleur s’ajoutent les problèmes de dégradation de la qualité de l’air mais aussi les conséquences sur le comportement des salariés… 

En effet, il y a ce que j’appellerai des risques directs et aussi des risques indirects. Les risques directs sont liés au coup de chaleur (exemples : malaise, épuisement, maux de tête, perte de conscience, car l’adaptation de la chaleur peut prendre 11 jours !), sans oublier l’exposition aux UV avec les cancers cutanés. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un décès sur trois après un cancer cutané est lié au travail. Les risques indirects, ce sont par exemple le manque de confort thermique, la mauvaise qualité de sommeil, le manque de récupération. Des éléments qui entraînent des conséquences sur la vigilance au travail dans la journée, et un risque de tensions accrues dans le collectif de travail, etc. Ces risques indirects, qui peuvent entraîner des accidents, constituent un enjeu pour la santé publique comme pour la santé au travail. Il faut les intégrer dans une politique de prévention afin de les anticiper. Cela passe d’abord par une information et une sensibilisation des salariés sur l’importance de la qualité du sommeil, d’une hydratation régulière, d’une alimentation équilibrée et sans alcool, etc. En période de fortes chaleurs, ces conseils valent pour la sphère professionnelle comme pour la vie personnelle. 

Lors de votre conférence, une personne a remarqué que les UV étaient aussi présents hors période de grande chaleur…

C’est vrai que le risque UV existe en dehors des grandes chaleurs, mais attention à ne pas basculer dans une ambiance anxiogène en parlant du risque UV l’hiver, le printemps et l’automne, car l’UV est aussi une source de vitamine D dont notre corps a besoin ! La majorité du risque UV nocif, ça tombe quand même généralement pendant la période estivale. Pour l’OPPBTP, la priorité est de sensibiliser les entreprises à l’ensemble de ces risques directs et indirects liés aux fortes chaleurs. Et si nous pouvons, à cette occasion, faire prendre conscience du risque UV, ce serait encore mieux. 

Les nouveaux décret et arrêté sur les grandes chaleurs vont-ils changer la donne sur les chantiers du BTP ? 

Ces textes ont le mérite d’opérer une clarification en donnant un vrai poids réglementaire aux alertes vigilance de Météo France. Nous passons d’une simple préconisation émise par Météo France à une obligation réglementaire qui s’appuie sur les vigilances météo (Ndlr : verte, jaune, orange, rouge). Le décret liste également huit mesures dont les employeurs peuvent s’inspirer pour une meilleure prévention et protection des travailleurs : adapter l’organisation du travail, changer les horaires, prendre en compte le rayonnement UV, mettre en place des équipements de protection et de rafraîchissement (il existe par exemple des systèmes pour ombrager les lieux de travail, des systèmes de brumisation, il y a l’obligation de mettre à disposition trois litres d’eau fraiche chaque jour par salarié, etc.), mettre en place davantage de mécanisation pour soulager les salariés (comme par exemple des chariots ou robots suiveurs qui portent des charges en restant au contact du salarié), etc. 

Les employeurs ont-ils à craindre davantage de sanctions ?

Ceux qui n’agissent que contraints par la réglementation verront aussi que l’inspection du travail sera plus vigilante dorénavant sur ces sujets. Elle pourra inspecter l’entreprise en regardant ce que l’employeur a mis en place comme stratégie et comme moyens de prévention contre les fortes chaleurs (Ndlr : avec le décret du 27 mai 2025, l’inspection pourra mettre en demeure une entreprise de définir des mesures ou actions de prévention du risque professionnel lié à l’exposition aux épisodes de chaleur intense). Les pouvoirs publics avaient déjà mis l’accent, dans le plan de l’inspection du travail qui se termine cette année (PST4, 2021-2025), sur la prévention du risque lié aux fortes chaleurs. Cela ne va que s’accentuer au regard de la volonté du gouvernement de mettre l’accent sur la prévention.

