Retraites : les seniors victimes des réformes
Dans son ouvrage publié en 2021, « Réformer les retraites », Bruno Palier dresse les bilans et perspectives de plus de 70 ans de retraites en France. Ce livre reste d’une brûlante actualité avec le projet d’Emmanuel Macron de repousser l’âge légal de départ de 62 à 64 ou 65 ans. Une réforme loin d’être anodine pour les seniors si l’on en croit le directeur de recherche CNRS à SciencesPo.
L’opuscule de 158 pages publié dans la collection Références des Presses de SciencesPo a tout d’un livre majeur pour expliquer les retraites. Si son titre à l’infinitif peut sonner comme un impératif au premier abord, tel n’est pas le propos de l’auteur. Car Bruno Palier ne milite pas tambour battant pour une réforme. Il déchiffre pour le lecteur les orientations et enjeux de ce système qui agite la vie politique française depuis près de trente ans.
Les arguments de la classe politique en faveur des réformes ne manquent pas : espérance de vie, papy-boom, pressions européennes, dette publique… Mais Bruno Palier sait garder la bonne mesure avec les arguments de nos gouvernants. Il note que jusqu’au début des années 1990, les gouvernements confrontés aux déficits des régimes prennent l’option politique la moins risquée : augmenter les cotisations. De 1985 à 1991, les cotisations retraite des salariés passeront de 4,7 % à 6,55 %.
Bruno Palier décrypte ensuite les successions de réforme. En 1993, c’est le basculement. La vraie première réforme des retraites entre en scène. Mode de calcul des pensions en référence aux 25 meilleures années, hausse de la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans, création d’un fonds de solidarité vieillesse, cette réforme Balladur crée des axes qui vont irriguer les réformes suivantes.
Origines et enjeux de l’âge légal
Les pages de l’ouvrage consacrées à la question de l’âge légal et à ses effets entrent particulièrement en résonance avec le projet Macron qui sera présenté aux partenaires sociaux à l’automne prochain. L’auteur en retrace les évolutions. L’âge légal de départ en retraite émerge en 2003 avec la réforme Fillon. Sont mises en place une surcote en cas de départ au-delà de 60 ans et une décote en cas de retraite avant cet âge et d’années de cotisations manquantes. Le sujet revient dans la réforme Sarkozy de 2010 qui le repousse à 62 ans.
Report de l’âge légal et allongement de la durée de cotisation créent ainsi selon l’auteur un risque inquiétant : voir de moins en moins de Français effectuer une carrière complète. “Dès lors, analyse Bruno palier, faire en sorte que les Français (…) travaillent plus longtemps est devenu un enjeu central des réformes”.
Travailler plus longtemps mais jusqu’à quand : les préretraites et l’âge légal
L’allongement de la durée du travail pour financer les retraites contre les problématiques sur la tranche d’âge au-delà de 50 ans. Et disons-le clairement, Bruno Palier est inquiet pour les seniors. Le chercheur explique qu’ils subissent en effet plusieurs décennies de réformes hasardeuses en matière de préretraites. Celles-ci ont été “multipliées à partir de la fin des années 1970 pour accompagner les restructurations industrielles et retirer les salariés les plus âgés du marché du travail”. Jugées ensuite trop coûteuses, elles ont été réduites “mais de nouveaux dispositifs sont toujours venus remplacer les précédents”, constate le chercheur.
Sur ce terreau arrive en 2003 la réforme Fillon qui réduit le taux d’emploi des seniors en favorisant les préretraites. Selon Bruno Palier, le succès des “retraites anticipées pour carrière longue” a abaissé l’âge de liquidation des retraites de 62 ans en 2000 à 61,1 ans en 2007. Ce taux d’emploi est cependant remonté à partir de 2008 via le durcissement des règles de départ anticipé.
Pour Bruno Palier, le problème reste entier : d’une part les préretraites n’ont pas rempli leur objectif de “laisser la place aux jeunes”, et d’autre part “les employeurs continuent de se séparer des salariés vieillissants”. L’optimisation salariale des entreprises pousse les seniors dehors car ils coûtent souvent plus cher qu’une jeune recrue sans expérience. Les tentatives d’inverser la tendance ont rencontré des succès mitigés. Par exemple, le contrat de génération créé en 2013 subventionnait l’employeur qui embauchait un jeune en CDI tout en gardant un senior. Il a été abandonné en 2017-2018.
Les seniors pris entre deux feux
L’auteur craint donc des seniors coincés au milieu du gué, les gouvernements n’envisageant pas les politiques de l’emploi comme une solution au financement des retraites. Ni en emploi ni en retraite, c’est le risque principal des seniors dans les années à venir si le marché du travail reste tel quel. En fin de droits de chômage (rappelons que la dernière réforme de l’assurance chômage réduit les droits des assurés), et pas encore en retraite, ils seraient donc allocataires du RSA.
La boucle reviendrait alors sur elle-même. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les retraites sortent les personnes âgées d’une pauvreté chronique. Au long de la seconde moitié du XXème siècle et du début du XXIème, la tendance s’inverse et les baby-boomers perçoivent d’excellentes pensions. Les jeunes à l’inverse peinent à entrer sur le marché du travail. La pauvreté se déplace des personnes âgées aux jeunes. Les reports de l’âge légal risquent donc d’étendre l’indigence sur la tête des plus âgés.
Toujours pédagogique, l’ouvrage réussit le tour de force de faire parcourir 77 ans d’histoire des retraites sans jamais tomber dans un excès de technicité. Il met ainsi en perspective à la fois les réformes passées et à venir. Une réussite qui devrait en faire une voix majeure dans les mois qui viennent.
► Bruno Palier, “Réformer les retraites”, SciencesPo Les Presses, 2021
Pourquoi les Français sont-ils opposés au report de l’âge légal ? |
Bruno Palier explique aussi les résistances des Français aux réformes des retraites. Les sondages relatés dans son livre montrent qu’entre les deux tiers et les trois quarts des Français refusent un report de l’âge légal. “L’allongement des carrières est donc en contradiction avec le souhait des Français de quitter le travail le plus tôt possible”, souligne le chercheur. Mais pourquoi un tel phénomène ? Il peut certes s’expliquer par des raisons personnelles de santé ou de famille, comme le souhait de s’occuper de petits-enfants. Mais Bruno Palier va plus loin. Il explique les résistances par “un rythme toujours plus soutenu au travail”, le stress et la détérioration du climat professionnel : “Pour rester compétitives dans une économie globalisée, les entreprises ont choisi de ne garder que les salariés les plus productifs et de leur demander de travailler toujours plus intensément”. Comme l’a analysé la Caisse nationale d’assurance vieillesse en 2008, “il semble que les nouvelles valeurs managériales (…) aient amené à des restrictions de personnel et ainsi contribué à l’accroissement de la charge de travail”. Un management qui pousse parfois les salariés au suicide comme chez France Télécom, mais qui explique aussi selon Bruno Palier “pourquoi ceux qui travaillent ne veulent pas le faire plus longtemps”. De l’autre côté du fossé du chômage, “ceux qui n’ont pas accès à l’emploi ne comprennent pas qu’on leur demande de travailler plus longtemps alors qu’ils n’ont même pas la possibilité de le faire”. Améliorer les conditions de travail et trouver de vraies politiques de l’emploi seraient donc deux moyens efficaces pour résoudre le financement des retraites. Reste à savoir si la prochaine réforme menée par le nouveau ministre du Travail Olivier Dussopt saura tenir compte de ces pistes. |
Marie-Aude Grimont