Travail, retraites, assurance chômage : Elisabeth Borne déroule le programme d’Emmanuel Macron
La Première ministre a prononcé hier son discours de politique générale devant une Assemblée nationale parfois houleuse. Bien que se plaçant d’emblée dans l’optique du compromis, elle a confirmé la réforme de Pôle Emploi, celle des retraites et de l’assurance chômage. Quelques mesures concrètes ont été annoncées, notamment sur l’allocation adulte handicapé ou les véhicules électriques.
Une heure trente pour faire le tour des sujets du quinquennat. Dans un style sobre et sans se laisser perturber par l’opposition qui l’a parfois chahutée, Élisabeth Borne a déroulé le programme d’Emmanuel Macron tout en faisant savoir que le gouvernement rechercherait des compromis, “sans se compromettre”. Adressant de grands sourires aux présidents des groupes parlementaires, elle a décliné les priorités du moment : le pouvoir d’achat, la poursuite des réformes du travail, l’urgence écologique ou encore la souveraineté énergétique. Il demeure que le gouvernement devra mener des discussions avec les groupes d’opposition et donc sans doute faire des concessions dans l’application du programme présidentiel. “Nous mènerons sur chaque sujet une concertation dense”, a-t-elle affirmé, ouvrant ainsi la voie à la recherche fastidieuse d’une majorité sur chaque projet de loi. Pour l’instant, les chantiers du travail sont confirmés : transformation de Pôle Emploi en France Travail, réforme des retraites, recherche du plein emploi “qui est à notre portée”.
Travail et retraites au menu du quinquennat
La précédente réforme de l’assurance chômage laisse donc le gouvernement sur sa faim. Malgré la refonte du mode de calcul de l’allocation journalière ou la dégressivité des allocations chômage des cadres, Élisabeth Borne veut poursuivre son action sur ces sujets. “Nous avons le taux de chômage le plus bas depuis 15 ans”, a justifié la Première ministre, “et il faut ramener vers l’emploi ceux qui sont les plus éloignés du travail”. Reliant ce thème à celui des recrutements, la cheffe du gouvernement a cependant invité “les employeurs à prendre leurs responsabilités et à améliorer les conditions de travail”. Pôle Emploi sera par ailleurs bien renommé en France Travail, sans que l’on sache ce que recouvre ce changement d’appellation, le gouvernement n’en ayant pas encore fourni les détails. Il s’agira en tout cas selon Madame Borne “d’accompagner au mieux les chômeurs car notre organisation est trop complexe”, la Première ministre critiquant notamment la répartition des rôles entre l’Etat et les régions.
Les retraites restent également dans le collimateur gouvernemental : “Notre pays a besoin d’une réforme des retraites (…). Notre système est une exception, on part plus tard chez nos voisins européens. (…) Oui, nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps”. Des députés de l’opposition n’ont pas manqué de réagir par le chahut à ces affirmations, nécessitant l’intervention de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, pour ramener le calme dans l’hémicycle.
La Première ministre compte également poursuivre son action dans le domaine de la formation, en “élargissant aux lycées professionnels le succès de l’apprentissage”. Le gouvernement entend par ailleurs former “un million de jeunes dans les métiers d’avenir, dont la moitié dans le numérique”.
Quelques annonces relatives au pouvoir d’achat
Le projet de loi sur le pouvoir d’achat est présenté aujourd’hui en Conseil des ministres et Élisabeth Borne l’a évoqué en début de discours, car “nos concitoyens restent à la merci de chaque hausse de prix”. Il sera donc question de prolonger le bouclier tarifaire sur l’énergie, de baisser les charges des indépendants, de tripler le plafond de la prime Macron. La Première ministre souhaite de plus plafonner la hausse des loyers et “aider les travailleurs pour lesquels la voiture est une nécessité”. Le gouvernement proposera “d’augmenter les revenus du travail et d’améliorer le partage de la valeur”, sans toutefois détailler les moyens d’y parvenir. Une mesure concrète en revanche : l’allocation adulte handicapée sera déconjugalisée, et donc calculée selon les seuls revenus de son bénéficiaire.