Les équipements de protection individuelle ne doivent, dites-vous, arriver qu’en dernier recours. Pourquoi ?

Que fait-on pour éviter un risque ? On se réfère aux neuf principes généraux de prévention listés par le code du travail (*). Il s’agit d’essayer de mettre en place des mesures de prévention organisationnelles et collectives pour éviter les risques et réduire les risques qui ne peuvent être supprimés. Après avoir cherché à éliminer le risque en amont, il faut ensuite chercher à organiser le travail autrement pour réduire les risques et seulement ensuite, s’il y a toujours des risques résiduels, il faut aborder la question des équipements de protection individuels (EPI). L’EPI doit rester le dernier recours. Il ne doit pas être pour l’entreprise un choix de facilité, l’employeur ne doit pas commencer à se demandant ce qu’il peut avoir comme EPI. En amont, il doit être possible de modifier les horaires de travail pour éviter les plus fortes expositions de 12h à 16h, d’adopter des équipements collectifs (ombrage, par exemple). Ensuite, comme je le disais, favoriser l’aide mécanique des salariés amenés à faire des tâches de manutention intenses, etc.   

À vos yeux, quel peut être le rôle des IRP en la matière ? 

Leur rôle est important, notamment pour inciter l’employeur à anticiper les risques, et ensuite pour négocier certains points, les changements d’horaires par exemple. Le pire, pour une entreprise, c’est de se réveiller au mois de juin en se disant : “Mince, une canicule arrive, que puis-je faire ?” Les CSE peuvent attirer l’attention des directions dès janvier pour les inciter à bâtir une stratégie de prévention sur l’année, ce qui permettra d’anticiper les changements d’organisation mais aussi l’achat d’équipements adaptés. 

(*) L’art. L. 4121-2 du code du travail liste ces 9 principes : éviter le risque, évaluer le risque n’ayant pu être supprimé, combattre les risques à la sources, adapter le travail à l’homme, tenir compte de l’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui l’est moins, planifier la prévention, donner la priorité aux mesures de protection individuelle qu’en complément des protections collectives si celles-ci ne suffisent pas, donner des instructions appropriées aux travailleurs (voir par exemple le site de l’INRS).

► Le site de l’OPPBTP met en libre accès un guide de préconisations (à télécharger) en cas de fortes chaleurs et effets caniculaires sur les chantiers, guide qui va bientôt être mis à jour des nouveaux textes réglementaires. A signaler également sur le site de l’OPPBTP : la boite à outils Fortes chaleurs et le rapport sur les équipements rafraîchissants (ex : nouveaux gilets rafraîchissants “par évaporation ou changement de phase”, lunettes de protection, casques, etc.).

Le rôle que peut jouer le CSE
Lors des grandes chaleurs, le rôle premier revient bien sûr au préventeur et à la direction de l’entreprise. Mais les représentants du personnel ont aussi un rôle à jouer pour donner l’alerte en cas de danger, mais aussi en amont pour inciter l’entreprise à anticiper les risques. 

L’alerte

⇒ Précision : le code du travail ne définit pas de seuil au-delà duquel le travail serait dangereux ou interdit. Selon l’Institut national de recherche sécurité (INRS), au-delà de 30 °C pour une activité sédentaire et 28° pour un travail nécessitant une activité physique, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. “Toutefois, précise l’INRS sur son site, certaines situations de travail peuvent être dangereuses en-dessous de 28 °C ou maîtrisées au-delà de 30 °C car la température de l’air ne suffit pas à évaluer les risques liés aux ambiances thermiques chaudes”.

⇒ Si les représentants du personnel perçoivent un danger grave et imminent, comme par exemple un travail sans mesure de protection en pleine canicule, ils peuvent déclencher une procédure d’alerte pour danger grave et imminent (art L. 4132-2 du code du travail), qui doit donner lieu à une enquête conjointe.

