Industrie : le gouvernement veut lancer un “APLD rebond”

02/12/2024

La vague de restructurations annoncées dans l’industrie pousse le gouvernement à réagir. L’exécutif a ainsi publié une brochure de 29 pages, vendredi 29 novembre, pour défendre sa stratégie et son action en faveur de l’industrie. Y est évoquée l’idée d’une activité partielle de longue durée (APLD) “rebond”: “L’activité partielle de longue durée (APLD) est un dispositif qui permet de ne pas licencier et donc de conserver les compétences, afin de leur permettre de redémarrer dès que la conjoncture le permet. Il a bénéficié à 63 000 salariés chaque mois en 2023. Le gouvernement souhaite adapter cet outil en créant un nouveau dispositif « APLD Rebond » qui accroîtra l’engagement de l’employeur à former ses salariés et ciblera davantage l’effort public pour accélérer les reconversions’.

Selon le ministère du travail, ce dispositif serait créé par amendement au projet de loi de finances pour 2025. Incompatible avec la forme existante de l’APLD afin de cibler le nouveau dispositif sur la prévention des licenciements, il serait mobilisable par les entreprises via un accord d’établissement, d’entreprise ou de groupe ou encore via un accord de branche étendu. Cette variante de l’APLD obligerait l’employeur à présenter un plan de formation, l’idée étant de favoriser cet effort de formation en majorant l’indemnisation des salariés formés.

L’entreprise ou la banche aurait 6 mois, donc du 1er janvier au 30 juin 2025, pour conclure un accord.

Par ailleurs, le gouvernement promet “1,6 milliard d’euros d’aides supplémentaires aux entreprises en 2025 pour la décarbonation” ainsi que le prolongement l’an prochain de “la prise en charge du coût audits des petites entreprises”.

L’État entend poursuivre la détection, le plus en amont possible, grâce à une “startup d’Etat signaux faibles” (sic), des entreprises en difficulté, via un algorithme d’intelligence artificielle : “Chaque trimestre, environ 100 entreprises sont détectées par département. ces signaux faibles aident les 1 000 agents publics dédiés à l’accompagnement des entreprises en difficulté, dont les commissaires aux restructurations et prévention des difficultés des entreprises, à prioriser leurs actions”. 

Au sujet de la filière automobile (lire notre article sur Valeo dans cette même édition), le gouvernement annonce mobiliser 250 millions d’euros de financements publics et privés pour “relancer la dynamique de consolidation en fonds propres”. 

Concernant le volet compétences des salariés, l’Etat indique que l’industrie bénéficiera en 2025 d’une part plus importante du FNE, avec environ 80 000 salariés formés.

Enfin, le gouvernement, qui souhaite “imposer des critères de production en Europe pour éviter le contournement des droits de douane”, entend toujours créer un produit d’épargne pour financer spécifiquement l’industrie.

Source : actuel CSE

L’employeur n’a pas à communiquer au CSE la liste nominative des salariés détachés en clientèle

03/12/2024

Le comité social et économique (CSE) ne peut pas exiger de l’employeur la liste nominative des salariés en poste chez des clients dès lors qu’il a la possibilité de contacter les salariés de l’entreprise via leur messagerie professionnelle.

Pas toujours évident pour les élus du CSE de contacter et de rencontrer les salariés travaillant la majeure partie du temps en clientèle, et ne mettant que très rarement, voire jamais les pieds dans les locaux de leur entreprise. On pense notamment aux métiers de la surveillance, du nettoyage ou encore du conseil.

À l’employeur de fournir les informations et de prendre les mesures nécessaires qui permettront aux élus du CSE de contacter les salariés travaillant en clientèle. Pour autant, cela ne l’oblige pas à fournir la liste nominative des salariés en poste chez les clients.

► Remarque : l’entreprise cliente peut refuser aux représentants du personnel d’accéder à ses locaux (Cass. soc., 30 janv. 1991, n° 89-17.333). Dans ce cas, l’employeur doit justifier de ce refus et permettre aux salariés détachés de revenir temporairement dans l’entreprise pour s’entretenir librement avec les représentants du personnel (CA Versailles, 14 déc. 2006, n° 05/5775).

