Syndicat et CSE ne peuvent agir en vue de l’octroi de titres-restaurants aux télétravailleurs

16/07/2025

L’action intentée par un syndicat pour obtenir la réattribution de titres-restaurant aux télétravailleurs, au nom du principe d’égalité de traitement, est irrecevable. Il en va de même de l’action du CSE, dès lors que ses intérêts propres ne sont pas directement concernés.

Dans deux arrêts du 4 juin 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation précise à nouveau les contours de l’intérêt à agir des syndicats et des comités sociaux et économiques (CSE) lorsqu’ils estiment qu’un avantage social, en l’occurrence les titres-restaurant, est attribué de manière inégalitaire entre les salariés.

Dans la première affaire (n° 23-21.051), un accord d’entreprise d’octobre 2018 excluait les salariés en télétravail du bénéfice des titres-restaurant. Après des échanges au sein du CSE en juin 2020, ce dernier avait mandaté son secrétaire pour agir en justice. Un nouvel accord-cadre de décembre 2020 maintenait cette exclusion.
Soutenant qu’il s’agissait d’un manquement au principe d’égalité de traitement prévu non seulement par l’article L. 1222-9 du code du travail mais aussi par plusieurs dispositions conventionnelles (dont l’accord de télétravail d’octobre 2018), plusieurs syndicats et le CSE ont assigné la société devant le tribunal judiciaire, afin d’obtenir :

  • la régularisation sous astreinte de la situation des salariés privés du bénéfice des titres-restaurant lors de leurs jours de télétravail ;
  • sa condamnation à payer certaines sommes au CSE et à chaque syndicat à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect des dispositions légales et conventionnelles et des informations erronées fournies au CSE.

Dans la seconde affaire (n° 23-22.856), un accord collectif de groupe conclu en décembre 2020 unifiait les pratiques en matière de télétravail et se substituait à l’ensemble des accords collectifs ayant le même objet. Il prévoyait que les salariés déjà en télétravail lors de l’entrée en vigueur de l’accord pourraient continuer à exercer leur activité en télétravail selon l’organisation initialement convenue et jusqu’au terme de leur avenant contractuel.
Plusieurs syndicats et le CSE ont engagé une action visant à :

  • interdire à l’employeur de supprimer les titres-restaurant des télétravailleurs ;
  • régulariser leur situation sous astreinte ;
  • et subsidiairement, demander un financement supplémentaire des activités sociales et culturelles des CSE à hauteur de 2,59 % de la masse salariale.

Dans les deux cas, les juges du fond ont conclu à l’irrecevabilité :

  • de l’action des syndicats en ce qu’elle tendait à la régularisation individuelle des salariés ;
  • de l’action des CSE tendant à obtenir des dommages-intérêts, à faire interdire à la société de supprimer le bénéfice des titres-restaurant aux télétravailleurs et à majorer le taux de financement des activités sociales et culturelles des CSE.

Syndicats et CSE se sont pourvus en cassation, ce qui a donné l’occasion à la chambre sociale de réaffirmer les limites des actions en justice des syndicats et des élus en cas de manquement de l’employeur à une disposition légale ou conventionnelle ou au principe d’égalité de traitement.

Le syndicat peut agir en cas d’atteinte à l’intérêt collectif

Pour faire cesser une irrégularité et obtenir des dommages-intérêts

Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
Selon une jurisprudence désormais constante (arrêt du 22 novembre 2023 ; arrêt du 6 novembre 2024) :

  • un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l’existence d’une irrégularité commise par l’employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles, ou au regard du principe d’égalité de traitement, et demander, outre l’allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l’intérêt collectif de la profession, qu’il soit enjoint à l’employeur de mettre fin à l’irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte ;
  • mais il ne peut pas demander au juge de condamner l’employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts.

La Haute Juridiction applique strictement cette ligne de partage dans les arrêts du 4 juin.

► Dans la première affaire, l’octroi de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession n’était pas discuté devant la Cour de cassation. Seule était en question la recevabilité de la demande des syndicats tendant à la régularisation de la situation de tous les collaborateurs en télétravail privés de titres-restaurant pendant les jours de télétravail.