⇒ En cas d’accident du travail, le CSE mène une enquête et peut suggérer des mesures de prévention. Depuis le décret n° 2023-452 du 8 juin 2023, l’entreprise doit déclarer tout accident mortel dans les 12 heures à l’inspection du travail.  

L’anticipation et la prévention

⇒ Le CSE est associé à la prévention des risques professionnels.

Au-delà de 50 salariés, le CSE est consulté sur la mise à jour du DUERP, le document unique d’évaluation des risques professionnels (art. L. 4121-3 du code du travail). Le comité peut faire des propositions pour améliorer ce document (ex : prévoir zones ombragées, pauses durant le travail, informations données aux salariés, etc.). Pour l’établir, l’employeur doit évaluer l’exposition des salariés au risque de grande chaleur, et définir le cas échéant des mesures et actions de prévention dans le Papripact, le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (voir III de l’article L.4121-3-1). Ce programme doit préciser pour chaque mesure ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultats, son coût, les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées, et un calendrier précis. 

⇒ Le CSE est aussi consulté sur les cas de recours aux équipements de protection individuels, notamment en fonction des conditions météo (nouvelle rédaction de l’art. R. 4323-97 du code du travail).

⇒ Le CSE a le droit de mener, 4 fois par an (soit le même nombre que les réunions du CSE consacrées à la santé et à la sécurité), une inspection en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail. Ces inspections, ou visites de sécurité, permettent notamment aux représentants du personnel d’exercer leur rôle de contrôle et d’analyse des risques et de formuler des propositions d’amélioration. 

Des exemples d’actions du CSE en cas de forte chaleur

Attribution du CSE / Fondement juridique – Source / Exemple d’application

Consultation sur les mesures de prévention
Code du travail, art. L. 4121-3 et L. 2312-8
Avis sur l’aération, adaptation des horaires

Droit d’alerte en cas de danger grave et imminent
art. L. 2312-60 et L. 4132-2
Signalement d’un risque lors d’une canicule

Analyse et évaluation des risques
art. L. 4121-3
Contribution à l’actualisation du DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) 

Consultation sur les équipements de protection individuels (EPI) adaptés aux conditions climatiques
art. R. 4323-97
Choix de vêtements et d’équipements de protection adaptés à la chaleur

Bernard Domergue

Au travail, 41 % des salariés disent ne pas parler de l’organisation du travail

16/06/2025

L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) a procédé à une consultation nationale du 10 avril au 9 mai 2025. Plus de 2 600 réponses (dont 62 % émanant du secteur privé) ont été recueillies, qui ne constituent pas, prévient l’Anact, un sondage représentatif. 

Selon les résultats communiqués par l’Agence à l’occasion de la semaine de la santé au travail du 16 au 20 juin, les personnes ayant participé à l’enquête estiment qu’il est essentiel au travail de pouvoir parler de 5 sujets prioritaires : 

  1. la charge de travail et la répartition du travail (59 % des réponses) ;
  2. l’autonomie au travail et les marges de manœuvre (53 %) ;
  3. les difficultés et les aléas du travail (47 %) ;
  4. le stress et le mal-être (43 %) ; 
  5. les objectifs qui leur sont fixés (39 %).

Sur les 59 % des répondants qui disent pouvoir parler régulièrement des sujets qui touchent à l’organisation du travail, la plupart le font, comme on le voit ci-dessous, avec leur hiérarchie, les collègues, la direction, puis les représentants du personnel qui arrivent avant les RH. 

En revanche, 41 % des personnes ayant répondu estiment ne pouvoir que rarement ou jamais parler de ces sujets au travail. 

“41 % de personnes interrogées qui ne parlent que rarement des sujets fortement liés à la qualité de leur travail, c’est un point d’alerte, une confirmation que le dialogue sur le travail n’est pas aujourd’hui perçu comme un levier de qualité de vie et des conditions de travail, d’attractivité ou de performance”, met en garde l’Anact qui souligne la nécessité de consacrer du temps pour structurer le dialogue social et le dialogue professionnel. 