Une UES de 6 CSE d’établissement

Notre affaire se déroule au sein du groupe Altran, organisé en unité économique et sociale dotée de 6 CSE d’établissement.

Face au refus de l’employeur de lui communiquer la liste nominative des salariés par “site client” et les lieux de leur intervention, le CSE de l’établissement Altran Ile-de-France décide de s’en remettre à la justice en invoquant une entrave à l’exercice de ses fonctions.

Plus précisément, il estime que le refus de la direction prive les élus du personnel de la possibilité de prendre tous contacts individuels nécessaires à l’accomplissement de leur mission, et constitue un trouble manifestement illicite.

La Cour d’appel suit le CSE

La cour d’appel entend l’argument du CSE et estime que la possibilité qu’ont les élus de prendre contact avec les salariés “suppose une individualisation du contact qui doit pouvoir se faire sur site, entre un salarié déterminé et les élus”. Pour les juges, un échange de courriels ne peut suppléer la spontanéité d’un contact sur place. D’où une condamnation de l’employeur, qui assure déjà le suivi des missions en clientèle, à transmettre au comité “pendant deux ans, au plus tard le 10 de chaque mois”, la liste nominative des salariés par site client et les lieux de leur intervention.

L’affaire arrive en cassation.

Dans son pourvoi, l’employeur fait notamment valoir que tous les salariés avaient accès via les affichages dans l’entreprise et l’intranet du groupe aux coordonnées des membres du CSE et pouvaient prendre contact à tout moment avec eux. Ensuite, côté CSE, les représentants du personnel pouvaient librement prendre contact avec les salariés en mission avant de se déplacer sur un site client car ils disposaient de la liste des sites sur lesquels des salariés étaient affectés en mission, le nombre de salariés sur chaque site et l’adresse électronique professionnelle de tous les salariés. Pour la direction d’Altran, les salariés en mission pouvaient bien contacter les élus, les élus pouvaient bien contacter tous les salariés, donc ceux en mission. La prétendue atteinte au droit des membres du CSE de prendre contact avec les salariés n’était donc pas du tout caractérisée.

La Cour de cassation suit l’employeur

La Cour de cassation entend l’argument de l’employeur.

Comme elle le rappelle dans son arrêt du 27 novembre 2024, les élus et les représentants syndicaux au CSE peuvent effectivement se déplacer hors de l’entreprise et circuler librement dans l’entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès d’un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail (article L. 2315-14).

Or, ici, il avait bien été constaté que “les membres du comité disposaient de la liste des sites d’intervention des salariés rattachés au périmètre du comité ainsi que du nombre des salariés présents sur ces sites” et qu’il “pouvaient prendre contact avec les salariés par leur messagerie professionnelle”. Il n’était donc pas prouvé qu’ils étaient dans l’impossibilité de prendre tout contact nécessaire à l’accomplissement de leur mission auprès des salariés à leur poste de travail dans une entreprise tierce.

Frédéric Aouate

Quand des contre-propositions font échec à un projet de délocalisation

04/12/2024

Bruno Bothua est le secrétaire adjoint du CSE de Hill-Rom Baxter, une entreprise de 450 salariés qui fabrique notamment des lits d’hôpitaux près d’Auray, dans le Morbihan. Ce militant CGT chevronné nous explique comment son syndicat a pu éviter, grâce à des contre-propositions conçues avec le personnel et un expert, un projet de délocalisation en 2014.

À l’heure où les annonces de fermetures de sites et de plans sociaux se multiplient, il peut paraître singulier de s’intéresser à une initiative syndicale datant de 2014 et qui concerne une forme de démocratie sociale au travail. Mais voilà : l’évocation de cette histoire, par le syndicaliste Alain Alphon-Lavre lors d’un débat la semaine dernière à Paris, nous a donné envie d’en savoir plus.

Et qu’avons-nous appris en appelant Bruno Bothua, un des fers de lance de cette histoire ? Qu’il s’agissait rien moins que de faire échec à un projet de délocalisation d’une partie des emplois d’un site breton. Et que ce projet, grâce à des contre-propositions formulées par la CGT avec l’ensemble du personnel et le concours d’un expert Secafi, a été bel et bien abandonné ! 

