Dans les entreprises, l’IA prend de vitesse le dialogue social !

11/03/2024

Dans le secteur de la banque-assurance, seules quatre entreprises ont consulté leur CSE sur les projets d’usage de l’intelligence artificielle (IA), selon la secrétaire générale adjointe de la fédération CFDT. Autrement dit, le déploiement à marche forcée de l’IA ne s’embarrasse guère de négociations ou de dialogue social, alors même que les enjeux, notamment sur les conditions de travail des salariés, les métiers et sur l’emploi, sont énormes.

Très intéressante, la table ronde organisée par Secafi sur le thème du lien entre intelligence artificielle (IA) et dialogue social dans l’entreprise, lors du salon Eluceo de Paris, le 6 mars au stade de France. Les intervenants ont tout à la fois décrit une montée inexorable des usages et des projets d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les entreprises, et l’absence de véritables discussions, que ce soit au sein du CSE ou avec les organisations syndicales, au sujet de la finalité de ces outils et de leurs conséquences sur les emplois et le travail.

Jamais les risques liés à l’IA ne sont évoqués 

“L’intelligence artificielle est généralement présentée comme une opportunité à ne pas manquer, mais sans que soient jamais abordés les risques qui peuvent y être reliés, ni d’ailleurs les enjeux organisationnels ou la question d’un partage de la valeur ajoutée produite par ces outils”, constate Odile Chagny, économiste à l’Ires, l’institut de recherches économiques et sociales, et fondatrice du réseau Sharers & Workers (lire notre encadré).

Béatrice Lepagnol, secrétaire adjointe de la fédération CFDT banques et assurances, en donne une illustration frappante : dans ce secteur, seules quatre entreprises (BPCE, Corvea, Gan, Allianz) ont procédé à une information consultation du CSE sur des projets d’intelligence artificielle.

Dans la banque, une multiplication des usages de l’IA

Ce faible nombre de consultations est à mettre au regard d’une généralisation du recours à l’IA dans cette branche. “L’IA est de plus en plus déployée dans la banque pour la gestion administrative, le back office, la lutte contre la fraude, l’aide aux dossiers de crédit, le travail préparatoire des commerciaux pour établir des offres personnalisées, ou encore les chat bot qui ont beaucoup progressé. Aujourd’hui, le taux de satisfaction des chat bot est bien meilleur”, souligne Béatrice Lepagnol.

Le fait que la réalisation de ces projets IA “passe sous les radars du dialogue social”, selon les mots de Pierre Marco, le directeur de développement de de Secafi, risque demain de produire des problèmes explosifs, y compris pour les entreprises, notamment sur la santé au travail.

Supprimer les tâches à faible valeur ajoutée des salariés, c’est intensifier leur travail  

En effet, le fonctionnement et les effets de ces nouveaux outils sont parfois mal appréhendés par des directions sous influence des consultants qui leur promettent des améliorations record de productivité voire des économies de main d’œuvre, insiste Odile Chagny. Or ces technologies vont bel et bien changer le travail, et elles pourraient engendrer des risques psychosociaux massifs.

“On nous dit que l’IA va supprimer les tâches à faible valeur ajoutée que faisaient les salariés. Le problème, c’est que ces tâches offraient une sorte de respiration dans la journée de travail des salariés. Les supprimer pour les remplacer par des tâches complexes, avec l’exigence de réponses immédiates puisqu’on est aidés par l’intelligence artificielle, cela revient à intensifier très fortement le travail”, avertit Béatrice Lepagnol.

“Interrogez la direction sur la finalité de l’IA”

Ces attentes de productivité paraissent parfois démesurées aux yeux de Christophe Gauthier, directeur de mission chez Secafi. Ce dernier recommande justement aux élus CSE et aux délégués syndicaux d’interroger la direction sur la finalité des outils IA que l’entreprise veut implanter : “L’IA signifie productivité, c’est répété en permanence par ses promoteurs. Mais qu’est-ce que cela signifie ? A quoi sert ce projet ? Quel sera son impact ? Si des marges supplémentaires sont attendues, seront-elles redistribuées pour partie aux salariés ?” demande-t-il.

Les conséquences envisageables sur l’emploi, sur la transformation des métiers (suppression des uns, enrichissement des autres, création de nouveaux) sont à l’évidence à aborder dans une logique d’anticipation, via la consultation sur les orientations stratégiques, mais aussi dans la consultation annuelle du CSE sur la politique sociale, ou encore via une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) afin que les salariés puissent acquérir les compétences nécessaires.