Source : actuel CSE

Travail et canicule : l’INRS recommande de privilégier le travail en équipe pour détecter les signes d’alerte

16/06/2025

Face à la multiplication des vagues de chaleur, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) rappelle aux entreprises leurs obligations en matière de protection des salariés et les mesures de prévention à déployer.

L’employeur doit, tout d’abord, d’abord réaliser, avec les représentants du personnel et le service de santé au travail, une évaluation des risques transcrite dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), assortie d’un plan d’action. L’objectif : identifier les postes exposés aux fortes températures et évaluer l’impact de l’organisation du travail sur les risques encourus.

Pour ce faire, le code du travail ne fixant aucune température maximale, l’évaluation des risques doit prendre en compte les températures de l’air et de l’humidité, mais également l’activité physique et les tenues vestimentaires afin de mettre en place des mesures de prévention appropriées.

Les principaux dangers demeurent le coup de chaleur – rare mais grave – et la déshydratation. L’INRS préconise de limiter l’exposition au soleil, de privilégier le travail en équipe pour détecter les signes d’alerte, et recommande l’arrêt du travail en cas de danger immédiat.

Pour rappel, le décret et l’arrêté du 27 mai 2025 imposent, à partir du 1er juillet, le déploiement de mesures préventives dès l’activation du niveau “jaune” de vigilance canicule de Météo-France : adaptation des horaires, multiplication des pauses, limitation de l’exposition.

Source : actuel CSE

Plus de 100 organisations mobilisées aux côtés de l’Institut national du cancer

17/06/2025

104 structures ont signé la charte “Cancer et Emploi” de l’Institut national du cancer, selon un communiqué publié le 12 juin à l’occasion de la semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail (16-20 juin). 26 organisations publiques et 78 entreprises privées se sont ainsi engagées, permettant à deux millions de salariés de bénéficier de mesures concrètes pour le maintien ou le retour à l’emploi après un cancer.

“Avec 40 % de personnes en activité au moment de l’annonce du diagnostic, le cancer survient régulièrement dans la vie professionnelle”, souligne l’Institut. Cette charte, élaborée en 2017 dans le cadre du Club des entreprises créé en 2015 en partenariat avec l’ANDRH et l’Anact, s’articule autour de quatre axes déclinés en onze engagements : accompagnement du salarié, formation des parties prenantes, promotion de la santé et évaluation.

Le dispositif comprend également une boîte à outils, des temps d’échange et des ateliers collaboratifs.

Source : actuel CSE

Pénibilité : le Fipu peine encore à se faire connaître, mais cela n’inquiète pas l’Assurance maladie

18/06/2025

La directrice de la branche risques professionnels de l’assurance maladie a été auditionnée cette semaine.

Au 1er avril 2025, à peine 3 % de la dotation annuelle du Fipu, fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, a été utilisée par les entreprises. Pour Delphine Champetier, de la direction de la Sécurité sociale, et Anne Thiebeauld, directrice de la branche risques professionnels, cela est dû a une “phase de montée en charge” habituelle pour ce type de financements. Il n’empêche, ce décalage entre dotation et utilisation interroge des députés, qui laissent entendre qu’il faudrait peut-être revoir l’enveloppe à la baisse.

“Les deux premiers exercices ont été marqués par une mobilisation très faible des sommes disponibles”, notent Hadrien Clouet (LFI, Haute-Garonne) et Cyrille Isaac-Sibille (Modem, Rhône). Les deux députés viennent d’évaluer la mise en place du Fipu, le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle. En 2024, première année complète d’exercice, seuls 30 % de sa dotation ont été consommés. Auditionnée par la commission des affaires sociales le 10 juin 2025, Delphine Champetier, cheffe de service de la DSS (direction de la sécurité sociale), indique que seulement 3 % du fonds a été utilisé au 1er avril 2025, tout en pointant la saisonnalité des demandes (les entreprises les réclament peu en début d’année).