Une usine et un centre de ventes

Basée à Pluvigner, près d’Auray dans le Morbihan, l’usine Hill-Rom Baxter (*) emploie aujourd’hui environ 450 personnes dans la fabrication de lits pour hôpitaux, tables de chevet et autres matériels médicaux. Le site comprend une usine mais aussi un centre R&D et les services clients et administration des ventes, comme on le voit sur cette image.

Un savoir-faire difficilement délocalisable et transférable selon Bruno Bothua, secrétaire adjoint du CSE : “Par exemple, quand un hôpital téléphone à une assistante de l’administration des ventes pour des lits, l’assistante connaît déjà un tas de choses importantes, comme la nature du sol de l’établissement. Elle sait donc s’il faut prévoir des roues tendres ou dures. Tout ça, c’est le fruit des échanges avec les techniciens au fil du temps”.

Cela n’a pas empêché le propriétaire américain du groupe d’envisager la création, en Pologne, d’un centre de services partagé comprenant cette administration des ventes mais aussi celles d’autres sites européens. Un projet ficelé par la société de conseil Deloitte, qui se proposait aussi, bien entendu, de se rémunérer pour le mettre en place.

Un projet de délocalisation 

Aujourd’hui retraité, Jérôme Prévost, l’expert du CE, a gardé le contact avec les salariés et les représentants du personnel “qui sont devenus des amis” nous dit-il.

Il décrit ainsi ce projet, assez courant à l’époque : “La création de services partagés dans un pays de l’Est, qui consistait à délocaliser l’activité, c’était un peu un projet hors sol, qui ne tenait pas compte de la réalité de l’activité et des métiers. Deloitte faisait miroiter à l’actionnaire des économies structurelles grâce à la faiblesse des salaires en Pologne, mais sans tenir aucun compte du savoir-faire lié à ce marché très particulier”. 

Quand sur le conseil de Deloitte, donc, le groupe annonce sa décision, le 23 janvier 2014, dans une communication adressée aux 22 000 salariés monde, les choses paraissent en effet déjà pliées : “Tout ce qui était administration des ventes, finances et affaires réglementaires en Europe allait être transféré en Pologne deux mois plus tard !” se souvient Bruno Bothua, secrétaire du syndicat CGT de l’entreprise et qui était aussi, à l’époque, le secrétaire général de l’union départementale CGT du Morbihan (**).

Mais ce que ni Deloitte ni le groupe n’avaient pas prévu, c’était la farouche résistance collective du personnel et l’inventivité d’un syndicat CGT dans l’élaboration et la promotion de contre-propositions. 

Une CGT puissante dans l’entreprise

Pour le syndicat CGT du site de Pluvigner, une organisation qui reste aujourd’hui incontournable dans l’entreprise avec 94% de représentativité, la réalisation d’un tel projet menace l’existence même du site industriel breton. Mais la direction de l’établissement n’est également pas très convaincue des bienfaits d’une telle délocalisation et elle va prêter son concours officieux, si l’on peut parler ainsi, à la CGT (lire en encadré le témoignage du DRH).

Dans un premier temps, le syndicat obtient de la direction européenne du groupe un délai d’un mois pour présenter des contre-propositions. Délégués syndicaux et élus du personnel s’activent pour rencontrer les services de l’Etat et les élus politiques. Le CE missionne le cabinet Secafi qui a trois semaines pour enquêter et écrire son rapport. Un contre la montre qui fait aujourd’hui sourire Jérôme Prévost : “La préfecture m’a dit ensuite que mon rapport était vraiment très riche et plein d’idées, mais pas assez bien présenté”.

En un mois, l’expert et l’équipe d’élus passent en revue tous les postes de travail, en demandant aux salariés : “Que faites-vous d’essentiel et comment ça marche ? Pourquoi ça a un sens votre travail ici ? Pourquoi votre métier ne peut-il pas être confié à quelqu’un d’autre à l’étranger ?”

Le projet est retiré alors que des recrutements sont en cours en Pologne

En menant ce travail sur le travail, l’équipe syndicale et l’expert assoient leur démonstration d’un risque commercial et économique réel en cas de délocalisations des services. C’est cette démonstration de la valeur ajoutée du travail local qui va convaincre la direction américaine de lâcher l’affaire : “Le 15 avril 2014, alors que tout devait être délocalisé au 1er avril et que des recrutements étaient en cours en Pologne, notre PDG annonce qu’il suit les préconisations des représentants du personnel français et qu’il stoppe le projet de délocalisation”, se souvient Bruno Bothua. 