“Il vous faut d’abord comprendre comment le projet IA va être mené”

Le rôle des représentants du personnel qui travaillent dans les entreprises mettant en œuvre des outils d’intelligence est donc primordial, d’autant que la régulation légale de ces nouvelles technologies laisse beaucoup à désirer, selon Odile Chagny de l’Ires : “Le règlement européen de l’IA est fondé sur le marché unique, ce sont des obligations imposées aux éditeurs, mais il y a plein de trous dans la raquette. La représentation des salariés n’est par exemple pas évoquée dans ce règlement. Mais cela peut aussi, paradoxalement, laisser une place importante au dialogue social dans les entreprises”.

Et la chercheuse de conseiller aux élus de mobiliser le droit (par exemple, via le règlement général de la protection des données, le RGPD) pour négocier des accords cadre ou des accords de méthode avec les employeurs pour tenter une première approche de ces enjeux. A ses yeux, il est crucial pour les CSE et les organisations syndicales de ne pas arriver trop tard, c’est-à-dire après que le cahier des charges ait été défini, que la décision a été prise et l’outil déployé à grande échelle. “Il vous faut d’abord comprendre comment le projet IA va être mené, quelles en sont les étapes, pour savoir comment agir, à quel moment”, énonce la chercheuse.

La régulation de l’IA se fera d’abord par vous ! 

Christophe Gauthier, l’expert de Secafi, avertit pour sa part sans détours les représentants des salariés : “La régulation de l’IA, c’est finalement vous qui pouvez la faire dès le premier niveau, et je préfère vous le dire : vous serez un peu seuls pour défendre une approche de l’IA fondée d’abord sur le progrès social. Appuyez-vous sur les droits fondamentaux des salariés concernant leurs données et leur santé, et sur les prérogatives du CSE pour agir”.  Un conseil repris ainsi par la syndicaliste de la CFDT banques et assurances : “Il faut décomplexer les militants et les élus : nul besoin de comprendre les algorithmes pour demander à votre employeur à quoi ils vont servir, dans quel but ils seront déployés, s’il y aura un effet sur les effectifs et les métiers”.

Plutôt que supprimer des emplois, pourquoi ne pas réduire le temps de travail 

Et Béatrice Lepagnol d’inviter les équipes de représentants du personnel à construire leurs revendications d’un usage éthique et responsable de l’IA, “et un contrôle humain” de ces procédés. La syndicaliste CFDT aimerait aussi que les CSE disposent d’un droit d’expertise élargi sur ces sujets techniques et complexes et d’un droit à une formation spécifique.  Et celle-ci de s’interroger sur la façon politique d’aborder les conséquences sociales de tels outils : “Plutôt que de baisser les effectifs et faire supporter une charge de travail toujours plus forte sur moins de salariés, pourquoi ne pas réduire le temps de travail ?”

Le réseau Sharers & Workers
Economiste à l’Ires, Odile Chagny a fondé le réseau Sharers & Workers. Ce réseau, dont le site internet contient beaucoup d’informations sur les plateformes numériques et l’intelligence artificielle, entend faire se rencontrer les chercheurs travaillant pour les syndicats, les acteurs de l’économie collaborative et les acteurs du numérique.
Il s’agit, en croisant les regards, de “renouveler les champs de réflexion et d’action sur les questions du travail, des compétences, des relations de travail et des modalités de collaboration, du partage de la valeur, des formes de représentation, etc.” Après un travail conduit avec les organisations syndicales et financé par l’Anact, le réseau a lancé le manifeste DialIA (comme dialogue IA) sur le dialogue social et l’intelligence artificielle. 

Bernard Domergue

La CFDT veut faire entrer des salariés au conseil d’administration de la Sacem

12/03/2024

Société civile au statut particulier, la société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) comporte un conseil d’administration mais pas d’administrateurs salariés. Premier syndicat de la structure, la CFDT défend au contraire la présence des salariés dont elle veut faire entendre la voix dans la gestion de la société. Une volonté qui se heurte pour l’instant à la loi existante et à la position de la direction.

“Nous sommes légitimes à demander deux salariés au conseil d’administration, mais il nous reste à l’obtenir en droit”, affirme Laurent Boulanger, délégué syndical CFDT (principal syndicat de la société) depuis cinq ans et élu au CSE de la Sacem. Soucieux de ne pas se mettre en avant à titre personnel mais de porter une parole collective, il œuvre de longue haleine pour obtenir des places d’administrateurs salariés dans le conseil d’administration de la Sacem.

Si cette volonté peut en effet apparaître louable, elle se heurte à un oubli de la loi Pacte de 2019 et à la forme juridique de la Sacem : ne disposant pas de conseil d’administration, les sociétés civiles ne peuvent en principe pas accueillir d’administrateurs salariés, dont la présence se limite aux conseils d’administration des sociétés anonymes. La Sacem présente à cet égard un statut particulier : elle dispose d’un conseil d’administration dont les salariés sont à ce jour exclus.

