[2/5] Les 80 ans du CE : que change la loi de 1946 ?

24/02/2025

Ambroise Croizat, ministre du travail lors de la loi de 1946, photographié ici à Paris en décembre 1945

Pour la suite de notre rétrospective sur les 80 ans du comité d’entreprise, nous nous intéressons à la loi du 16 mai 1946 qui a étoffé les prérogatives du CE définies par l’ordonnance de février 1945.

L’ordonnance du 22 février 1945, rappelions-nous dans notre précédent article, pose certaines des bases pour le fonctionnement du CE qui subsistent encore aujourd’hui. Mais cet anniversaire ne doit pas faire oublier l’importance de la loi du 16 mai 1946, adoptée après le départ du général de Gaulle, le communiste Ambroise Croizat étant ministre du travail du gouvernement de coalition (MRP, PCF, SFIO) de Félix Gouin. Notons aussi que 1946 marque le retour des conventions collectives avec la loi du 23 décembre.

De quelle façon la loi de 1946 innove-t-elle ?

► Cette loi du 16 mai 1946 modifie le texte sur le CE sur plusieurs points importants, dans un sens plus fidèle au programme du Conseil national de la Résistance (CNR) et aux attentes des organisations syndicales, qui avaient critiqué l’ordonnance de 1945. “La prudence dont avait fait preuve l’ordonnance du 22 février 1945 est dépassée, et beaucoup s’accordent pour considérer que la loi du 16 mai 1946 marque les véritables débuts des comités d’entreprise”, juge un commentateur de l’époque (1). 

Citons quelques-uns de ces changements  :

  • baisse de 100 à 50 salariés du seuil rendant obligatoire la création d’un CE ;
  • augmentation du nombre de suppléants, qui assistent aux séances “avec voix consultative” et pas simplement en cas d’absence du titulaire (Ndlr : avec le CSE, le suppléant ne siège qu’en l’absence du titulaire) ;
  • augmentation de 15 à 20 heures par mois du temps payé pour l’exercice du mandat au CE (le temps passé aux séances n’est pas déduit de ce crédit d’heures) ;
  • sur les questions “intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise”, le CE n’est plus seulement obligatoirement “informé” mais aussi “consulté” (Ndlr : on notera que cette notion de “marche générale de l’entreprise” est donc fixée dès 1946) ;
  • L’employeur doit faire tous les ans au CE “un rapport d’ensemble sur l’activité de l’entreprise ainsi que sur les projets pour l’exercice suivant” ;
  • Le comité est informé des bénéfices réalisés par l’entreprise et peut suggérer leur affectation ;
  • Dans les sociétés anonymes, le CE accède aux mêmes documents que les actionnaires. Il peut convoquer les commissaires aux comptes, recevoir leurs explications et formuler “toutes observations utiles” qui seront transmises à l’assemblée générale des actionnaires ;
  • Le CE peut se faire assister d’un expert-comptable au cours de la réunion sur le rapport annuel ;
  • Le CE peut proposer “toute récompense qui lui semble méritée” en faveur des travailleurs “ayant apporté, par leurs initiatives et leurs propositions, une collaboration particulièrement utile à l’entreprise” ;
  • Les membres du CE sont désignés pour une durée d’un an renouvelable ;
  • Le CE peut créer des commissions et y adjoindre experts et techniciens appartenant à l’entreprise, “choisis en dehors du comité” , etc. 

 Le CE est obligatoirement consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Il est obligatoirement informé des bénéfices réalisés par l’entreprise et peut émettre des suggestions sur l’affectation à leur donner

Un progrès par rapport à 1945 ?

► La loi de 1946 conserve les caractéristiques posées par l’ordonnance de 1945 : “La perspective de “contrôle ouvrier” semble renvoyée aux calendes”, écrit Jacques Le Goff (2). 

Mais alors que l’ordonnance s’inscrivait, selon les termes de son exposé des motifs, dans un esprit de “coopération” entre les représentants du personnel et la direction, la loi renforce tout de même le pouvoir des élus face à l’employeur, analyse l’historien Jean-Pierre Le Crom, selon lequel ce texte constitue une avancée pour les attributions du CE, comme il nous le disait dans une interview en 2010 :

“Le gouvernement de gauche, dans sa loi de mai 1946, a renforcé cette nouvelle instance. Avec la loi de 1946, la création du CE devient obligatoire dès 50 salariés, au lieu de 100 auparavant, et le CE n’est plus seulement informé mais aussi consulté. En outre, le rôle de l’expert-comptable est déjà renforcé”.

► Dans sa “nécrologie du comité d’entreprise”, Carole Giraudet souligne les apports de la loi de 1946 :

  • “En 1946 est proclamé dans le préambule de la Constitution le principe de participation : «Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises». La même année, le 16 mai 1946, est promulguée la loi qui donne au comité d’entreprise sa structure fondamentale : gestion des œuvres sociales, information et consultation en matière économique. Par l’institution du comité d’entreprise, le droit du travail a consacré une notion de l’entreprise irréductible à son identification avec le seul employeur, partie au contrat de travail et titulaire du pouvoir. Le droit du travail a ensuite promu l’expansion du comité d’entreprise, garantissant sa qualité d’authentique interlocuteur au pouvoir patronal” (3).

 Cette volonté de ne pas limiter le CE à ses œuvres sociales se retrouve par exemple à la CGT. On peut lire en 1956 cette analyse dans la revue CGT des comités d’entreprise :

“Le constat a été fait chez Dassault à Saint-Cloud que les militants du comité d’entreprise étaient livrés à eux-mêmes et que les commissions ne fonctionnaient pas correctement. Il est important de rappeler qu’un membre de comité d’entreprise est avant tout un militant syndical et qu’il ne faut pas que celui-ci cesse de rendre de compte aux travailleurs et au syndicat. Il est essentiel que les décisions soient discutées et impulsées collectivement, avec la préoccupation de démontrer le caractère fondamental des comités d’entreprise, c’est-à-dire autre chose qu’un simple comité gérant quelques œuvres sociales financées par l’entreprise”.

Comment évolue le nombre de comités d’entreprise après 1946 ? 

► À la suite de la loi de 1946, le nombre de CE s’accroit assez lentement après un bon démarrage. La France compte :

  • 2 000 CE en septembre 1945 ;
  • 6 000 en juillet 1947 ;
  • 9 250 en mars 1948.

L’instance est perçue comme une réussite dans la mesure où elle participe à l’effort national de production, au point d’exercer parfois un “contrôle social de la productivité ouvrière”, au nom du redressement de l’économie française que rallie, avant la rupture de 1947, le PCF et la CGT. Jean-Pierre Le Crom rapporte ces observations étonnantes de l’époque :

“Les rapports des inspecteurs du travail adressés au ministère à la fin 1945 et au début 1946 témoignent tous d’un engagement syndical certain en faveur de l’amélioration du rendement, de la lutte contre le gaspillage, plus généralement de la priorité accordée aux questions professionnelles sur les questions économiques et financières. Dans la région de Rouen, «les questions traitées concernent principalement l’outillage, l’aménagement des ateliers et, en général, les conditions de travail dans l’usine. Les suggestions faites par les délégués sont fréquentes et intéressantes et elles sont réalisées dans la mesure du possible, la bonne volonté étant réciproque»” (4).

► Ajoutons qu’avec le départ des communistes du gouvernement en 1947 et la guerre froide, le ton des échanges dans les CE change et devient moins “conciliant”.

Ensuite, le nombre de CE décline, passant de 10 550 en mai 1950 à 8 800 en 1956, voire même seulement 4 600 comités réellement actifs. En cause : le manque de candidats, les salariés redoutant souvent de subir des représailles de la part de l’employeur, mais peut-être aussi, expliquent certains historiens du droit social (Jean-Pierre Le Crom, Jacques Le Goff), est-ce l’effet d’une forme de rejet de syndicats trop politisés, la CGT utilisant le CE pour relayer des mots d’ordre très politiques (guerre de Corée, par ex.). La CGT voit d’ailleurs le nombre de ses adhérents reculer à cette époque.

Il faut attendre les années 60 pour voir le nombre de CE remonter pour atteindre 25 000 en 1973 et 35 600 en 1978.

Comment les œuvres sociales évoluent-elles ?

Après-guerre, la France a besoin de mieux manger mais aussi de respirer et de sortir. Les nouveaux comités d’entreprise, notamment sous l’impulsion d’équipes CGT très organisées, lancent de multiples activités.

Le premier procès-verbal du CCOS (le CE d’EDF, aujourd’hui la CCAS) fait état de la création de commissions pour les “colonies de vacances,  dispensaires, cliniques, sanatorium, cantines, sociétés de jardinage, loisirs, sport” . Fin 1947, ce CCOS gère déjà 12 cantines dans la région parisienne et assure 140 000 repas par mois (5).

Sur la photo ci-dessous, on voit une distribution de jouets organisée en 1947 par le comité d’entreprise des Nouvelles messagerie de la presse parisienne. 

C’est le début des colos et des premiers villages vacances de CE, mais aussi des bibliothèques et spectacles pour le personnel. Le CE de la RATP acquiert ainsi 25 petites bibliothèques mobiles dans les ateliers “pour mettre les livres là où se trouvent les travailleurs”.

À l’initiative de la CGT, des artistes se produisent dans des usines. 

Dialogue social : que se passe-t-il réellement ?

► Les comités développent de plus en plus d’œuvres sociales pour les salariés, même si FO, créée en 1947 par des militants “réformistes” opposés à l’alignement de la CGT sur le PCF, se méfie de l’idée d’œuvres sociales, lui préférant le salaire direct.

Mais les observateurs notent que les prérogatives généreuses de 1946 en matière de suivi économique sont loin d’être toujours mises en œuvre dans les faits. Il faut dire que le patronat français a annoncé la couleur dès 1948 : 

“Soit les élus du comité d’entreprise se montrent compréhensifs et « un effort sans réticence doit être fait pour rapprocher les différents points de vue dans un même souci d’amélioration du climat social et de développement de la production de l’entreprise », soit les délégués s’inspirent dans leur action des consignes syndicales et « les chefs d’entreprise devront se cantonner dans la stricte observation des règles légales. »  Dans la pratique, l’attitude patronale en matière d’information économique et financière tiendra compte de trois objectifs : le volume d’informations distribués devra être limité, leur contenu orienté, leur lisibilité faible” (4).

À la CGT, une tension entre l’idéologie syndicale que doivent suivre les élus CE et les inévitables compromis que génère leur présence dans les entreprises 

Mais attention à ne pas faire de contre-sens historique. Comme l’écrit une étude de l’Ires, l’Institut de recherches économiques et sociales (5), les organisations syndicales ne voient pas alors le CE comme elles le feront plus tard. L’idée d’un espace de discussions avec la direction est parfois assimilée à une “collaboration de classe par la CGT” (6). Les dirigeants du syndicat doivent toutefois souvent, dans les colonnes du journal mensuel des comités d’entreprise de la CGT créée dès 1948 (7), rappeler “à l’ordre” leurs élus CE pour faire respecter la ligne confédérale :

“La tension permanente entre l’idéologie syndicale à laquelle sont censés se référer les élus CE et les compromis inévitables que génère leur présence dans un organe dont la vocation est la participation des salariés à la vie de l’entreprise, est une réalité dont les principaux responsables cégétistes ont pleinement conscience. On pourrait citer à l’envi les articles parus dans la Revue des comités d’entreprise qui mettent en garde de manière constante les militants contre le danger de la collaboration de classe”.

Et Jean-Pierre Le Crom de poursuivre :  “Il n’y a guère que la CFTC qui pense le CE comme un instrument d’amélioration des relations professionnelles”, rapporte Jean-Pierre Le Crom (4). Un constat qui sera longtemps valable, ainsi repris par une étude de l’Ires : “Seuls les militantes et militants de la CFTC et de la CFDT portent d’autres conceptions en mettant en avant l’exigence de participation réelle des salariés à la gestion des entreprises. Ils demeurent cependant dans les faits souvent minoritaires et dans l’incapacité de peser dans les choix des CE“. 

