CSE

La BDESE et le DUERP ne sont pas à jour des informations environnementales

15/02/2023

Organisé hier au Conseil économique, social et environnemental (CESE) à Paris dans le cadre des assises du travail, un débat a traité des liens entre dérèglements climatiques et santé au travail. Si la préoccupation environnementale des salariés et de leurs représentants est forte, les outils existants (base de données économiques, sociales et environnementales et document d’évaluation des risques) sont souvent mal renseignés sur l’environnement et le dialogue social peine à s’emparer de ces sujets. Certains garants des assises du travail ont par ailleurs livré leurs pistes sur les propositions qu’ils remettront dans un mois, notamment sur une meilleure prévention de la santé au travail.

Sur le papier, tout le monde est d’accord : les enjeux climatiques concernent le travail. Les risques liés aux dérèglements climatiques impactent déjà les entreprises et la santé des salariés, et cela ne devrait qu’empirer : inondations, épisodes caniculaires, risques allergiques, etc. “Par exemple, la pénurie de sable va poser un problème à l’industrie du verre”, illustre Fabienne Tatot, conseillère CESE pour l’Ugict-CGT.

Conscience individuelle et action collective

Pour autant, assiste-t-on à une prise de conscience et à une action collective dans les entreprises visant à anticiper ces phénomènes ou du moins à réduire les activités les plus préjudiciables à l’environnement et leurs effets sur la santé ? A la première partie de la question, la réponse est positive. Si l’on en croit l’enquête menée par le CESE (1),  70% des salariés pensent que le dérèglement climatique peut affecter la santé des salariés et pas moins d’un tiers (et même 37% des femmes) disent éprouver une forme d’anxiété sur ces changements environnementaux.

En revanche, la réponse est clairement négative au sujet d’une action collective. Seul 35% des répondants disent que les sujets environnementaux sont à l’ordre du jour dans leur univers professionnel alors que 80% des salariés se disent concernés par la question. Sophie Thiéry, la présidente de la commission travail et emploi du CESE, souligne ce grand écart entre la prise de conscience individuelle et l’action collective, notamment dans les entreprises. “Passer du Je au Nous pour agir en faveur des transformations nécessaires, c’est le grand défi”, résume Jean-François Naton, rapporteur du futur avis du CESE.

BDESE et DUERP : le climat manque à l’appel !

Les freins à cette action collective sont nombreux, et le mauvais outillage en matière d’informations en est un. La base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), qui doit intégrer des éléments d’information environnementaux liés à l’activité de l’entreprise depuis la loi climat, laisse à désirer en pratique. En effet, 60% des répondants affirment que leur BDESE n’a pas intégré la dimension environnementale. Et lorsque ces éléments sont présents, il s’agit surtout d’une simple identification des risques environnementaux.

De la même façon, le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est la plupart du temps dépourvu d’éléments sur les risques environnementaux (dans 1 cas sur 5 seulement selon les personnes interrogées), comme si les employeurs séparaient les risques environnementaux des risques de santé au travail. Son actualisation paraît aussi poser problème.

Au niveau national, pas moyen de parler du lien entre le climat et la santé au sein de notre branche ! 

Ces carences vont de pair avec, de la part des élus, un manque de temps pour s’emparer de ces sujets, et plus globalement, un manque de formation exprimé par plus de la moitié des répondants, une majorité déplorant également une absence de volonté des employeurs sur le sujet. Un constat qui n’étonne pas Pascal Barbey. Le secrétaire du FNCB CFDT déplore l’inertie de la branche du bâtiment sur le sujet du lien entre climat et santé au travail, malgré les épisodes caniculaires éprouvants pour les ouvriers : “Nous partageons des constats, mais peu de bonnes pratiques, à l’exception d’un accord dans le Limousin qui prévoit un arrêt du travail par grande chaleur. On demande à nos branches de discuter des enjeux environnementaux pour le BTP, car on veut réorganiser le travail face à la menace de grande chaleur. Mais nous n’arrivons pas à discuter de ce sujet au niveau national, même de façon informelle”.

Et le syndicaliste de réclamer au passage une modification de l’article L. 5424-8 du code du travail afin qu’il mentionne explicitement que les intempéries peuvent aussi concerner la période estivale et le risque caniculaire. Pour Pascal Barbey, c’est non seulement une question de santé des travailleurs, mais aussi de qualité du travail : “Couler du béton en canicule n’est pas seulement dangereux pour la santé, mais ce sont aussi des risques pour le chantier : durcissement plus rapide, risque de fissures, etc.”