La Sacem, une société civile à but non lucratif

Fondée en 1851, la Sacem a pour objet de collecter et répartir les droits d’auteurs au profit des artistes. Les auteurs peuvent ou non en devenir sociétaire. Réunis en assemblée générale, ils se prononcent sur le rapport du gérant. Un Conseil de surveillance de 6 membres contrôle l’activité et les missions du conseil d’administration. Ce dernier est composé de 19 membres sociétaires et d’aucun salarié. La Sacem en emploi pourtant 1 300, ce qui est supérieur au seuil de 1 000 salariés requis par la loi Pacte de 2019. Le “hic”, c’est que la Sacem est une société civile, non une société anonyme.

Les conditions requises par la loi pour la présence d’administrateurs salariés

En 2019, la loi Pacte a revu les critères gouvernant la présence de salariés dans les conseils d’administration. Elle a notamment inclus les mutuelles qui n’étaient pas visées auparavant. “On a loupé le coche à ce moment-là”, se désole Laurent Boulanger, qui veut tenter de convaincre le gouvernement actuel et les députés Renaissance de la pertinence d’inclure les sociétés civiles dans l’obligation d’administrateurs salariés. L’article 184 de la loi Pacte a en effet modifié les seuils des articles L.225-23 et L.225-71 du code de commerce.

Désormais, doivent être nommés :

  • au moins 1 représentant des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance comportant jusqu’à 8 membres (contre 12 auparavant) ;
  • ou  au moins 2 représentants des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance comportant plus de 8 membres (contre 12 auparavant) ;​

et ce dans les sociétés anonymes employant, à la clôture de deux exercices consécutifs :

  • au moins 1.000 salariés permanents dans la société et ses filiales françaises,
  • ou au moins 5.000 salariés permanents dans la société et ses filiales françaises et étrangères.

Les effets positifs de la présence de salariés au CA

“La finalité de notre démarche est de faire entrer la voix des salariés dans les prises de décision. Ils sont tout autant intéressés que les administrateurs à la pérennité de la société, ils sont experts des sujets et peuvent fourbir de nouveaux éclairages notamment sur le numérique ou la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise”, argumente Laurent Boulanger. Un mode de démocratie sociale, poussé en Allemagne jusqu’à la “co-détermination” (ou “co-gestion) loin de faire l’unanimité chez les dirigeants d’entreprises en France, ni pour le gouvernement. En septembre 2022, un rapport parlementaire sur les effets de la loi Pacte a été remis à l’exécutif avec cette conclusion : les effets de la présence de salariés dans les conseils d’administration sont positifs, mais n’allons pas trop loin trop vite. Bien que  les conséquences sociales de certaines décisions soient mieux mesurées par les administrateurs grâce aux salariés, avec des effets sur le management et la performance de l’entreprise, pas question d’augmenter le nombre de salariés dans les CA.

La direction de la Sacem refuse mais s’ouvre peu à peu

De son côté, la direction de la Sacem voit la présence de salariés dans le CA comme une menace sur son identité car elle a toujours été gérée uniquement par ses sociétaires. S’il soutient également le principe des administrateurs salariés, Laurent Séville, délégué syndical CFE-CGC et élu au CSE note pour sa part quelques ouvertures du conseil d’administration depuis cinq ans : “A quelques occasions ponctuelles, les représentants du CSE au conseil d’administration, dont je fais partie, ont été invités comme observateurs. Depuis environ un an et demi, on nous propose de prendre la parole en fin de réunion, même si cela reste limité”.

De même, les élus ont été reçus à leur demande par le président dans le cadre de la commission économique du CSE. Aux dire des élus CFDT et CFE-CGC, le dialogue social fonctionne plutôt bien dans la société. Selon Laurent Boulanger, l’unanimité des membres de la commission du CSE a renoncé à ces entretiens en 2023 “compte tenu de la pauvreté du dialogue”.

Des administrateurs pour compenser un CSE aux pouvoirs réduit ?

Comme le savent tous les élus du personnel quelle que soit leur entreprise, les avis du CSE, qu’ils soient positifs ou négatifs, n’ont qu’un impact limité : les dirigeants peuvent ne pas en tenir compte. Le CSE ne dispose de plus d’aucun droit de veto sur les projets de la direction. Les administrateurs salariés pourraient-ils compenser ce phénomène ? Pas tellement dans la mesure où même s’ils sont admis dans les conseils d’administration des sociétés anonymes, ils n’y disposent que d’un pouvoir de vote limité à leur nombre qui les maintient donc dans la minorité.

