Parité des listes de candidats : impossible de rectifier les résultats

17/09/2024

Le juge ne peut pas rectifier l’attribution erronée des sièges à l’issue du scrutin dans le cas de l’annulation de l’élection d’un candidat en raison du non-respect par sa liste des règles de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.

Les règles de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes pour les élections professionnelles (C. trav., art. L. 2314-30), autrement appelées règles de “parité des listes de candidats”, donnent lieu depuis des années à une abondante jurisprudence.

La question qui est posée dans cet arrêt publié de la chambre sociale en date 11 septembre2024, est celle de savoir si le juge peut rectifier le résultat des élections après avoir annulé l’élection d’un candidat dont la liste ne respecte pas les règles de l’article L. 2314-30 du code du travail.

La réponse est non, et la Cour de cassation en profite pour faire le point sur les conséquences applicables.

L’élection d’un candidat élu sur une liste ne respectant pas les règles de représentation équilibrée est annulée

Dans cette affaire, un syndicat présente deux femmes et un homme sur sa liste pour l’élection au premier collège du CSE, alors que les femmes se trouvent en position ultra-minoritaire. Il aurait donc fallu présenter deux hommes et une femme.

La candidate femme positionnée en première position sur cette liste est élue.

À l’issue de l’élection, un autre syndicat saisit le tribunal judiciaire :

  • d’une part, afin d’obtenir l’annulation de l’élection de cette candidate ;
  • et d’autre part, d’attribuer ce siège au candidat tête de liste de leur syndicat, et de proclamer les résultats ainsi rectifiés.
► Rappel

Pour chaque collège électoral, les listes de candidats présentées par des syndicats, et qui comportent plusieurs candidats, sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale.

Les listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes (C. trav., art. L. 2314-30).

Le code du travail prévoit l’annulation de l’élection des salariés par le tribunal judiciaire, d’une part lorsque la liste ne respecte pas les principes de la représentation équilibrée, et d’autre part, si l’alternance entre les sexes n’est pas appliquée par la liste (C. trav., art. L. 2314-32).

Le dispositif ne prévoit aucune alternative : si le tribunal est saisi, et qu’il constate que les règles de parité ne sont pas respectées, il annule l’élection du ou des élus du sexe surreprésenté au regard de la part de femmes et d’hommes que celle-ci devait respecter.

À noter toutefois que la jurisprudence a autorisé les recours préélectoraux, ceux-ci étant admis de manière générale même lorsque la loi ne les évoque pas expressément. Ainsi, le tribunal judiciaire peut être saisi, avant l’élection, d’une contestation relative à la composition des listes de candidats en application de l’article L. 2314-30 du même code, et déclarer la liste de candidats irrégulière au regard de ce texte, dès lors qu’il statue avant l’élection, en reportant le cas échéant la date de l’élection pour en permettre la régularisation (Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 18-26.568).

Dans cette affaire, donc, le tribunal annule l’élection de la candidate. Mais il refuse d’attribuer le siège devenu vacant, les dispositions légales ne prévoyant pas cette possibilité pour le juge.

Le syndicat conteste en s’appuyant sur les règles relatives aux élections professionnelles :

  • l’article R. 2314-20 prévoit que lorsqu’il reste des sièges à pourvoir, ces sièges restant sont attribués sur la base de la plus forte moyenne et le premier siège non pourvu est attribué à la liste ayant la plus forte moyenne. C’est le cas du syndicat demandeur, ce siège devrait donc lui être attribué ;
  • s’agissant d’une attribution erronée du siège en cause, c’est au juge de proclamer les résultats par application des règles du droit électoral.

Cette annulation ne permet pas au juge de rectifier l’attribution erronée des sièges

Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord. Elle donne raison au tribunal judiciaire.

Elle commence par rappeler les dispositions de l’article L. 2314-32, alinéa 4 du code du travail, fixant les règles relatives à la sanction ad hoc applicable en cas de non-respect des règles de représentation équilibrées : l’annulation de l’élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas les prescriptions de l’article L.2314-30.