“Pas de hausses d’impôts”
Élisabeth Borne s’est engagée devant les députés à ne pas augmenter les impôts, tout en alertant les parlementaires sur le niveau de la dette française qu’elle souhaite réduire dès 2026 pour passer sous la barre des 3 % du PIB en 2027. Rappelons qu’en fiscalité, il est malgré tout possible d’augmenter les recettes fiscales de l’État sans augmenter les taux des impôts, en modifiant l’assiette des revenus qui y sont soumis. Côté entreprises, la baisse des impôts de production reste au goût du jour : la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) “sera supprimée dès la loi de finances 2023”.
Une transformation écologique “radicale”
On n’attendait pas l’adjectif “radical” dans la bouche d’Élisabeth Borne. Elle a pourtant qualifié ainsi l’action de son gouvernement en matière de transition écologique. Il ne sera pas question de décroissance pour autant. La Première ministre (aussi en charge de la planification écologique) vise l’innovation, les filières nouvelles et les emplois d’avenir. Chaque ministre se verra doté d’une “feuille de route climat et biodiversité”. Autre mesure en droite ligne du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, faire dépendre la rémunération des dirigeants des grandes entreprises de leurs objectifs environnementaux. Reste à voir si ces objectifs seront fixés par la loi ou s’ils pourront être librement choisis par les actionnaires, ce qui ne contraindra guère les dirigeants …
Enfin, pour assurer au pays sa souveraineté énergétique, Élisabeth Borne a indiqué l’intention de l’État de devenir actionnaire d’EDF à 100 %. Une phrase qui a fait aussitôt bondir le cours de bourse de l’entreprise mais sur laquelle on peut s’interroger, l’État détenant déjà 84 % d’EDF. “Nous serons la première nation écologique à sortir des énergies fossiles”, a martelé la Première ministre, se montrant favorable à la fois au nucléaire et aux énergies renouvelables. S’il “faudra éviter les consommations inutiles”, le gouvernement mettra sur pied un système de location de véhicules propres pour moins de 100 euros par mois.
A la fin de son discours qui commençait à se faire long, Madame Borne a conclu sur une note plus personnelle, évoquant la perte de son père (ancien déporté) lorsqu’elle était enfant, et son inspiration auprès de femmes politiques comme Simone Veil ou Irène Joliot-Curie, Suzanne Lacore et Cécile Brunschvicg, premières femmes membres d’un gouvernement en 1936 sous le Front populaire. Il est cependant peu probable que cela lui ait attiré la sympathie des députés de l’opposition qui sont décidés à mener la vie dure à son gouvernement.
Les syndicats déplorent l’absence des hausses de salaires dans le discours |
Plusieurs syndicats ont réagi hier après-midi au discours de la Première ministre. A commencer par FO, Frédéric Souillot regrettant que “les mesures annoncées sur le pouvoir d’achat contournent soigneusement la question de l’augmentation des salaires”. Le nouveau secrétaire général de Force Ouvrière s’inquiète également “du virage annoncé visant à respecter à nouveau le critère de déficit public d’ici 2027, soulignant que l’hôpital, les services publics et le pouvoir d’achat font partie des nombreuses urgences. FO rappelle par ailleurs son opposition à la réforme de l’âge légal de départ en retraite. Côté CGT, Philippe Martinez relève que “le nouveau gouvernement et la Première ministre en tête sont restés sourds aux résultats des urnes”. Prenant pour exemple le sujet du pouvoir d’achat, la CGT pointe que la hausse des salaires n’a pas été évoquée : “la politique de chèques va de nouveau être la priorité et renvoie à la négociation d’entreprise”. Sur les retraites, le syndicat regrette que “le message est clair et le projet reste le même”, et menace d’une grève en septembre (communiqués en pièces jointes). |
Marie-Aude Grimont