La présence des salariés revêt plutôt un caractère symbolique, actant la prise en compte de voix de terrain, les salariés pouvant présenter de fortes compétences sur des sujets qui composent leur travail au quotidien. Un point de vue défendu par l’avocat Jonathan Cadot qui soutient la démarche de la CFDT : “Certes, les élus récupèrent de l’information via le CSE mais ce qu’on entend au CA n’est pas du même niveau. Aujourd’hui, on sait que la présence d’administrateurs salariés fonctionne plutôt pas mal. Après, on trouve toujours des raisons statutaires pour que les salariés ne viennent pas entendre ce que disent les administrateurs”. Selon lui, le vrai sujet consiste dans la confidentialité des échanges du conseil d’administration : si un salarié les fait fuiter, le conseil risque de tenir des “réunions fantômes” sans lui.

Une démarche de “soft power”

Pour l’instant, le syndicat CFDT de la Sacem ne souhaite pas d’opposition frontale avec la direction et vise plutôt une démarche de “soft power”. Il a reçu le soutien de la fédération communication conseil culture de la CFDT, le syndicat national des artistes et des professionnels de l’animation, du sport et de la culture (Snapac) a diffusé une lettre ouverte (en pièce jointe) dans laquelle il s’interroge : “Pourquoi nos administrateurs auraient-ils peur de partager les réflexions sur les intérêts supérieurs avec toutes les parties prenantes de l’entreprise ?”. Le lobbying reste donc pour l’instant la voie privilégiée, avant de s’adresser directement au gouvernement et aux parlementaires pour tenter d’arracher une modification législative.

Marie-Aude Grimont

Relèvement des seuils CSE : “3,6 millions de salariés seraient privés d’œuvres sociales”

12/03/2024

Dans un billet publié sur son site, le cabinet d’expertise 3E s’indigne à son tour du rapport parlementaire suggérant un fort relèvement des seuils (50 à 250 salariés) correspondant à la création et aux prérogatives du comité social et économique (CSE) de plein exercice : 

“On peut estimer à environ 3.6 millions le nombre de salariés qui seraient privés de leurs œuvres sociales, pour un montant global de plus d’un milliard d’euros ! La mesure pénaliserait les salariés des PME déjà nettement moins bien payés que leurs homologues des grandes entreprises, et cela alors que les œuvres sociales des CSE sont souvent pour les bas salaires leur unique possibilité d’accéder aux offres culturelles et aux loisirs, notamment s’agissant des vacances. De nombreux CSE instaurent d’ailleurs des règles d’allocation des budgets dégressifs en fonction du niveau des revenus”.

Et Laurent Lavallée, le directeur associé du groupe 3E, de poursuivre : 

“Dans le même temps, les représentants des salariés verraient de nouveau leurs effectifs, leurs moyens et leurs prérogatives considérablement réduits. Ce serait la fin de leurs prérogatives consultatives (économiques, sociales, sur la stratégie de l’entreprise, en cas de projets importants ou de plan social) et la quasi-disparition de leur capacité à agir sur les conditions de santé et sécurité au travail. Sachant que, sur ces aspects de santé et sécurité du travail, les PME sont ici aussi nettement moins bien loties que les grandes entreprises (la CSSCT étant par exemple obligatoire à partir de 300 salariés seulement) et que les indicateurs sont au rouge. Ce serait également toutes les obligations d’information et d’échanges autour des problématiques environnementales, pourtant nouvellement établies, qui disparaitraient au niveau des PME”.

Source : actuel CSE

Nouvelles réformes du droit du travail : venez écouter et voir la rédaction au salon Eluceo de Lille

13/03/2024

Avis à nos abonnés, à nos lecteurs et à tous ceux qui seraient intéressés : la rédaction d’actuEL-CSE et du Guide CSE, des Editions Législatives / Lefebvre Dalloz, participe au salon Eluceo de Lille les 20 et 21 mars au Stade Decathlon Arena, appelé aussi stade Pierre Mauroy.

Sachez qu’un exemplaire papier de notre tout nouveau livret sur le CSE, consacré aux conditions de travail, à la santé et à la sécurité, vous sera remis à l’entrée, dans le kit de l’élu Eluceo.
Vous pourrez aussi poser vos questions à notre juriste expert (“L’Appel Expert”) présent le 21 mars. 