Juste avant, il faut dire que les représentants du personnel avaient été reçus à Matignon, et cela a dû peser dans la balance.

“Ce qui a été déterminant, c’est le travail des élus, la cohérence du personnel et aussi une petite part de chance avec la présence de Thierry Pellerin qui était en poste à la région Bretagne et qui a pu faire intervenir Jean-Yves Le Drian pour nous faire ouvrir les portes de Matignon”, nous raconte Jérôme Prévost. Or, le secteur d’activité de l’entreprise reposait quand même beaucoup sur la commande publique en France, un marché très important, et une entreprise même étrangère ne pouvait pas l’ignorer…

Mais l’histoire ne s’arrête pas là…

Une diminution des accidents du travail  

L’immense majorité du personnel a bien sûr crié victoire au moment de l’abandon du projet de délocalisation. “Mais il y avait aussi des salariés proches de la retraite et qui espéraient pouvoir quitter l’entreprise”, confie le secrétaire adjoint du CSE. Et donc ? “Et donc nous avons négocié avec l’employeur pour qu’il prenne en charge un plan de départs volontaires pour 58 personnes”, répond Bruno Bothua. 

Le travail d’échanges et de réflexion mené avec les salariés s’est poursuivi. “A l’époque, je côtoyais Alain Alphon-Layre au comité confédéral national de la CGT et il cherchait des entreprises où parler de ses idées sur le travail. Je l’ai invité chez nous”, nous raconte le syndicaliste breton.

Auparavant, ce dernier avait obtenu de la direction, “dans le cadre des NAO”, qu’une journée payée soit laissée au libre choix des salariés : soit ils venaient travailler comme d’habitude dans l’entreprise, soit ils restaient chez eux, soit ils participaient à une journée d’échanges collective sur le travail. “Avec Alain, nous nous demandions ce qui allait se passer. Résultat : alors que nous n’avions prévu que 200 chaises, 99% des salariés sont venus !”

Les discussions ont dégagé 10 points réalisables, sur l’amélioration des postes de travail, les vestiaires, etc., et le secrétaire du syndicat a été chargé de leur suivi, car la direction a dit banco. “Aujourd’hui, la direction a repris l’idée à son compte et elle organise deux jours d’échanges par an sur le travail”, se félicite Bruno Bothua.

Ce travail a porté des fruits très concrets : des postes de travail ont été aménagés pour des travailleurs ayant des incapacités permanentes ou temporaires (aide au levage, postes à hauteur variable, visseuses autoportées, etc.). “Quand j’ai débuté mon mandat au CHSCT en 1998, nous avions 230 accidents par an. Aujourd’hui, nous sommes entre zéro et 5, et la gravité des accidents n’a rien à voir”. 

Des idées de nouvelles productions

Cerise sur le gâteau : l’association du personnel aux enjeux liés au travail et à la production a aussi permis de faire émerger des idées de production. “Nous avons imaginé un “lit CGT” qui a été mis en production et qui a été l’une des vaches à lait de l’entreprise pendant des années, souligne le syndicaliste breton. Nous sommes aussi à l’origine de la production d’un lit intelligent qui permet au personnel de connaître la température du patient, de voir s’il respire normalement. Nous en fabriquons 5 000 par an”.

Et Bruno Bothua de conclure : “Quand nous avions planché sur le site, nous avions développé un projet de nouvelles productions pour faire de Pluvigner un pôle de compétences et d’expertise mondial pour la fabrication de tout le matériel de l’environnement du patient. Au fil des années, nous l’avons fait“. 

La leçon qu’en tire pour sa part l’expert Jérôme Prévost et qui pourrait servir à d’autres équipes de représentants du personnel ? “Être vigilant sans tomber dans la parano, et anticiper !”

(*) L’Américain Baxter a racheté le groupe Hill-Rom en 2021. 

(**) Aujourd’hui Bruno Bothua est également directeur de l’administration et des finances (DAF) de la CGT, qui est donc un mandat syndical (et non un poste de salarié) que lui ont confié Sophie Binet et Laurent Brun. 