Nous verrons dans notre prochain volet que cette situation explique aussi l’évolution du mode électoral des élections professionnelles…

♦ Notes

(1) Brèthe de la Gressaye, La réforme des comités d’entreprise, étude de la loi du 16 mai 1946 citée par Dalloz.

(2) “Du silence à la parole, une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours”, Jacques Le Goff, Pur, 2019. Préface de Laurent Berger, postface de Philippe Waquet. 

(3) Carole Giraudet, Nécrologie juridique du comité d’entreprise : transformation et succession d’une institution juridique, la Revue de l’Ires, 2018.

(4) Jean-Pierre Le Crom, “L’introuvable démocratie salariale”, les institutions représentatives du personnel de 1890 à 2002. Nos articles de la série des 80 ans du CE empruntent de nombreuses informations à cet ouvrage de référence. Nous avons échangé récemment avec cet auteur, historien du droit social, que nous avons interviewé à plusieurs reprises : pour les 80 ans du Front populaire, pour notre série sur Mai68, et au sujet de la réforme de la représentativité syndicale et de son effet sur le comité d’entreprise.

(5) Voyage au pays des CE, 70 ans d’histoire, par Patrick Gobert et Jean-Michel Leterrier, préface de Jean Auroux, Editions du 1er mai. Lire notre article

(5“Les CE sont morts, vivent les CSE ?”, retour sur 70 ans d’une institution centrale dans le système des relations professionnelles, par Sophie Béroud, Kevin Guillas-Cavan et Catherine Vincent, n°94-95 de la revue de l’Ires, 2018.

(6) À l’occasion d’un débat sur la réforme de l’entreprise le 22 mars 1950, la CGT dénonce “l’association capital-travail” comme ayant un “caractère typiquement fasciste”, voir “La réforme de l’entreprise, du contrôle ouvrier à l’échec du projet modernisateur”, par Alain Chatriot. Par ailleurs, si la CGT refuse par principe tout partage du pouvoir, Jean-Pierre Le Crom rappelle qu’elle a réussi à faire adopter, dans la loi du 16 mai 1946, un article selon lequel, en cas de désaccord entre le chef d’entreprise et le CE, le litige est porté devant les pouvoirs publics, en l’occurrence l’inspecteur de la Production industrielle, qui tranche en dernier recours. “Cette disposition, qui n’a aucune application pratique, devient caduque avec l’abandon à la fin des années quarante des procédures d’économie dirigée mises en place en 1940”, commente l’historien.

(7) La revue se fait alors l’écho des premières difficultés des CE : “Les comités d’entreprise sont encore en période de rodage. Ils apprennent leur métier, ce qui ne va pas sans difficultés ni quelques erreurs. Le rôle de la CGT est de surmonter les unes et de corriger les autres”, peut-on lire dans cette revue”. Citation extraite du livre Voyage au pays des CE (voir note plus haut). La Revue montre aussi, analyse Jean-Pierre Le Crom, “un décalage très net entre le rôle que la confédération entend faire jouer aux comités d’entreprises et la réalité des pratiques quotidiennes des militants en leur sein”.

Bernard Domergue

[3/5] Les 80 ans du CE : l’évolution de 1946 à 1981

25/02/2025

Les présidents de la République Georges Pompidou (1969-1974) et Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), avec au centre Edouard Balladur, qui sera Premier ministre (1993-1995)

Dans le volet précédent de notre rétrospective sur les 80 ans du comité d’entreprise, nous avons souligné les apports importants de la loi de 1946 par rapport à l’ordonnance de 1945. Voyons maintenant comment a évolué, sur le plan juridique mais aussi dans les faits, le CE de 1946 à 1981.

Après l’ordonnance du 22 février 1945 et l’importante loi du 16 mai 1946, les prérogatives du CE vont bien sûr continuer à évoluer au fil du temps. Malgré les problèmes, l’instance représentative marque peu à peu des points, si l’on en croit la conclusion d’une enquête de 1952 sur les comités d’entreprise publiée par la revue Droit social : “Si imparfaite qu’elle soit, l’institution des CE a sensiblement amélioré la condition ouvrière. La gestion des œuvres sociales, une certaine participation à la vie démocratique et technique de l’entreprise, un droit de regard sur le fonctionnement du service médical et du service social, l’embauchage d’un personnel représentent autant de prérogatives appréciables. On peut dire des comités qu’ils représentent un essai de socialisation sans socialisme”. (1)

Un regard positif à nuancer, la Cour de cassation rappelant dans un arrêt du 31 mai 1956 que l’employeur, “qui porte la responsabilité de l’entreprise, est seul juge des circonstances qui le déterminent à cesser son exploitation”. 

Signalons quelques-uns des changements notables du CE jusqu’au tournant des années 80, qui seront marquées par les lois Auroux que nous aborderons dans notre prochain article. 

Quoi de neuf après 1946 ?

► La loi du 7 juillet 1947 instaure le régime de la représentation proportionnelle aux élections CE. On verra, dans ce commentaire de l’époque parue dans la revue Droit social (2), que les considérations politiques ne sont pas étrangères à ce changement :

“Le système majoritaire (..) eût pu assurer une représentation satisfaisante des différentes tendances, si les accords entre organisations syndicales, qui avaient été conclues à l’origine, avaient continué d’être pratiqués. Mais l’entente fut de brève durée, et la règle majoritaire aboutissait le plus souvent au monopole de la CGT, et plus particulièrement à celui de la tendance communiste. La CFTC n’avait jamais cessé de s’élever contre ce système. Ses revendications furent plus vives encore à la suite des résultats obtenus par elle lors des élections aux caisses de sécurité sociale. Les lois du 7 juillet 1947, qui ont substitué la représentation proportionnelle au vote majoritaire, sont à cet égard significatives. Elles marquent l’hostilité des milieux parlementaires et des organisations syndicales à la politique trop exclusive suivie, depuis la Libération, par la CGT”.

► La loi du 2 août 1949 fixe un mode de calcul pour les ressources du CE pour la gestion des œuvres sociales, sans toutefois imposer une contribution type à l’employeur (Ndlr : ce n’est d’ailleurs toujours pas le cas aujourd’hui). Le montant financé par l’employeur ne peut pas être inférieur au total le plus élevé des sommes affectées aux dépenses sociales de l’entreprise atteint au cours des trois dernières années précédant la prise en charge des œuvres sociales par le comité d’entreprise, excepté les dépenses temporaires ; il ne peut pas non plus être inférieur au même rapport existant pour l’année de référence.

► Signalons que cette référence ne sera modifiée qu’en 2017 avec l’ordonnance créant le CSE . C’est désormais l’accord d’entreprise qui est le mode principal de détermination de cette subvention, et cet accord peut être moins favorable que les dispositions supplétives. Celles-ci prévoient que le rapport de la contribution à la masse salariale brute ne peut être inférieur au même rapport existant pour l’année précédente, au lieu des 3 exercices précédents auparavant (art. L. 2312-81 du code du travail).  

 L’ordonnance du 7 janvier 1959 étend la protection des membres du CE aux anciens élus pendant les 6 mois qui suivent l’expiration de leur mandat ainsi qu’aux candidats dès la publication des candidatures et pendant une durée de 3 mois

► La loi du 18 juin 1966, signée par le ministre des affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney, se veut ambitieuse selon son exposé des motifs : “Tout en maintenant intacte l’autorité de la direction, il s’agit d’associer le personnel par l’intermédiaire de ses représentants à la marche générale de l’entreprise et d’aménager entre le chef d’entreprise et les salariés une coopération fondée sur l’examen en commun des problèmes concrets”

Elle comprend, de fait, de nombreux changements :

  • les CE s’imposent dans de nouveaux secteurs ;
  • le texte précise que le CE “coopère avec la direction à l’amélioration des conditions collectives d’emploi et de travail ainsi que des conditions de vie au sein de l’entreprise”, le CE devant être saisi des règlements intérieurs ;
  • le comité doit dorénavant être consulté sur la formation et “le perfectionnement professionnels”, les entreprises de plus de 300 salariés devant consacrer une commission du CE à ces questions ;
  • le comité doit aussi être “informé et consulté” sur les mesures faisant varier les effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, et il doit rendre un avis sur les projets “de compression d’effectifs” ;
  • les données économiques fournies au comité sont améliorées avec des rapports trimestriels donnant des indications sur l’évolution de la production et des commandes, la situation de l’emploi, etc. ;
  • le nombre des membres du CE est relevé, et apparaît le représentant syndical au CE ;
  • un collège cadres est prévu dans les entreprises de plus de 500 salariés employant au moins 25 cadres.

Autre innovation : le CE doit donner son avis sur le projet de licenciement d’un membre du CE ou d’un représentant syndical. L’employeur se rendant coupable d’entrave “à la constitution du comité, à la libre désignation de ses membres ou à son fonctionnement régulier” encourt 500 francs à 5 000 francs d’amende et 6 jours à un an de prison. En contrepartie, les membres des CE doivent respecter un devoir de confidentialité renforcé sur les informations que l’employeur considère comme telles. 

Mai 1968 révolutionne-t-il les IRP ? 

► La plus grande grève française, Mai 68, débouche, entre autres avancées pour le monde salarial, sur la création en 1970 du salaire minimum interprofessionnel de croissance (le “Smic”), la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise et des délégués syndicaux, désignés par leur organisation.

Les DS bénéficient d’un crédit d’heures (10 heures/mois de 150 à 300 salariés et 15h au-delà). Ces nouveautés sont apportées par la loi du 27 décembre 1968. Il faudra toutefois attendre les années 80 et les lois Auroux pour voir décoller la négociation d’entreprise, et donc s’accroître le rôle des délégués syndicaux.

C’est à la suite de Mai 68 et des accords de Grenelle que sont concédées des augmentations de salaire et que la loi reconnaît la section syndicale. On peut aussi penser que Mai 68 n’est pas étranger aux évolutions juridiques favorables pour les représentants des salariés et au renforcement des prérogatives du comité d’entreprise. 

“Les cinq organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national bénéficient d’un privilège puisqu’elles n’ont pas à faire la preuve de leur représentativité pour créer une section au niveau de l’entreprise, même si leur effectif est faible, commente, dans son ouvrage sur l’évolution des IRP (3), l’historien Jean-Pierre Le Crom. À l’inverse, celles qui ne le sont pas doivent établir leur représentativité conformément au droit commun. Cette disposition est en réalité un compromis. À gauche, la possibilité de création de 149 syndicats-maison est fermement rejetée. À droite, au contraire, certains parlementaires essaient de faire reconnaître aux groupements autonomes d’entreprise, non affiliés à une confédération, et qui se sont multipliés depuis la crise de mai 1968, les avantages de la loi”.

► La complémentarité et les rapports entre le comité d’entreprise et la section syndicale sont diversement appréciés et appliqués par les organisations syndicales. 

Certains sociologues notent que la différenciation entre CE et section syndicale est plus marquée dans les grandes entreprises, mais que, dans beaucoup d’entreprises, le partage des rôles n’est pas si net, des questions et thèmes identiques pouvant être posées dans plusieurs de ces IRP de la même entreprise.

“On peut affirmer que l’hétérogénéité du système représentatif, déjà patente du seul point de vue des comités d’entreprise, a été renforcée par l’institutionnalisation des sections syndicales d’entreprise, contrairement au souhait des confédérations ouvrières qui désiraient en faire un puissant levier d’unification”, écrit Jean-Pierre Le Crom (voir notre série sur Mai 1968). 