Pour Delphine Champetier et Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels également auditionnée, il n’y a rien d’inquiétant à cela. “Certes, il faut que l’on rattrape le retard de ces premières années, mais il y a systématiquement une phase de montée en charge pour ce type de fonds. Le fait de se faire connaître, monter en compétences, se professionnaliser et être plus efficaces dans la gestion des dossiers prend du temps”, déclare Delphine Champetier. Et de pointer le succès d’un récent webinaire sur le sujet ou le simulateur mis en ligne il y a quelques semaines, qui a notamment pour but de rassurer les petites entreprises, étant donné que les aides sont distribuées sur facture acquittée, et non sur devis.  

360 millions d’euros

Il n’empêche, ce décalage entre dotation et utilisation interroge des députés. En audition, le député Les Républicains de Meurthe-et-Moselle Thibault Bazin a insisté pour savoir quel serait le “rythme de croisière”, autrement dit, l’enveloppe la mieux adaptée, laissant sous-entendre qu’il serait peut-être bon de la revoir à la baisse. En 2025, le fonds est doté de 200 millions d’euros auxquels s’ajoutent les 160 millions d’euros non consommés de l’année précédente.

À l’inverse, pour les deux rapporteurs, ce financement reste “modeste” et “la demande trop timide révèle une marge disponible pour les RPS (risques psychosociaux)”, lit-on dans la version provisoire de leur rapport à paraître dans les prochains jours que nous avons pu consulter. Aujourd’hui, le Fipu, dispositif né de la dernière réforme des retraites censé contrebalancer le recul de l’âge légal de départ, ne concerne pas l’usure psychique (contrairement à la définition de l’usure professionnelle retenue dans l’accord national interprofessionnel AT-MP).

Il porte sur la prévention de trois facteurs de risques dits ergonomiques supprimés en 2017 du C3P (compte personnel de prévention de la pénibilité) devenu C2P (compte professionnel de prévention) : les manutentions manuelles de charge, les postures pénibles et les vibrations mécaniques. Il finance des actions de sensibilisation et prévention, de formation, et de reconversion, et prévention de la désinsertion professionnelle. Le tout réparti en trois enveloppes : aides directes aux entreprises (5 300 concernées en 2024, en majorité de moins de 50 salariés), subventions pour les organismes professionnels de prévention (il n’en existe qu’un, l’OPPBTP, qui a reçu 1,6 million l’année dernière), et un financement pour France Compétence pour les projets de transition professionnelle (23 millions en 2024).

Problème de statistiques

Les aides ciblent les métiers les plus à risque. Or, il n’existe pas de statistique officielle par métier, mais uniquement par secteur. La loi prévoit que le dispositif s’appuie alors sur une cartographie, réalisée via les accords de branches signés ou à défaut par la CAT-MP aidée d’experts.

Pour le moment, de tels accords sont peu nombreux. L’assurance maladie indique que plusieurs seraient en cours d’adoption, pour les branches de la boulangerie-pâtisserie ou des distributeurs-conseils hors domicile par exemple.

Anne Thiebeauld a indiqué en audition que ces fameuses statistiques par métier étaient un chantier d’ampleur”, consistant à récupérer toutes les DSN (déclarations sociales nominatives) et à les croiser avec les données de sinistralité. Selon elle, il y en a encore pour un an ou deux. Cela n’empêche pas le dispositif de fonctionner, assure-t-elle. Cette attente devrait justement inciter les branches à réaliser leurs études. Les entreprises relevant des branches signataires d’accords bénéficient d’une valorisation de la subvention (85 % de prise en charge au lieu de 70 %) et de ses plafonds de financement (50 000 euros contre 25 000 euros).

“Je veux rendre l’utilisation du Fipu plus simple et que les branches négocient davantage sur la liste des métiers exposés”, a aussi récemment déclaré Astrid Panosyan-Bouvet dans une récente interview accordée aux Échos.