L’exemple d’une PME

“Je transmettrai votre message à la Fédération nationale du bâtiment”, lui a promis Catherine Guerniou. Cette dernière, conseillère au CESE, dirige une PME de menuiserie industrielle, la Fenêtrière.

Nous avons formé tout le personnel, et sensibilisé nos fournisseurs 

 Elle revendique une approche active de la dimension environnementale : “J’ai suivi un parcours de 9 mois avec la convention citoyenne sur le climat qui m’a démontré que nous devions tous changer de regard sur ces sujets”. Et la dirigeante d’expliquer que son entreprise a d’abord partagé une formation à la fresque du climat, “y compris en langue des signes pour un de nos salariés qui est sourd”, avant une autre formation de tous les salariés sur l’environnement. “Nous avons dû aussi sensibiliser nos fournisseurs, certains de mes collaborateurs ne comprenaient pas la démarche mais pour moi ce n’était pas négociable”, dit-elle.  

 Le radar environnemental

Une autre action volontariste a également été présentée, venant cette fois du côté syndical. L’Ugict, le syndicat des cadres de la CGT, a élaboré un “radar environnemental” avec le cabinet Secafi, une approche qui a reçu le soutien de l’Anact, l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Depuis novembre 2022, 300 personnes ont été formées avec cet outil, raconte Fabienne Tatot, conseillère CESE et membre de l’Ugict. Cet outil consiste à favoriser l’appropriation des enjeux environnementaux par les salariés, afin de conduire ceux-ci à élaborer eux-mêmes des actions prioritaires à mener. Antoine Touche, du collectif “pour un réveil écologique”, a participé à l’élaboration de ce “radar”.

Un “gouffre” entre les déclarations et la réalité

Il se dit frappé par le “gouffre” entre les déclarations des dirigeants d’entreprise et la réalité des pratiques : “Ce radar est un outil qui peut être pris en main par des non spécialistes afin de favoriser la prise de conscience et le passage aux décisions concernant la décarbonation”. Car si les entreprises progressent dans le calcul de leur bilan carbone, explique-t-il, elles mesurent encore très peu l’impact de leurs activités sur la biodiversité, et se fixent encore moins d’objectifs d’amélioration sur ce point. 

Pour Benoit Delarce, secrétaire national de la fédération agro et agri FGA de FO, et ancien préventeur de l’agriculture, les filières économiques commencent à appréhender l’enjeu des canicules, qui touchent désormais des régions du nord de la Loire. Il prend l’exemple de l’aviculture, les fortes chaleurs obligeant à repenser le travail des salariés, en horaires décalés, à recourir à des brumisateurs. “Mais nous n’avons plus le CHSCT qui nous permettait d’agir efficacement. Le CSE a du mal à se saisir du sujet”, constate-t-il. 

La transition industrielle chez Renault

Les choses avancent-elles trop lentement ? Sans doute, “mais elles progressent”, veut positiver Jean-Dominique Sénard. Et le co-gérant des Assises du travail de prendre l’exemple de Renault dont il préside le conseil d’administration  : “Nous, nous avons basculé ! Notre plan climat est très ambitieux, et ce que les salariés voient, ce sont les transformations qui en découlent. Nous sommes en train de faire de Flins la première usine circulaire du secteur en ayant sauvegardé 3 000 emplois. Dans le Nord, nous aurons le premier site européen de fabrication de batteries électriques. Nous pouvons donc traduire dans les faits une politique de transition climatique”. Et le grand patron de conclure par un appel, qui lui est familier, en faveur d’une gouvernance des entreprises associant les représentants des salariés. 

 L’homme ne pourra plus travailler dehors

Le géographe et écologue Wolfang Cramec, directeur de recherches au CNRS et membre du Giec (2), n’a pas paru impressionné par ces paroles. “Nous ne sommes pas sur la bonne piste”, a-t-il résumé en déplorant le rythme trop faible de baisse de nos émissions carbone. “Le 1,2 degré de réchauffement qui nous a déjà coûté beaucoup de vies et causé de nombreux problèmes de santé et de difficultés dans le monde du travail, ce n’est qu’un début”, a-t-il averti en mettant en garde sur l’illusoire capacité d’adaptation infinie de l’homme : “Si le climat devient trop chaud, l’homme ne pourra plus travailler dehors”. Attention aussi “aux mauvaises adaptations”, type climatisation des bureaux, “qui ne font qu’aggraver les choses en réchauffant l’atmosphère”. Atmosphère, atmosphère…

(1) Enquête menée du 1er décembre 2022 au 13 janvier 2023, avec 1 922 réponses, dont 60% ont un mandat de représentation des salariés. Cette enquête a été réalisée dans le cadre de la préparation de l’avis sur le climat et la santé, dont le contenu et les recommandations seront soumis au vote du CESE le 25 avril.