Le DRH se félicite d’une forme de “cogestion des conditions de travail”
Quand le groupe annonce en 2014 une réorganisation de l’usine de Pluvigner et la délocalisation de l’administration des ventes, la direction de l’établissement breton a déjà pris langue avec son syndicat pour imaginer la suite. “Quinze jours avant l’annonce officielle, nous avons partagé l’information avec nos représentants du personnel. C’était une certaine prise de risque, même si chez nous, ce n’est pas la CGT telle qu’on l’imagine”, nous raconte aujourd’hui le DRH, Philippe Cahanet.

Un deal officieux est ainsi scellé : vous acceptez la réorganisation de l’usine car il nous faut baisser les coûts (d’où selon le DRH le plan de départs volontaires qui s’en est suivi), et nous travaillons ensemble pour écarter le projet de délocalisation. La direction du site donne ainsi quelques conseils aux élus et à l’expert pour la présentation du rapport de contre-propositions. Le management local défend l’intérêt du site breton en allant à Chicago et fait aussi jouer ses réseaux, comme la CGT, pour mobiliser le personnel politique, y compris le n°3 du gouvernement de l’époque, Jean-Yves Le Drian. Cela contraindra le PDG du groupe à accepter une réunion à Matignon, et cela conduira in fine à l’abandon de la délocalisation. 

Aujourd’hui, Philippe Cahanet nous explique que l’entreprise fait toujours vivre ce dialogue social singulier. “Deux fois par an, nous partageons avec tous les salariés les chiffres et les enjeux économiques de l’entreprise. Et nous avons gardé une forme de cogestion sur les conditions de travail. Par exemple, nous avons associé les opérateurs à la réflexion sur le chantier de la toiture de la partie stockage”.  Et quand on lui demande si cette expérience inédite a fait école, le DRH nous répond : “Cela six ans que ça fait école ! J’enseigne les relations sociales pour le Master RH de l’université de Bretagne Sud. Nous faisons notamment un jeu de rôle pour faire vivre aux étudiants un CSE qui dure sept heures…”  

Bernard Domergue

Une précision sur la protection du conseiller du salarié

04/12/2024

Le salarié titulaire d’un mandat extérieur à l’entreprise est protégé s’il a informé l’employeur de son statut au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement ou du dernier entretien organisé en application de la procédure conventionnelle de licenciement. C’est ce que nous dit un arrêt de la cour de cassation portant sur un conseiller du salarié.

La Cour de cassation répond à une question inédite sur la protection des salariés titulaires d’un mandat extérieur à l’entreprise.

Les faits sont les suivants. Un salarié exerce un mandat extérieur à l’entreprise, en qualité de conseiller du salarié (*), à compter de décembre 2020. Convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement disciplinaire mi-avril 2021, il est licencié pour faute grave mi-mai 2021, après la tenue du conseil de discipline prévu par la convention collective. Soutenant qu’il bénéficie du statut protecteur lié à son mandat, le salarié saisit la juridiction prud’homale en référé pour obtenir sa réintégration.

Une protection résultant d’une construction jurisprudentielle …

Les salariés titulaires d’un mandat extérieur à l’entreprise (conseiller du salarié, conseiller prud’hommes, défenseur syndical, administrateur d’une caisse de sécurité sociale) bénéficient, en effet, d’une protection contre la rupture de leur contrat de travail (C. trav. art. L 2411-1 s.). Cette protection impose à l’employeur d’appliquer la procédure prévue pour les représentants du personnel et d’obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail avant de rompre le contrat.

Jusqu’en 2012, la Cour de cassation considérait que ce statut protecteur s’appliquait dès l’acquisition du mandat, et pour toute la durée de celui-ci, même si l’employeur n’était pas informé de ces missions extérieures du salarié. Constatant les difficultés qui résultaient de cette position, l’employeur pouvant en toute bonne foi licencier un tel salarié sans autorisation administrative et s’exposer à d’importantes sanctions, la Cour de cassation, après avoir vainement sollicité une modification de la loi, a trouvé la parade en posant une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point.