Un texte du 35e congrès CFDT, en mai 1970, témoigne de ce questionnement : “Le CE ne coïncide pas avec la section syndicale, ni dans sa structure, ni dans son rôle (..) Faut-il accepter cette distance et considérer souhaitable que le CE dispose d’une certaine initiative par rapport aux sections syndicales ? (..) Ou bien, craignant que l’utilisation patronale d’un CE moins bien dirigé par les syndicats ne sorte de son rôle et s’oriente vers la négociation en dehors des syndicats, allons-nous chercher à maintenir les liens section-CE les plus serrés possibles au risque de freiner la participation des travailleurs au CE ? (..) C’est à chaque section syndicale d’entreprise qu’il appartient de répondre à cette question (..)”.

► Avec plus de 18 000 comités d’entreprise en 1972, le CE devient dans les grandes entreprises “le pivot de la vie sociale”.

“Le nombre de CE s’accroît considérablement après 1967 et 1968. Par exemple, le chantier naval où travaillait mon père a créé un comité à cette époque parce que l’expert-comptable de son employeur lui avait dit qu’il y avait intérêt. Pourquoi ? Parce qu’avec l’ordonnance de 1967 sur la participation et l’intéressement, les entreprises ont besoin d’un CE pour pouvoir signer un accord d’intéressement et ne pas perdre les avantages fiscaux qui y sont liés. Quant à la loi de 1971 sur la formation, elle prévoit une majoration de 50% de l’obligation de formation pour les entreprises dans l’incapacité de justifier par un constat de carence l’absence de délibération du comité sur la formation. De nombreux employeurs sont donc allés voir de “bons” employés ou ouvriers pour leur suggérer de se présenter. Une étude du ministère du Travail menée dans plusieurs régions, et qui n’a jamais été publiée, indiquait en 1974 que, selon les inspections du travail,  51,9% des CE n’avaient qu’une existence formelle, 38,7% ayant une activité satisfaisante et 9,3% une activité très satisfaisante”, nous explique Jean-Pierre Le Crom, joint il y a quelques jours.

Notons que c’est, en partie, toujours le cas : ce sont le plus souvent des obligations légales qui entraînent un surcroît de négociations dans les entreprises, sauf dans certains cas, comme la hausse des NAO récemment pour faire face à l’inflation. 

Et du côté des activités sociales et culturelles ? 

► L’effervescence de Mai 1968 touche aussi certains comités d’entreprise, avec des ouvertures spectaculaires vers le milieu culturel.

Nous avons abordé cette histoire dans notre série sur Mai 68 en nous intéressant à la Seine-Maritime.

En effet, dans de très nombreuses usines occupées de la région, la Maison de la culture du Havre, un établissement inauguré sept ans plus tôt par André Malraux, propose alors des spectacles et activités culturelles pour les ouvriers en grève, avec le concours des comités d’entreprise. Cette maison conduira 259 interventions dans 47 entreprises, avec , au programme, le mime René Quellet, le chanteur Léo Ferré, le violoniste Ivry Gitlis, la compagnie de théâtre havraise Le Tableau gris, des projections de films, etc.

 Après Mai 68, certains comités d’entreprise de Seine-Maritime ont continué d’inviter une fois par mois un écrivain pour débattre avec les salariés

► Cinquante ans plus tard, Ginet Dislaire, alors âgée de 20 ans et chargée de l’accueil à la Maison de la culture, garde un souvenir “extraordinaire” de cette expérience “magique” : “C’était une grande fête, un émerveillement total, une découverte permanente et une convivialité incroyable. Nous étions dans l’utopie, nous pensions que le monde allait changer, devenir plus juste”

Pour Jacky Maussier, président de l’institut CGT de l’histoire sociale de Seine-Maritime, le plus intéressant est que ce ne fut pas qu’un feu de paille : “Certains CE ont continué par exemple d’inviter une fois par mois un écrivain pour débattre avec les salariés. Il y a eu aussi une mutualisation des moyens entre plusieurs CE pour faciliter l’accès à la culture”. 

Quelles nouveautés après 1968 ?

Cette période voit se poursuivre la consolidation du rôle du CE : la loi sur la formation du 7 juillet 1971 introduit par exemple la consultation obligatoire du CE sur la formation.

La loi de 1971 met en place une commission de la formation professionnelle avec un crédit de 20 heures pour les représentants syndicaux au CE 

Le choc pétrolier de 1973 va provoquer une crise économique et sociale, d’où de nouvelles dispositions sur l’emploi et les licenciements durant les années 70 (Ndlr : un certain Jacques Chirac a créé l’ANPE en 1967). 

Par ailleurs, le souci croissant d’améliorer des conditions de travail s’explique aussi par un début de volonté politique, après le départ du pouvoir du général de Gaulle en 1969, de mieux prendre en compte les aspirations sociales. Il faut dire que les mouvements sociaux que le pays a connus avant et pendant Mai 68 concernaient aussi des conditions de travail archaïques. Dans notre premier volet sur Mai 1968, nous écrivions : “Les ouvriers dénoncent les cadences effrénées, le chronométrage des tâches, les conditions de travail dangereuses, le temps de travail trop élevé, le manque de moyens criant. L’historienne Ludivine Batigny rapporte ces revendications : « Donnez-nous des douches», « donnez-nous un bleu de travail supplémentaire »”. 

► La loi du 2 janvier 1973, qui traite également de la convention collective et de la participation, impose à l’employeur quelques nouvelles obligations :

  • Soumettre à l’avis du CE le règlement intérieur de l’entreprise ;
  • “Procurer” au CE le texte des conventions collectives applicables dans l’entreprise ;
  • Demander l’avis du CE pour déroger sur les heures supplémentaires.
  • Cette loi précise que le comité d’entreprise “coopère avec la direction à l’amélioration des conditions d’emploi et de travail ainsi que des conditions de vie du personnel au sein de l’entreprise ; il est obligatoirement saisi pour avis des règlements qui s’y rapportent”.
  • Le texte indique en outre que les fonctions de délégué syndical sont “compatibles avec celles de délégué du personnel, de représentant du personnel au comité d’entreprise ou d’établissement ou de représentant syndical au comité d’entreprise ou d’établissement”.

Le chef d’entreprise est tenu de laisser aux membres titulaires du comité d’entreprise (..) le temps nécessaire à l’exercice de leurs fonctions dans la limite d’une durée qui, sauf circonstances exceptionnelles, ne peut excéder vingt heures par mois. Ce temps leur est payé comme temps de travail 

►La loi du 27 décembre 1973 relative à l’amélioration des conditions de travail précise le rôle du CE en la matière : il est “associé à la recherche de solutions aux problèmes concernant la durée et les horaires de travail, notamment le travail de nuit, l’organisation matérielle, l’ambiance et les facteurs physiques du travail, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une commission spéciale qu’il crée à cet effet”. 

► De fait, cette loi impose aux entreprises d’au moins 300 salariés de créer une commission CE d’amélioration des conditions de travail.

Ce n’est pas encore le CHSCT. Cette commission ressemble plutôt à la CSSCT du CSE de 2017 : elle doit se réunir au moins deux fois par an pour préparer les avis du comité d’entreprise sur les conditions de travail. La loi demande à l’employeur de faire une fois par an un bilan “détaillé” des actions menées sur les conditions de travail, et le CE doit rendre un avis. Signalons au passage que c’est cette loi de 1973 qui crée l’agence d’améliorations des conditions de travail (Anact).

Parallèlement se développe une jurisprudence qui dessine de plus en plus fortement la responsabilité “personnelle” , sur le plan pénal, du chef d’entreprise sur les manquements au droit du travail et aux règles de sécurité, ce qui aboutira à la notion d’obligation générale de sécurité (1).

La crise économique change-t-elle la donne ?

► Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) a été marqué par de nombreuses restructurations douloureuses comme dans la sidérurgie, et par de nombreux et parfois très violents mouvements sociaux : lors d’une manifestation, des ouvriers envoient un buldozer contre un commissariat de police de Longwy.

► Dans un climat social explosif, le pouvoir essaie alors de réguler les licenciements économiques : “Après la loi du 13 juillet 1973 sur le licenciement individuel est adoptée la loi du 4 janvier 1975 qui crée une autorisation administrative pour les licenciements économiques collectifs. Il s’agit de tenter de faire face à l’explosion du chômage”, rappelle le sociologue Laurent Willemez. L’administration doit notamment vérifier la réalité du motif économique du plan de licenciements.

 En 1973, une loi impose un délai de 15 jours entre la consultation du CE et la demande de licenciements. En 1979, une loi étend les prud’hommes sur toute la France

► Cette loi de 1973 impose l’information et la consultation des délégués du personnel des entreprises de moins de 50 salariés en cas d’au moins 10 licenciements sur une période de 30 jours. A partir de 50 salariés, la loi impose à l’employeur un délai d’au moins 15 jours entre la consultation du CE et la demande d’autorisation du licenciement. La loi prévoit des dommages et intérêts pour “rupture abusive du contrat” si l’employeur prononce un licenciement économique sans avoir présenté une demande d’autorisation administrative. Notons que le Premier ministre Jacques Chirac supprimera en juillet 1986 cette autorisation administrative de licenciement créée par un Premier ministre nommé… Jacques Chirac en janvier 1975 !

► C’est aussi sous la présidence de Giscard qu’une loi, en janvier 1979, complète le développement du réseau des conseils de prud’hommes en France. La loi dite Boulin généralise les prud’hommes partout en France, améliore les élections et le statut des conseillers, transfère à l’Etat les charges de fonctionnement, relève le juriste Alain Supiot dans la revue Droit social (1).   

►  Ajoutons que tout ne passe pas par la loi : c’est la Cour de cassation, dans un arrêt du 2 février 1978, qui considère que la consultation du CE n’est pas celle de la personne morale dont l’employeur est membre mais celle de la délégation du personnel en son sein.

Quid du dialogue social ?

►Comme nous le rappelait le sociologue Laurent Willemez, c’est dans les années 70 qu’émerge la notion de dialogue social, qui connaîtra un grand succès par la suite. Le Gaulliste Robert Boulin, alors ministre du travail, porte cette vision d’une nécessaire “concertation”. L’idée ? Il faut dépasser le management autoritaire à la française pour échanger et dialoguer au lieu d’aller au conflit. Cela n’empêchera pas le gouvernement de tout faire pour mettre fin à l’utopie autogestionnaire de Lip.

► Dans un rapport ambitieux sur la réforme de l’entreprise remis à Valéry Giscard d’Estaing en 1975, le centriste Pierre Sudreau, attaché à “la place des hommes dans l’entreprise”, préconise d’octroyer un tiers des administrateurs à des représentants de salariés pour mieux les associer aux décisions.  Ce travail, soutenu par la CFTC mais qui rencontre la forte hostilité du patronat et de la CGT, ne sera pas suivi d’effet (nous n’en sommes d’ailleurs toujours pas là ! ). Ces propositions, qui coïncident avec le “recentrage” historique de la CFDT (créée en 1964 d’une scission de la CFTC), alimenteront par la suite les débats sur la production des normes sociales par la négociation collective. 

► Un dernier paradoxe pour conclure. Les années 70 signent le renforcement du CE :  “En matière d’emploi, de formation, de conditions de travail ou d’intéressement, il n’y a plus guère de décision du chef d’entreprise, à la fin des années 70, qui ne puisse pas être prise sans que le CE ait donné son avis”, estime l’historien Jean-Pierre Le Crom. Parallèlement émerge aussi cette tendance qui minera, dans les années 80 et 1990, le militantisme syndical, relevée par Jacques Le Goff : “L’allergie des salariés à toute forme d’embrigadement de plus en plus désaccordée de l’exigence d’autonomie et d’initiative dans l’action (..) Le syndicalisme tend à reproduire dans ses pratiques le mode de fonctionnement taylorien dont il dénonce les méfaits”. (1) 

♦ Notes

(1) “Du silence à la parole, une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours”, Jacques Le Goff, Pur, 2019. Préface de Laurent Berger, postface de Philippe Waquet. 