(2) Giec : groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Les rapports du Giec portent sur l’évolution passée et future du climat, sur ses causes et sur ses impacts. 

Assises du travail : les propositions envisagées sur la santé au travail et le CSE 
Lancées en décembre dans le cadre du Conseil national de la refondation, les assises du travail, dans lequel s’inscrivait ce débat au CESE, devraient donc présenter leur bilan assorti de propositions dans un mois, a indiqué hier le ministre du travail, soit quelques semaines de plus que prévu. “La stratégie de plein emploi est l’occasion de remettre le travail, sa qualité et son sens, au centre des débats”, a souligné Olivier Dussopt, qui a trouvé au CESE “un hémicycle calme et une ambiance apaisée”, selon les mots de Thierry Beaudet, le président du CESE.  Les rapporteurs, souvent appelés “garants” ou “référents”, des ateliers des assises ont présenté hier quelques esquisses des propositions qu’ils pourraient formuler dans un mois. ► Plutôt prudent sur les questions de gouvernance, Yves Mathieu, qui pilote le thème de la Démocratie au travail, est convaincu qu’il faut “faire de la place dans les ordres du jour surchargés des CSE” aux questions prioritaires du climat : “Il faut dégager du temps pour aborder ces questions”. Il formule aussi le vœu d’un dialogue de proximité au sein des entreprises avec une parole plus libre, et insiste sur la formation des dirigeants, cadres, salariés “afin de reconsidérer les priorités”. Il a conclu par ce mot : “Dans 200 ans, j’espère qu’on se souviendra de nous comme d’une génération qui a pris le bon chemin, et non comme celle qui s’est perdue en chemin”.  ► La DRH Audrey Richard, qui pilote le thème “santé au travail et qualité de vie au travail“, a été plus précise. Pour favoriser une meilleure culture de la prévention dans les entreprises, elle a suggéré “de simplifier les points d’entrée de l’entreprise autour de la prévention”. Cela semble indiquer une volonté de simplifier les organismes et dispositifs existants, comme l’avait dit Florence Bénichoux lors de l’ouverture des assises. Elle préconise aussi de renforcer la prévention des accidents du travail vers les jeunes, les intérimaires et les sous-traitants. La formation sur la santé au travail et la prévention doit être généralisée, y compris via des “épreuves éliminatoires” dans les formations professionnelles et les cursus des écoles de management, les managers devant être formés aux risques psychosociaux. La présidente de l’ANDRH, qui promet des propositions sur la formation et la reconversion des seniors, formule enfin l’idée d’un carnet de santé tout au long de la vie professionnelle,  ► Jean-Marie Marx, référent du thème “Rapport au travail“, n’a pour sa part pas délivré de pistes pour réconcilier les salariés avec leur travail, mais il a indiqué des “leviers” : mobilités douces, performance énergétique des bâtiments, droits des travailleurs du numérique, formation, davantage de négociation du télétravail, engagement des dirigeants. 

 Bernard Domergue

Joël Pascal : “J’ai d’abord embarqué les salariés avant de réclamer des hausses de salaires”

16/02/2023

Seul élu de son CSE dans un cabinet d’avocats, Joël Pascal a décidé de porter la question des rémunérations devant des associés peu habitués aux réclamations du personnel. Adhérent de la CGT, il a fait l’objet d’une tentative de licenciement, refusée par l’inspection du travail. Il nous raconte comment il s’organise et comment il appréhende son mandat d’élu. Interview.

Nous avons rencontré Joël Pascal lors d’une table ronde, co-organisée par l’Ajijs et l’AJPME (1), consacrée à la négociation des salaires dans les petites et moyennes entreprises. L’occasion de constater une fois de plus à quel point le dialogue social peut y être difficile, à fortiori quand on est seul élu de son CSE.

Depuis quand êtes-vous salarié et élu du CSE ?

Je suis salarié depuis 2005 et élu depuis 2019. Je m’occupe de la facturation des dossiers et du recouvrement des honoraires.

Combien d’élus êtes-vous dans le CSE ?

Je suis le seul. Comme la cabinet emploie environ 30 salariés, nous aurions dû être 2 titulaires et 2 suppléants, mais j’ai été le seul à me présenter aux élections. C’est d’ailleurs notre premier CSE. J’avais dû faire un constate de carence aux élections précédentes.

Vous êtes par ailleurs adhérent de la CGT, pourquoi avez-vous voulu devenir élu ?

