“Il faut sortir d’une approche statique du dialogue social sur l’IA”
14/10/2025
L’Institut de recherches économiques et sociales, l’Ires, publie une étude portant sur les accords de dialogue social autour de l’intelligence artificielle.
Dans ce document de 29 pages qui revient sur l’approche syndicale du projet Dial-IA, Marie-Odile Chagny et Claire Marzo souligne les lacunes du dialogue social autour de l’IA en France. Pour les chercheuses, “la grande majorité des accords ne prennent pas assez en compte les transformations engendrées par l’IA, son impact sur les conditions de travail et sur l’organisation du travail”.
L’étude souligne la difficulté des négociateurs à prendre en compte le caractère imprévisible de l’IA : “L’incertitude liée à la dimension itérative, adaptative, et opaque de certains systèmes d’IA est encore largement sous-estimée. Il en ressort une difficulté à mettre en œuvre un dialogue social adapté à ces enjeux, permettant des boucles de rétroaction, de prendre en compte les enseignements des expérimentations. Très rares sont encore les accords qui intègrent cette dimension de « dialogue social itératif »”.
Pour négocier des accords plus complets, plaident les chercheuses, il faut sortir “d’une approche statique du dialogue social pour lui donner la possibilité d’agir avant, pendant et après l’introduction de l’IA dans l’entreprise”. Un souhait qui rejoint les récentes recommandations d’un rapport parlementaire au sujet de la consultation du CSE.
Source : actuel CSE
Accord de branche étendu : pour soulever son illégalité par voie d’exception, il faut aussi soulever celle de son arrêté d’extension
16/10/2025
Pour que l’exception d’illégalité contre un accord collectif de branche étendu soit jugée recevable, il faut que soit également soulevée celle de son arrêté d’extension, celle-ci pouvant être soulevée, en l’absence de vice propre, devant le juge judiciaire.
L’action en nullité d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois, par tous ceux qui ont participé à sa négociation (organisations syndicales et patronales, CSE lorsqu’il est signataire de l’accord) (article L.2262-14 du code du travail).
► À certaines conditions, les CSE non-signataires de l’accord peuvent aussi intenter une action en nullité de l’accord (arrêt du 10 juillet 2024).
Ce délai volontairement court garantit la sécurité juridique des accords collectifs en évitant qu’ils puissent être contestés longtemps après leur conclusion.
Pour autant, ce souci légitime de sécurisation ne prive pas les tiers à l’accord du droit de s’opposer à l’application de clauses qui seraient illégales.
En effet, dans une décision du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel reconnaît aux salariés, au nom du droit à un recours juridictionnel effectif, la possibilité de contester l’illégalité d’un accord collectif par la voie de l’exception d’illégalité dans le cadre d’un litige individuel.
► La reconnaissance de l’illégalité d’une clause conventionnelle n’entraîne pas sa nullité mais uniquement son inopposabilité à celui qui l’a soulevée.
Cette décision n’a pas manqué de susciter une série d’interrogations sur la nature et le régime de l’exception d’illégalité ainsi reconnue, interrogations auxquelles la chambre sociale de la Cour de cassation tente de répondre au fil des contentieux.
► En 2022, elle a déjà eu l’occasion de clarifier le bénéfice de l’exception d’illégalité contre un accord collectif d’entreprise. Outre les salariés, le bénéfice de l’exception d’illégalité a été ouvert au CSE et aux organisations syndicales non-signataires, sous réserve qu’ils défendent leurs droits propres (arrêts du 2 mars 2022, n° 20-16.002,n° 20-20.077 et n° 20-18.442).
Dans un arrêt du 1er octobre 2025 (destiné à être publié), elle se prononce, cette fois-ci, sur la recevabilité d’une exception d’illégalité soulevée par un employeur à l’encontre d’un accord collectif de branche étendu.
Dans cette affaire, les partenaires sociaux de la branche des salariés intérimaires ont conclu un accord de prévoyance frais de santé obligatoire fin 2015, complété par avenant du 30 septembre 2016. Accord et avenant ont fait l’objet d’un arrêté d’extension du 20 avril 2017. Plusieurs entreprises de la branche ont sollicité du ministre l’abrogation des arrêtés d’extension, ce que le ministre a refusé implicitement. Elles ont alors saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir en demandant l’annulation de la décision implicite de refus d’abrogation des arrêtés. Sans succès : le recours est rejeté et le Conseil d’Etat a admis la légalité de l’accord de 2015 et de son avenant (Conseil d’Etat, 16 décembre 2019).
Parallèlement à ce contentieux, des organisations syndicales signataires de l’accord de 2015 et de ses avenants ont assigné deux entreprises pour non-respect de ces accords.
L’une de ces entreprises soulève une exception d’illégalité de l’accord. Cette exception est-elle recevable ?
L’employeur n’est pas un “tiers” comme les autres
Les arrêts rendus par la chambre sociale à propos d’accords collectifs d’entreprise (voir remarque ci-avant) semblent transposables aux accords collectifs de branche : n’ayant aucun autre moyen d’action, un salarié, comme un CSE ou une organisation syndicale non-signataire (pour la défense de leurs droits propres) doivent pouvoir soulever l’exception d’illégalité d’un accord collectif de branche qui leur est applicable, au nom du droit à un recours juridictionnel effectif.
En revanche, la position de l’employeur, adhérent ou non à l’organisation patronale signataire, est plus ambiguë. Peut-il être qualifié de tiers à la convention signée par l’organisation à laquelle il adhère ? Peut-il soulever l’exception d’illégalité d’une convention collective étendue qui couvre son secteur d’activité ?