N’hésitez pas à passer nous voir au stand A50, nous serons ravis d’échanger avec vous, et vous présenter le cas échéant toutes nos solutions utiles pour vos mandats. 
Vous pouvez aussi, bien sûr, assister gratuitement à notre conférence intitulée “Nouvelle année, nouvelles réformes du droit du travail” qui se déroulera le 20 mars à 11h30 en salle 1. La juriste Séverine Baudouin, du dictionnaire permanent social, et le journaliste Bernard Domergue, d’actuEL-CSE, feront un point sur la jurisprudence récente intéressant les CSE et sur l’actualité des réformes touchant à l’instance et au droit du travail. 

► Renseignements sur le salon

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Source : actuel CSE

L’accord de reconnaissance d’une UES n’est pas un accord interentreprises

14/03/2024

L’accord collectif portant reconnaissance d’une unité économique et sociale (UES) ne constitue ni un accord interentreprises permettant la mise en place d’un CSE interentreprises spécifique, ni un accord interentreprises permettant de définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises. Ainsi, toutes les organisations syndicales représentatives présentes dans les entités qui composent l’UES doivent être conviées à la négociation.

L’unité économique et sociale (UES) est le nom que l’on donne à plusieurs sociétés juridiquement distinctes mais présentant des liens étroits et considérées comme une seule entreprise pour l’application du droit du travail et plus particulièrement de la législation sur la représentation du personnel.

Rappels sur l’UES

L’article L. 2313-8 du code du travail prévoit que si une UES regroupant au moins 11 salariés est reconnue par convention ou décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d’un CSE commun est obligatoire.

Reconnue par la jurisprudence depuis 1970, l’UES est entrée dans le code du travail en 1982. Par la suite, le législateur a créé le CSE interentreprises, instance conventionnelle entre des entreprises juridiquement distinctes sur un même site ou une même zone qui partagent des problèmes communs (C. trav., art. L. 2313-9).

Créés par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ces CSE interentreprises remplacent les anciens “délégués de sites”. Tout est prévu dans l’accord de mise en place. Et cet accord, doit être un accord interentreprises. Ce niveau de négociation a été créé, pour sa part, par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (loi Travail), et l’article L. 2232-36 du code du travail le définit comme un accord négocié et conclu au niveau de plusieurs entreprises n’appartenant pas au même groupe, entre d’une part, les employeurs, et d’autre part, les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées.

Dans ce maelstrom de règles, comment se définit donc la nature de l’accord de reconnaissance d’une UES ? Quels syndicats doivent être convoqués à la négociation ?

C’est à ces questions que répond la Cour de cassation dans cette décision du 6 mars 2024, laquelle sera publiée au Rapport.

Négociations sur l’extension du périmètre de l’UES

Dans cette affaire, la société Capgemini forme une UES avec plusieurs de ses filiales depuis 1984. Le périmètre de cette UES a été modifié à plusieurs reprises, et suite à l’acquisition du groupe Altran, Capgemini a engagé en 2020 une négociation portant sur l’éventuelle extension du périmètre de l’UES Capgemini aux sociétés du groupe Altran.

Dans ce contexte, un syndicat se plaint de n’avoir pas été convié à la négociation. Il estime qu’en tant que syndicat représentatif dans une des entités composant l’UES, il aurait dû l’être. Et la cour d’appel lui donne tort. Elle explique que l’accord a la nature d’un accord interentreprises, et que le syndicat demandeur n’est pas représentatif dans le périmètre de l’UES existante. 

 Remarque : la représentativité des organisations syndicales dans le périmètre d’un accord interentreprises est appréciée par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections précédant l’ouverture de la première réunion de négociation (C. trav., art. L. 2232-37). La représentativité dans une des entreprises composant l’UES n’est donc pas suffisante, elle doit être atteinte au niveau consolidé de toutes les entreprises concernées. Ainsi, pourront s’asseoir à la table des négociations, les syndicats disposant de 10 % des suffrages à ce niveau, et pour que l’accord soit valide, c’est encore au niveau consolidé des entreprises concernées que les 50 % (ou 30%) seront appréciés. Rien n’est expressément prévu concernant la révision de ces accords, mais cela devrait se passer de la même façon.

Nature de l’accord de reconnaissance d’une UES

Ce n’est pas un accord interentreprises…

Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord avec la cour d’appel. Elle commence par rappeler les dispositions de l’article L. 2313-8 du code du travail relatif à la mise en place du CSE au niveau d’une UES, puis celles de l’article L. 2313-9 concernant la mise en place du CSE interentreprises.