Auparavant, la parole était assez libre, je pouvais m’exprimer librement. Mais il y a eu un changement d’actionnariat, l’entreprise s’est financiarisée et j’avais moins cette possibilité. J’ai ressenti le besoin d’être protégé. 

Comment avez-vous construit votre stratégie pour obtenir une augmentation des salaires ?

Négocier les salaires dans un cabinet de taille moyenne, c’est inenvisageable pour les associés. Je n’ai donc pas abordé cette question immédiatement après mon élection. J’ai voulu d’abord m’y préparer et embarquer les salariés.

 Les associés ont refusé de compléter l’indemnité d’activité partielle 

La première négociation est venue après le confinement de 2020, mais les associés ont refusé de compléter l’indemnité d’activité partielle afin que les salariés ne perdent pas d’argent. En 2021, j’ai organisé une réunion des salariés avec l’Union locale CGT afin de discuter avec eux de leurs priorités salariales. Ils voient le net sur la fiche de paie et ne sont pas forcément conscients de tout ce qu’ils peuvent mobiliser comme l’intéressement et la participation, qui peuvent conduire à des sommes importantes dans un cabinet. A ce moment là, j’ai demandé aux associés une prime de télétravail et une pour compenser l’indemnité d’activité partielle.

Que s’est-il passé ensuite : les associés ont-ils accepté ?

Sur le coup, ils ont refusé, mais dans un second temps, ils ont accordé une prime Macron de 1 500€. Le problème, c’est que dès la réunion avec les salariés, j’ai fait l’objet d’une procédure de licenciement.

L’inspection du travail a refusé mon licenciement

L’inspection du travail a heureusement refusé d’autoriser le cabinet à me licencier. Après ce refus, mon entretien annuel s’est très mal passé. Le lendemain, il y avait une réunion du CSE où les associés m’ont dit que j’avais des “questions agressives”. Ils ont donc engagé un recours hiérarchique contre cette décision mais mon licenciement a de nouveau été refusé par l’administration du travail en septembre 2022.

Sur les salaires, à quoi ont abouti les négociations ?

Par principe, le cabinet n’a pas de politique d’augmentation générale, contrairement à ce que je défends ! Les associés n’ont donc accordé que des augmentations individuelles, de 4,7 % en moyenne. 

Une victoire selon vous ?

Je pense qu’une augmentation générale montre la reconnaissance du travail des salariés. Par ailleurs, le problème des primes, c’est qu’elles ne sont pas prises en compte quand un salarié recherche un logement, ou lorsqu’il demande un crédit à une banque. L’augmentation générale est selon moi la contrepartie à la hausse de la productivité des salariés. Si le capital s’attribue la productivité, les salariés se démotivent, surtout en voyant qu’ils se défoncent à leur travail mais qu’ils paient tout plus cher à cause de l’inflation. Je continue donc de défendre l’augmentation générale.

Que pensez-vous de l’accord sur le partage de la valeur ?

Je ne me suis pas penché dessus mais par principe, à mes yeux, la rémunération du salarié, c’est son salaire. Qu’on augmente les salaires au lieu de parler de partage de la valeur ! Le salarié participe au risque de l’entreprise, et son contrat de travail ne le protège pas puisque si l’entreprise fait faillite, il perd son emploi. La prise de risque du salarié est à mon avis sous-estimée.

Quel regard portez-vous sur l’exercice de votre mandat ?

Ce serait déjà bien que j’aie un meilleur accès à l’information. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales) n’est pas obligatoire.

Je n’ai pas de BDESE, je dois demander l’information aux associés  

Je suis obligé d’aller demander aux associés des informations sur la santé du cabinet, pas sur leurs revenus personnels, mais uniquement sur la situation de l’entreprise. Pourtant, on me les refuse en me disant qu’on fera une réunion quand ce sera jugé nécessaire. Par ailleurs, l’institutionnalisation des représentants du personnel permet de protéger la personne qui contrarie l’actionnaire. Mais l’élu de CSE ne peut pas faire grand chose s’il n’a pas les salariés derrière lui.

En tant qu’adhérent CGT, que pensez-vous de votre confédération ?

L’image que renvoie la CGT me convient, et ce que fait Philippe Martinez me va très bien. Il se déplace, il vient soutenir les bases, motiver les gens, c’est important. Ce n’est qu’avec une grosse organisation que l’on peut peser. Donc derrière Philippe Martinez, l’important aussi c’est que les salariés entretiennent le rapport de force.

(1) Ajis : association des journalistes d’information sociale. AJPME : association des journalistes PME.

Marie-Aude Grimont

L’entreprise déménage : quel rôle pour le CSE ?