(2) Nous reprenons dans cette série d’articles de nombreux extraits des archives de la revue Droit social, éditée aujourd’hui par Dalloz. 

(3) Jean-Pierre Le Crom, “L’introuvable démocratie salariale”, les institutions représentatives du personnel de 1890 à 2002. Nos articles de la série des 80 ans du CE empruntent de nombreuses informations à cet ouvrage de référence. Nous avons également échangé récemment avec cet historien du droit social, et nous l’avions interviewé  à plusieurs reprises : pour les 80 ans du Front populaire, pour notre série sur Mai 68, et au sujet de la réforme de la représentativité syndicale et de son effet sur le comité d’entreprise.

Bernard Domergue

[4/5] Les 80 ans du CE : les lois Auroux de 1982

26/02/2025

Le Premier ministre Pierre Mauroy aux côtés du ministre du travail Jean Auroux, le 12 juin 1981

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, un renouveau souffle sur les instances représentatives du personnel avec quatre lois portées par Jean Auroux, le ministre du travail du gouvernement de Pierre Mauroy, sous la présidence de François Mitterrand.

Nous l’avons vu dans notre précédent article : le septennat de Valéry Giscard d’Estaing a entraîné un renforcement du comité d’entreprise, la crise économique suivant le choc pétrolier de 1973 suscitant de multiples textes visant à tenter de limiter ou à accompagner les effets sur l’emploi des restructurations. 

Cela étant, le premier septennat de François Mitterrand à l’Elysée (1981-1988) marque un véritable tournant dans les droits des représentants du personnel et de leurs institutions. Les quatre lois portées par Jean Auroux, ministre reconnaissable à son collier de barbe, ont pris le nom du ministre, et sont devenus les “lois Auroux” (1). Pour la petite histoire, signalons que ces textes ont été rédigés en partie par une certaine Martine Aubry, future “ministre des 35 heures”, alors directrice adjointe du cabinet du ministre du travail.

En 1981, François Mitterrand fait campagne sur une autre politique, basée sur le programme d’Union de la gauche comportant 110 propositions…. parmi lesquelles figurent déjà les 35 heures  

L’un des objectifs de ces réformes, explique Jean Auroux dans une contribution pour la revue Droit social de janvier 1983, est de “donner au salarié une dimension plus grande et plus responsable dans son entreprise” et de “rééquilibrer le capital et le travail” (2). Les changements juridiques sont importants : le CE est renforcé, le CHSCT est créé et la négociation collective refondée. Mais le CE reste, comme auparavant, une instance consultative, le comité n’ayant pas un rôle de cogestion ni de pouvoir de veto sur le plan économique.

Que changent les lois Auroux pour le CE et les IRP ? 

►  La loi du 4 août 1982 sur les libertés des travailleurs dans l’entreprise crée un droit d’expression “directe et collective” des salariés, qui doit être négocié par accord dans les 6 mois suivants la loi :

“Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu et l’organisation de leur travail ainsi que sur la définition et la mise en œuvre d’actions destinées à améliorer les conditions de travail dans l’entreprise. Les opinions émises dans le cadre du droit défini au présent titre, par les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement”.

C’est une expérimentation qui sera transformée en droit durable en 1986, le seuil étant alors abaissé de 200 à 50 salariés. La CFDT, qui a porté cette idée depuis les années 70, considère, selon les mots de son secrétaire national Jean-Paul Jacquier dans un article publié en 1983 dans la revue Droit social, qu’elle peut être le levier d’une transformation de la société :

“Bouger les choses dans 100 000 lieux de travail et les changer sur ce qui constitue le cœur des problèmes, les rapports sociaux au travail, n’est-ce pas cela un morceau royal du changement ?”

Voilà qui fait écho au slogan du PS en 1981 (“changer la vie !”). On peut aussi faire un parallèle avec la revendication actuelle de la CFDT de voir les salariés associés à l’organisation du travail et, plus généralement, aux revendications syndicales d’une meilleure représentation des salariés au sein des conseils d’administration.

► La loi du 28 octobre 1982, relative au développement des IRP, va changer profondément la donne en étoffant le rôle du CE. La définition du rôle et des missions du CE est désormais la suivante :

“Le comité d’entreprise a pour objet d’assurer une expression collective des salariés, permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail et aux techniques de production. II formule, à son initiative, et examine, à la demande du chef d’entreprise, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail et d’emploi des salariés ainsi que leurs conditions de vie dans l’entreprise. Il exerce ses missions sans préjudice des dispositions relatives à l’expression des salariés, aux délégués du personnel et aux délégués syndicaux.”

Cette définition ancre le CE dans la représentation des intérêts des salariés, et non plus dans une idée de “coopération” avec l’employeur, selon le mot employé dans l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945. Autrement dit, analyse Maurice Cohen dans la revue Droit social en mars 1983, “le comité a pour mission officielle de veiller à ce que les actes de gestion du chef d’entreprise prennent en compte en permanence les intérêts des salariés”. Autre évolution sémantique : les “œuvres sociales”, un terme au relent paternaliste, deviennent des “activités sociales et culturelles”.

Le Guide Maurice Cohen / François Milet des CSE et des comités de groupe ne recense pas moins de “70 améliorations de la législation antérieure”.

“Art. L. 431-6. — Le comité d’entreprise est doté de la personnalité civile et gère son patrimoine. Il détermine, dans un règlement intérieur, les modalités de son fonctionnement et celles de ses rapports avec les salariés de l’entreprise, pour l’exercice des missions qui lui sont conférées par le présent chapitre.                      

Art. L. 431-7. — Le comité d’entreprise peut organiser, dans le local mis à sa disposition, des réunions d’information, internes au personnel, portant notamment sur des problèmes d’actualité

► Citons par exemple :

  • l’obligation faite aux employeurs, à partir de 50 salariés, de verser aux CE, en plus de la subvention pour les œuvres sociales, une subvention pour le fonctionnement de l’instance, à hauteur de 0,2 % de la masse salariale (Nldr : et 0,22 % au-delà de 2 000 salariés depuis 2017). Notons que certains employeurs mettront beaucoup de temps à accepter de verser ce budget à leur CE ;
  • le renforcement de l’information donnée aux CE, avec davantage d’éléments sur la situation économique (une documentation sur la forme juridique de l’entreprise, ses perspectives économiques, sa place éventuelle dans un groupe, son capital, est ainsi donnée au CE un mois après l’élection). Autre innovation : la création d’une commission économique dans les CE de sociétés d’au moins 1 000 salariés ;
  • les membres du CE ont droit à une formation de 5 jours (“congé d’éducation ouvrière”) ;
  • le CE est consulté chaque année sur la politique de recherche de l’entreprise ;
  • un rôle renforcé pour l’expert-comptable missionné par le CE. Désormais le comité peut, à partir de 300 salariés, faire appel à un expert en cas d’introduction de nouvelles technologies, et il peut aussi décider d’une expertise libre s’il prend en charge son coût. 
  • la création d’un comité de groupe devant être informé sur l’activité, la situation financière et l’évolution de l’emploi sur le périmètres des différentes sociétés composant le groupe. “Le droit du travail prend acte de la complexification du rôle patronal”, souligne Carole Giraudet dans son étude pour la revue de l’Ires.

► La loi du 13 novembre 1982 traite de la négociation collective. Dans la revue Droit social de janvier 1983, Jean Auroux invite en effet les représentants du personnel “à négocier notamment des contrats sociaux de compétitivité intégrant plusieurs paramètres, le salaire certes, mais aussi le temps de travail, la productivité et l’effet sur l’emploi”.

Parmi les nouveautés touchant le niveau de l’entreprise figurent les “NAO”, les négociations annuelles obligatoires  :

  • “L’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail” ;
  • Par ailleurs, la loi introduit la possibilité de conclure des accords d’entreprise dérogatoires aux dispositions plus favorables des conventions collectives et accords de branche ou interprofessionnels en matière de majorations de salaires. La loi prévoit toutefois la possibilité pour les syndicats majoritaires de bloquer ce type d’accords en faisant valoir un droit d’opposition.

À l’époque, plusieurs confédérations, comme la CFTC et FO, craignent que ces NAO n’affaiblissent la branche : “Tout permet de penser que c’est la convention de branche, pourtant susceptible de couvrir un plus grand nombre de salariés, qui pâtira de cette nouvelle législation”, réagit FO.

“Deux écoles de pensée”
Jean Auroux revient en 2015 sur le contexte des années 80 : “Deux écoles de pensée s’opposaient, aussi bien dans les orientations syndicales que dans les options des formations politiques : celle qui tend à définir les relations de travail presque exclusivement par la loi, et celle qui, au contraire, veut donner une plus large place au contrat entre les partenaires sociaux. Éternel débat entre les “Jacobins” et les “Girondins”. Il n’y avait pas une financiarisation de l’économie comme celle que nous avons connue ensuite. Le patronat n’était pas un patronat financier”. (3)

► La loi du 23 décembre 1982 crée une instance dédiée à l’hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, le CHSCT, dans les entreprises à partir de 50 salariés. Ce texte fusionne dans une instance autonome – quoique dépourvue de budget –  le comité d’hygiène et de sécurité du décret de 1947 (héritier des délégués mineurs), et la commission du CE sur l’amélioration des conditions de travail créée en 1973. C’est un changement très important.

La personnalité morale du CHSCT sera reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 avril 1991.

À noter que les membres du CHSCT ne sont pas élus par les salariés mais désignés par un collège comprenant les membres du CE et les délégués du personnel.

Le CHSCT :

  • se réunit au moins tous les trimestres, et après chaque accident grave ;
  • doit être consulté par l’employeur “avant toute décision d’aménagement important” modifiant les conditions de travail ;
  • doit se voir présenté par l’employeur, chaque année, un bilan des conditions de travail et des actions réalisées ;
  • procède à l’analyse des risques professionnels et participe à la prévention de ces risques ;
  • peut réaliser des inspections ;
  • peut, sans l’aval du CE contrairement à ce qu’on connaît aujourd’hui avec la CSSCT et le CSE, lancer lui-même des expertises ;

Par ailleurs, le mécanisme de l’alerte en cas de danger grave et imminent est fixé : le représentant du personnel au CHSCT alerte l’employeur qui doit mener une enquête avec l’élu. En cas de divergence sur la réalité du danger,  le CHSCT est réuni. Et le salarié bénéficie d’un droit de retrait, etc.

► On pourrait également citer la loi du 13 juillet 1982 qui, reprenant le préambule de la Constitution de 1946 consacrant le droit à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (4), mentionne l’interdiction de la discrimination et la nécessité d’une analyse comparée des situations des femmes et des hommes dans l’entreprise, l’idée étant déjà de provoquer des mesures de rattrapage de ces inégalités. Quarante-deux ans et un index de l’égalité plus tard, on voit que ces questions ne sont toujours pas réglées dans la mesure où les inégalités perdurent entre les femmes et les hommes.

Que changent ces textes ?

► Ces changements juridiques importants se traduisent pour partie dans les faits. 

D’abord, le taux de couverture des CE passe de 74,3 % en 1981-1982 à 79,2 % en 1989-1990, et ce progrès peut-être dû à des évolutions comme “l’amélioration du procès-verbal de carence, l’extension du nombre de salariés pris en compte dans l’effectif ou l’élargissement du nombre d’entreprises assujetties”, estime Jean-Pierre Le Crom (5). Mais l’implantation des IRP reste très faible dans les PME.

D’autre part, le recours à un expert-comptable de la part du CE progresse. En 1992, selon un rapport réalisé pour le comité économique et social, ce droit serait utilisé par 30 % d’un échantillon de CE. La nouvelle législation favorise il est vrai l’émergence et le développement de grands cabinets d’expertise dédiés au CE, comme le cabinet Secafi, proche de la CGT, créé en 1983 par Pierre Ferracci, ou le cabinet Syndex, proche de la CFDT, créé dès 1971, ce qui dote les élus d’un appui important. Les élus sont donc mieux “armés” pour assumer leurs missions.