En effet, “les dispositions des articles R. 2314-19 à R. 2314-21 du code du travail, permettant au juge de rectifier l’attribution erronée des sièges à l’issue du scrutin, ne s’appliquent pas en cas de vacance consécutive à l’annulation de l’élection d’un salarié en application de l’article L. 2314-32 du code du travail sanctionnant le non-respect des règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes imposées par l’article L. 2314-30 du même code”.

C’est donc à bon droit que le tribunal a refusé de faire droit à la demande d’attribution du siège devenu vacant à un autre candidat.

Seules les élections partielles peuvent compléter la délégation élue au CSE

La Cour de cassation rappelle également que l’article L. 2314-30, prévoit, dans son dernier alinéa, qu’il est fait application, le cas échéant, des dispositions de l’article L. 2314-10 relatives aux élections partielles.

Ainsi, des élections partielles sont organisées à l’initiative de l’employeur si un collège électoral n’est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel au CSE est réduit de moitié ou plus, sauf si ces événements interviennent moins de 6 mois avant le terme du mandat des membres du CSE.

Le remplacement des sièges vacants est donc impossible, à moins de réunir les conditions des élections partielles : impossible pour le juge d’attribuer ces sièges selon les règles du droit électoral, et impossible également de désigner un remplaçant pour occuper le siège du membre titulaire laissé vacant par l’annulation de son mandat pour non-respect des règles de représentation équilibrée femmes-hommes sur les listes de candidats.

Les règles de suppléance ne s’appliquent pas dans ce cas. Le siège reste donc vacant (voir par ex. Cass. soc.,22 sept. 2021, n° 20-16.859).

Séverine Baudouin

Manuel de survie à l’usage d’un gouvernement minoritaire

17/09/2024

Cette rentrée politique et sociale est inhabituelle, et la nouvelle donne politique pourrait susciter de nouveaux jeux institutionnels. C’est ce qu’explique Frédéric Rolin dans ce billet d’humeur paru initialement dans Dalloz Actu Etudiant et que nous reprenons avec son accord. Le professeur de droit public à l’Université Paris Saclay s’adresse au nouveau gouvernement…

“Ah quelle était belle la vie d’un gouvernement majoritaire ou presque majoritaire : on votait des budgets dans l’allégresse, on réformait les retraites dans la joie, on décrétait dans l’insouciance. Oui, c’est vrai, elle était belle la vie d’un gouvernement majoritaire. Mais c’est fini tout cela et maintenant on va bien avoir besoin d’un manuel pour essayer de survivre quelques temps.

Premier conseil : ne jamais se séparer d’une Constitution à jour, accompagnée de ses lois organiques et de sa jurisprudence (un code annoté de couleur rouge pourra faire l’affaire, évidemment).

Oh oui, vous en aurez bien besoin, parce que vous allez découvrir petit à petit toutes les ressources insoupçonnées de ce texte mais aussi tous les petits pièges qu’il dissimule.

La Constitution, un texte aux ressources insoupçonnées 

Vous avez déjà commencé à y goûter d’ailleurs ; par exemple, cette exquise rédaction de l’article 8 : “Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement”. Oui oui, vous aurez beau démissionner, il ne se passera rien si “il ne met pas fin à vos fonctions”. Vous verrez, il y a plein d’autres petites astuces du même genre comme nous allons le voir.

Deuxième conseil : présenter le moins de projets de loi possibles.

Vous êtes minoritaire. Chaque projet de loi que vous présentez s’accompagne de l’achat d’un gros stock de cierges que vous ferez brûler en priant pour que votre gauche et votre droite ne s’associent pas pour le rejeter. Et même le célèbre article 49-3 ne servira pas à grand-chose parce que la menace de la motion de censure planera. Mais ne vous inquiétez pas il existe moultes solutions pour contourner ce problème.