17/02/2023

L’essor du télétravail et du flex-office a changé la donne des bureaux d’entreprise, qui doivent également s’adapter à la sobriété énergétique. A l’occasion de la sortie d’un guide “Agir sur les conditions de travail” de Secafi sur le déménagement d’entreprise et le rôle du CSE, sa co-autrice, Maria Le Calvez, spécialiste de ces questions au sein du cabinet d’expertise, conseille aux CSE de s’impliquer très tôt dans un projet d’aménagement ou de déménagement. Interview.

Maria Le Calvez, vous avez rédigé, avec Ludovic Ponge, ce guide sur le rôle du CSE dans un déménagement d’entreprise. Pourquoi cette publication ?

Nous actualisons notre série de guides pratiques “Agir” destinés aux élus du personnel, qui sont rédigés par les consultants experts de Secafi (1). Celui consacré au déménagement et au rôle des IRP datait du temps du CE et du CHSCT. Nous devions donc le mettre à jour au sujet du CSE, mais nous en avons aussi profité pour aborder des thématiques nouvelles comme le passage au flex-office et la sobriété énergétique, qui sont deux évolutions majeures.

Un mot sur la sobriété et son lien avec les conditions de travail ? 

J’observe que la recommandation, faite par le gouvernement dans son plan de sobriété énergétique, d’une température des bureaux de 19° suscite beaucoup d’incompréhensions en pratique (2). Beaucoup ne comprennent pas la différence entre une température de chauffage à 19° C et une ambiance à 19° C.

Entre la paroi et le centre d’un espace, il peut y avoir 5° C de différence 

Et quand je demande aux entreprises quelle est la température d’ambiance, on me donne simplement la température de l’air. Mais pour connaître réellement la température d’ambiance ressentie (on parle de la température “opérative”), il faut prendre la température de la paroi, l’ajouter à la température de l’air et diviser le tout par 2. Entre la température de la paroi, pour laquelle on peut mesurer 11° C et la température de l’air du milieu de la pièce, il peut y avoir plus de 5°C de différence (3).

Revenons aux déménagements d’entreprise, l’essor du télétravail a-t-il changé la donne ? 

Il y a davantage de projets de changement. Il s’agit de projets d’aménagement, de réaménagement de sites existants et de déménagement. Derrière ces trois types de projets, l’objectif commun le plus visible de la part des directions des entreprises, c’est la révision à la baisse du besoin des entreprises en mètres carrés du fait de la nouvelle organisation du travail avec le télétravail.

J’observe une volonté de réduire les mètres carrés et de disposer d’un bâtiment moins énergivore 

Les employeurs cherchent soit à regrouper des entités dans un même bâtiment, en cédant par exemple un autre bâtiment qui est en fin de bail, soit à déménager dans un bâtiment plus petit, d’autant plus que le passage en flex-office (Ndlr : aménagement sans bureaux attribués individuellement aux personnes) diminue le besoin de surface. Ce que j’observe souvent, c’est la volonté de quitter un bâtiment énergivore, qui consomme trop d’énergie et qui est donc coûteux, au profit de bâtiments mieux isolés et où on peut appliquer la sobriété énergétique avec une température à 19° C. Cela n’est possible qu’avec un bâtiment qui n’a pas de déperdition d’énergie, qui n’est pas “troué”. Il y a aussi un autre objectif environnemental dans le choix de certains sites mieux desservis par les transports en commun, avec de moindres places de parking pour les automobiles. 

Qu’est-ce qui caractérise les projets de passage en flex-office ? 

Les projets de flex-office se basent sur un taux qui exprime le rapport entre le nombre d’employés et le nombre de bureaux, sachant que certaines activités très sédentaires ne sont pas compatibles avec le flex-office. En ce moment, les projets sont conçus sur la base de taux très bas pouvant aller jusqu’à 0,5 poste de travail par personne. Autrement dit, le projet intègre d’emblée la variable du télétravail en partant du postulat que les salariés vont passer la moitié de leur temps de travail (2 jours et demi) chez eux, en télétravail, et la moitié dans l’entreprise. Avant le Covid, les projets de déménagement visaient plutôt un taux de 0,8, c’est-à-dire 1 seule journée de télétravail par semaine.

Avec le flex-office, l’employeur pousse au télétravail  

Ces chiffres montrent toute l’ambiguïté du flex-office : cet aménagement suppose, de la part de l’employeur, que les salariés vont travailler une partie du temps chez eux. En effet, le dimensionnement des projets fait qu’il est impossible que tous les salariés viennent dans les locaux tous les jours, d’où les accords sur le télétravail. Autrement dit, l’employeur pousse au télétravail, alors que légalement une entreprise ne peut contraindre les salariés à télétravailler et que, d’autre part, un salarié en télétravail peut demander à revenir travailler sur site. 