Le Conseil constitutionnel a jugé les textes du Code du travail conformes à la constitution, mais a émis une réserve d’interprétation : pour bénéficier de la protection, le salarié doit avoir informé l’employeur de son mandat au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement (Cons. const. 14-5-2012 n° 2012-242 QPC).

La chambre sociale de la Cour de cassation applique, depuis, cette réserve d’interprétation (voir, par exemple, Cass. soc. 26-3-2013 n° 11-28.269 FS-PB).

Elle a décliné le principe, notamment, au cas du licenciement prononcé non pas par l’employeur, mais par le liquidateur judiciaire de la société (Cass. soc. 1-6-2017 n° 16-12.221 FS-PB) ou à la mise à la retraite du salarié : cette rupture n’étant pas précédée d’un entretien, l’employeur doit être informé du mandat avant sa notification (Cass. soc. 30-9-2015 n° 14-17.748 FS-PB).

Elle juge également que, dans le cas où le salarié ne parviendrait pas à prouver qu’il a informé l’employeur de son mandat, il peut revendiquer le bénéfice de la protection s’il établit que l’employeur en avait connaissance par un autre moyen (Cass. soc. 14-9-2012 n° 11-21.307 FS-PBR).

Le Conseil d’État a également aligné sa jurisprudence sur ce principe (CE 24-7-2019 n° 411058).

… adaptée pour tenir compte des procédures conventionnelles

La question soumise ici à la Cour de cassation était celle des modalités d’application de cette règle en cas de licenciement disciplinaire, lorsque la convention collective impose à l’employeur de saisir un conseil de discipline. Le salarié titulaire d’un mandat extérieur à l’entreprise est-il protégé si l’employeur est informé de son mandat après l’entretien préalable au licenciement mais avant son audition par la commission de discipline ? La Cour y répond dans un sens favorable au salarié.

Pour la Cour de cassation, l’entretien préalable au licenciement prévu par l’article L 1232-2 du Code du travail ne constitue pas une date butoir pour l’information de l’employeur sur l’exercice d’un mandat extérieur, contrairement à ce que soutenait l’employeur dans son pourvoi. Cette date butoir est celle du dernier entretien organisé avant la notification de la rupture, y compris, donc, celui prévu par la convention collective.

Ici, la cour d’appel avait constaté que le dernier entretien entre l’employeur et le salarié avait eu lieu au moment de la comparution du salarié devant le conseil de discipline. Or 3 jours avant cet entretien, l’employeur avait reçu un courrier du préfet l’informant de la désignation du salarié comme conseiller. Il était donc parfaitement au courant, au moment de la notification de la rupture, que le salarié était protégé.

Le licenciement constituait donc un trouble manifestement illicite, et le salarié est fondé à réclamer sa réintégration.

L’avocat général, dans son avis diffusé sur le site de la Cour de cassation, souligne que l’employeur informé du statut protecteur conféré au salarié a fait preuve de mauvaise foi en le licenciant sans respecter la procédure de saisine préalable de l’inspecteur du travail. La réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel en 2012 avait précisément pour objectif de parvenir à un équilibre, et d’éviter qu’un employeur de bonne foi soit sanctionné pour avoir prononcé un licenciement en méconnaissance de l’existence d’un statut protecteur.

En conclusion, il est conseillé à l’employeur de toujours solliciter l’autorisation de licenciement dès lors qu’il est informé du mandat avant d’envoyer la lettre de licenciement, que ce soit par le salarié au cours d’un entretien postérieur à l’entretien préalable ou par un autre moyen. Car si le salarié est en mesure de prouver que l’employeur avait connaissance de son mandat extérieur avant la date de notification du licenciement, celui-ci sera jugé nul.

(*) Dans les entreprises dépourvues de représentant du personnel, un salarié convoqué à un entretien préalable au licenciement peut se faire assister par un conseiller du salarié. Celui-ci est une personne extérieure à l’entreprise qui doit figurer sur une liste arrêtée dans chaque département par le préfet. 

Laurence Méchin

Négociations sur l’emploi : des experts conseillent aux CSE d’anticiper

05/12/2024

Alors que les annonces de plans sociaux se multiplient, la confédération Force Ouvrière a reçu mardi 3 décembre experts et juristes pour conseiller ses élus de CSE sur les négociations relatives à l’emploi. Ils suggèrent aux élus de d’articuler les consultations récurrentes, les expertises et le droit d’alerte économique. Les militants présents auront retenu un maître mot en cas de difficultés économiques : anticiper.