Le CHSCT a contribué à forger une culture des risques professionnels et de leur prévention chez de nombreux représentants du personnel, une culture qui sera fragilisée par le CSE en 2017 

►  De la même façon, le CHSCT va acquérir davantage d’importance au fil des années, certains de ses membres devenant de véritables spécialistes des conditions de travail, ce qui fait souvent défaut aujourd’hui dans les CSE. La mise en avant de nombreux problèmes de santé au travail, comme les alertes et expertises dans l’affaire des suicides de France Télécom, est à mettre à l’actif de cette instance qui accompagne, en quelque sorte, le mouvement d’intensification du travail. Mais certains observateurs estiment que l’instance est restée au milieu du gué, encore trop dans l’orbite du CE car sans moyens autonomes. D’autre part, sa capacité à décider des expertises qui freinent les projets des employeurs inquiète le patronat, et ce sera l’une des raisons de son absorption dans le CSE en 2017, l’autre motif étant la double consultation du CE et du CHSCT, perçue comme une perte de temps pour les partisans d’une instance unique qui sera esquissée quelques années plus tard par la délégation unique du personnel (DUP) et réalisée avec le CSE.

► Gardons-nous de verser dans une euphorie nostalgique. Le professeur Charles Freyria pronostiquait en 1983 dans la revue Droit social “la marche inéluctable et irréversible vers une participation accentuée des représentants du personnel aux responsabilités de l’entreprise”. Cette espérance n’aura duré qu’un temps. Il faut dire que les années 80 sont aussi une période de restructuration économique difficile pour les représentants du personnel de nombreuses entreprises et que l’omniprésence du chômage semble accréditer des réformes remettant en cause le modèle social au nom de la compétitivité. Et tous les CE n’ont pas investi leurs prérogatives économiques, avec la dimension de contre-pouvoir qu’elles comportent. 

► D’autre part, le souhait de Jean Auroux, via le droit d’expression des salariés, d’amorcer les prémices d’une démocratie sociale dans l’entreprise a fait long feu : très peu d’entreprises ont réellement mis en œuvre cette disposition. “Ce dispositif ne prend pas dans les entreprises. Les premiers bilans, dressés quelques années après les lois Auroux, soulignent la très faible utilisation de ce dispositif. Cette situation de sous-utilisation du droit d’expression directe et collective est identique aujourd’hui. C’est ce que montre notre analyse de la base de données du Ministère du travail recensant l’ensemble des accords signés dans des entreprises ces dix dernières années”, peut-on lire dans une analyse de l’Ires de juin 2024 qui évalue à seulement une soixantaine le nombre d’accords spécialisés sur le droit d’expression conclus en dix ans (6). L’idée était pourtant ancienne, le catholique social Marc Sangnier ayant eu cette formule : “On ne peut avoir la République dans la société tant qu’on a la monarchie dans l’entreprise”

► Conclusion de Jacques Le Goff sur le bilan des lois Auroux : “Ont-elles échoué dans leur projet de remodelage de la vie interne de l’entreprise sous l’horizon de la régulation pacificatrice des rapports entre les parties en présence ? Ce n’est pas certain. Elles ont, dans les faits, largement contribué à la construction d’une nouvelle représentation de l’entreprise comme réalité et valeur mieux partagée, comme lieu d’un possible consensus minimum au sein d’un espace plus cohérent sinon plus unifié que par le passé”. (7)

♦ Notes

(1) Jean Auroux était maire de Roanne, une ville ouvrière du département de la Loire. Les lois Auroux ont été forgées à partir d’un rapport sur les nouveaux droits des travailleurs que François Mitterrand a confié à Jean Auroux en juin 1982 pour une remise à l’automne de la même année. “Je suis un ancien syndicaliste de la CGT-SNTP. En tant qu’enseignant dans l’enseignement général, mieux rémunéré à l’époque que les enseignants du technique, j’avais milité en faveur de l’égalité des salaires. Mon père, qui avait une petite ferme, était lui-même militant syndical et n’avait pas peur de brûler des pneus devant la sous-prefecture !”, explique en 2017, lors d’un débat à la CGT, l’ancien ministre.

(2) Nous publions dans cette série d’articles sur les 80 ans du CE plusieurs extraits des archives de la revue Droit social, éditée aujourd’hui par Dalloz. 

(3) Voyage au pays des CE, 70 ans d’histoire, par Patrick Gobert et Jean-Michel Leterrier, préface de Jean Auroux, Editions du 1er mai.

(4) “La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme”, article 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

(5) Contribution de Jean-Pierre Le Crom à l’ouvrage de Jacques Le Goff : “Les lois Auroux, 25 ans après (1982-2007), Rennes, PUR, 2008. Nos articles s’inspirent aussi de l’ouvrage de Jean-Pierre Le Crom, “L’introuvable démocratie salariale”, les institutions représentatives du personnel de 1890 à 2002.

(6) “L’expression directe et collective en entreprise : des chiffres aux pratiques”, par Camille Dupuy, Alexis Louvion, Jules Simha, Ires, juin 2024.

(7) “Du silence à la parole, une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours”, Jacques Le Goff, PRU, 4e édition, 2019.

Bernard Domergue

[5/5] Les 80 ans du CE : des lois Auroux de 1982 au CSE de 2017

27/02/2025

Le 17 octobre 2014, E. Macron, F. Rebsamen et M. Sapin, respectivement ministres de l’économie, du travail et de l’économie

Après les lois Auroux de 1982 qui renforcent le comité d’entreprise et créent le CHSCT, une double évolution se dessine avec un accroissement continu de la négociation d’entreprise et un mouvement de simplification des IRP qui aboutira in fine à la fusion des CE, DP et CHSCT en 2017 avec les ordonnances Macron.

Que se passe-t-il au niveau de la négociation collective ?

► Après la reconnaissance, en 1968, de la section syndicale d’entreprise, l’introduction, avec les lois Auroux de 1982, d’une obligation de négocier chaque année sur plusieurs thèmes signe le début, bien que très timide à l’époque, d’une évolution croissante des principes de la négociation collective. Ce mouvement de décentralisation de la négociation, vers le niveau de l’entreprise, va de pair avec l’émergence d’accords dérogatoires avec notamment la loi Fillon du 4 mai 2004. Ce débat sur la hiérarchie des normes ressurgira au moment de la loi travail de 2016 et des ordonnances de 2017.

Ce phénomène s’accompagne aussi d’une forte évolution des textes en faveur d’une négociation ouverte au-delà des seuls délégués syndicaux.

► Sur la durée, tout cela entraîne une poussée de la négociation d’entreprise, ainsi analysée par le professeur de sciences politiques Pierre-Éric Tixier :

“Une loi de novembre 1996 autorise (..) des salariés mandatés par une organisation syndicale ou des élus du personnel, à conclure des accords dans des entreprises dépourvues de section syndicale. Les lois sur les 35 heures en 1998 et 1999 prolongent ces évolutions en subordonnant des allègement de charges à l’existence d’un accord d’entreprise ou de branche. L’ensemble de ce mouvement aboutit à la signature d’un grand nombre d’accords (..) En 2004, ce sont 4 millions de salariés qui sont couverts par un accord d’entreprise” (1).

Et concernant le CE ?

► Dans un premier temps, de nouvelles lois vont continuer d’enrichir le rôle du CE, avec par exemple la prise en compte des situations de redressement judiciaire avec la loi du 25 juillet 1985. Mais l’alternance politique, avec le retour de la droite au gouvernement en 1986 et 1993 notamment (2), et la persistance des problèmes d’emploi vont enclencher un autre mouvement, en faveur d’une simplification des instances représentatives du personnel, au nom de la compétitivité économique des entreprises mais aussi de la rationalisation du dialogue social.

Cette dernière évolution sera mise en œuvre par des gouvernements de droite et de gauche.

Ce mouvement, parallèle à celui d’un renforcement de la négociation d’entreprise, aboutira in fine à la fusion du CE, des DP et du CHSCT dans le CSE en 2017 après l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron.

Après la défaite de la gauche aux législatives de 1993, Edouard Balladur  devient Premier ministre et retouche les lois Auroux avec la première version de la délégation unique du personnel 

► La loi du 20 décembre 1993 (gouvernement Balladur) prévoit ainsi :

  • la possibilité d’élire tous les deux ans les DP (au lieu de chaque année) et les membres du CE ;
  • l’espacement de la consultation du CE (tous les 2 mois au lieu de chaque mois) pour les entreprises de moins de 150 salariés ;
  • la possibilité pour l’employeur de se faire accompagner par deux collaborateurs aux réunions du CE ;
  • une relative simplification de l’information à apporter au CE ; 
  • la création de la délégation unique du personnel (DUP) par la fusion des mandats CE et DP dans les PME : “Dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à 200 salariés, le chef d’entreprise a la faculté de décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d’entreprise. Il ne peut prendre cette décision qu’après avoir consulté les délégués du personnel et, s’il existe, le comité d’entreprise”. Autrement dit, même s’il y a un avis à demander aux DP et au CE, c’est bien l’employeur qui a la main pour procéder à ce regroupement.  

À noter que la loi impose que l’élection des DP et des membres du CE se fasse au même moment. 

D’autres nouveautés apparaissent ensuite.

► La loi du 12 novembre 1996 transpose dans le droit français la directive européenne du 22 mars 1994 : est ainsi créé le comité d’entreprise européen.

La loi de modernisation sociale de 2002 impose la négociation des plans sociaux, rebaptisés plans de sauvegarde de l’emploi 

► La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (gouvernement socialiste de Lionel Jospin, Elisabeth Guigou étant ministre de l’emploi) concerne l’emploi, et donc aussi le CE :

  • Ce texte rebaptise les plans sociaux en plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE, le but étant d’éviter les licenciements en privilégiant la formation et le reclassement préalables à la rupture du contrat. Le législateur entend privilégier la négociation collective des PSE ainsi que les propositions alternatives du CE, afin de favoriser l’étude de tous les reclassements possibles avant le licenciement mais aussi les conditions de départ des salariés ;
  • Le CE doit être consulté sur la stratégique économique de l’entreprise et le projet de  restructuration, et également sur le PSE (mais la nouvelle définition restrictive du motif économique envisagé dans le texte est censurée par le Conseil constitutionnel) ; 
  • Une négociation de réduction du temps de travail doit être engagée avant un PSE si la durée du travail de l’entreprise est supérieure à 35 heures ;
  • “Le chef d’entreprise ne peut procéder à une annonce publique dont les mesures de mise en œuvre sont de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d’emploi des salariés qu’après avoir informé le comité d’entreprise” ; 
  • Les risques professionnels intègrent désormais le champ de la santé mentale, avec plusieurs articles importants dans la loi, comme celui-ci  : ” Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel”.
► Signalons aussi la bataille jurisprudentielle, dans les années 2000, autour de la possibilité du CE de faire échec aux projets de licenciements économiques. La Cour de cassation admet d’abord que le CE peut demander la suspension de la procédure irrégulière, et qu’en cas d’irrégularité, les licenciements prononcés sont nuls et ouvrent droit à réintégration. Cette décision semble prometteuse pour les avocats et juristes défenseurs des représentants des salariés.

Mais avec l’arrêt Viveo du 3 mai 2012, la Cour de cassation stoppe cette évolution : même en cas d’irrégularité sur la réalité du motif économique invoqué par l’employeur, cela n’ouvre pas droit au CE d’agir pour réclamer au juge l’interdiction des licenciements. Dans la foulée, le candidat du PS à la présidentielle, François Hollande, annonce qu’il n’entend pas réformer les licenciements économiques.

Quel rapport entre les 35 heures, le CE et la négociation collective ? 