Très souvent, un déménagement est la conséquence d’une autre problématique, écrivez-vous. C’est-à-dire ? 

Ce qui est affiché au départ, très souvent, c’est une volonté de réduire les mètres carrés ou de disposer de meilleurs locaux, moins vétustes que les précédents. Il y a aussi cet objectif que les gens travaillent mieux ensemble, de façon plus collaborative. En réalité, derrière un déménagement, il y a toujours une stratégie de la part de l’entreprise visant à organiser différemment les équipes de travail. C’est parfois au cours du projet qu’on comprend ce qui se joue en termes d’organisation générale du travail. 

Comment le CSE, avec son éventuelle commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), peut-il tenter d’influencer l’employeur pour assurer de meilleures conditions de travail aux salariés ? Vous dites que la première consultation du CSE porte souvent sur un projet encore assez flou…

Oui, mais c’est normal. Un projet mûrit dans le temps, il se nourrit de différentes informations et analyses apportées au fur et à mesure. Ce qu’il faut bien voir, c’est que plus le projet avance dans le temps et dans sa conception, plus les marges de manœuvre deviennent faibles. Cela signifie qu’il ne faut pas attendre le dernier moment pour faire prendre en compte la question des conditions de travail.

Le CSE doit chercher à être associé à tous les stades du projet 

Pour analyser de façon la plus complète possible les conditions de travail qui découleront d’un projet d’aménagement ou de déménagement, il faut que le CSE participe à toutes les phases du projet. Et cela ne commence pas par l’examen des plans, cela doit débuter, dans l’idéal, avant même le choix d’un site, par des études d’opportunité. Un projet réussi, pour nous, c’est lorsque nous pouvons intervenir, comme expert du CSE, dès la recherche d’un nouveau bâtiment ou dès le projet de construction d’un nouveau bâtiment. Nous avons par exemple mené des missions sur des projets de construction de locaux sur un sol pollué, ce qui impliquait une autre conception du système de ventilation de l’air.

Certains projets ont été stoppés car des éléments n’avaient pas été appréhendés  

A l’inverse, si les enjeux techniques ne sont pas appréhendés au bon moment, ce peut être catastrophique : nous avons déjà été confrontés à des projets qui ont dû s’arrêter car ils n’étaient pas conformes. Par exemple, un bâtiment doit fournir à ses occupants une certaine quantité d’air, mais si personne ne suit cette question depuis le début du projet, on peut se retrouver avec un projet d’occupation d’immeuble non viable. J’ai en tête un projet qui a dû s’arrêter parce qu’on s’est aperçus, seulement à la phase de micro-zoning, qu’il y avait un problème de débit d’air au regard du code du travail ! . 

Qu’est-ce que le macro-zoning et le micro-zoning ? 

Ce sont des phases d’un projet. Le macro-zoning, c’est l’organisation de l’espace de travail par grands services : telle entité va occuper le deuxième étage, par exemple. Le micro-zoning, c’est le nombre de postes et leur organisation dans le service ou l’entité, dans l’espace défini par le macro-zoning, ainsi que le nombre de salles de réunion et de repli. L’enjeu de ce découpage, c’est bien sûr celui de l’organisation du travail. Dans le déroulement d’un projet, une fois définis le macro et le micro-zoning vient ensuite le placement nominatif, qui est un enjeu social, et le déménagement lui-même. On voit bien ici qu’un projet de déménagement comporte plusieurs étapes, mais les élus CSE ne sont informés et consultés que sur un projet général. Nous préconisons une information et une consultation du CSE à chaque étape, de façon à partager l’information mais aussi à détecter très tôt d’éventuelles difficultés, qui pourront ainsi trouver des solutions. 

Pour un CSE qui ne connaît pas ces sujets, quels sont les points essentiels à suivre et à analyser ? 

Parmi les points à suivre, en plus de la compatibilité de l’activité avec le projet, ce sont les enjeux techniques qu’il faut surveiller, car ils conditionnent tout le reste ( Ndlr : voir aussi le schéma en fin d’article sur les risques à surveiller). Je pense à l’évacuation en cas d’incendie. Par exemple, si 10 personnes sont prévues dans un espace, et que le micro-zoning dessine 10 postes mais en y ajoutant 3 ou 4 postes même ceux de passage, alors on sort des clous en matière de sécurité incendie.