Elle en déduit, qu’il “résulte de ces deux dispositions que l’accord collectif portant reconnaissance d’une unité économique et sociale, dont l’objet est essentiellement de mettre en place un comité social et économique selon les règles de droit commun prévues par le code du travail, ne constitue ni un accord interentreprises qui permet la mise en place, dans les conditions prévues par l’article L. 2313-9 du code du travail, d’un comité social et économique spécifique entre des entreprises d’un même site ou d’une même zone et dont les attributions seront définies par l’accord interentreprises, ni un accord interentreprises permettant de définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises dans les conditions prévues par les articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du code du travail”.

La Cour a donc tranché : l’accord de reconnaissance (ou de révision du périmètre ou modification conventionnelle) de l’UES n’est pas un accord interentreprises, et le CSE mis en place au niveau d’une UES, n’est pas un CSE interentreprises.

Les règles spécifiques de représentativité ne s’appliquent donc pas.

… mais un accord collectif signé aux conditions de droit commun

Puis la Cour de cassation rappelle sa propre jurisprudence, laquelle précise “qu’une unité économique et sociale ne pouvant être reconnue qu’entre des entités juridiques distinctes prises dans l’ensemble de leurs établissements et de leur personnel, toutes les organisations syndicales représentatives présentes dans ces entités doivent être invitées à la négociation portant sur la reconnaissance entre elles d’une unité économique et sociale (Soc., 10 novembre 2010, pourvoi n° 09-60.451)”.

En outre, “la reconnaissance ou la modification conventionnelle d’une unité économique et sociale ne relève pas du protocole d’accord préélectoral mais de l’accord collectif signé, aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette unité économique et sociale (Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 13-12.712, Bull. 2013, V, n° 266, publié au Rapport annuel)”.

En conséquence, conclut la Cour, le syndicat représentatif dans une des entités appelées à composer l’UES doit bien être invité à la négociation de l’accord portant révision de l’UES.

Il n’a pas à franchir le seuil de 10 % des suffrages exprimés à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées par l’accord envisagé, les articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du code du travail relatifs aux accords interentreprises ne sont en effet pas applicables. 

 Remarque : cette décision concerne l’accord de reconnaissance d’une UES. Il nous semble toutefois que l’accord interentreprises peut être utilisé afin de conclure des accords collectifs au sein d’une UES constituée. L’audience déterminant la représentativité et le poids des syndicats sera alors déterminée par l’élection du CSE au niveau de l’UES. En effet, avant la loi Travail de 2016, il n’existait aucune possibilité de négocier à ce niveau. Il avait cependant été jugé que l’accord de reconnaissance de l’UES pouvait étendre ses effets au-delà des institutions représentatives du personnel et créer des obligations pour les différentes entités juridiques la composant, mais que cet accord ne pouvait pas faire de cette UES l’employeur des salariés. En effet, l’UES ne se substitue pas aux entités juridiques qui la composent : elle n’a pas la personnalité morale (Cass. soc., 16 déc. 2008, n° 07-43.875).

Séverine Baudouin

Dialogue social sur l’IA : les recommandations que la commission adresse à la DGT

15/03/2024

Le rapport établi par la commission sur l’intelligence artificielle (IA) installée par Elisabeth Borne en août 2023 a été remis le 13 mars au président de la République. Le document public s’accompagne d’une partie non publique, plus intéressante, destinée à la direction générale du travail (DGT), avec des recommandations détaillées précisant les modalités possibles des mesures envisagées. Y figurent l’idée d’un accord national interprofessionnel (Ani) sur l’IA ainsi qu’une évolution du code du travail en l’absence d’une appropriation par les entreprises de l’information-consultation du CSE sur l’IA.

L’objet du rapport remis hier matin au président de la République est vaste : ses recommandations visent à positionner la France comme un acteur clé en intelligence artificielle (IA), via des mesures favorables à l’innovation et un nouveau compromis sur l’utilisation des données personnelles (lire notre encadré), afin de faire bénéficier l’économie française d’un effet potentiel important sur les gains de productivité. Mais l’idée est aussi de mobiliser le pays via un plan de sensibilisation et de formation, sans oublier l’implication des secteurs de l’éducation et de la santé (*).

Le rapport évoque également le dialogue social, parent pauvre actuellement de l’essor des IA génératives dans les entreprises (**), alors même que les spécialistes commencent à s’inquiéter des effets possibles sur la santé mentale des travailleurs d’un usage massif de ces technologies, sans parler de l’impact possible sur l’emploi.