► Les mécanismes mis en œuvre par la loi Robien (11 juin 1996) et surtout par les lois Aubry (du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000) visant la réduction du temps de travail ont visiblement renforcé la présence, entre 1998 et 2004, des délégués syndicaux et des institutions élues dans les entreprises, selon une étude de la Dares de 2017.

La gauche, qui a remporté les élections suite à la dissolution voulue par Jacques Chirac, applique son programme qui prévoit la réduction du temps de travail pour créer des emplois 

Il faut dire que le bénéfice des aides aux RTT pour les entreprises dépendait en effet de la conclusion d’accords collectifs, ce qui a stimulé la négociation collective. Rappelons par ailleurs que la deuxième loi Aubry n’exigeait plus, contrairement à la première (qui imposait 6% d’emplois en plus pour une réduction de 10 % du temps de travail), la création d’un minimum d’emplois pour accompagner la RTT. 

Ces dispositions restent aujourd’hui encore controversées, car si la RTT a effectivement créé des emplois (environ 350 000 sur la période 1998-2002, selon l’Insee), elle a aussi permis une plus grande flexibilisation de la durée du travail, et accru l’intensité du travail, notamment dans les secteurs industriels. Un débat que l’on retrouve aujourd’hui avec la semaine de 4 jours sans baisse du temps de travail.

Que représente la loi de 2008 pour le CE ? 

► Fondée sur une position commune des partenaires sociaux en avril 2008 (3), la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail nous intéresse ici pour sa partie sur la représentativité syndicale. Elle fonde celle-ci non plus sur un historique incontestable (4) mais sur l’audience des organisations mesurées lors des élections professionnelles : cette représentativité est donc remise en question à chaque cycle électoral, à la fois au niveau de l’entreprise, de la branche et du niveau interprofessionnel national. Cela bouscule aussi le champ du CE en favorisant la compétition électorale entre les syndicats lors des scrutins, la CFDT prenant progressivement l’avantage sur la CGT dans cet exercice, du fait de sa plus grande couverture. 

►” L’obligation pour les délégués syndicaux d’avoir recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés sur leur nom propre lors des élections CE s’est traduit par des chevauchements encore plus marqués entre les différents mandats, celui de DS, d’élu CE, voire de secrétaire de CE”, constate, dans une étude de 2018, l’Ires.

En 2008, la CFDT et la CGT partagent la volonté, dans une position commune, de réformer la représentativité syndicale 

► Cette loi sur la représentativité ne bouleverse pas à court terme le paysage syndical : l’Unsa a émergé mais sans être représentative au niveau national, la CFTC a résisté. Mais ses effets sont durables. Elle instaure en effet un mécanisme d’audience minimale pour prétendre à signer un accord dans une entreprise (l’accord doit recueillir 30 %, puis au fil des années 50 %, ce qui entraîne la disparition du droit d’opposition), y compris à propos des PSE avec la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Or l’évolution du droit a consisté à donner toujours plus d’importance à la négociation de dispositions normatives au plan local. Cela a nourri de très nombreux débats entre partisans et adversaires d’une telle évolution. Pour les premiers, la norme sociale doit se décider au plus près du terrain et des salariés, car c’est le niveau le plus adapté et le plus efficient. Pour les seconds, compte-tenu du déséquilibre des forces en présence dans l’entreprise, il faut respecter la classique hiérarchie des normes plus protectrice pour les salariés. Mais cette hiérarchie des normes va être de plus en plus remise en cause, notamment avec la loi travail et les ordonnances de 2017. On peut aussi soutenir, à l’instar de l’historien Jean-Pierre Le Crom, que la loi sur la représentativité a plutôt renforcé la légitimité des représentants du personnel, avec des scrutins dont la participation reste importante.

À quand remontent l’obligation du trésorier et les nouvelles normes comptables des CE ?

► La loi du 5 mars 2014, qui traite surtout de la formation professionnelle (ce texte crée le compte personnel de formation, le CPF), comporte une obligation de transparence des comptes des CE, précisée par un décret du 25 mars 2015 (c’est l’origine des trois niveaux d’obligations comptables des CE/CSE selon leur taille et leurs ressources). Cette loi contraint aussi chaque CE à désigner un trésorier à partir du 1er janvier 2015 et à constituer une commission de marchés pour les commandes importantes.

Qu’est-ce que la “loi Macron” de 2015 ? 

► On l’aura sûrement oublié, mais la fameuse loi Travail ou Loi El Khomri de 2016 qui provoqua les divisions de la gauche a été précédé d’un autre texte, celui présenté par Emmanuel Macron en tant que ministre de l’économie : la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances du 6 août 2015

 En 2015, le gouvernement de Manuel Valls fait définitivement adopter le projet de loi d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. 

Ce texte représente une certaine rupture dans l’approche faite par la gauche dite de gouvernement au sujet du droit des salariés, des institutions représentatives du personnel et des principes de la négociation collective, puisqu’il s’agit cette fois clairement de “retirer certains signaux négatifs envoyés aux investisseurs”, selon la terminologie de Bercy. Signalons ces mesures :  

  • Porter atteinte à l’exercice régulier des fonctions des représentants du personnel n’est plus passible de prison, mais seulement d’une amende, celle-ci passant de 3 750€ à 7 500€ ; 
  • Le travail de nuit commence à minuit et le travail dominical est étendu ; 
  • Le texte sécurise également les procédures des plans de sauvegarde d’emploi (PSE) pour les entreprises et permet à l’accord PSE de définir le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements ;
  • il fait passer de 2 à 5 ans la durée des accords de maintien dans l’emploi, tout en allégeant l’information que doit transmettre l’entreprise aux salariés en cas de cession.

La DUP, ancêtre du CSE ?

► La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social dans l’entreprise, dite loi Rebsamen approfondit la DUP, la délégation unique du personnel.

L’instance unique esquissée en 1993 par le gouvernement Balladur est étendue par la loi Rebsamen du 17 août 2015. Ce texte résulte de l’échec des négociations interprofessionnelles lors desquelles le patronat proposait la création d’une instance unique fusionnant CE, DP et CHSCT, ce qui sera imposé plus tard par les ordonnances Macron.

Le texte de François Rebsamen, le ministre du travail du gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault, ne va pas aussi loin. Mais au nom d’une certaine modernisation des textes (“il ne faut pas plus de dialogue social, mais mieux de dialogue social”, disait ce ministre du travail), la loi prévoit :  

  • la possibilité pour l’employeur de mettre en place une délégation unique du personnel élargie (CE, CHSCT et DP) à l’occasion d’une élection CE, DP ou CHSCT, ce regroupement pouvant se faire jusqu’à 299 salariés. Cela signifie des consultations et des expertises communes pour le CE et le CHSCT ;
  • la possibilité par accord collectif de regrouper tout ou partie des IRP à partir de 300 salariés ;
  • un délai d’un an imposé pour l’application des obligations résultant du franchissement du seuil de 300 salariés ;
  • un regroupement en 3 rendez-vous annuels des 17 consultations annuelles obligatoires : c’est l’origine des actuelles 3 grandes informations-consultations (situation économique de l’entreprise, politique sociale, orientations stratégiques). Jusqu’alors, les CE pouvaient se fier à un calendrier annuel comprenant des obligations de transmissions d’informations régulières ;
  • une représentation équilibrée femmes-hommes, et proportionnelle au corps électoral, lors des élections professionnelles ;
  • l’espacement des réunions tous les 2 mois jusqu’à 299 salariés ; 
  • la création d’une obligation d’évolution salariale pour les salariés protégés dont 30 % de leur temps est pris par des mandats. 

Quand apparaissent les délais préfix et la BDES ? 

►  Les CE sont accusés de parfois jouer la montre pour rendre leur avis, afin de retarder un projet de l’entreprise ou une restructuration. Les employeurs, eux, veulent aller vite, et souhaitent davantage de “sécurisation juridique”. D’où l’idée de délais strictement encadrés par la loi : ce seront les délais préfix (soit 15 jours pour rendre un avis dans la plupart des consultations, le CE étant réputé avoir rendu un avis négatif même lorsqu’il ne s’est pas prononcé). Ces délais figurent à l’origine dans l’accord national interprofessionnel de sécurisation de l’emploi, qui prévoit aussi, en contrepartie, l’obligation pour les entreprises de fournir aux CE une BDES, base de données économiques et sociales et de financer 80 % d’une nouvelle expertise du CE sur les orientations stratégiques. 

►  C’est donc la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 qui introduit l’obligation d’une BDES, qui deviendra aussi environnementale (BDESE) avec la loi climat de 2021.

En 2013, FO critique l’accord de sécurisation de l’emploi, opposée aux mesures de flexibilité et à la perspective d’une généralisation de l’accord majoritaire :  “Les accords majoritaires peuvent représenter un danger. A un moment donné, le prétexte des 50% sera utilisé pour dire que c’est démocratique. De fil en aiquille, on est en train de dévitaliser la négociation de branche pour aller sur la négociation d’entreprise”, soutient Jean-Claude Mailly 

► L’idée d’une base d’information constamment disponible pour les représentants du personnel, revendication portée par la CFDT, est séduisante mais dans les faits sa mise en place est laborieuse, comme on peut le lire dans une étude de l’Ires :

“En dépit d’une liste de rubriques devant y figurer, le contenu précis des informations stratégiques apparaît conflictuel. La mise en place unilatérale de l’outil par les directions d’entreprise ne contribue pas à son appropriation par les élus. En outre, la qualité des données est souvent faible et les données prospectives que prévoit la loi ne sont que très rarement fournies, ce qui ne permet guère d’élaborer un avis sur la stratégie. Non seulement la définition des informations stratégiques devant figurer dans la BDES apparaît conflictuelle, mais le périmètre des informations accessibles (établissement, société, groupe) et du niveau des représentantes et représentants y ayant accès (CCE, CE, DP) est un enjeu de pouvoir entre directions et élus. Outre ces enjeux de pouvoir, les difficultés d’appropriation des données économiques par les élus, préexistantes à la création de la BDES, sont renforcées par la nature de l’outil. Dans certaines entreprises, on constate une double « fracture numérique » : des élus peu formés à l’outil et, dans certains cas, n’ayant pas accès à un ordinateur. Au bout du compte, la BDES est jugée moins parlante que les anciens rapports fournis aux CE par les directions ou que le recours à l’expertise” (5).

► Nous retrouvons ici un problème classique des relations sociales à la française, à savoir la mise à disposition d’une information partagée sur laquelle le CE peut rendre un avis et à partir de laquelle les délégués syndicaux et la direction peuvent baser leurs négociations.

► L’autre innovation de la loi marque bien le côté donnant-donnant de cette période : côté pile, est instaurée une nouvelle consultation sur les orientations stratégiques et un nouveau droit d’expertise, côté face, le CE doit toutefois régler 20% du coût de la mission. 

► La loi, qui prévoit une instance de coordination centrale pour les CHSCT, inaugure aussi les accords de maintien dans l’emploi, afin de permettre à une entreprise en difficulté d’éviter de licencier en baissant les salaires et en revoyant l’organisation du travail. Les contraintes  de ces accords majoritaires (diagnostic préalable, expertises, etc.) seront par la suite allégées, les ordonnances de 2017 créant des accords de performance collective (APC). 