 La question de la distribution de l’air est cruciale

Mais le plus difficile à appréhender, c’est bien l’aéraulique (4), la question de la distribution de l’air. C’est un sujet non visible, très technique, qui demande des connaissances (débit de l’air, quota nécessaire, etc.) et des outils précis. Pour pallier les déséquilibres qui peuvent apparaître à la fin du projet, entre le capacitaire aéraulique du bâtiment et le nombre de postes prévu par le projet, des moyens techniques sont mis en place après projet pour garantir la conformité réglementaire. Comme, par exemple, des sondes : elles permettent d’évaluer si la capacité maximum, en nombre de personnes, d’un plateau est atteinte. Il arrive que ces sondes, lorsqu’elles sont en usage dans un bâtiment et qu’elles sont reliées directement aux services généraux, déclenchent, par mesure de sécurité, une interdiction d’entrée voire un message d’évacuation ! 

D’autres points essentiels ? 

L’enjeu stratégique et financier d’un projet de déménagement doit être appréhendé par le CSE. Le budget d’une telle opération doit bien comprendre tous les coûts possibles, comme celui d’une bonne ventilation des locaux et un bon traitement acoustique. Il y a aussi, bien sûr, les enjeux organisationnels et ergonomiques. Les membres des CSE doivent regarder dans quelle situation de travail les salariés vont se retrouver à l’issue du projet, s’ils ne seront pas “entassés”, ce qui les dissuaderait de venir au bureau. Il y a aussi les enjeux sociaux avec la question de l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle. Je pense à tous les travailleurs qui n’ont pas vraiment la place pour travailler à l’aise chez eux.

Le flex-office tend à couper les collectifs de travail

Cet enjeu est particulièrement important pour un projet en flex-office car ce mode d’organisation coupe le collectif de travail. Comment aller vers davantage de travail collaboratif, ce qui est le but souvent affiché du projet, alors que le flex-office consiste en un turn-over des équipes, et que les salariés ne se voient plus tous ensemble ? C’est une contradiction ! Une fois prise l’habitude de travailler à distance, on ne vient plus dans l’entreprise, surtout si les conditions de travail ne sont pas jugées satisfaisantes. Avec le flex-office, les jeunes embauchés, ceux qui ont le plus besoin de contacts, ne bénéficient pas de tissu social indispensable car ils ne voient pas les mêmes personnes quand ils viennent dans l’entreprise.  

La pandémie de Covid a-t-elle changé la donne concernant le traitement de l’air dans les bureaux ?

Avant, il n’y avait pas beaucoup de vigilance sur la question de l’aération des locaux, mais la pandémie a changé la donne, à telle enseigne que l’INRS a recommandé aux entreprises d’arrêter le recyclage de l’air (5). En effet, nous allons de plus en plus souvent nous demander si l’air que nous respirons dans un bureau ou un local d’entreprise est de bonne qualité ou non. Un CSE doit particulièrement s’attacher à vérifier que les installations sont en capacité de diffuser de l’air en quantité et qualité suffisantes pour toutes les personnes présentes dans les locaux, ce qui signifie, dans une organisation en flex-office, au-delà des bureaux, d’inspecter les salles de réunion, les espaces de communication comme les cabines pour passer des coups de fil. Faute de place, ces petits espaces sont souvent occupés plusieurs heures par des salariés alors que leur alimentation en air n’est pas calibrée pour cela ! 

Le CSE doit veiller à ce que les espaces de travail soient adaptés à l’activité qui y sera réalisée, recommandez-vous dans votre guide…

La programmation des espaces du travail doit être compatible avec les profils d’activité des salariés. Dans une entreprise, vous avez des personnes qui sont dans un profil “collaboratif” à 100%, d’autres qui sont, pour moitié de leur temps de travail, en communication téléphonique, d’autres encore qui sont dans un profil d’activité qui exige de la concentration et du calme. Il faut donc programmer les espaces en fonction de ces profils et activités, mais parfois ce n’est pas le premier critère pour les responsables des projets d’aménagement. Lorsque nous sommes missionnés par un CSE pour un projet, c’est la première question que nous posons lorsque l’on nous présente un projet de macro-zoning : est-ce cohérent par rapport aux activités et aux profils des salariés ? Il faut parvenir à protéger les salariés les uns des autres, au niveau de l’ambiance sonore et visuelle, ce qui suppose, par exemple, un programme acoustique et un aménagement, avec un ratio de surface adapté aux besoins de l’activité et un nombre d’espaces de repli suffisant. 

Mais ces solutions ne figent-elles pas trop les espaces, du point de vue des directions ? 