Pauline Chambost

La Poste condamnée en appel pour une cartographie des risques trop générale

19/06/2025

Le logo du groupe La Poste affichée lors du dernier salon VivaTech le 11 juin 2025 à Paris.

La cartographie des risques d’un plan de vigilance consiste à les identifier, analyser et hiérarchiser selon “le critère déterminant de gravité”, explique la cour d’appel de Paris dans sa décision rendue le 17 juin. Un rappel à l’ordre pédagogique à l’attention de La Poste et des grands groupes assujettis, peut-être tentés par le social washing.

À la lumière de l’appréciation in concreto rendue le 17 juin 2025 par les juges d’appel de Paris (en pièce jointe), la réglementation sur le devoir de vigilance française apparait criblée d’interstices dans lesquels les grands groupes peuvent infiltrer une certaine dose de social washing, cette tentation de colmater par d’habiles communications, d’éventuelles mauvaises conditions de travail ou pratiques internes, et ce, sans désenchantement réputationnel.

C’est l’une des leçons apportées par les juges qui, comme en 2023, ont calfaté les légèretés de La Poste, seule entreprise condamnée à ce jour sur le fondement de la loi de 2017. En jeu : la cartographie des risques du plan de vigilance, les procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques identifiés et la concertation avec les organisations syndicales dans le cadre du mécanisme d’alerte.

Risques « globalement maîtrisés »

Condamnée par le juge du tribunal judiciaire pour avoir réalisé une cartographie des risques “à un très haut niveau de généralité”, La Poste rétorque que les textes n’exigent pas “une présentation plus détaillée” et “qu’il n’y a pas lieu d’alourdir la compréhension du plan de vigilance”. Pas nécessaire pour l’entreprise d’entrer dans le détail, d’établir une “liste de facteurs de risques” qui “exposerait la société à révéler au public des informations confidentielles”. Ni de hiérarchiser les risques, obligation légale (article L225-102-4 du code du commerce), seulement en fonction de leur gravité, ce qui “fausse[rait] la cotation des risques”.

La cartographie de 2021 du groupe retient par exemple que “le risque net global d’atteintes graves à la santé sécurité au travail est évalué mineur [et] globalement maîtrisé à l’international” ou que “le risque net [pour les activités des fournisseurs, prestataires et sous-traitant] demeure globalement mineur en France, sauf pour neuf activités”, illustre la cour, sans précision ou distinction ici des risques visés, graves ou non, sociaux ou environnementaux.  

Trop peu pour les juges qui relèvent qu’ “à plusieurs reprises il est question de risques maîtrisés, sans aucune précision sur leur degré de gravité”, qu’il n’y est pas de “référence aux risques réels”, et que “la cartographie ne fait pas état d’une analyse des risques, mais de leur évolution globale qui est […] exposée de façon succincte”.

La cour d’appel confirme ainsi “le trop haut niveau de généralité” de la cartographie de La Poste. Et en profite pour traduire l’obligation attendue par les textes : “Mettre en évidence les risques qui présentent le niveau le plus élevé par le biais d’une cartographie qui les identifie, les analyse et les hiérarchise et ce, distinctement et indépendamment des mesures mises en œuvre, ce qui peut être fait de façon synthétique mais néanmoins précise”.

Quant à la gravité, pas d’échappatoire : “La cartographie des risques […] doit être élaborée en considération du critère déterminant de gravité”, conclut la cour d’appel.

Tests d’alcoolémie…

S’en suit une évaluation des risques identifiés imprécise, voire déconnectée, pour ne pas dire trompeuse. Alors que le groupe La Poste identifie “de façon générale” le risque lié aux accidents du travail (défaut d’équipement de protection et équipements des salariés) concernant ses fournisseurs, prestataires et sous-traitants en France, relève la cour, l’entreprise propose en guise de mesure de prévention et d’atténuation “une vérification des permis de conduire des chauffeurs et leur niveau d’alcoolémie”. Alors même que, de l’autre côté, le risque particulier lié aux infractions au code de la sécurité routière commises par les chauffeurs n’est pas précisé dans le plan de vigilance.