 Le droit à l’information et l’avis éclairé des représentants des salariés sont peu mobilisés par les entreprises

Dans son document final de 130 pages, la commission n’enjolive pas le tableau de la situation actuelle :

“La diffusion de l’IA sera un atout clé pour renforcer la compétitivité et l’emploi des entreprises (..) Elle ne se fera pas sans un dialogue social, basé sur la confiance réciproque, l’expérimentation et la co-construction  Pourtant, alors que les effets sur le monde du travail des précédentes vagues numériques sont profonds, les travailleurs et leurs représentants sont aujourd’hui peu associés aux choix technologiques et organisationnels sur les lieux de travail comme au plan national. Le droit à l’information et l’avis éclairé des représentants des salariés sur les transformations au travail sont en pratique peu mobilisés par les entreprises et les administrations  Cela tient à ce que l’intelligence artificielle et le numérique en général sont présentés comme des sujets techniques avant tout, que les travailleurs et les employeurs ont du mal à appréhender  Les acteurs sociaux ne sont pas assez informés ni formés à ces enjeux et à ces outils  Les directions des systèmes d’information (DSI), d’une part, et des ressources humaines et des relations sociales, d’autre part, agissent souvent en silos  La faiblesse de la co-construction peut devenir une source d’inquiétude voire de rejet pour les travailleurs et accroître le sentiment de précarité et la crainte du déclassement”.

Une co-construction, mais pas d’évolution mentionnée du code du travail

Si la recommandation n°3 vise à faire du dialogue social et professionnel “un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA”, en revanche, dans le document public, on ne retrouve pas des propositions très précises. Il faut aller chercher celles-ci dans un document à part, non public, que la commission destine à l’administration.

Là où le document public  s’en tient à la nécessité d’une “co-construction”, là où il énonce que les partenaires sociaux doivent être des “interlocuteurs formés et actifs dans les instances où sera discuté le déploiement de l’IA” et où il affirme que ce dialogue social technologique “doit s’insérer dans un processus itératif qui caractérise les projets d’IA”, le document destiné à l’administration est plus explicite. 

 Il appelle de ses vœux la conclusion par les partenaires sociaux d’un accord national interprofessionnel (Ani) sur le numérique et l’intelligence artificielle, “afin de décliner l’accord européen de 2020 sur les transformations numériques”, une option d’ailleurs poussée par le projet DialIA (***). 

Plus important encore : alors que rares sont les informations-consultations dans les entreprises sur l’IA (la CFDT banques-assurances en a dénombré 4 seulement dans son secteur), le document envisage de muscler quelque peu le code du travail au cas où la situation n’évolue pas favorablement pour les représentants des salariés.

En l’absence de progrès du dialogue social sur ce point, dit en substance la commission, il faudrait modifier l’article L. 2312-38 du code du travail afin d’y insérer explicitement une obligation de consultation avant le déploiement d’outils IA dans le recrutement, la gestion du personnel et le contrôle de l’activité des salariés, ajoute le rapport, de façon assez prudente. Certes, le document n’évoque pas l’article central du code du travail sur les nouvelles technologies ou projets d’aménagement prévoyant une information-consultation du CSE (art. L. 2312-8),mais c’est tout de même un signe fort envoyé aux employeurs. Dommage qu’il ne figure pas dans le document public (*).

La version du document destiné à l’administration est également plus explicite sur le sens du mot “itératif” (qui signifie : répété plusieurs fois) qu’on retrouve, mais non développé, dans le document final : “Lorsque les systèmes d’IA sont évolutifs, ces informations et consultations doivent être périodiques afin de permettre un dialogue social itératif”, pouvait-on lire dans le rapport.

On ne retrouve pas davantage dans le document remis officiellement au président par la commission la référence au document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Pourtant, la commission insiste auprès de l’administration sur le fait que les partenaires sociaux peuvent déjà inclure dans ce DUERP “les risques liés au management algorithmique”, le document suggérant dès lors de “clarifier les voies de recours et de rectification”, tant pour les travailleurs que pour les représentants syndicaux. De petites avancées, malgré tout loin des suggestions de la commission Villani en 2018, qui  soulignait l’inadaptation des règles protectrices du travail concernant les nouvelles technologies et estimait  nécessaire une modernisation du cadre législatif. 

Le rapport public a tendance à présenter l’IA comme un moyen technique d’améliorer le dialogue social, dans le sens semble-t-il d’une simplification et d’une meilleure compréhension des enjeux:

“Des outils à base d’IA générative peuvent être développés avec les partenaires sociaux pour aider les salariés à mieux comprendre des débats techniques, qu’il s’agisse de technique informatique, financière ou juridique  Ces outils d’IA, par exemple sous la forme d’une instance simple de dialogue, pourraient intégrer une part commune à toutes les entreprises (code du travail, etc.) et une part spécifique à l’organisation dans laquelle est placé chaque travailleur (convention collective, règlement intérieur de l’organisation, etc… ) et à ses représentants syndicaux  L’outil pourrait contribuer à accroître la connaissance des droits et la compréhension des transformations en cours ou encore à améliorer la préparation des réunions (conseils d’administration, comité social d’entreprise, élections des représentants…)  Lors des négociations sociales, l’IA peut aussi contribuer à analyser et exploiter d’immenses quantités des données et ainsi appuyer la négociation”. 