L’irrésistible inversion de la hiérarchie des normes ? 
L’analyse de Jacques Le Goff, dans la revue Projet, sur l’évolution des règles de fixation des normes par la négociation collective dans les années 2000 : 

“La loi Fillon, du 4 mai 2004, permet aux branches d’activité d’autoriser l’inversion de la hiérarchie des normes entre elles-mêmes et les entreprises, en faveur de ces dernières : il devient possible par exemple de décider de ne majorer les heures supplémentaires que de 10 % au lieu des 25 % légaux. Ce n’est qu’un ballon d’essai. Mais l’idée est plus que jamais dans l’air, y compris à gauche. On va la retrouver dans la loi El Khomri du 8 août 2016 qui donne priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de temps de travail et de congés, puis dans le projet d’ordonnances de 2017 relatif à la négociation collective selon la ligne d’Emmanuel Macron. On n’est pas loin des propositions d’Entreprise et progrès, trente ans plus tôt. Tout, ou presque, deviendrait négociable au niveau de l’entreprise. Seul butoir : un ordre public réduit à son minimum. Le tollé sera tel que le pouvoir modifiera le tir par introduction d’un certain nombre de garanties dans l’ordonnance du 22 septembre 2017, complétée par celle du 20 décembre 2017. Si le principe de primauté de l’accord d’entreprise est fermement maintenu, il est assorti, sous la pression syndicale mais aussi d’une partie du patronat, de garde-fous de nature à préserver la cohérence professionnelle assurée par les accords de branche (…) Si l’inversion est une tentation forte, elle n’est pas encore inscrite dans les faits. Car, pour qu’il y ait réelle « inversion », il faut que la norme décentralisée devienne la référence, tout le reste du dispositif se trouvant cantonné dans un rôle supplétif minimal. Dans ce cas, l’essentiel se joue au niveau de l’entreprise, sauf cadrages d’appoint aux niveaux précédemment supérieurs et devenus d’accompagnement. Une entreprise pourrait ainsi décider de choisir un minimum de salaire inférieur au Smic ou une durée du travail déterminée selon ses seuls besoins… Et ainsi de suite. Nous en sommes loin. Car, en réalité, c’est la loi qui a accordé au local des marges d’autonomie dans des limites très précises et toujours sous contrôle des niveaux supérieurs” (6). 

Que change la loi travail de 2016 pour les IRP  ?

► À la fin du quinquennat Hollande marqué par le tournant du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), la loi du 8 août 2016 “relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels” (dite loi travail ou loi El Khomri, du nom de la ministre du travail du gouvernement socialiste de Manuel Valls) est adoptée sans vote grâce au 49.3. Ce qui provoque la fronde d’une partie du PS.

L’héritage des lois Rebsamen et El Khomri, des textes qui vont dans le sens d’une simplification des IRP et d’une possibilité pour les entreprises d’instaurer davantage de flexibilité au nom de la compétitivité et de l’emploi, sera repris et amplifié par Emmanuel Macron après son élection à l’Elysée 

Ce texte vise à provoquer une embellie de l’emploi grâce à de nouvelles mesures de flexibilité. La mesure limitant les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sera in fine retirée du projet, mais elle réapparaîtra après l’élection d’Emmanuel Macron à l’Elysée.

► Signalons quelques dispositions pour les IRP :

  • Un crédit d’heures augmenté pour le délégué syndical (12h/mois jusqu’à 150 salariés, 18h de 151 à 499, 24h à partir de 500 salariés) ;
  • La possibilité donnée au seul employeur de procéder par mode électronique pour les élections professionnelles ;
  • Le droit à expertise pour les nouveaux accords offensifs pour l’emploi ;
  • L’employeur n’a plus à payer l’expertise CHSCT annulée par la justice
  • Réunions par visioconférence possibles pour la délégation unique du personnel (DUP), etc.

► Et concernant la négociation collective :

  • Une généralisation du principe d’accord majoritaire dans l’entreprise (50 % au lieu de 30 F% pour valider un accord ) et un nouveau cadre de négociation (préambule obligatoire, etc. ) ;
  • La loi laisse la branche définir son ordre conventionnel (primauté ou non donnée à la négociation d’entreprise sur certains sujets) ;
  • Une fixation possible par accord d’une durée de travail quotidienne de 10 à 12 heures ;
  • La branche ne peut plus verrouiller le taux de majoration des heures supplémentaires ;
  • La publicité des accords collectifs versés dans Legifrance, etc.  

Les ordonnances de 2017 : la fin du CE ?

► L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, suivie par des législatives lui donnant une majorité très confortable, entraîne une réforme radicale du code du travail et surtout des institutions représentatives du personnel, des réformes conduites au pas de charge par la ministre du travail Muriel Pénicaud et son directeur de cabinet Antoine Foucher, dans le gouvernement d’Edouard Philippe.

Les organisations syndicales, parfois divisées en interne comme FO ou la CFDT dont la direction tient un discours très modéré (voir notre encadré), n’auront ni la volonté ni ne seront en mesure d’empêcher ces réformes (7), malgré plusieurs manifestations notamment à l’appel de la CGT et de Solidaires. “Vous avez eu les lois Auroux, nous avons les ordonnances Macron”, commentera alors un responsable patronal. Nous ne reviendrons pas ici en détail sur le contenu de ces ordonnances (“la réforme du droit du travail est un projet d’entrepreneur”, commente alors le juriste Antoine Lyon-Caen) et leurs effets, des sujets bien documentés dans ces colonnes. Nous ferons juste quelques rappels.

“N’emmenons pas nos militants dans le mur !”
Lors d’un échange, en octobre 2017 à Paris, entre de nombreux élus CE et délégués syndicaux et la direction de la CFDT au sujet du CSE, plusieurs voix demandent à la direction de hausser le ton, alors qu’on attend encore le décret sur les moyens de l’instance unique imposée par le gouvernement d’Edouard Philippe : “Ces ordonnances, c’est une technique pour asphyxier les syndicats : les suppléants ne pourront plus assister aux réunions, ce qui va les empêcher de monter en compétences. Donc on n’aura pas de nouveaux candidats et on ne pourra plus non plus enchaîner les mandats successifs. Laurent Berger nous dit de faire le travail en entreprise, mais avec quels moyens ?”, apostrophe un délégué syndical central.

“Nous sommes déçus et Laurent (Nldr : Berger) a déjà dit que c’était inacceptable”, répond Marylise Léon (alors secrétaire nationale, elle deviendra secrétaire générale adjointe en 2018 et elle succèdera en juin 2023 à Laurent Berger). Et celle-ci de poursuivre : “Sur la question des moyens tout n’est pas défini, il y a encore des décrets à paraître. Et c’est justement parce que nous ne nous sommes pas encore marginalisés comme d’autres syndicats qui ont défilé dans la rue que l’on va pouvoir peser auprès du gouvernement pour obtenir des moyens supplémentaires, assure la secrétaire nationale confédérale. On a déjà obtenu des choses importantes. Au sein de l’instance unique, l’ensemble des prérogatives sont préservées alors que ce n’était pas l’idée première du gouvernement. La CFDT défend une vision positive du syndicalisme. On a maintenant un vrai défi pour démontrer ce que l’on apporte aux salariés”.

Véronique Descaq, alors n°2 du syndicat, ajoute : “Qui croit vraiment que nous allons obtenir par la manifestation le retrait ne serait-ce que du barème prud’homal ? Personne. Alors n’emmenons pas nos militants et les salariés dans le mur et vers une perte de journées de salaire”.

► Ces ordonnances engagent un mariage forcé, que les entreprises doivent mettre en œuvre au plus tard fin 2019, des CE, CHSCT et DP dans une nouvelle instance, le comité social et économique, qui reprend leurs attributions. Est-ce un effet de cette réforme ? Entre 2017 et 2023, le taux de couverture des entreprises et des salariés par une IRP et un délégué syndical a baissé de 3 points pour une IRP (61% des établissements sont couverts par un CSE) et de 5 points pour le délégué syndical (32 % des établissements sont couverts par au moins un délégué syndical).

► Très peu d’entreprises et d’organisations syndicales ont mis à profit la possibilité qu’elles avaient de négocier des contours originaux pour leur IRP (7). Le conseil d’entreprise, possibilité de doter par accord collectif le CSE d’un pouvoir de négociation a également été lui aussi très peu adopté. Cela s’explique sûrement par la force des habitudes et de l’histoire, par la méfiance des organisations syndicales et des RH. Surtout, les employeurs avaient l’assurance de pouvoir se reposer sur des dispositions supplétives avantageuses fixant a minima les nombres d’élus et les heures de délégation, et pouvaient donc bénéficier d’un gain économique sur la représentation du personnel sans besoin de négocier. 

 Sur la santé et la sécurité, le rapport du comité d’évaluation des ordonnances de 2021 reconnaît que “le traitement de ces sujets n’est pas encore stabilisé et la nouvelle articulation entre CSSCT et CSE reste difficile à trouver”

►  Un autre aspect évident de cette réforme est qu’elle a rendu le travail des élus plus difficile : un nombre limité de personnes doit cumuler de multiples missions. Une tendance encore renforcée par de nouvelles prérogatives comme celle sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise…

► Avec le CSE s’intensifie aussi le phénomène de centralisation du dialogue social, avec un regroupement des comités sur des périmètres plus larges, entraînant un éloignement des salariés d’avec leurs représentants. La possibilité de créer par accord des représentants de proximité, sorte de DP facultatifs, est rarement utilisée dans les faits.

► Ces ordonnances signent la fin de l’indépendance du CHSCT, remplacé par une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) à partir de 300 salariés mais non dotée du pouvoir de lancer elle-même une expertise. Encore aujourd’hui, on peut estimer, ce que partagent de nombreux experts, que les CSE n’ont pas retrouvé un travail comparable à celui mené dans les CHSCT sur les sujets des conditions de travail et de la sécurité.

En outre, les ordonnances d’Emmanuel Macron ont fait disparaître quatre critères de pénibilité (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques) du compte pénibilité, ce dernier étant toujours sous-utilisé aujourd’hui. Une meilleure prise en compte de la pénibilité est toujours revendiquée en 2025 par les syndicats en vue d’une révision de la réforme des retraites de 2023. 

Le CHSCT a été supprimé, ou plutôt fondu dans l’instance unique. Mais les experts constatent que le CSE n’a pas retrouvé le même niveau de travail sur les questions de santé, sécurité et conditions de travail  

►  Autre conséquence de l’instance unique : une surcharge des ordres du jour et des durées de réunion allongées. Tous ces aspects, qui étaient prévisibles et anticipés par les élus et délégués syndicaux, ont été analysés et démontrés dans plusieurs études, comme celles de l’Ires, l’institut de recherche économique et sociale. Les travaux du comité d’évaluation des ordonnances, au ton relativement critique, ont pour leur part cessé.  

► Ajoutons aussi que ces ordonnances prolongeaient l’évolution entamée par la loi travail pour donner plus de poids à la négociation collective (8), et qu’elles ont aussi créé des innovations comme les ruptures conventionnelles collectives (RCC), un barème limitant les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou encore les accords de performance collective (APC), sorte d’accords de compétitivité dérogatoires, etc. Mais ceci est une autre histoire. 

► Jusqu’à présent, à l’exception de la limite des trois mandats que le gouvernement pourrait faire disparaître en transposant l’accord national interprofessionnel trouvé par les syndicats et le patronat sur le sujet, on peut dire que les demandes de révision des règles du CSE formulées par les organisations syndicales sont restées lettre morte. A suivre ! 

Et demain ?

On ne saurait faire de pronostic au regard, notamment, des incertitudes politiques et de la crise démocratique qui n’épargne pas la démocratie sociale. Car rien n’est jamais écrit : qui aurait prédit dans les années 2017-2018 qu’Emmanuel Macron perdrait sa majorité législative, que se produirait un mouvement social aussi important que les Gilets jaunes, ou encore qu’il y aurait un sursaut syndical unitaire à l’occasion de la réforme des retraites de 2023, qui semble marquer une recrudescence des adhésions pour des organisations qui peinaient à se renouveler ? Pour la réédition en 2019 de son histoire du droit du travail, Jacques Le Goff notait déjà : “Quelles que soient les formes futures de la négociation collective, quels que soient les visages à venir du travail salarié, aucune régulation sociale, juridique et même politique du monde du travail et de l’économie n’est concevable hors du relais syndical lui-même appelé à un travail de refondation” (9).