Les annonces de plans sociaux d’Auchan, Michelin et Valeo ont marqué les esprits, mais de nombreuses autres entreprises évoquent leurs difficultés. Selon une étude du cabinet Altares publiée le 15 octobre 2024, pas moins de 13 429 entreprises sont tombées en défaillance entre le 1er juillet et le 30 septembre 2024, soit une hausse de 20,1 % par rapport à la même période de 2023. Cette récurrence de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) est observée également par le juriste Kevin Suter, du cabinet Legrand : “Je vois de plus en plus de demandes de clients sur des PSE. Les ruptures conventionnelles collectives sont plus rares. Et attention aux plans sociaux déguisés et présentés sous la forme comme des fautes légères qui deviennent graves ou d’absences de renouvellement des postes”.

Dans un tel contexte, les élus de CSE doivent plus que jamais se préparer à des restructurations. Si les PSE sont négociés par les délégués syndicaux, les CSE ont leur mot à dire sur l’emploi dans leur propre champ d’intervention. Force Ouvrière a tenu dans ce but, le mardi 3 décembre à Paris, sa journée annuelle dédiée au rôle économique des CSE, sous l’égide de la secrétaire confédérale Karen Gournay. Experts et juristes étaient mobilisés autour de 183 élus et délégués syndicaux. Les spécialistes recommandent d’anticiper et de tenir compte des signaux faibles de l’entreprise pour exercer leurs prérogatives et défendre l’emploi des salariés.

Les signaux à retenir pour donner l’alerte

Selon Caroline Friling, directrice de missions au cabinet Legrand, les trois consultations récurrentes du CSE peuvent fournir des signaux auxquels les élus de CSE doivent porter attention : “Profitez de la consultation sur les orientations stratégiques pour étudier l’entreprise sur trois ans. Vous pourrez voir comment la direction se projette. Sur la politique sociale, les évolutions d’effectif indiquent s’il s’agit d’emploi pérenne ou précaire. Sur la situation économique et financière, vous pouvez capter un état des lieux de la comptabilité”. En résumé, dès qu’un élu a connaissance de faits préoccupants, il doit les retenir et se préparer à donner l’alerte.

Il peut également s’agir du développement de l’intérim dans l’entreprise, ou de la perte de gros clients, des informations à recueillir au fil de l’eau tout au long du mandat. Quoiqu’il en soit, l’experte leur conseille de se présenter en réunion de CSE avec des éléments factuels à opposer : “Quand vous venez en réunion avec de la documentation qui vient de l’employeur, il ne peut pas vous contrer”

Le rôle crucial des informations

Pas toujours facile cependant d’obtenir les informations de l’employeur. Caroline Friling note que les élus lui ayant confié leur dossier peuvent se trouver dans deux situations : soit la direction ne leur donne aucune information, soit au contraire elle les sature d’éléments dans lesquels ils risquent de se noyer. Elle préconise de “transformer l’information brute en information utile, celle qui va vous permettre d’exercer vos prérogatives économiques”.

Pour Michel Beaugas, les élus doivent aussi s’emparer de la base de données économiques sociales et environnementales (BDESE). “Elle est sensée contenir le bilan des actions de l’employeur, notamment sur la formation des salariés”, rappelle-t-il. Or cette formation contribue à l’employabilité et aux capacités de reconversion après d’éventuels licenciements. FO défend d’ailleurs une négociation du plan de développement des compétences avec le CSE. La formation participe donc au maintien dans l’emploi et à de meilleures conditions de travail.

Selon Eric Bertin, directeur de mission au cabinet Technologia, les élus doivent monter en négociation sur la BDESE : “J’ai vu une seule fois une BDESE complète. Cela en dit long. En revanche, les élus peuvent négocier son contenu et l’adapter à leurs missions et à l’activité de l’entreprise”

Le droit d’alerte économique en trois étapes concrètes

Maître de conférences en droit privé à l’université Paris Nanterre, Isabel Odoul-Assorey avertit les élus : les dirigeants opérationnels risquent de ne pas reconnaître les difficultés économiques de l’entreprise ! “Eux-mêmes doivent rendre des comptes au conseil d’administration ou de surveillance et aux actionnaires propriétaires de la structure. S’ils avouent les problèmes aux syndicats et au CSE, ils se mettent eux-mêmes en péril”, explique-t-elle. D’où l’intérêt pour les élus de se tenir au courant par leurs propres moyens, et de réclamer un accès à l’information.