L’enjeu de la formation 

L’autre partie du rapport définitif qui intéressera les entreprises comme les salariés et leurs représentants traite de la formation professionnelle, mais on ne peut guère parler ici d’un plan massif de formation. Pourtant, la transformation des tâches et des métiers que va entraîner la généralisation de l’IA générative support un effort global d’élévation des compétences, des salariés comme des demandeurs d’emplois, un effort chiffré à 40 millions d’euros par an dans le rapport.

Comment mener à bien ce changement ? Là encore, le document destiné aux ministères est plus explicite que le rapport définitif, car il suggère de  :

  • moderniser les classifications des certifications et des métiers utilisés par France Compétences et France Travail en insistant sur les compétences spécifiques liées à l’IA ;
  • demander aux opérateurs de compétences (Opco) “un travail prospectif paritaire pour maintenir l’employabilité des travailleurs” ;
  • former les demandeurs d’emploi (partenariat Opco, conseils régionaux et France Travail) ;
  • former les professions créatives à l’IA, etc.  

Ces recommandations vont de pair avec une meilleure anticipation des conséquences de l’IA sur le travail et l’emploi. Le document final évoque la nécessité “d’investir dans l’observation, les études et la recherche sur les impacts des systèmes d’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi”. La commission semble aller plus loin dans la version destinée aux ministères : le document évoque la création d’un observatoire sur le sujet et de commissions spécifiques auprès des ministères du travail et de la fonction publique, les partenaires sociaux y étant associés. 

La France a déjà du retard. Il faut maintenant appliquer ces recommandations 

Le fait que les recommandations détaillées destinées au ministère du travail, et à la Direction générale du travail, ne figurent pas dans le rapport public n’est-il pas de nature à inquiéter sur la suite donnée à ces propositions ? “L’essentiel est que ces recommandations soient rapidement mises en œuvre, la France est en retard, nous devons relever ce défi”, nous répond Franca Salis-Molinier, de la CFDT, qui était la seule membre de la commission qui représentait les syndicats des salariés.

(*) Co-présidée par Anne Bouverot, présidente du conseil d’administration de l’Ecole nationale supéreure (ENS) et Philippe Aghion, économiste professeur au Collège de France, et composée de 13 autres membres (dont une représentante de la CFDT), la commission a été installée en août 2023. Elle a auditionné 600 personnes pour aboutir à 25 recommandations comportant 250 mesures, égrenées dans un rapport de 130 pages remis hier au président de la République (lire en pièce jointe).

(**) IA générative : système d’intelligence artificielle (IA) capable de générer du texte, du son, des images ou du code en réponse à une demande (prompt en anglais). Le plus connu de ces systèmes est Chat-GPT mais le français Mistral tente de s’imposer sur ce marché.

(***) Voir aussi notre article du 11/01/2024 sur l’action des syndicats pour sensibiliser et former les représentants du personnel

Données personnelles : un rééquilibrage entre protection et croissance ?
Le rapport semble propose une nouvelle approche concernant l’accès aux données personnelles. L’exploitation des données étant cruciale pour l’IA, le rapport suggère de réduire les délais de réponse de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) sur un traitement présentant des risques particuliers. Pour faire émerger “une nouvelle culture de la valorisation de la donnée qui ne porte pas atteinte à la vie privée”, la commission suggère d’intégrer aux mission de la Cnil un objectif d’innovation, d’augmenter son budget et de réformer sa composition pour “en élargir la palette de compétences à l’innovation et à la recherche”.

Au-delà, peut-on encore lire, “il importe de trouver la voie d’une gouvernance collective de la donnée qui pourrait, dès aujourd’hui, utiliser les marges de manœuvre juridiques sous-exploitées du RGPD (règlement général de protection des données) et, à terme, poser les jalons d’une évolution du cadre juridique qui prendrait mieux en considération l’évolution des modes d’utilisation des données”.

La commission évoque l’idée de créer à titre expérimental, pour 3 ans, “un laboratoire collaboratif pour la donnée d’intérêt général avec pour missions de tester des modèles collaboratifs, altruistes et efficaces, de partage de données pour l’entraînement de l’IA dans des domaines d’intérêt général, par exemple le travail, la santé ou la protection de l’environnement”.

Bernard Domergue