“De même, si la cartographie des risques mentionne le risque lié au « travail des enfants » et au « travail forcé », celui lié au travail illégal, qui est distinct, n’est pas identifié alors qu’il résulte des éléments de procédure que ce risque est prégnant”, note la cour d’appel qui juge inadéquat et non conforme, le mécanisme de contrôle des sous-traitants et fournisseurs mis en place par le groupe (questionnaire, audit documentaire réalisé par l’Afnor et audits sur site) portant sur des risques cartographiés imprécis.

… et satisfecit statistique

Quant au dispositif général de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation, “le compte-rendu [de mise en œuvre effective] met in fine l’accent sur l’efficacité de la politique de La Poste en faveur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes […], sur la progression du taux d’emploi des personnes en situation de handicap et sur la reconnaissance du très haut niveau d’engagement de La Poste en termes d’enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux”, rapportent les juges. Le groupe a notamment été placé en 2020 par l’agence Vigéo Eiris à la première place mondiale en matière de RSE.

Des indicateurs “choisis par la société” qui révèlent “une évolution dans certains domaines (égalité homme/femme, absentéisme maladie, accident du travail, etc…), mais ne donne aucune explication sur la mise en œuvre et les effets des mesures de vigilance prévues par le plan”, taclent les juges, qui rappellent que “si la loi ne donne aucune précision quant à la forme du compte rendu de la mise en œuvre effective du plan de vigilance, il n’en demeure pas moins que son contenu doit être le reflet de ce qui est attendu du plan de vigilance”.

Power point

Autre faiblesse visée par la cour d’appel : l’obligation manquée par La Poste d’établir en concertation avec les organisations syndicales (OS) un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques. Pour le groupe, cette obligation est satisfaite : il ne s’agit pas d’une “décision de concert, ni d’une coopération avec les OS”, mais veiller à ce que ces dernières soient “informées”.

“L’élaboration en concertation diffère d’une simple consultation sur un projet prédéfini, répond la cour d’appel. Il incombe à La Poste d’établir qu’elle a mis en place un dialogue avec les OS.”  Or, la preuve n’a pas été apportée. En l’espèce, le dialogue aurait consisté en quelques réunions de présentation de “visuels (support power point) sur le devoir de vigilance”, rapporte la cour, aucun compte-rendu n’ayant été versé aux débats. 

Une clarification “utile” pour La Poste, un “signal fort” pour Sud PTT
Dans un communiqué, La Poste prend acte de l’arrêt rendu le 17 juin. “La Cour a clarifié certains points d’interprétation et de mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance, ce qui est d’autant plus utile en l’absence de décret précisant les modalités d’application de cette loi et dans le contexte des travaux et débats relatifs à la directive Omnibus concernant la directive européenne sur le devoir de vigilance”, écrit-elle, alors que le dispositif européen, en ballotement défavorable, est directement visé par Emmanuel Macron.

“C’est un signal fort pour les syndicats et ONG qui luttent pour les libertés fondamentales, les droits humains et l’environnement”, a réagi de son côté le syndicat Sud PTT (voir le “carton rouge” adressé par la CFDT, la CGT, FO et l’Unsa au président Macron sur le sujet). “L’arrêt de la Cour d’appel est un camouflet pour la Poste, poursuit-il. Les multinationales doivent assumer leur responsabilité sous toute la chaine de valeur et pour cela faire de véritables plans de vigilance avec une réelle cartographie des risques.”

Dans un communiqué de décembre 2023, La Poste expliquait que les “anciens plans”  du litige “ne reflètent pas les avancées” du groupe en 2022 et 2023. Sud PTT déplore à l’inverse dans son dernier communiqué “aucune avancée notable depuis 5 ans”.

Matthieu Barry