Oui, c’est ce qu’on nous oppose, sur le thème : il faut garder l’idée d’une mobilité et des échanges, y compris entre étages, pour favoriser la communication entre services. Mais, dans la réalité, le flex-office est souvent vécu étage par étage, il est rare qu’une personne change d’étage pour travailler dans un autre service. Si le flex est vraiment pensé à l’échelle d’un bâtiment entier, alors les capacitaires techniques, aéraulique et incendie doivent être aussi pensées comme cela. 

Comment le CSE peut-il bien utiliser son droit à expertise ? 

Dès que l’employeur annonce un projet de déménagement qui va donc modifier les conditions de travail, les élus du CSE sont en droit de nommer un expert, ce qui leur laisse d’ailleurs un peu plus de temps pour le rendu de l’avis du comité (6). J’ajoute que le coût de l’expertise, si on le ramène au coût global du projet, ce n’est pas grand-chose.

Le coût de l’expertise est le plus souvent pris totalement en charge par l’entreprise 

En outre, mon expérience me fait dire que si la loi prévoit que le CSE doit assumer sur son budget  20% du coût de cette expertise, dans les faits, la plupart des entreprises prennent en charge 100% du coût de l’expertise. Pour quelles raisons ? Parce que si l’expert appuie le CSE sur les différentes phases, son travail bénéficie aussi à l’entreprise : les informations et analyses que nous apportons sont intéressantes également pour l’employeur, pour éviter, dès le début du projet, certaines erreurs comme celles dont je parlais sur le traitement de l’air ou le macro-zoning. Et une entreprise qui s’installe dans de nouveaux locaux le fait en signant un bail de 10 ans : cela exige un minimum de temps et d’expertise pour bien préparer les choses, ne serait-ce que pour éviter de se retrouver avec un beau bâtiment mais très peu fonctionnel où les salariés ne veulent pas venir !

De mauvaises conditions de travail aujourd’hui, ce sont les maladies professionnelles de demain ! 

Et puis, les conditions de travail d’aujourd’hui, ce sont les maladies professionnelles de demain ! Par exemple, ce n’est pas encore reconnu comme une maladie professionnelle mais je vois de plus en plus fréquemment des problèmes de sécheresse oculaire du fait de la mauvaise qualité de l’air ambiant et du travail sur écran qui fait que nous activons moins nos paupières et, donc, l’humidification de nos yeux. Et je donnerai ici un simple chiffre : selon le ministère de l’écologie, 3,5 millions d’asthmatiques ont été recensés dans le secteur tertiaire. C’est un enjeu de santé publique et un enjeu économique, avec un coût estimé de 10 à 40 milliards d’euros par an !

Quelle répartition des tâches préconisez-vous entre la CSSCT et le CSE ? 

A notre avis, la commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) doit être impliquée dans toutes les phases du projet de déménagement, pour avoir une analyse approfondie sur tous les aspects, et en rapportant chaque fois son travail au CSE, un peu comme le ferait un expert. Cela permettra aux élus du CSE de donner un avis éclairé à chaque phase du projet. 

(1) Secafi (groupe Alpha) est un cabinet d’expertise pour les CSE. Pour télécharger le guide Agir Secafi écrit par Maria Le Calvez et Ludovic Ponge, voir le site de Secafi.

(2) Cette recommandation reprend en fait une disposition de 2015, jusqu’alors peu appliquée, du code de l’énergie : l’article R. 241-26 de ce code fixe les consignes de températures à 19°C pour le chauffage. 

(3) Sur cet aspect, voir cette fiche de l’INRS sur le confort thermique et la sobriété énergétique qui explique que la température associée au confort thermique dans une activité tertiaire se situe généralement autour de 21 à 23 °C en période hivernale. Selon l’Institut, “une entreprise peut décider de n’activer le chauffage que si la température est inférieure à 19°C sans que cette mesure à elle seule ne soit considérée comme une modification importante des conditions de travail”. L’INRS recommande toutefois aux employeurs “d’expliquer les décisions prises et d’associer les instances représentatives à d’éventuelles mesures de réduction du chauffage des bureaux”.

(4) Aéraulique : science qui étudie l’écoulement de l’air.

(5) INRS : Institut national de recherche et de sécurité. Son site contient de nombreux conseils et informations techniques comme cette vidéo sur le déménagement d’une entreprise

 (6) Le déménagement étant un projet important qui impacte les conditions de travail (voir l’article L. 2312-8 du code du travail), le CSE peut décider de réaliser une enquête ou de demander une expertise avant de rendre un avis (art. L. 2315-94). S’il a recours à une expertise, le délai du CSE pour rendre un avis sur le projet passe de 1 à 2 mois (art. R.2312-6). 

Bernard Domergue