Un employeur est condamné à rembourser 900 000€ à son CSE

18/04/2025

Dans une ordonnance de référé du 10 avril, le tribunal judiciaire de Caen condamne la société Keolis à verser plus de 900 000 € à son CSE, car l’entreprise n’a pas respecté l’accord fixant à 2% le montant de la dotation des activités sociales et culturelles. L’entreprise devrait faire appel.

Le montant, assez peu courant pour un contentieux sur les activités sociales et culturelles (ASC), avoisine le million d’euros : dans une ordonnance de référé rendue le 10 avril, le tribunal judiciaire de Caen condamne la société Keolis à verser à son comité social et économique (CSE) la somme de 917 313€ (lire la décision en pièce jointe). Et encore le montant aurait-il pu être plus élevé s’il n’y avait pas eu prescription pour une partie de l’ardoise, l’avocate du CSE, Dominique Mari, chiffrant à 1,5 million d’euros le préjudice total subi par le comité de 2016 à 2024. 

Des prélèvements de la part de l’employeur

C’est à la suite d’un changement de majorité syndicale au CSE (la CGT prenant les commandes) que les élus du comité s’interrogent, en mai 2024, sur un prélèvement mensuel d’environ 15 000€ opéré par l’employeur sur la dotation normalement versée chaque mois par l’entreprise au CSE pour financer les activités sociales et culturelles. Pour expliquer ce moindre financement du CSE, ce qui représente tout de même la bagatelle annuelle de 180 000€, la direction répond aux élus qu’il s’agit de la prise en charge par le CSE d’une partie de la cotisation de la mutuelle des salariés.

Historiquement, le comité d’entreprise de Keolis avait bien mis en place en 1997 une mutuelle en finançant la moitié de la cotisation des salariés. Un dispositif repris ensuite, dans une décision unilatérale, par l’employeur lors de la mise en place, le 1er janvier 2008, de sa propre mutuelle obligatoire. Cette décision unilatérale prévoyait que le CE continue de financer, et ce jusqu’au “451e salarié”, le paiement de 50 % des cotisations, or le CE puis le CSE, soutient l’employeur, n’a jamais remis en cause cet engagement. 

Problème : depuis le 1er janvier 2016, les employeurs sont contraints, par la loi du 14 juin 2013 dite de sécurisation de l’emploi, de financer à hauteur de 50 % la couverture des frais de santé des salariés (art. L. 911-7 de la sécurité sociale). Dès lors, rien ne justifiait plus, aux yeux du CSE et de son avocate qui a donc plaidé le trouble manifestement illicite, la poursuite du prélèvement de l’employeur sur la dotation du CSE qui revient à faire reposer l’effort de financement de la mutuelle sur le comité.

En revanche, l’employeur devait bel et bien continuer à respecter l’accord du 13 octobre 2017 fixant à 2 % de la masse salariale brute le montant du financement des activités sociales et culturelles du CSE. Il semble d’ailleurs en avoir été conscient puisque l’entreprise a cessé ses prélèvements en juin 2024. 

La question du changement d’entreprise 

Pour s’opposer à la demande de remboursement du CSE des sommes prélevées depuis 2016, l’employeur, qui a perdu fin 2024 le marché des transports publics de Caen au profit d’une filiale de la RATP (laquelle a repris les 600 salariés), soutient que le CSE (devenu le CSE “Twisto RATP”) n’est plus en mesure d’agir en justice puisqu’il aurait perdu sa personnalité morale au 31 décembre 2024 et n’a donc plus d’existence légale “du fait du transfert de l’ensemble des salariés de l’entreprise au sein d’une entreprise tierce”.

Sur ce point, l’avocat oppose la directive CE 2001/23 du 12 mars 2001 qui “subordonne le maintien des mandats des représentants du personnel au fait que l’entité transférée conserve son autonomie” ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation sur la survie des mandats. 

Sur ce point, le juge des référés donne raison à l’avocate en estimant fondée la capacité à agir du CSE, mais sans vraiment entrer dans les détails : “La société Keolis Caen Mobilités soutient que si le CSE Keolis Caen Mobilités indique qu’il serait désormais désigné CSE Twisto RATP, ce dernier n’aurait aucune existence légale et donc aucune capacité à agir. Cependant cette argumentation est sans emport alors que le CSE  Keolis Caen Mobilités reste seul avec les syndicats représentatifs intervenants volontaires à formuler des demandes au sein de la présente instance, le CSE Twisto RATP n’en formulant aucune et n’intervenant pas volontairement”.

L’accord de 2017 non respecté

Pour trancher le différend sur le préjudice, le juge des référés constate que le budget du CSE de Keolis Caen Mobilités a bien été grevé de la somme de 14 850€ puis 14 331€ chaque mois, au titre de la participation du CSE à la mutuelle des salariés. La cessation de cette pratique, en juin 2024,  équivaut pour le juge à la reconnaissance par l’employeur du caractère illicite de ces participations forfaitaires : “C’est donc de manière illicite que depuis le 1er janvier 2016, l’employeur n’a pas assuré et donc pris définitivement à charge le financement de la mutuelle des salariés que lui imposait l’article 911-7 du code de la sécurité sociale, puisqu’il a récupéré ce budget sur celui des œuvres sociales du CSE”.

Le tribunal estime que l’employeur n’a donc pas respecté l’accord d’entreprise du 13 octobre 2017 fixant à 2 % de la masse salariale brute le montant du financement des activités sociales et culturelles du CSE. 

Au passage, le juge condamne l’employeur à verser aussi au CSE la somme de 2 000€ et aux syndicats CGT, FO, CFDT et CFTC la somme de 500€ chacun. Selon le site de France Bleu, Keolis va faire appel d’une condamnation qu’elle juge “incompréhensible”.

Bernard Domergue