Et qu’adviendra-t-il à terme des prérogatives environnementales du CSE, découlant de la loi climat de 2021 : seront-elles renforcées par l’obligation de transparence des entreprises en matière de durabilité ou ces sujets seront-ils “rabotés” par le souci de simplification et du maintien du rang européen dans la compétition économique internationale ? A suivre ! 

Pour conclure, on préfèrera plutôt souligner que la représentation du personnel et la recherche d’une meilleure négociation collective courent toujours après les changements économiques (et c’est d’autant plus vrai avec l’intelligence artificielle), en citant cette analyse de Pierre-Éric Tixier, professeur à Sciences Po Paris :

“Le développement des groupes d’entreprises, y compris pour des unités de petite taille, modifie les conditions d’élaboration de la négociation collective par une double disjonction. D’une part, entre unité de production et employeur : au sein d’un même collectif concret cohabitent souvent des salariés appartenant à des entreprises différentes ou à des filiales d’un même groupe qui ne relèvent pas de la même convention collective. D’autre part, la distance entre l’employeur juridiquement responsable et les centres de décision sur le capital se renforcent et limitent le champ et la portée de la négociation collective, même si la jurisprudence accorde une importance croissante à la notion de groupe pour les restructurations” (1).

♦ Notes 

(1) Les mutations de la négociation collective. Le cas de la France, Pierre-Eric Tixier, Cairn, lire ici

(2) Depuis 1981, la France a été gouvernée durant 20 ans par des gouvernements de gauche (1981-1986, 1988-1993, 1997-2002, 2012-2017) et 23 ans par des gouvernements de droite (1986-1988, 1993-1997, 2002-2012 et depuis 2017).

(3) Précédée par un texte commun en 2006 de la CFDT et de la CGT, la position commune d’avril 2008 est finalement signée par la CGT, la CFDT, le Medef et la CPME. Solidaires et l’Unsa n’ont pas été conviées aux négociations. De leur côté, la CFE-CGC, la CFTC et FO y sont hostiles. FO critique de façon virulente FO une réforme qui va affaiblir la liberté syndicale et le droit de négociation. Les syndicats signataires reprocheront ensuite au gouvernement d’avoir glissé dans la loi des dispositions visant l’assouplissement des 35 heures. Voir l’analyse de Dominique Andolfatto et Dominique Labbé et une étude sur la représentativité de Sophie Béroud, Jean-Pierre Le Crom et Karel Yon.

(4) On parle de présomption “irréfragable” de représentativité : jusqu’en 2008, elle était reconnue pour 5 organisations (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC).

(5) “Les CE sont morts, vivent les CSE ?”, retour sur 70 ans d’une institution centrale dans le système des relations professionnelles, par Sophie Béroud, Kevin Guillas-Cavan et Catherine Vincent, n°94-95 de la revue de l’Ires, 2018.

(6) “L’entreprise fait-elle la loi ? Quand les normes s’inversent​”, par Jacques Le Goff, propos recueillis par Louise Robin, revue Projet, Cairn, 21 juillet 2020. Voir aussi : Jacques Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail de 1830 à nos jours, PUR, 2019.

(7) Un des arguments utilisés pour justifier la création de l’instance unique réside dans le souci d’éviter les doublons et les répétitions entre CE et CHSCT et de faire prendre en compte, dans une seule instance, les sujets économiques et les sujets des conditions de travail. Lors d’un déplacement en juin 2017 dans une PME francilienne de métallurgie, le Premier ministre et sa ministre de travail, venus “vendre” le projet d’une instance unique de représentation du personnel, ont eu la surprise de voir la direction rejoindre les élus du personnel et les représentants syndicaux sur la nécessité de conserver le CHSCT  : “Pendant les réunions du CHSCT, nous parlons beaucoup du travail avec les opérateurs, car nous sommes dans un univers industriel où la sécurité est très importante”, expliquait le directeur général.

(8) Il y a tout de même un paradoxe à confier aux organisations syndicales et à l’employeur, dès 2015 s’agissant de la DUP d’au moins 300 salariés, le soin de définir par la négociation les contours d’une instance représentative du personnel, remarque Carole Giraudet dans une étude pour l’Ires : “La négociation sur la représentation élue du personnel de l’entreprise est-elle consécration de l’autonomie de l’entreprise aux frontières dessinées par l’employeur ?”

(9) “Du silence à la parole, une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours”, Jacques Le Goff, Pur, 2019, 4e édition. Préface de Laurent Berger, postface de Philippe Waquet. 

Bernard Domergue

Découvrez notre série sur les 80 ans du CE

28/02/2025

Notre série d’articles, publiés à l’occasion du 80e anniversaire de la création du CE par l’ordonnance du 22 février 1945, est l’occasion de découvrir l’histoire de l’évolution de l’instance représentative du personnel, depuis l’affirmation progressive de ses prérogatives jusqu’à son absorption dans le CSE en 2017. Une histoire très politique et sociale.

1/5 L’ORDONNANCE DU 22 FÉVRIER 1945 CRÉE LE COMITÉ D’ENTREPRISE

Pour le régime de Vichy, les comités sociaux ne doivent pas s’immiscer dans la conduite et la gestion de l’entreprise   

L’institution des comités d’entreprise est une réforme économique et sociale importante (..) Pour le gouvernement provisoire de la République, elle doit être le signe de l’union féconde de tous les éléments de la production pour rendre à la France sa prospérité                       

En résumé : l’article remonte aux origines du comité d’entreprise. L’instance représentative du personnel a été créée par l’ordonnance du 22 février 1945 prise par le gouvernement provisoire du général de Gaulle, dans le contexte très particulier de la Libération.

Son origine est politique :  le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) prévoyait en effet une véritable rénovation de la France après la période de l’occupation et de la collaboration.

Mais le CE hérite aussi de la gestion des œuvres sociales mise en place par le gouvernement de Vichy. L’exposé des motifs de l’ordonnance est ambitieux et le texte fixe certains principes toujours en vigueur. Mais le contenu déçoit toutefois les organisations syndicales (le CE n’est par exemple qu’informé, pas réellement consulté) qui obtiendront de nettes améliorations avec la loi de 1946.    
2/5 LA LOI DE 1946 RENFORCE LES PRÉROGATIVES DU CE
   
Le CE est obligatoirement consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise  

La loi de 1946 conserve les caractéristiques posées par l’ordonnance de 1945. Mais alors que l’ordonnance s’inscrivait dans un esprit de “coopération” entre les représentants du personnel et la direction, la loi renforce le pouvoir des élus face à l’employeur  

En résumé : l’article rappelle l’importance de la loi du 16 mai 1946. Adoptée après le départ du pouvoir du général de Gaulle, alors que le nouveau ministre du travail est un ancien ouvrier, le communiste Ambroise Croizat.

Cette loi apporte des changements sensibles au jeune comité d’entreprise : baisse de 100 à 50 salariés du seuil à partir duquel un CE doit être créé, relèvement du crédit d’heures des élus, création de la notion de “marche générale de l’entreprise” que doit suivre le CE.

Désormais le comité n’est plus seulement informé mais consulté.

Au départ, de nombreux CE sont créés mais après la crise sociale et politique de 1947, la situation s’enlise…    
3/5 DE 1946 à 1981, QUELLE ÉVOLUTION POUR LE CE ? 
 
L’ordonnance du 7 janvier 1959 étend la protection des membres du CE aux anciens élus pendant les 6 mois qui suivent l’expiration de leur mandat ainsi qu’aux candidats dès la publication des candidatures et pendant une durée de 3 mois   

Le chantier naval où travaillait mon père a créé un comité après 1967 parce que l’expert-comptable de son employeur lui avait dit qu’il y avait intérêt. Pourquoi ? Parce qu’avec l’ordonnance de 1967 sur la participation et l’intéressement, les entreprises ont besoin d’un CE pour pouvoir signer un accord d’intéressement et ne pas perdre les avantages fiscaux qui y sont liés 
                        
En résumé : l’article restitue les principales évolutions du comité d’entreprise depuis 1946 jusqu’à l’alternance politique de 1981. Les CE ne s’affirment que peu à peu comme une instance importante, le nombre de CE ne décollant vraiment que dans les années 60 : avec plus de 18 000 comités d’entreprise en 1972, le CE devient dans les grandes entreprises “le pivot de la vie sociale” selon les mots de l’historien du droit social Jean-Pierre Le Crom.

Après Mai 1968 qui ouvre de nouveaux droits pour les organisations syndicales et qui a marqué l’urgence d’une amélioration des conditions de travail des salariés, vient ensuite une période de renforcement des prérogatives du comité, notamment pour faire face aux restructurations et licenciements des années 70 durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.     
4/5 LES LOIS AUROUX DE 1982    

Les changements juridiques apportés par les lois Auroux sont importants : le CE est renforcé, le CHSCT est créé et la négociation collective refondée. Mais le CE reste, comme auparavant, une instance consultative  

Le taux de couverture des CE passe de 74,3% en 1981-1982 à 79,2% en 1989-1990, et ce progrès peut-être dû à des évolutions comme l’amélioration du procès-verbal de carence, l’extension du nombre de salariés pris en compte dans l’effectif ou l’élargissement du nombre d’entreprises assujetties 
 
En résumé : si le comité d’entreprise a vu ses prérogatives renforcées lors du septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, après 23 ans passés dans l’opposition, entraîne une série de réformes bien plus importantes en faveur des représentants du personnel avec les quatre lois Auroux de 1982.

Le comité d’entreprise est doté d’un budget de fonctionnement (le “0,2 %”) et d’un droit d’expertise renforcé, ce qui entraîne le développement de cabinets spécialisés comme Secafi et Syndex et contribue à mieux “armer” les représentants du personnel.

Une instance autonome pouvant rendre des avis et lancer des expertises est créée sur la sécurité et les conditions de travail (CHSCT).

Un droit d’expression des salariés est expérimenté pour davantage de démocratie sociale dans l’entreprise. Et des négociations obligatoires doivent se tenir dans les entreprises chaque année. 

Quels résultats apportent tous ces changements ? C’est ce que nous abordons dans cet article.    
5/5 DES LOIS AUROUX DE 1982 AU CSE DE 2017
   
Dans un premier temps, de nouvelles lois vont continuer d’enrichir le rôle du CE. Mais l’alternance politique, avec le retour de la droite au gouvernement en 1986 et 1993 notamment, et la persistance des problèmes d’emploi, vont enclencher un autre mouvement, en faveur d’une simplification des instances représentatives du personnel   

L’héritage des lois Rebsamen et El Khomri, des textes qui vont dans le sens d’une simplification des IRP et d’une possibilité pour les entreprises d’instaurer davantage de flexibilité au nom de la compétitivité et de l’emploi, sera repris et amplifié par Emmanuel Macron après son élection à l’Élysée 
                   
En résumé : Le renforcement des institutions représentative du personnel (IRP) opéré par les lois Auroux de 1982 va de pair avec le début d’une négociation collective plus forte dans les entreprises. Ce mouvement ne cessera ensuite de se développer, avec notamment la négociation des 35 heures et celle des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Cette évolution s’accompagne de la possibilité croissante d’accords dérogatoires, d’où des débats très vifs sur l’inversion de la hiérarchie des normes et le rôle protecteur de la branche, à l’occasion de la loi travail de 2016 et des ordonnances de 2017.

Entre-temps aura eu lieu la réforme très importante de la représentativité syndicale de 2008 qui accroit la compétition électorale dans les entreprises mais qui ne chamboule pas vraiment le paysage syndical. 

Au fil des années, l’idée selon laquelle il faut simplifier les instances représentatives du personnel, au nom de la compétitivité économique, s’impose peu à peu. D’abord avec la délégation unique du personnel (DUP). Puis avec le regroupement des consultations et la fixation de délais contraints pour l’avis rendu par le CE. Et enfin avec l’instance unique qu’est le CSE créé en 2017. Un texte qui affaiblit les organisations syndicales et qui bouleverse la représentation du personnel…    

Bernard Domergue