Comme le souligne l’avocate générale dans son avis joint à l’arrêt, la situation de l’employeur tenu d’appliquer une convention collective n’est pas complètement identique à celle d’un salarié.
En effet, s’agissant d’un accord de branche non étendu, l’employeur adhérent, “participe, selon les règles de démocratie interne de l’organisation, à la définition de sa politique, notamment contractuelle et l’organisation patronale représente les intérêts de ses membres”. De plus, l’employeur peut toujours décider de ne plus adhérer à l’organisation patronale s’il souhaite marquer son opposition à l’application d’un accord de branche. Dans le cas d’un accord de branche étendu, un employeur peut, une fois l’arrêté d’extension publié au Journal officiel, engager un recours pour excès de pouvoir pour demander l’annulation de l’arrêté d’extension et il peut même le contester par exception, sans limitation de temps. Il n’est donc pas privé de tout recours juridictionnel.
Toutefois :
- s’agissant des accords de branche non étendus, l’employeur adhérent n’a pas réellement de prise sur l’acte juridique que constitue l’accord de branche et la décision de ne plus adhérer à l’organisation patronale signataire a un effet limité puisque l’employeur doit continuer d’appliquer l’accord (article L.2262-3 du code du travail) ;
- s’agissant des accords de branche étendus, au regard de l’effet et de l’objet de tels accords, “l’employeur ne semble pas non plus être dans une situation fondamentalement différente du salarié ; l’un comme l’autre reste tiers à l’accord et l’effet normatif conféré par la loi à l’accord collectif vise précisément à assurer l’application de l’accord collectif en dehors du cercle des contractants, à l’ensemble des employeurs entrant dans le champ d’application géographique et professionnelle de l’accord et à l’ensemble des salariés de ces entreprises”.
Pour l’avocate générale, “ils sont tous deux des sujets de l’accord collectif et devraient donc tous deux pouvoir soulever l’exception d’illégalité de l’accord”.
Notons que, dans le rapport du conseiller joint à l’arrêt, il est envisagé de relever d’office le moyen tiré de ce qu’un employeur est irrecevable à invoquer une exception d’illégalité à l’encontre d’un accord de branche étendu.
► Le rapport s’appuie notamment sur la décision du Conseil d’Etat du 16 décembre 2019 (précitée), sur le caractère réglementaire de l’arrêté d’extension, sur la nécessité de sécuriser les accords de branche et sur le fait que la chambre sociale n’avait admis, jusqu’ici, que les exceptions d’illégalité à l’encontre de l’arrêté d’extension lui-même (arrêt du 29 septembre 2021).
Mais il peut tout de même soulever l’exception d’illégalité d’un accord de branche à condition de le faire aussi pour l’arrêté d’extension
La chambre sociale ne suit pas tout à fait l’avis de l’avocate générale, ni ce qu’envisage le rapport du conseiller.
Elle ne considère pas qu’une exception d’illégalité d’un accord de branche étendu invoquée par l’employeur se heurte à l’effet obligatoire d’un accord de branche étendu. Mais elle subordonne la recevabilité de cette exception d’illégalité à une exception d’illégalité de son arrêté d’extension.
En effet, elle dispose que “l’exception d’illégalité d’un accord de branche étendu n’est pas recevable en l’absence d’exception d’illégalité de l’arrêté ayant étendu ledit accord de branche”.
Elle n’admet donc le bénéfice d’une exception d’illégalité d’un accord de branche que si l’exception d’illégalité de son arrêté d’extension est également soulevée. Pour elle, cette condition est justifiée par l’effet obligatoire des accords de branche étendu.
Notons qu’elle ne limite pas expressément sa décision à l’exception d’illégalité soulevée par un employeur. Un salarié qui soulève l’exception d’illégalité d’un accord de branche doit-il aussi soulever l’exception d’illégalité de l’arrêté d’extension ? Ce point mérite d’être éclairci.
Devant quelle juridiction soulever l’exception d’illégalité d’un arrêté d’extension ?
La Cour de cassation ajoute une précision importante : l’exception d’illégalité à l’encontre d’un accord de branche n’est pas recevable en l’absence d’exception d’illégalité de l’arrêté ayant étendu l’accord de branche, “quand bien même, en l’absence de vice propre à l’arrêté d’extension, le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur l’exception d’illégalité formée à l’encontre de l’arrêté d’extension”.
Le juge judiciaire est, en effet, seul compétent à connaître des litiges portant sur la validité d’un accord collectif et de ses avenants sans qu’aucun vice propre ne soit invoqué contre les arrêtés d’extension de cet accord et de ces avenants. La Cour se conforme ici à une décision du Tribunal des conflits rendue le 8 juin 2020.
La saisine du juge administratif est, en revanche, nécessaire en présence d’un vice propre à l’arrêté.
Une question demeure : est-ce à l’employeur de saisir préalablement le juge administratif ou le juge judiciaire, saisi des deux exceptions, doit-il alors surseoir à statuer ?
Si l’on se réfère à un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 2019, on sait que, lorsque le juge judiciaire a un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’extension, il doit saisir le juge administratif d’une exception d’illégalité ; il peut seulement vérifier si l’activité des entreprises en cause entre bien dans le champ d’application de l’accord de branche.
► En l’espèce, le Conseil d’État avait déjà validé la légalité des arrêtés d’extension. Le juge judiciaire était donc compétent à recevoir l’exception d’illégalité formée à l’encontre de l’arrêté d’extension.
Si l’arrêt commenté ici participe grandement à désopacifier l’exception d’illégalité en matière de négociation collective, il reste encore quelques zones d’ombre à éclaircir.
Géraldine Anstett