Par ailleurs, Isabel Odoul-Assorey suggère aux élus d’exercer leur droit d’alerte économique en trois étapes : “Au préalable, préparez la réunion ordinaire du CSE avec une liste de questions précises à poser à la direction. N’hésitez pas à demander la présence du directeur administratif et financier. Ensuite, voyez en trois fois. Premièrement, soit les réponses lèvent vos inquiétudes et tout s’arrête là. Deuxièmement, si ce n’est pas le cas, passez à la phase suivante en rédigeant un rapport sur la situation de l’entreprise approfondissant les indices préoccupants, éventuellement avec le soutien d’un expert-comptable. A l’issue d’une deuxième réunion avec la direction, rendez un avis déterminant si vous passez à la troisième étape, à savoir l’exercice du droit d’alerte”.

Cela se traduit par une transmission du rapport au conseil d’administration ou de surveillance de l’entreprise et l’inscription à l’ordre du jour de leur prochaine séance (s’il a été saisi au moins quinze jours à l’avance). L’organe délibère ensuite dans le mois suivant sa saisine.

Le secrétaire général Frédéric Souillot a conclu la séquence : “J’espère que cette journée sur la réappropriation du rôle économique du CSE vous a apporté et a répondu à vos questions. Tous les ans, vous êtes de plus en plus nombreux à venir car nous avons de plus en plus de représentants au CSE : nous nous développons, parfois dans la tourmente, comme à Auchan de Dieppe”. Les nouveaux élus FO du CSE ont en effet rencontré de nombreuses difficultés avec la direction après avoir établi 15 % de représentativité. Leur magasin fait en effet partie du PSE présenté par la direction d’Auchan le 5 novembre dernier.

Frédéric Souillot a également rappelé la baisse du nombre d’élus et de moyens induite par les ordonnances de Macron de 2017, des ordonnances que le projet d’accord national interprofessionnel négocié en novembre dernier prévoit d’écorner : “Les ordonnances ont introduit le plafonnement à trois mandats, dont nous avons obtenu la fin par accord, et ça, c’est une vraie victoire… Quand on met un pied dans la porte des ordonnances, cela permet de passer ensuite l’épaule et de pousser un peu plus. Nous avions réclamé le retour du CHSCT. Il ne reviendra pas tel quel, mais peu importe son nom. Si on arrive à redonner une personnalité morale à cette instance, on aura gagné”.

Fin de l’ancienneté sur les activités sociales et culturelles (ASC) : “inéquitable” pour certains élus
Au fil des débats de la journée, certains élus ont brocardé les conséquences de l’arrêt de la Cour de cassation sur la fin du critère d’ancienneté du salarié dans l’attribution des ASC. Depuis le 3 avril dernier, les CSE ne peuvent plus réserver des ASC aux salariés ayant tel ou tel niveau d’ancienneté dans l’entreprise. Certains élus se sentent gênés par ce changement, comme Laurence Diogène, élue au CSE du groupe volailler LDC : “Comment accorder la même chose à des salariés qui ont dix ans d’ancienneté et à d’autres qui ont été recrutés il y a deux mois ? Ce n’est pas équitable”.

D’autres militants partageaient ce point de vue, comme Kokha Mazouzi, élue au CSE de Sodexo : “Nous avons convenu avec les autres organisations syndicales de maintenir encore le critère d’ancienneté pendant un an. Ensuite on le supprimera, de toute façon il le faudra bien, nous n’aurons pas le choix”.

À noter que l’arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2024 ne permet pas non plus au CSE de moduler les ASC en fonction de l’ancienneté. Si le risque de contentieux provenant d’un salarié semble faible en raison de son coût, il ne faut cependant pas négliger la possibilité pour un syndicat concurrent d’agir en justice contre un CSE en place.

Marie-Aude Grimont