Faites déposer des propositions de loi que vous aurez rédigées 

D’abord, n’hésitez pas à utiliser les parlementaires qui vous soutiennent, à l’Assemblée comme au Sénat, pour leur faire déposer des propositions de loi que vous aurez cependant largement rédigées. Si elles ne sont pas votées vous n’en supporterez pas l’opprobre. Si elles le sont, vous en tirerez une partie de la gloire.

Ensuite, pensez à cet article 37-2 qui institue une procédure de “délégalisation”. Délégalisation qui permet de modifier par décret une loi qui a empiété sur les compétences du pouvoir réglementaire. Or, dans l’allégresse des gouvernement majoritaires, de très nombreux textes législatifs empiètent sur les compétences réglementaires et il est possible de beaucoup modifier en passant par cette procédure.

Enfin, ne sous estimez pas les ressources du droit européen. Tous ces règlements, toutes ces directives qui doivent être appliqués ou transposés en droit interne. Ne faites rien (en plus l’Europe c’est toujours un sujet qui énerve les extrêmes), et hop, par la grâce de la hiérarchies des normes, le droit interne qui leur est contraire sera invalidé.

Troisième conseil : être bons camarades entre membres de l’exécutif.

Dans cette Constitution que vous portez toujours sur vous, il y a 2 articles redoutables au quotidien : 19 et 22. Ils parlent de quelque chose dont le vocabulaire est un peu désuet mais la pratique redoutable : le “contreseing” : tous les actes du Président de la République, réglementaires ou de nominations doivent être contresignés par le Premier ministre et les “ministres responsables”, et tous ceux du premier ministre par “les ministres chargés de leur exécution”.

Si tu me contresignes mon décret, je te contresigne le tien 

N’entrons même pas dans l’interprétation de cette nuance rédactionnelle, le recueil des arrêts du Conseil d’État vous renseignera fort bien sur ce sujet. Mais arrêtons-nous juste sur ce joli mot “contreseing”. Un acte qui ne porterait pas un des contreseings requis est irrémédiablement illégal.

Ce n’est pas sans rappeler la théorie des jeux : c’est la coopération qui est la plus avantageuse. Si tu me contresignes mon décret, je te contresigne le tien. Par contre, si tu ne me le contresignes pas, et bien le tien restera rangé dans le placard des projets. Mais la théorie des jeux n’exclut pas un peu de poker menteur : alors ça non jamais je ne le contresignerai ! Bon, si tu me contresignes tout mon paquet de décrets, alors peut-être je ferai un effort.

Et surtout n’oubliez pas que dans ce jeu, il y a un ministre qui est plus fort que les autres, c’est le ministre de l’Économie et des Finances : dès que l’on dépense de l’argent, il est “responsable” ou “chargé de l’exécution” (je simplifie mais l’idée est là). Il faut donc être tout particulièrement bon camarade avec lui !

Quatrième conseil : ne pas trop s’inquiéter des juges constitutionnels et administratifs.

Quand vous lisez les dispositions de votre Constitution, dont les pages commencent à être jaunies et cornées à force de manipulations, relatives au vote des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, vous pouvez sérieusement vous inquiéter sur le risque de rejet de votre projet de budget par l’union des oppositions.

La force de l’argument de la continuité de l’Etat 

Mais rassurez-vous, il y a une série de ressources argumentatives pour justifier de pouvoir adopter un budget sans majorité, par ordonnance, et ce sera aux juges qu’il appartiendra de trancher. Et ici, n’en doutez pas, l’argument de la “continuité de l’État” sera d’une particulière force face à un juge qui serait en situation d’annuler une ordonnance ayant adopté le budget. Dans le pire des cas, il prononcera une annulation avec un effet différé ce qui vous amènera tranquillement jusqu’à la prochaine dissolution.

Cinquième conseil : ne pas trop écouter les conseils.

Évidemment, comme tout cela est tout neuf et jamais expérimenté, personne ne sait exactement ce qui va se passer. Alors plutôt que d’écouter des conseils forcément approximatifs et qui ne demandent qu’ à être démentis, le mieux est de se concentrer sur l’essentiel : bien gouverner !”

Frédéric Rolin