Mais pas pour rétablir chaque salarié dans ses droits

Les syndicats soutenaient que leur action ne se rapportait pas à l’intérêt individuel de chaque salarié concerné mais à la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentaient car ils “se contentaient de demander qu’il soit mis fin à l’irrégularité résultant de la décision de refus de portée collective de l’employeur privant les salariés des titres-restaurant pendant les jours de télétravail” et “ne formulaient aucune demande de condamnation de la société au paiement de sommes déterminées à des salariés nommément identifiés”.
La chambre sociale rejette l’argument en validant le raisonnement des juges du fond : les syndicats demandant de régulariser sous astreinte la situation individuelle des salariés privés de titres-restaurant pendant les jours de télétravail, demande relevant de la liberté d’action individuelle des salariés concernés, leur action était irrecevable.

► La distinction entre intérêt individuel et intérêt collectif n’est pas toujours aisée. A notamment été jugée recevable, en vertu du principe d’égalité de traitement, la demande d’un syndicat tendant à ce qu’il soit ordonné à l’employeur de régulariser la situation de certains salariés privés d’une “prime de temps repas » au motif qu’une telle demande « ne tendait pas au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées mais à l’application du principe d’égalité de traitement relevant de la défense de l’intérêt collectif de la profession” (arrêt du 12 février 2013).

Le CSE ne peut agir en justice au nom des salariés qu’en cas d’atteinte à ses propres intérêts

Dans les deux arrêts, la Cour de cassation rappelle que le CSE n’a pas de pouvoir général d’agir en justice au nom des salariés ou de se joindre à l’action de ses derniers, sauf à démontrer que ses propres intérêts sont en cause.

► Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante rendue à propos du comité d’entreprise (arrêt du 14 mars 2007 ; arrêt du 18 janvier 2011 arrêt du 4 novembre 2020). Contrairement aux syndicats, le CSE n’a pas pour mission de représenter l’intérêt collectif d’une profession (arrêt du 23 octobre 1985 ; arrêt de la chambre criminelle 28 mai 1991).

À défaut, il est irrecevable à demander une indemnisation…

Dans la première affaire, le CSE soutenait avoir subi un préjudice du fait :

  • du non-respect des dispositions légales et conventionnelles sur la distribution de titres-restaurant aux télétravailleurs ;
  • des informations erronées qui lui auraient été fournies concernant l’attribution des titres-restaurant aux télétravailleurs.

Les juges d’appel ont relevé qu’il n’était ni signataire de l’accord excluant les télétravailleurs du bénéfice des titres-restaurant, ni chargé de l’émission de ces titres, ni victime d’une consultation irrégulière et en ont déduit que son action était irrecevable.
La Cour de cassation approuve leur décision.

… l’interdiction pour la société de retirer les titres-restaurant…

Dans la seconde affaire, les CSE demandaient aussi l’interdiction de supprimer les titres-restaurant.
La suppression résultant d’un accord collectif applicable à l’ensemble du groupe, les juges d’appel en ont déduit, à bon droit, selon la Cour de cassation, que les CSE n’avaient pas qualité pour agir aux fins d’interdire à la société de supprimer les titres-restaurant aux télétravailleurs ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts.

… et l’exécution ou la révision d’un accord collectif

Toujours dans la seconde affaire, les CSE réclamaient une augmentation de la dotation patronale aux activités sociales, considérant que la suppression des titres-restaurant avait un impact budgétaire. Ils soutenaient que la suppression du bénéfice aux télétravailleurs des titres-restaurant, alors que cet avantage avait été pris en compte dans la fixation du taux de financement de ces activités, portait atteinte aux prérogatives du CSE en matière de gestion des activités sociales et culturelles.
La Cour rappelle que seul un syndicat représentatif peut demander l’exécution ou la révision d’un accord collectif . Le CSE n’ayant pas ce pouvoir, il ne peut pas agir sur ce terrain (arrêt du 20 septembre 2006 ; arrêt du 19 novembre 2014).

Audrey Gauvin-Fournis